Clay House

5_ Volontariat, Quotidien et Quiétude 1/4

Hood
6 min readMay 4, 2016

Après cette escapade tumultueuse, votre volontariat — principale raison de ce voyage — peut commencer. Ayez choisi un programme construction, les Clay Houses, pour parfaire votre formation d’architecte en cours. Ces maisons ont l’avantage d’être bâties en brique d’adobe –de la terre crue cuite au soleil — un matériau peu utilisé en France, une vraie opportunité.

Le chantier commence à 8 heures, s’arrête aux alentours midi pour une pause déjeuner, reprends peu avant 14h, se termine entre 15–16h. Tout dépend du nombre de volontaires sur le chantier. L’équation est simple : plus il y en a, plus les tâches sont nombreuses. En corollaire, la journée se termine plus tard. Arrivez dans une période opportune, peu après qu’une demi-douzaine de compatriotes soient arrivés sur le chantier. Elèves en ingénierie civile, en alternance, ils effectuent ici le stage nécessaire à la validation du diplôme.

Ils ont trouvé le bon fillon. Car, en plus d’un chantier relativement détendu, leurs patrons continuent de les payer pour ces deux mois. Un voyage aux frais de la princesse, des vacances déguisées. Ils partiront à la première occasion, travestissant la réelle durée de leur présence. Deux mois sur le papier, à peine un dans les faits. Ils iront renforcer le contingent de touristes en vadrouille sur les multiples îles dont la Thaïlande regorge. Malgré cette ruse administrative, ils seront les artisans d’une avancée considérable du chantier.

Trois ans maintenant qu’il est commencé. Quelques maisons ont déjà été bâties, mais des finitions sont nécessaire ; à l’une il manque les toilettes, à l’autre la carrelage, la dernière a besoin d’un nouveau toit de chaume. Le programme avance lentement, peu séduisant pour la plupart des volontaires car invoquant un effort physique conséquent. De fait, certaines semaines, personne n’est là pour le continuer, le laissant à un triste devenir de friche.

Aek, l’instigateur et coordinateur du projet, estime qu’à ce rythme, le chantier prendra fin d’ici une dizaine d’années. L’objectif final est de construire un espace entièrement dédié à la culture bouddhique, où tout curieux pourrait recevoir les premiers enseignements. Dans son enthousiasme et sa jovialité, Aek a prévu la construction de deux temples, d’un réfectoire, et d’une dizaine de cases monastiques, les Clay Houses.

Quand le chantier se conclura, il aspire à rentrer dans les ordres et à dédier sa personne à l’entretien du lieu. Il se démène pour mener le projet à bien, fait le tour des résidences le matin pour récupérer les quelques volontaires, s’occupe seul de la logistique — un éventail allant de l’achat de matériau à l’approvisionnement en eau potable –, supervise toutes les tâches à la fois, court d’un bout à l’autre du chantier.

Ses efforts sont admirables, mais leur concrétisation se fait encore attendre. A l’entrée, gît un des futurs temples, pour l’instant seule sa carcasse en béton s’élève, soutenant son toit en tôle. Un chemin le longe, débouchant sur le puit d’argile où les briques sont confectionnées, puis dans l’alignement, reposent les 3 cases solitaires, à moitié abouties. En face, deux fondations récentes attendent de recevoir les premières briques. Elles jouxtent un toit en tôle soutenu par des sections d’aciers, abritant le futur réfectoire. Au fond, l’autre temple, déjà achevé, avoisine les sanitaires et douches bricolées, relégués en limite de parcelle.

Une amère mélancolie émane du lieu. Son évolution ne manque d’interroger. Végétera-t-il à jamais dans cet état transitoire, toujours en chantier ou réussira-t-il à se clore un jour ? N’y pensez pas encore en cette matinée inaugurale, l’espoir étant présent. Vos compatriotes se chargent de votre accueil, expliquant le fonctionnement du chantier.

La journée suit une organisation immuable, dépendante des propriétés de la matière première, la terre. Premier travail de la journée, la confection de briques d’adobe. Sous la chaleur déjà étouffante du matin, le groupe s’attèle à la tâche, protégé par leur mince casquette et par une blanchâtre crème solaire dégoulinant suavement tout le long de leur torse nu. Oubliez le pantalon et les chaussures de sécurité en vigueur, troquez-les contre un vieux short délavé et une paire de tongs en fin de vie.

Commencez par récolter l’argile dans des seaux, avec une binette. Un tas d’argile est disposé à côté du puit, étrillez-le pour remplir cinquante seaux. Déversez chaque seau dans le puit, tous les dix arroser le tout par cinq seaux et un de balle de riz. La balle servira de liant aux briques, à l’image de la ferrailles dans le béton armé. Une fois le quota atteint, débute la

thalassothérapie à moindre frais. Tel un vigneron d’antan, plongez les deux jambes dans la puit, mélangeant le tout, l’argile jusqu’aux genoux. Allez-y à cœur joie, déambulez en cercle, malaxez dans tous les sens possibles la pâte, veillez avec grand zèle à ce que la texture s’uniformise.

