De la nostalgie forcée à la parentalité questionnée : j’ai joué aux jeux vidéo avec mon fils.

Romain Pillard
8 min readFeb 10, 2015

Il y a une réplique célèbre de Steve Martin dans A Wild and Crazy Guy…

“Je connais un vilain tour à jouer à un enfant de 3 ans… Lorsque vous êtes en sa compagnie, racontez-lui des salades. Imaginez-le ensuite lors de son premier jour d’école, levant la main pour s’adresser à l’instituteur “Est-ce que je peux mambo la tête de chien sur le carré de bananes ?”

Je ne sais pas si c’est une excellente idée de se référer aux principes de parentalité des années 70, mais cela m’a toujours paru être le cas.

Si vous avez un enfant, pourquoi ne pas faire des expériences sur lui ? C‘est un peu comme faire des expériences sur un mini-clone de vous-même. Et c’est presque toujours légal !

Il est décevant de voir combien de personnes manquent cette opportunité en or et attendent généralement que l’enfant soit adolescent pour jouer à des jeux d’esprit avec lui.

Avant même la naissance de mon fils, en 2004, j’étais déjà prêt. J’avais réfléchi avec des amis et des collègues, à toute une liste de tests psychologiques ou sociologiques, prêt à lâcher sur ma progéniture à venir la cataracte de mon Milgram intérieur (Stanley Milgram est un illustre psychologue américain).

Mon plan initial était de l’élever en lui laissant croire qu’il vivait dans une simulation d’ordinateur, mais malheureusement ma femme a posé son veto. J’avais aussi imaginé toutes sortes d’autres scénarios potentiellement dangereux, mais drôles, et changeant notablement la vie.

Et j’ai quand même réussi à en instiller une…

Je suis né en 1977 - l’année de sortie du fameux Atari 2600, soit un an avant Space Invaders. J’ai eu la chance de naître dans l'âge d'or des jeux d'arcade, et j’ai ensuite joué à chaque génération de machines à mesure que je grandissais.

Mon fils Eliot est né en 2004 - l'année de Half-Life 2, de Doom 3 et du lancement de la Nintendo DS. A l’époque où il est né, l’industrie du jeu vidéo pesait déjà 26 Milliards de $.

J’adore les jeux et je voulais véritablement que Eliot les aime et les apprécie aussi. Voilà donc en quoi consista mon expérience :

Que se passe-t-il lorsqu’un enfant du 21ème siècle parcourt l’histoire du jeu vidéo dans l’ordre chronologique ?

Commencez par les classiques d'arcade de l’Atari 2600, avec Asteroids, Zaxxon. Au bout d’un an, passez à l'ère du 8-bits avec les classiques de la NES et de chez Sega. L'année suivante, la Super NES, la Game Boy, et jeux d’aventures classiques sur PC. Ensuite, la PlayStation et la N64, la Xbox et la GBA, et ainsi de suite jusqu'à rattraper le fil de l'ère moderne du jeu vidéo.

Est-ce que cet enfant apprécierait mieux les jeux indépendants modernes sans gros budget que les monstruosités AAA comme Destiny et Call of Duty ? Apprécierait-il l'esthétique rétro, ou penserai-il tout simplement que ça ne ressemble à rien ?

Ou grandirait-il simplement en pensant que la technologie du jeu vidéo avait évolué à une vitesse vertigineuse alors qu’il était enfant, pour connaître un coup d’arrêt alors qu’il avait atteint l'adolescence ?

Pour son quatrième anniversaire j’ai offert à Eliot un jeu TV Pac-Man Plug and Play (Branche et Joue) contenant des jeux d'arcade classiques - Galaxian (1979), Rally-X (1980), Bosconian (1981), Dig Dug (1982), et Bien sûr, Pac-Man (1980) et ses trois suites, Super Pac-Man (1982), Pac-Man Plus (1982), et Pac & Pal (1983).

Jusqu'au moment où il a agrippé le joystick, une partie de moi redoutait secrètement qu'il ne fasse montre d’aucun intérêt.

Durant les jours qui précédèrent sa naissante, je me réveillais en sursaut et en sueur, cauchemardant d’un enfant de 6 ans, déjà athlète accompli, et qu’il faudrait sortir pour faire jouer au football, au baseball ou à toute autre activité mortellement physique.

