Aïda-Marie Sall
Le Troisième Baobab
15 min readMay 10, 2015

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[1/2] La libération du cheveu afro : l’histoire d’une (r)évolution esthétique, sociale et identitaire

Loin d’être un sujet superficiel, le cheveu afro est un symbole politique, social et identitaire. Retour sur les transformations des normes capillaires qui en disent long sur les sociétés et leur temps.

Par une matinée grise de mars, dans le quartier pittoresque de Château d’Eau à Paris. Une foule compacte est réunie rue du Faubourg Saint Martin. Les badauds s’arrêtent, intrigués par la scène, et posent des questions aux personnes qui patientent : “Mais qu’est-ce qui se passe ?”, “C’est pour un concert ?”. Elles répondent toutes avec un sourire entendu ; celui de celles qui savent mais qui n’ont pas envie de se lancer dans de grandes explications. Alors, la plupart restent silencieuses.

Si on les observe un peu plus attentivement, on se rend compte que les quelques centaines de personnes présentes sont majoritairement des femmes, jeunes. Leur seconde particularité est qu’elles arborent toutes, à de rares exceptions près, des cheveux crépus ou frisés, qu’elles portent une multitude de coiffures toutes plus inventives les unes que les autres.

Ces jeunes femmes sont réunies pour la grande messe annuelle du cheveu naturel (entendre le cheveu naturel afro- crépu, frisé ou bouclé) qui a lieu tous les ans à Paris. La “Natural Hair Academy”célèbre le cheveu naturel sous toutes ses formes, en présence de gurus de la beauté métissée, de blogueuses et de grandes marques de cosmétiques capillaires.

Mais cette tendance au retour du cheveu naturel ne se limite pas à une réunion de quelques centaines d’initiés.

On la voit aussi dans nos rues, où de plus en plus de femmes et d’hommes afro-descendants (dont l’ascendance plus au moins lointaine se rattache au continent africain), portent leurs cheveux au naturel. Egalement sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels, où l’on peut voir des personnalités comme la blogueuse Fatou N’Diaye ou la chanteuse Solange Knowles arborer fièrement leurs cheveux afros. Et même, dans les publicités de grandes marques, à l’instar de Lancôme qui a choisi l’actrice oscarisée Lupita Nyong’o comme sa nouvelle égérie, loin des diktats de beauté traditionnels du luxe.

Lupita Nyong’o pour Lancôme (tous droits réservés Lancôme Paris)

Ces manifestations se placent sous la bannière du « natural hair movement » (“mouvement du cheveu naturel”), autrement appelé phénomène “nappy”. Contraction des mots anglais “natural” et “happy” (littéralement “naturel”et “heureux”), il vient des Etats-Unis où il désigne à l’origine les cheveux naturels des Afro-Américains.

Néanmoins, depuis quelques années, le terme s’applique aussi à toute personne, noire ou métisse, qui décide de porter ses cheveux naturellement. Ce qui sous-entend le bannissement des pratiques de lissage chimique (défrisage) et des mèches artificielles, extrêmement répandues dans les milieux afros.

Si a priori le sujet peut sembler superficiel, car ne traitant que d’un phénomène esthétique, il puise ses racines dans des réalités historiques et sociologiques complexes, et conduit dorénavant à une redéfinition de l’image des Afro-descendants, tant dans leur traitement marketing que médiatique.

Mais pour comprendre le cheveu afro, il faut faire un peu d’histoire.

Conférence à la Natural Hair Academy (tous droits réservés à la NHA)

Oeuvre d’art et puissance magique

Dans les sociétés africaines traditionnelles, la charge symbolique accordée au cheveu est particulièrement importante. Sa première symbolique est esthétique : plus qu’une simple partie du corps humain, le cheveu est considéré comme une parure en soi, comme peut l’être un bijou ou un tissu de grande valeur. Il joue également un rôle identitaire, puisqu’il permet d’affirmer son appartenance à une ethnie ou à une caste. Enfin, certains attribuent une puissance magique au cheveu. Il permettrait ainsi de se protéger des mauvaises influences, d’augmenter sa force vitale, de converser avec les ancêtres ou avec les dieux. Tout ceci explique le fait que la coiffure est élevée au rang de véritable art dans les sociétés africaines traditionnelles, grâce à l’emploi de techniques qui impressionnent par leur diversité et le travail d’orfèvre qu’elles nécessitent.

