Je suis Autiste et croyez-moi, c’est beaucoup mieux que d’avoir la Rougeole…

Les vaccins ne causent pas l’autisme. Et même si cela avait été le cas, est-ce qu’être autiste comme moi est un sort moins enviable que la mort ?

Romain Pillard
9 min readMar 10, 2015

Le cerveau autiste n’est pas particulièrement efficace pour comprendre l'ironie, et pourtant la plupart des gens couvrant tout l’éventail des types d’autismes que j’ai rencontrés, sont parvenus au fil du temps, à développer une assez profonde imprégnation du concept. Beaucoup d'entre nous ont même entrepris de se l’enseigner réciproquement et d’apprendre à la manier mutuellement. J’ai commencé à soupçonner que cela était dû à notre expérience pratique constante.

Être sujet à l'autisme dans un monde “de faire” signifie que vous êtes constamment exposé à une ironie cruelle. Le plus souvent, l’ironie vient de de personnes neurotypiques (non-autistes) qui vous disent, à tort, que vous ne pouvez pas, ou que vous ne ressentez pas l'empathie comme eux. Puis ils refusent ensuite obstinément de prendre en compte vos sentiments quand ils affirment que vous êtes perdu, que vous êtes un fardeau, et que votre vie est une source constante de souffrance, tant pour vous-même que pour tous ceux qui vous aiment. Il y a aussi mon petit favori du moment : les parents qui sont prêts à mettre la vie d’ innombrables personnes en jeu, simplement à cause de leur peur panique du petit démon “Mercure” et de son pouvoir de rendre autiste leur enfant en cas de vaccination. Protéger son enfant du risque de ne pas pouvoir ressentir d’empathie — sans pour autant se soucier que vivent ou meurent d’autres enfants ?

Peu importe quelles autres idées en relation avec des toxines et/ou les vaccins en eux-mêmes les anti-vaccins essaient de faire circuler pour leur défense, voilà vraiment le cœur du propos : nous sommes face à une grave crise de santé publique causée par un nombre inquiétant de personnes croyant que l'autisme est pire que la maladie ou la mort. Ma neurologie est une sorte de croque-mitaine avec pour toile de fond un fléau tout à fait évitable en cours de gestation.

Le mouvement anti-vaccination est un sujet particulièrement sensible et amer à mes yeux, parce que non seulement il me déshumanise en tant que personne autiste, mais il déclenche également en mon fors intérieur comme deux espèces de détonateurs mentaux. Comme beaucoup de gens tels que moi, je ne supporte pas bien lorsque les gens : 1) ont tort, et 2) sont injustes.

J’ai toujours eu du mal à être patient avec les gens qui sont clairement et obstinément dans le faux. La plupart de mes bulletins scolaires de primaire contenait une variante de «Sarah ne supporte pas les petites plaisanteries" (à connotation “imbécile”) et je ne peux pas dire honnêtement que j’ai fait des progrès significatifs dans ce domaine depuis. Et les gens qui refusent de faire vacciner leurs enfants parce qu'ils croient que les vaccins causent l'autisme ont tort. L’étude infâme de Andrew Wakefield qui faisait le lien entre l'autisme et le vaccin ROR et qui a déclenché la panique initiale anti-VAX en 1998, a été remise en question en 2004 et entièrement rétractée en 2010. Wakefield, qui a déformé ou modifié certains antécédents médicaux des sujets au cours de ses recherches, a d’ailleurs perdu sa licence la même année. Aucun scientifique n'a pu reproduire ses résultats. Les études de grande envergure menées par The Journal of Pediatrics (Le Journal de la Pédiatrie) et de l'Institut de médecine n’ont pas réussi à mettre en évidence quelque lien que ce soit entre les vaccins et l'autisme.

Cela devrait être plus que suffisant pour convaincre une personne rationnelle que les vaccins sont sûrs - tout du moins aussi sûrs que toute autre intervention médicale simple - mais il n'y a rien de rationnel, ni de près ni de loin dans le mouvement anti-vaccination. C’est un mélange à la fois dangereux et exaspérant : craintes mal cernées des "toxines", incapacité à comprendre la différence entre corrélation et causalité, publicité mensongère d’articles sur des sites “truther”, et théories du complot à faire pâlir Fox Mulder et les scénaristes de Au cœur du complot. Je n’ai pas même le semblant d’un début de commencement de compréhension quant au raisonnement des anti-vaccins. Comment pouvez-vous chercher la petite bête pour chaque preuve produite, pour chaque source, s’agissant de la sécurité de la vaccination ? Comment pouvez-vous continuellement mal lire et mal comprendre chacun des faits ? Comment pouvez-vous ignorer l'efficacité des vaccins dans la lutte contre les maladies mortelles et débilitantes à travers le monde ? Et si vous ne pouvez pas ignorer tout cela, comment pouvez-vous vous en laver les mains ? Si il y a vraiment un lien entre l'autisme et les vaccins — ce qui n’est pas le cas — et que Big Pharma et/ou les dirigeants sont vraiment la cause de l'autisme par le biais de la vaccination, à quelle fin ultime ce petit jeu conspirationniste est-il mené ?