Crise évitée.

Eliot est fan du jeu Pac-Man sur TV. C’est comme si je me voyais en 1982.

Il a progressé rapidement. Six semaines plus tard il battait mes meilleurs scores à Dig Dug et avançait régulièrement dans des stages plus complexes de Pac-Man et de ses suites.

Eliot a atteint le niveau 5 de Pac & Pal (une obscure suite japonaise de Pac-Man) tout seul. Plutôt dur à cuire…

J’ai choisi une autre compilation de jeux plug-and-play (branche et joue) pour TV — Ms. Pac-Man, Galaga, Mappy, Pole Position, et Xevious — Et nous avons joué à ces logiciels ensemble.

Une fois lassés par ces derniers, nous nous branchâmes sur mon vieil Atari 2600, et nous jouâmes à ma collection de vieux bijoux tels que Asteroids, Kaboom !, Adventure, Combat, et (oui !!! ) E.T., mais la plupart avait plutôt mal vieilli.

Il était temps de passer à la génération suivante.

Quatre mois après le début de l’expérience et Eliot pas même encore âgé de 4 ans et demi, nous passâmes à l’ère du 8-bit.

J’ai lancé un émulateur et nous avons commencé à voyager dans l’univers de la NES et ses ses jeux d’anthologie.

Eliot et moi-même nous débattons avec les légendes. Terminé Mega Man 2 la semaine dernière et nous venons de venir à bout de Ganon dans Legend of Zelda. Le prochain : Mario !

Au début, il s’asseyait sur mes genoux et nous jouions à tour de rôle. La plupart du temps il jouait et je l’aidais pour les passages difficiles.

Eliot et moi avons terminé les six Mega Man sur NES. Le 2 et le 5 étaient géniaux, et les améliorations dans le 6 sont un chouette revirement. Le reste faisait un peu “réchauffé”.

A l’âge de 5 ans, il parvenait à terminer des jeux de plate-formes (de difficulté moyenne) tels que Super Mario 3.

Eliot vient de terminer le Monde 1 de Super Mario World entièrement seul. Il n’a que 5 ans ! Je suis un papa très fier !

A 6 ans, il terminait des jeux complets tout seul. Il termina Legend of Zelda sans aide, et termina même la seconde quête très difficile avec seulement quelques tuyaux sur la carte.

Eliot vient de finir le premier Zelda entièrement seul. Je ne l’ai aidé que sur la carte du Donjon 9. C’est mon gars !

Nous avions terminé Super Mario Bros. 1-3, Mega Man 1–6, Castlevania 1–3, Rygar, Contra, et Duck Tales.

Il était temps de passer au niveau supérieur.

Je n’ai jamais possédé de Super Nintendo ou de Nintendo 64 — j’avais opté pour le PC à cette époque — alors du coup j’ai découvert un paquet de jeux durant cette phase.

On a fait Link to the Past et Super Mario World, on a découvert des Gemmes parmi les plus difficiles à trouver et cela nous façonna des souvenirs sans égal.

Eliot et moi moi-même avons fini E.V.O. Search for Eden, un bijou sous côté de la SNES, qui pourrait être apparenté à Spore sur 16 bits

A partir de début 2011, on était passé à la N64. Les premiers pas de l’ère de la 3D me faisait presque mal aux yeux, mais Eliot semblait ne pas y prêter attention. On a terminé le fameux Ocarina of Time puis Majora’s Mask, et sommes littéralement tombés amoureux du tellement sous estimé Rocket: Robot on Wheels.

A ses sept ans, Eliot avait récupéré toutes les étoiles de Super Mario 64.

Eliot vient de récupérer la dernière des 120 étoiles de Mario 64. Si vous doutez du pouvoir de la mécanique des jeux de type “collecte”, traînez donc un peu avec un gamin de 6 ans.

Après ça, on a directement filé vers les années 2000. Sur PlayStation 2, on a terminé ICO, Shadow of the Colossus, et le très original Katamari Damacy, sorti l’année de sa naissance.

L’expérience était achevée.

L’idée de le faire survoler dans les grandes largeurs les jeux classiques a clairement eu un impact sur lui et a influencé ses goûts vidéo-ludiques.