La pratique de cet art capillaire est remise en cause par deux événements historiques majeurs : l’esclavage et la colonisation. Pourtant, cette valorisation des cheveux afros va continuer en Afrique jusqu’à l’ère postcoloniale (années 1960), où elle ne décline véritablement qu’avec l’entrée dans la société de consommation et l’adoption massive des mœurs occidentales. L’art de coiffer les cheveux crépus et la croyance en une puissance magique des cheveux subsistent dans certains milieux : par exemple, il n’est pas rare que des personnes refusent de laisser leurs cheveux coupés chez le coiffeur, de peur qu’ils ne soient récupérés et utilisés dans un rituel magique à leur encontre.

Fillettes peules, Afrique de l’ouest (tous droits réservés Senegalfouta)

Des conquêtes occidentales à l’auto-racisme

Au cours de la Traite négrière occidentale (XVe-XIXe siècles), entre 11 et 15 millions d’Africains sont arrachés à leur terre natale pour servir de main d’œuvre au Nouveau Monde. Si on insiste le plus souvent, et à raison, sur les violences physiques entraînées par la Traite Atlantique et par l’esclavage, ces derniers ont aussi pour conséquences de bouleverser de manière irréversible le fonctionnement des sociétés africaines traditionnelles, notamment dans leurs dimensions démographiques, politiques, culturelles et donc esthétiques.

A leur arrivée au Nouveau Monde, les esclaves, hommes et femmes, sont séparés des autres membres de leur ethnie par les négriers dès la descente du bateau. Dorénavant, les nouveaux esclaves n’ont plus ni le temps ni les outils pour le coiffage de leurs cheveux souvent symbolique dans leurs sociétés d’origine. Les esclaves s’adaptent à leur difficile condition, pour les hommes en se rasant les cheveux, et pour les femmes en portant des foulards ou des mouchoirs de tête. Vecteur encore plus important dans cette modification forcée de mode de vie, l’esclavage introduit de nouvelles préoccupations esthétiques : dorénavant, plus un esclave a la peau claire et les cheveux lisses, plus il a de chances d’échapper aux durs travaux des champs et d’accéder au plus haut rang de la classification sociale que peut avoir un esclave, c’est-à-dire devenir domestique au sein de la maison du “Maître”. L’esclave métis est considéré comme plus proche du Blanc, donc dans la conception esclavagiste cela le rend “supérieur” à un esclave à la peau foncée et soi-disant plus apte à servir de près son “Maître”. Comme un esclave métis se revend toujours plus cher, les propriétaires d’esclaves entretiennent eux-mêmes cette désirabilité des cheveux lisses et de la peau claire. C’est comme ça que les communautés afro-descendantes des Amériques ont progressivement intégré les valeurs esthétiques véhiculées par les sociétés esclavagistes. En fait, c’était une question de survie.

Photographie du film Le Majordome (2013)
Photographie du film 12 Years a slave (2013)

Un processus similaire a aussi eu lieu durant l’époque coloniale. L’essayiste et psychiatre français Frantz Fanon dans Peau noire, Masques blancs (1952), étudie l’impact psychologique et psychanalytique que ce système a sur ceux qui le subissent. Selon Fanon, le principal effet que produit l’idéologie coloniale sur les colonisés est qu’ils se sentent inférieurs. Pour quelles raisons ?

Tout d’abord pour une raison économique, car les empires coloniaux dominent financièrement les pays qu’ils occupent en faisant main basse sur leurs richesses territoriales.

