Bennahmias, les jeunes

Olivier-Jourdan Roulot
6 min readApr 11, 2015

et le faux carton

Politique / gauche gouvernementale / 11 avril 2015 / Olivier-Jourdan Roulot

En réunissant ce samedi son nouveau parti, le Front démocrate, Jean-Luc Bennahmias entendait se mettre en scène avec une jeunesse conquise par son enthousiasme pour Hollande. De quoi, il l’espère, l’aider à entrer au gouvernement. Sauf que…

Quand c’est faux, c’est faux. Surtout, on court le risque de se faire prendre, donc le ridicule, comme celui dont vient de se couvrir le squatteur de l’Elysée. Mais posons le cadre, si vous le voulez bien…

Normalement, le weekend c’est détente — en famille, entre amis, à deux, trois, quatre ou plus, toutes les combinaisons sont possibles, et après tout libre à chacun de faire comme il l’entend. Pour Jean-Luc Bennahmias, ce week-end devait être celui du rassemblement. Attention, pas le rassemblement pour rien, ou pour verser dans un communautarisme béat, non : le rassemblement pour pe-ser ! Et pour ça, ne suffit pas de retrouver son inséparable ami Christophe Madrolle, qui suit son maître partout et avec qui ils forment à deux un parti. Non, il faut faire masse, nombre, en remontrer. L’enjeu est d’importance car il s’agit d’entrer au gouvernement.

En effet, à force de squatter le salon de François Hollande, Jean-Luc Bennahmias s’est mis en tête une idée folle. Les ors de l’Elysée, faut dire, ça rend vite dingue — je connais, j’y ai été invité il y a quelques temps déjà. Dorures, huissiers, boiseries, tapis épais, service à thé, tout y est impeccable. Ca tape à l’œil mais c’est de bon goût. Bennahmias, pour revenir à lui, espère s’incruster à la table des ministres, dès que Valls et Hollande voudront bien remanier. Et le plus tôt sera le mieux.

Sur le papier, il ne devrait avoir aucune chance : passé du vert originel à l’orange de Bayrou, à force de jouer les girouettes, le Marseillais, 60 ans, s’est isolé tout seul — flanqué de son ami Madrolle, tout de même. Sans mandat, sans moyens, bref de quoi déprimer. D’autre part, les écolos prêts à tout pour « en être » ne manquent pas.

Si on regarde objectivement les choses, Jean-Vincent Placé, patron de groupe au Sénat, Emmanuelle Cosse, chef d’EELV, les députés Barbara Pompili, François de Rugy ou même Denis Baupin semblent mieux placés. Ceux-là appartiennent à une formation plus consistante (nettement) que le groupuscule de Bennahmias, même si elle a connu des jours meilleurs. Mais en politique, c’est bien connu, il ne faut jurer de rien.

En découvrant vendredi le carton d’invitation pour le considérable évènement, j’ai tiqué. Pour accompagner un slogan très mobilisateur annonçant la réunion du conseil national de FD, on y voit une photo de jeunes militants dynamiques. Une jeunesse rieuse et débordante d’enthousiasme. Cette vision m’a immédiatement semblé… comment dire, improbable. Bennahmias idole des jeunes, j’ai du mal à y croire. Comme mon grand-père m’a appris qu’il ne faut jamais laisser le doute s’installer, ni une, ni deux, j’ai tenté le coup. Le coup ? Une petite manip relativement simple : passer au crible de Google l’image de cette belle jeunesse rayonnante, après l’avoir isolée du carton. Pour voir… A votre avis ? Bingo, ça n’a pas manqué !

Au lieu de me retrouver sur le site du Front démocrate, ou de sa version jeunesse, me voilà connecté sur 123RF, une… banque de photos libres de droit. Et voilà comment ces militants tombés du ciel pour donner un coup de jeune à ce bon Bennahmias se transforment en figurants anonymes disponibles à toutes les aventures — y compris les plus personnelles. Là où l’histoire prend une tournure carrément baroque, c’est à la lecture de la description de la dite photo : « heureux groupe de jeunes gens debout ensemble et tenant un signe blanc pour votre texte »… Magistral, non ?

Du coup, après cette découverte, j’ai jeté un œil sur la réunion de ce samedi, pour être sûr. En fait de mobilisation (comme scandé sur l’invitation), l’affaire s’est résumée à une assistance clairsemée dans une salle tristounette. Et pas l’ombre d’un jeune, dans le lot.

A une époque, on moquait les radicaux (de gauche) en prétendant qu’ils pourraient se réunir dans une cabine téléphonique, mais à FD ils peuvent visiblement vraiment le faire (photo ci-dessous).

Si on découvre ici les talents de prestidigitateur de l’ancien journaliste, reste une question troublante. Ils sont nombreux à se la poser, comme ce socialiste marseillais, plutôt social-démocrate, qui connaît le squatteur de l’Elysée :

« Comment le président de la République, qui doit avoir dans son agenda de la semaine quatre heures pour recevoir des personnalités, peut-il prendre ainsi le temps de le recevoir ? C’est un grand mystère ».

Selon mon décompte, dans le détail, Bennahmias est allé prendre le thé à trois reprises à l’Elysée, depuis l’été dernier — désolé, mais j’ai renoncé à remonter plus loin dans le passé : en juillet, puis en octobre 2014. Et il squattait encore le bureau présidentiel, en février dernier. Voici les mentions de ces rendez-vous, inscrites à l’agenda présidentiel :

Sur le plan des idées, on laissera à chacun la responsabilité de définir à quoi sert le Front démocrate écologique et social. Si on a bien compris, il s’agit de « redonner de l’espoir sur l’unité d’une gauche rénovée avec un socle de valeurs partagées, un projet de société commun et une organisation fédérée », afin de mieux répondre « à la nécessité de changer de paradigme politique au XXIe siècle ». Fichtre ! Pour faire creux, on fait difficilement mieux. En revanche, on a aussi entendu ceci : la nouvelle formation doit être un « parti d’alliance de l’exécutif ». Nettement plus clair, déjà. Aujourd’hui, en réalité, la principale singularité de Bennahmias se résume à cela : avoir rendu visite au chef de l’État « plusieurs fois », comme l’intéressé ne manque jamais une occasion de le rappeler. Tout un programme.

Au final, pour réussir son grand œuvre, l’ex-vice président de Bayrou ne reculera devant rien, on l’aura compris. Ses tuteurs aussi, suffisamment lucides (ou pervers), à l’image d’un Christophe Cambadélis qui avait lâché ce commentaire alors qu’il était venu parrainer le lancement du Front démocrate, en septembre dernier :

« Dans la période actuelle, voir une formation politique se définir comme combattant le Hollande bashing, étant totalement d’accord avec la politique gouvernementale, avait ironisé le premier des socialistes, j’en rêve dans ma propre formation ».

Tout était dit.

Olivier-Jourdan Roulot

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Olivier-Jourdan Roulot

Journaliste entre deux portes, pour regarder de l'autre côté du miroir, en coulisses