A l’instar de tous les enfants de son âge, il adore Minecraft. Sans surprise…

Mais il est aussi très friand des jeux extrêmement compliqués généralement destinés à des joueurs 2 à 3 fois plus âgés que lui, et il est redoutablement bon lorsqu’il y joue — ses favoris étant souvent apparentés aux Rogue-Like : niveau générés aléatoirement, vies infinies et sans sauvegarde — .

Un de ses jeux préférés s’appelle Spelunky, sans conteste l’un des logiciels les plus compliqués auxquels j’ai jamais joué. Les magazines de l’époque le définissaient comme “un jeu ‘dur’ jusque dans le disque.” Je ne l’ai jamais terminé, et je ne le terminerai probablement jamais.

Un mois après son huitième anniversaire, il a fini Spelunky tout seul.

Eliot vient de finir Spelunky tout seul ! Merci d’avoir créé un tel jeu vidéo…

Mais Spelunky n’est pas comme les autres jeux. Eliot avait peut-être terminé le jeu, mais il y avait une seconde fin, bien plus difficile — en Enfer.

Tom Francis explique :

“Pour finir Spelunky, Vous devez survivre aux 15 niveaux générés et ensuite vaincre le boss en le faisant se détruire lui-même. Pour parvenir à l’Enfer, cependant, il vous faudra réaliser toute une série de rituels dans un ordre bien spécifique et utiliser des objets uniques dans différents endroits à chaque fois, pour enfin tuer le boss avec une technique particulièrement audacieuse… Alors seulement il rejoindra l’après-vie et le monde des ombres pour de bon…et vous le panthéon des joueurs !”

C’est l’un des passages de jeu vidéo les plus compliqués qui soit, et je ne connais que 2 ou 3 personnes qui sont parvenues à le franchir. Pour Tom Francis c’était “la chose la plus dure que j’ai jamais réussi à faire dans un jeu vidéo… Cela ne prend que 41 minutes, mais j’ai du y jouer des centaines d’heures — et mourir près de 3000 fois — afin d’apprendre comment faire ces 41 minutes.”

Il y a trois mois, Eliot a terminé Spelunky avec la fin difficile. Derek Yu, le créateur du jeu, pense que c’est sans doute la personne la plus jeune au monde à l’avoir fait.

C’est le plus jeune que je connaisse… C’est l’Elu !

Après avoir fini Spelunky, Eliot était prêt à relever d’autres défis. Il me demanda de lui acheter un nouveau jeu dont il avait entendu parler sur YouTube — Nuclear Throne, un jeu de chez Vambleer de type roguelike-like-action, réputé pour son implacable difficulté. Une semaine plus tard :

Après moins d’une semaine de jeu, Eliot a terminé Nuclear Throne. Bien joué gamin.
Arrête Eliot… Tu nous fais passer pour des bidons nous les vieux.

Nuclear Throne, comme beaucoup d’indie games (jeux indépendants) a été développé par une toute petite équipe et possède un aspect visuel plutôt old-school (à l’ancienne) :

Et voilà pour moi ce qui est le plus pertinent dans toute l’expérience menée.

L’exposition très tôt à des jeux avec des graphismes sommaires l’a immunisé contre le flashy, le clinquant et les graphismes hyper-réalistes des jeux AAA d’aujourd’hui. Il sait apprécier les graphismes “rétro”pour ce qu’ils sont et se focaliser sur le gameplay.

Les graphismes assez rudimentaires de VVVVVV, FTL, ou de Cave Story refroidissent certains enfants de son âge, mais comme moi, Eliot est littéralement happé par eux.

Mon espoir c’est de lui avoir instillé au long-terme un vrai goût pour les jeux plus petits, plus étranges, plus créatifs, plus intimes.

J’ai donc donné à mon fils une sorte de cours accéléré sur l’histoire du jeu-vidéo, en compressant 25 ans de productions vidéo-ludiques en seulement 4 années.

A ce moment de la lecture, vous devez penser que je suis soit une sorte de monstre, soit un père plutôt excellent. Il y a peut-être un peu des deux !

Moi ça me va. Mon fils est génial, il adore les jeux vidéo, et plus que tout, il adore jouer aux jeux vidéo avec moi.

T’es prêt joueur deux ?

L’éthique dans la façon d’élever ses enfants avec les jeux vidéo.

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