L’autre raison est psychologique : à force d’être dominés politiquement, économiquement et culturellement, les colonisés finissent par intégrer l’idée fondatrice du système colonial qui est la suivante : si le colonisé doit être colonisé, c’est qu’il est un être humain “inférieur” à l’homme occidental et qu’il a besoin de son “aide” pour aller vers la civilisation moderne. Un peu comme un enfant peut avoir besoin de la tutelle d’un parent adulte pour grandir. Bien entendu, cet argument intolérable est prétexte de “bonne conscience” pour les pays occidentaux à l’époque, qui s’en servent pour justifier moralement une expropriation des biens et richesses de pays étrangers qui ne leur appartiennent pas. Donc selon Fanon, les colonisés finissent par croire qu’ils sont inférieurs à l’homme occidental et intériorisent cette dévalorisation. Conséquence, “le Noir veut être comme le Blanc” et son identité lui devient étrangère : on parle alors d’aliénation mentale.

Quelques exemples de ce que cette croyance peut produire pendant la colonisation :

  • l’abandon des langues traditionnelles pour la langue du colonisateur, mise sur un piédestal ;
  • le désir d’épouser une femme blanche ou une métisse, car la femme noire est considérée comme moindre;
  • ou encore l’adoption de pratiques vestimentaires européennes au détriment des pratiques vestimentaires africaines (le costume VS le boubou).

Cependant, cette forme d’auto-racisme va être remise en cause par l’émergence d’une nouvelle idéologie issue de la communauté afro-américaine et qui va avoir une résonnance dans toutes les sociétés afro-descendantes du monde : le Black Power.

Le symbole de la coupe afro

C’est durant la seconde moitié des années 1960, alors que la décolonisation des pays africains et asiatiques est en train de s’achever, qu’émerge aux Etats-Unis le Black Power, un mouvement contestataire et radical, forcément influencé par la pensée de Fanon. Supporté par le Black Panther Party (“le Parti des Panthères noires”), le Black Power constate que le mouvement des droits civiques américains entamé une dizaine d’années plus tôt dans le Sud des Etats-Unis n’a pas produit assez d’avancées concrètes pour améliorer le sort des Afro-Américains, qui continuent de souffrir dans leur majorité de discriminations, d’inégalités et de pauvreté. Ils défendent l’idée de la création d’un “nationalisme noir” en opposition au nationalisme américain parce qu’ils considèrent que le nationalisme américain ne représente que les intérêts des populations protestantes anglo-saxonnes blanches des Etats-Unis. Les Black Panthers décident alors de se (re)créer une identité, à mi-chemin entre l’Afrique de leurs ancêtres et l’Amérique. Ils promeuvent un retour une Afrique mythifiée, symbole d’un âge d’or et d’une innocence perdus.

Ce retour vers l’Afrique se fait aussi esthétique : on adopte le style vestimentaire africain, et surtout on porte ses cheveux crépus au naturel, avec ce qu’on appelle “la coupe afro”. Cette coupe afro devient emblématique du mouvement. La coiffure afro, appelée “natural”, signifie aux yeux du monde que “Black is beautiful !”et que les Afro-Américains sont en train de rompre avec les canons esthétiques des Occidentaux. La coupe afro connaît alors un succès considérable, que ce soit aux Etats-Unis ou dans le reste du monde, où elle est adoptée par les communautés afro-descendantes aussi bien en Afrique, qu’aux Antilles ou en Amérique latine. Des personnalités politiques, ou du monde artistique l’arborent également (Angela Davis, les Jackons Five, James Brown, Otis Redding), augmentant son aura et faisant entrer le cheveu crépu naturel dans la culture populaire mondiale.

