Twin House

5_Volontariat, Quotidien et Quiétude 3/4

Hood
5 min readMay 18, 2016

La première semaine avait relégué à plus tard ce paramètre inévitable, laissant la fatigue envahir votre corps après de longs trajets, bercées au rythme des secousses et du décalage horaire.

Une fois ce dernier maîtrisé, l’ennui et l’attente, amis fidèles, surgissent, après l’insipide souper. Pour trouver une consolation à leur peine, la majorité se rue sur leur écran luminescent, nonobstant l’existence d’autre âmes affligées. Certes, une activité est aménagée chaque jour, mais le réconfort est maigre dès lors que leur intérêt s’efface devant la routine.

Le mardi, marché local. Une fois écumé dans toutes les directions possibles, au bout de deux visites, il n’y aura plus de surprise. Errez entre les stands, feignant un vague intérêt pour les bibelots étalés ci et là. Achetez quelque fois une glace au 7/11, triste récompense.

Le mercredi est déjà plus palpitant. Le volontariat s’arrête à midi, tous les volontaires se retrouvent à Singburi, à la piscine, accueillant violemment tout falang, par son panonceau à l’entrée : « Foreigners : 20 baths ; Thaï : Free ». Faites-en vite fi, profitant du rafraîchissement salvateur, au bord de ce bassin déserté par les thaïs à ces heures étouffantes de la journée.

Devenez les maîtres des lieux, violez les règles élémentaires par vos sauts disgracieux, sous les réprimandes agacées des surveillants. Arrive un temps où les divertissements aquatiques existants s’épuisent, déambulez alors en ville.

Une ville de province typique. Une petite gare routière décatie, un simili de centre commercial climatisé, un hôpital, une poste, un marché suintant la nourriture fétide, un lot de vendeurs ambulants ; des restaurant au seuil jamais franchi, quelques bars miteux, et des salons de massage traditionnel.

Allez les tester, par deux fois, l’expérience se révélant glauque, dans ces « salons », disposés au sous-sol du centre commercial, où une mince étoffe sépare péniblement les clients. Un pouffement gêné des masseuses s’élève, dès que vos pieds pénètrent dans ces lieux obscurs. Leur curiosité est saupoudrée d’une pudeur coquette, rendant la conversation légèrement embarrassante. Les questions sempiternelles pointent, âge, nationalité, avis sur le pays, etc ; tendant un peu plus votre corps.

Parmi la fourmillante multitude de boutiques présente au sous-sol se trouve un coin dédié au loisir, avec le nécessaire de n’importe quel multiplex se respectant ; bornes d’arcades, karaoké, hockey pneumatique. Tuez-y le temps en diverse compagnie, quand toutes les autres perspectives réjouissantes s’épuiseront, vers la fin du séjour. Rétrospectivement, des moments agréables, permettant de sympathiser avec les autres volontaires, de connaître les nouveaux venus, de partager ses ressentis respectifs.

A 16 heures, les songthaew rentrent aux diverses résidences, pour un bref répit. Ils repartent deux heures plus tard, vers le barbecue, situé à la sortie de Tha Kham. Un barbecue réinterprété, à la sauce thaï. En lieu et place d’un foyer central, chaque table se retrouve affabulé d’un mystérieux objet, étrange croisement entre un presse-agrume démesuré et un mortier en bois renfermant le charbon incandescent.

La viande se dispose sur le dôme percé d’entailles régulières. Ceint par des douves engorgées d’huile, reposent en paix nouilles, légumes et autre délices. Une bonne manière de s’approvisionner en viande, absente du menu exclusivement végétarien des résidences. Plusieurs amorcent en douceur la soirée qui s’ensuivra à la Brown House, avalant une ou deux grandes bières locales, insipides.