Au bout d’une vingtaine de minutes de procession, remplissez les seaux de cette mélasse, déversez les dans des moules en bois, grossièrement équarris. Sans l’aide d’aucun d’outil, avec l’unique secours de vos mains. Laissez ensuite sécher les briques au soleil pendant deux jours, avant de pouvoir les utiliser. Une fois les briques démoulées, elles servent à monter les murs, l’argile restante servant de mortier. Quatre ou cinq personnes suffisent à ce labeur.

Pendant ce temps, trois autres élaborent un savant enduit, mélange entre peinture, sable et colorant. Le tout est chauffé et mélangé dans un grande pot de peinture. Le reste des volontaires, généralement robustes, préparent un béton et un ferraillage artisanal pour couler la dalle du futur réfectoire.

Pour ce premier jour, aidez à la construction des murs, faites de votre mieux avec ces briques à la qualité disparate. Fissurées, peu tassées, la planéité suspecte, la majorité casse au démoulage. Sans outils, difficile de fabriquer des briques fiables. Apprenez à faire avec, à combler les trous, à tenter de tenir un niveau droit avec des briques bosselées, rehaussant à certains endroits, tassant à d’autres. Le résultat est de guingois, reportant inlassablement le problème jusqu’au dernier moment crucial, le montage de la charpente.

Pendant ce temps Aek passe en revu les divers travaux, distille des conseils, en demande en toute humilité, donne un coup de main à droite à gauche, disparaît pendant une heure, revient avec deux autres thaïs, s’attèle à une besogne mystérieuse en leur compagnie. Les divers labeurs s’arrêtent vers midi ; il n’y a plus de briques, l’enduit doit refroidir pendant deux heures. La pause est opportune, après une matinée sous le féroce soleil tropical.

Une maison, à 5 minutes de marche du chantier, accueille les volontaires pour le déjeuner. Quelques bâtisses éparses l’entourent. Chacune partagée entre logis et petit commerce de proximité, soit restaurant, soit micro épicerie. Oh, rien de bien grandiose.

Des tables éparpillées sur une terrasse ombragée, une dizaine de chaises, deux bancs en béton, un hamac tendu entre deux piliers de bois, pour l’un. Trois étagères faméliques, disposées négligemment dans l’entrée, hébergeant de maigres snacks, un congélateur contenant des imitations de soda, gardées d’un oeil paresseux par un chien amorphe. Tout juste si votre présence n’offense la quiétude établie. En de rares occasions, des travailleurs participent de cet affront. Personne ne demeure longtemps, certains passent récupérer leur popote avant d’enfourcher leur scooter, le calme renaissant à 14h.

Pourquoi se sont-ils installés là ? Quel choix motivé, rationnel peut les avoir poussé dans cette ambiance désertique, silencieuse, à peine perturbée par le discret ballet de chiens et de poules rachitiques ? A part les volontaires, peu d’âmes viennent troubler la torpeur établie de ce coin rustique. Le chantier serait-il le motif de leur existence ? Ou bien existaient-ils avant ? Toute une énigme …

Une feuille A4 fanée — imprimée et traduite par Aek — joue le rôle du menu, passe de mains en mains. La liste et courte, vos compatriotes la connaissant par cœur, elle ne variera point. Des plats à base de poulet, légumes, riz et nouilles, explorant toutes les combinaisons possibles. Une expérience typique, heureuse.

L’après-midi passera plus rapidement, le temps de travail se raccourcissant. Les tâches en suspens se poursuivent, l’enduit est prêt à orner les murs nus. Il est encore chaud. Là encore, point d’outils, vos mains badigeonneront sauvagement ces parois irrégulières, renouant avec les plus vifs plaisirs enfantins. Parvenez avec le plus grand mal à enduire l’intégralité de ces surfaces rugueuses, une bonne partie échoue sur le sol, ajoutant une teinte jaunâtre inédite au carrelage.

Pendant trois semaines, jonglez d’un atelier à l’autre, entre briques, enduit, et béton. Le chantier connaît une forte progression grâce aux ingénieurs. Les murs atteignent un mètre-cinquante, les maisons font peau neuve sous une nouvelle couche d’enduit, la moitié du réfectoire se munit d’un sol bétonné. A l’orée de Songkran, le nouvel an thaïlandais mi-avril, l’apogée est atteinte. La suite ne sera qu’un longue et douloureux déclin, proche de la mort clinique.

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