La chanteuse Diana Ross du label de soul Motown
Un rassemblement du Black Panther Party avec à droite le co-fondateur du parti, Bobby Seale (tous droits réservés Howard Bingham)

Pourtant, le mouvement du Black Power et le Black Panther Party tombent peu à peu en désuétude dans les années 1970, suite aux campagnes de répression et de décrédibilisation du gouvernement américain et du FBI, qui ne voient pas d’un très bon œil ce “nationalisme noir”, mais aussi à cause des nombreuses querelles qui gangrènent le parti. La coupe afro disparaît à son tour progressivement des rues et de la scène médiatique au début des années 1980.

L’ère du défrisage

Avec la fin du Black Power, c’est un nouvel ordre esthétique qui s’instaure, calqué sur les canons de beauté occidentaux et sur un idéal : celui des cheveux lisses. Obtenir des cheveux lisses alors que l’on a des cheveux crépus ou bouclés devient possible au début des années 1960 grâce à une invention déterminante, celle du défrisage chimique. La pratique du défrisage se popularise d’abord aux Etats-Unis puis est introduite dans toutes les communautés afro-descendantes du monde. Le défrisage devient la norme. Il devient un rite de passage à l’âge adulte pour les petites filles, il devient obligatoire pour les grandes occasions de la vie familiale (mariage, baptême, communion), et surtout il sert d’ascenseur social, permettant ainsi de contourner des inégalités qui persistent et un racisme latent.

Il suffit de regarder les femmes afro-américaines les plus puissantes : toutes ont les cheveux défrisés. Pensons à Oprah Winfrey, à Michelle Obama ou à Beyoncé par exemple. Oprah Winfrey ne serait pas devenue l’icône culturelle qu’elle est aujourd’hui aux Etats-Unis, en particulier dans les foyers ruraux et conservateurs, sans avoir eu recours au défrisage au moment où elle a lancé sa carrière. Le défrisage permet aux personnes qui le pratiquent de gagner en prestige social, d’être plus pris au sérieux et donc in fine d’avoir un meilleur statut. Il s’agit d’un signe de réussite contrairement au cheveu crépu qui est associé à la pauvreté et à la négligence. Le défrisage devient donc le moyen de contourner un “désavantage”, de même que le blanchiment de la peau pour certains (!). Mais une telle pratique chimique sur les cheveux crépus n’est pas sans risque. Le défrisage peut entraîner calvities, brûlures du cuir chevelu… Une autre dérive liée à la banalisation du défrisage, c’est que le cheveu lisse devient le modèle de référence esthétique, et que par conséquent le cheveu crépu se retrouve culturellement exclu des communautés afro-descendantes, qui le dévalorisent.

Publicité pour la marque de défrisants “Dark and Lovely”: “Si vous n’aimez pas quelque chose, changez-le. Si vous ne pouvez pas le changer, changez de coupe de cheveux” (tous droits réservés Softsheen Carson)

Naturel et heureux

Le mouvement nappy émerge dans les années 1980–1990 en réaction à ces excès. Il a une double origine : esthétique et politique. Suite à la vague rastafari, certaines Afro-américaines commencent à privilégier les produits “bio” et lancent la tendance au début des années 1980 aux EtatsUnis. En effet, le rastafarisme, religion abrahamique qui était pratiquée notamment par le chanteur Bob Marley, prône un régime alimentaire végétarien et le port de longs cheveux naturels sous forme de dreadlocks. Ces Afro-Américaines prennent modèle sur le rastafarisme et refusent donc de consommer des produits chimiques dans leur alimentation puis, se rendant compte de la composition toxique des produits défrisants, décident de porter leurs cheveux au naturel.

La deuxième origine du mouvement nappy se rattache toujours aux Etats-Unis, mais cette fois-ci dans les années 1990. L’essor du hip hop ainsi que certaines émeutes “raciales” entraînent un retour revendicatif vers la fierté identitaire. En 1992, des émeutes “raciales” éclatent à Los Angeles après l’acquittement de policiers accusés d’avoir passé à tabac un automobiliste afro-américain –triste écho à l’actualité. En une semaine d’émeutes, on dénombre 55 morts, plus de 2000 blessés et des dommages matériels s’élevant à 1 milliard de dollars. Cet événement retransmis à la télévision et suivi par des millions d’Américains est resté dans les mémoires comme un traumatisme, particulièrement chez les Afro-Américains.