D’autres saisissent le moment pour quêter quelque dons pour l’orphelinat, principe intriguant, vu le généreux montant acquitté pour participer à ce volontariat. Après tout, cette somme — assez démesurée — pour la Thaïlande ne subvient-elle pas aux besoins des divers programmes ? Sous le regard mi-triste mi-inquisiteur, refusez de verser quelques baths cette boite. La quête s’arrêtera d’elle même au bout d’un mois, lorsqu’elle perdra ses plus fidèles zélateurs.

Le festin terminé, regagnez vos appartements, avant d’envahir le bar de la Brown House. La nuit ne sera pas folle, mais elle aura le mérite d’être divertissante à chaque fois.

Le prétexte idéal pour boire excessivement, laisser son esprit s’égarer, apprendre plusieurs anecdotes savoureuses, et hurler son désespoir dans le micro du karaoké, où chacun s’affaire à massacrer jovialement un classique de la culture populaire.

Passablement éméchés et insouciants, chacun s’amuse, s’égaye, tente de lier d’éphémères relations lubriques, avant d’atteindre son lit d’un lourd et profond sommeil.

La fâcheuse conséquence de cette nuit est l’étonnante corrélation entre la consommation abusive d’alcool et l’absentéisme matinal. Le jeudi matin prend d’étonnantes allures solitaires, déserté de part et d’autre. N’y faites pas exception. Volontaire, tout est question de volonté ; abandonnez-la une fois, un mercredi soir, le plus discrètement possible, la tête délicatement penchée au dessus de la cuvette.

Le jeudi soir marque un hommage appuyé à la culture occidentale, par l’excursion au Tesco, l’hypermarché local. Où encore, pour quelques-uns, l’opportunité de retrouver leur nourriture favorite à des prix prohibitifs ; et d’oublier les raisons pour lesquelles ils sont ici, en Thaïlande ; si pour tout effort d’intégration, ils adoptent le même comportement qu’en Europe. Ils se ruent alors avidement sur divers mets tant désirés, entre hamburgers, pizzas et consorts.

Peu tenté par cette gastronomie, déambulez sans but dans cette immense espace climatisé. Trouvez-y toutes sortes de choses, une guitare, une cible de fléchettes, un ballon, mais dans cet espace gigantesque — l’absurdité n’ayant pas de limites — ne parvenez pas à trouver de simple dés.

Quelques 20 000 m², d’innombrables rayons, étalages, boutiques, services, mais point de dés. Une denrée rare et précieuse sous cette latitude, trouvez-en par la suite dans un bazar à Singburi, à prix d’or.

A force d’égrener ces rayons avec peu d’intérêt, la lassitude gagnera. L’apparition inespérée d’une salle d’arcade viendra la tromper. Avec un ami belge, joignez vos efforts pour réaliser un des plus précieux rêves d’enfants : battre un record d’une machine d’arcade.

Votre cible : le jeu de basket. Le principe est simple, marquer autant de point que possible en un temps limité, mettez trois semaines d’entraînement assidu pour enfin battre le record.

Quelqu’un s’en emparera, la semaine suivante, devant guetter secrètement ce moment. Forts de votre entraînement et de votre fierté de mâle alpha, parvenez à le reconquérir, probablement pour une durée éphémère. Une de vos seules distractions les semaines passant.

Puis, arrivera le vendredi et son lot d’espoirs. Un minibus passe dans l’après-midi, pour les personnes désireuses de rallier Bangkok et d’échapper à l’ennui léthargique d’un week-end à la campagne. La plupart du temps, agitez lascivement votre bras, ornementé à l’occasion d’un sourire mielleux. Généralement, les volontaires dont le séjour s’achève sous peu prennent ce bus, pour un dernier week-end bangkokais, un ultime souvenir frénétique à emporter.

Après le départ du minibus, la déperdition s’empare des lieux. Plus grand monde dans les résidences, encore moins de chose à faire. Pendant votre séjour dans la Lemon House, perdue dans les profondeurs rurales, la seule occupation se résumant à acheter quelques bières à l’épicerie engluée dans l’obscurité où les chiens régnaient en maîtres. Peu étaient désireux tenter l’expérience, donnant un aspect encore plus sinistre à ces soirées.

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