Avec la généralisation de l’accès à Internet au début des années 2000, ces femmes afro-américaines décident de raconter l’histoire de leur retour à leurs cheveux naturels à travers des blogs, tels que : afrobella.com, nappturality.com ou encore curlynikki.com. Leurs auteurs y témoignent de leur “transition”, c’est-à-dire le passage de cheveux défrisés à leurs cheveux crépus. Elles y donnent aussi des conseils pour entretenir et coiffer les cheveux naturels, comme des professionnels pourraient le faire. Parallèlement et face à l’absence de produits adaptés, des marques spécialisées dans l’entretien des cheveux nappies se développent, comme Carol’s Daughter, créée par Lisa Price dans sa cuisine familiale, et qui vient aujourd’hui d’être rachetée par L’Oréal. Le mouvement nappy s’exporte en dehors des Etats-Unis à partir du milieu des années 2000, principalement en France où le blog de Fatou N’Diaye, Black Beauty Bag est fondé en 2007, et au Royaume-Uni avec le blog The United KinKDom.

Extrait du blog United KinKdom (tous droits réservés United KinKdom)

Depuis, le mouvement nappy n’a cessé de gagner de l’ampleur. En France, des figures publiques telles qu’Inna Modja, Imani ou Aïssa Maïga arborent des coupes nappies. Et les marques s’associent de plus en plus aux blogueuses nappies, à l’instar de Fatou N’Diaye qui vient d’être désignée égérie Kookaï pour deux saisons (printemps-été 2014 et 2015). Des marques qui s’adressent spécifiquement aux cheveux crépus apparaissent, comme Mizani par L’Oréal. Des sites de vente en ligne ou des boutiques spécialisées ouvrent, comme par exemple celle de Belle Ebène. Le mouvement nappy a également gagné en ampleur sur les réseaux sociaux, en s’étendant sur Facebook, Youtube et Instagram. Enfin, des événements tels que la “Natural Hair Academy” sont organisés avec la participation d’intervenants réputés dans le milieu nappy et de marques de cosmétiques capillaires, au cours desquels sont développés des ateliers et des espaces de conseils à propos de l’entretien des cheveux naturels.

Le succès et la visibilité du mouvement nappy commence à avoir un impact sur l’image des Afro-descendants dans les médias traditionnels. La presse, et notamment la presse féminine, accusée régulièrement de manquer de diversité, est en train de changer son rapport à la représentation des Afro-descendants. Il faut dire qu’elle a essuyé une série de mauvais coups médiatiques, comme l’article du ELLE sur la “Black Fashion Power” (2012) ou celui de PureTrend sur le retour en vogue des tresses (2013), qui ont provoqué une grande mobilisation au sein de la communauté nappy (les articles ayant été supprimés, je ne peux vous fournir que des liens d’articles critiques sur L’Express et Stylistic).

La raison du malaise ? L’article du magazine ELLE a choqué en affirmant que depuis l’élection d’Obama « le chic est devenu une option plausible pour [la communauté afro] jusque-là arrimée à ses codes streetwear ». Quant à l’article de Pure Trend, il proposait une plongée dans « le monde des nattés » et comparait cette pratique ancestrale à des «poulpes » !

Malgré tout, la presse féminine prend d’heureuses initiatives depuis quelques années : Femme Actuelle a consacré deux hors-séries à la « Beauté noire » entre 2011 et 2015, de plus en plus de femmes noires (notamment aux cheveux naturels) font la couverture de magazines tels que le ELLE, le Marie-Claire ou le BE, et la blogueuse nappy Vivi a été recrutée en tant qu’intervenante régulière pour le site ELLE.fr.

Couverture du magazine ELLE figurant l’actrice Lupita Nyong’o en 2014 (tous droits réservés ELLE Magazine)

Si la visibilité du cheveu naturel crépu est croissante en France, il n’est pas toujours bien accepté. Tout d’abord, dans les communautés afro-descendantes elles-mêmes, où le cheveu naturel continue d’être dévalorisé et incompris par une partie de ses membres.

Ensuite, dans le reste de la société française, où le cheveu crépu reste marginalisé, méconnu et réservé à certaines sphères bien précises. Dans les médias généralistes français par exemple, la journaliste Audrey Pulvar, et la chroniqueuse du Grand 8 et fondatrice des salons de beauté Ethnicia, Hapsatou Sy, semblent être les principales représentantes des femmes afro-descendantes. Mais là encore, elles répondent à des canons de beauté à l’occidentale (défrisage, mèches artificielles). Si elles arrivaient sur les plateaux télévisés avec leurs cheveux naturels, le public français serait très surpris. Lorsqu’en 2012 Audrey Pulvar a été photographiée avec une coupe afro, elle a été moquée, si bien que la journaliste s’est sentie obligée de se justifier, clamant que c’était seulement une coiffure « de vacances » et donc temporaire.

Hapsatou Sy
Audrey Pulvar

En fait, rien n’est encore acquis pour le cheveu naturel dans le milieu professionnel français. Pour de nombreuses entreprises, il n’a tout simplement pas droit de cité. En témoigne l’affaire Aboubakar Traoré, steward d’Air France, qui a été sanctionné parce qu’ il portait des tresses courtes et collées au crâne, ne correspondant pas aux critères d’ « aspect naturel » imposés par la compagnie à ses salariés. Cette affaire témoigne de l’évolution du racisme ordinaire, qui ne se fait plus frontal, mais n’en demeure pas moins dangereux à cause de sa subtilité. Air France, preuve de l’évolution des mentalités, a engagé un steward noir. Seulement, hormis la couleur de sa peau, il a été tenu de « gommer » tous ses autres traits originaux, à commencer par ses cheveux.

Enfin, même dans le cadre quotidien, le cheveu naturel crépu peine à trouver sa place. Des Afro-descendants que j’ai interrogés m’ont tous parlé d’expériences intrusives qu’ils avaient vécus par rapport à leurs cheveux. L’un d’eux m’a confié que lors de sa scolarité dans un établissement privé, on lui avait demandé de raser sa petite afro, parce qu’elle ne correspondait pas aux consignes de « bonne présentation » édictées par le règlement de l’école. Une autre nous a raconté que des inconnus lui avaient passé sans préavis la main dans ses cheveux crépus, alors qu’elle se trouvait dans une rame de métro, pour voir quelle texture ils avaient : expérience qu’elle définit comme traumatisante. Ces témoignages prouvent l’existence d’une discrimination rampante mais belle et bien existante.

Finalement, la place du cheveu crépu dans la société française est encore en pleine définition, traduisant à la fois curiosité et mécompréhension. Mais il reste encore très marginalisé.

Bibliographie indicative

Frantz FANON, Peau noire, masques blancs, Edition du Seuil, 1952

Yves LE FUR, Cheveux chéris : Frivolités et trophées, Actes Sud, 2012

Romy NIABA, « La sociologie du cheveu crépu- Des pratiques esthétiques aux représentations identitaires ? », IEP Rennes, 2010–2011

Katell POULIQUEN, Afro, une célébration, Editions de la Martinière, 2012

Chris ROCK, Good Hair, 2009 (film)

Juliette SMERALDA, Du cheveu défrisé au cheveu crépu, Edition Publibook, 2012

Christine TRAORE, Les terrains d’expression contemporains du marketing éth(n)ique en France. L’exemple de «la coupe afro » : du symbole identitaire à l’argument de vente, ressorts et potentialités d’une inter-symbolique, Mémoire de fin d’études, CELSA, 2012

Tom VAN EERSEL, Panthères Noires Histoire du Black Panther Party, 2006, L’échappée.

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