Ce qui me désole plus encore que la fausseté, cependant, c’est le comportement dangereusement injuste qui en résulte. Quand quelqu'un croit des âneries sur les vaccins, ça fait du mal à l'humanité sur le plan intellectuel. Lorsque ces gens mettent ces croyances en application et refusent de faire vacciner leurs enfants, ils nous font courir le risque de contracter des maladies graves voire mortelles. L'épidémie actuelle de la rougeole, qui à ce jour a infecté plus de 100 personnes dans 14 États (aux USA) et qui se propage actuellement au Canada, est un exemple flagrant de ce qui peut arriver quand les gens se permettent leurs (stupides) caprices personnels au détriment du bien-être de leur communauté. Sans avoir commis la moindre faute, des enfants non vaccinés, des personnes immunodéprimées, des bébés trop jeunes pour recevoir la vaccination et des personnes vaccinées occasionnellement (il n’y a pas de vaccin qui soit à 100 pour cent efficace parce que la science n’est pas magique) à travers le continent souffrent d'une infection qui avait pourtant été essentiellement éradiquée des États-Unis en 2000. Tout cela parce qu’un groupe important des parents souvent privilégiés a décidé que la relance d'un groupe de maladies mortelles — et potentiellement l’infliger à leurs proches et à leurs voisins — est infiniment préférable à avoir un enfant autiste.

J’ai choisi de ne pas me faire vacciner personnellement. J’ai essayé d'avoir de l'empathie pour l'autre côté, j’ai essayé de me dire que ce ne sont pas mes affaires, mais je ne peux pas, car je me sens concerné. Quelqu'un qui refuse de faire vacciner ses enfants parce qu'il a peur de l'autisme affiche ostensiblement le fait que les gens comme moi sont la pire chose qui puisse arriver à sa famille, et il fait courir un risque à tout le monde à cause de cela. Certains anti-vaccins m’ont affirmé qu'ils ne désignaient pas mon type d’autisme ; ils veulent dire l'autisme non-verbal, ou comme ils sont si friands de l'appeler, "l'autisme profond". Je ne trouve pas le moindre réconfort à l’idée que ces gens soient prêts à faire des exceptions pour les personnes autistes qui peuvent “faire comme” les neurotypiques, ou qui leur causent “le moins de désagréments possibles”. Cela signifie juste que je cesse d’avoir toute valeur aux yeux de ces gens si je ne suis plus capable de passer pour l'un d'entre-eux, et qu'ils ne discernent aucune valeur ni aucune humanité dans toute personne qui communique ou se comporte différemment d'eux-mêmes. Redites-moi encore je vous prie qui souffre d’un problème d’empathie ?

Le mieux que je puisse faire pour la défense des anti-vaxxers c’est de dire qu'ils ne sont pas cent pour cent responsable du sentiment anti-autiste alimentant leur mouvement. L'idée que l'autisme est une tragédie sans précédent ne s’est pas générée dans le vide. Elle est venue de ceux-là mêmes qui prétendent nous soutenir.

Prenez Autism Speaks, par exemple. L’organisation caritative liée à l'autisme la plus importante du monde a une image plutôt lisse. Des célébrités lui donnent de l’argent... Les gens portent des habits bleus pour aider à sensibiliser à la cause… Elle prétend aider les personnes autistes et leurs familles. Pourquoi devrait-on s’interroger sur ses intentions ? Il serait absolument absurde de faire fonctionner un organisme de bienfaisance dédié à des gens que vous détestez, après tout. N’est-ce pas ?

Mais Autism Speaks n’est pas vraiment une association caritative pour les gens autistes. C’est davantage une organisation pour les gens neurotypiques qui ont eu l’horreur de voir entrer un autiste dans leurs vies. Depuis sa création en 2005, Autism Speaks a nourri l’idée que les personnes souffrant d’autisme sont un fardeau et un peu “perdues”, et a toujours refusé de discuter avec toutes les personnes autistes s’écartant de la ligne du ‘parti’. Elle a soutenu des traitements dangereux et suspects tels que les électro-chocs, la chélation — un traitement à risque — , ou la cure ASD (Autism Spectrum Disorder), toute cela au nom de leur volonté de voir les gens autistes ressembler aux neurotypiques. Les déclarations officielles faites par Autism Speaks nient toute humanité à la population autiste, et ne reconnaît pas que les familles puissent connaître ou vivre autre chose qu’une souffrance abjecte. Lors de son Call For Action 2013 (Appel à l’Action), sa fondatrice Suzanne Wright qui a un petit-fils autiste a écrit que les familles possédant un membre autiste ne “vivent pas. Ils existent. Ils respirent — oui. Ils mangent — oui. Ils dorment — peut-être. Ils travaillent — 24/24 et 7/7 c’est certain. C’est ça l’autisme. La vie se vit ‘moment par moment’, en anticipant les faits et gestes à venir de l’enfant. Dans la peine. Dans la crainte du futur. C’est ça l’autisme.” Et voyez-vous, c’est l’une des choses les moins offensantes qu’elle aie dites nous concernant.

C’est très loin d’être la vérité pour les innombrables familles qui ont fait entendre leurs voix contre Autism Speaks. Ce n’est d’ailleurs certainement pas mon cas non plus. Nous sommes tous, du moins jusqu’à preuve du contraire, vivants. Nous travaillons ensemble à créer des passerelles entre nos différences, en terme de communication, de sensibilité, d’attributs pour dépasser ce concept de vie du ‘moment par moment’. Nous ne sommes pas plus, ou moins imparfaits ou tragiques que n’importe quelle famille moyenne. Nous n’avons même pas la rougeole ! J’ai des jours favorables durant lesquels mes goûts étranges et prégnants me donne une perspective unique en terme d’écriture et ma faculté de concentration m’aide à la coucher sur papier. Et j’ai des jours mauvais durant lesquels il m’est impossible de prendre les transports en commun sans ressentir une peur panique; au cours de ces mauvaises journées, je dois aussi quitter la pièce lorsque mon mari mastique de la nourriture tant ce bruit m’est insupportable et me semble oppressant. Mais en dépit de tous ces aléas — la dépression est une comorbidité commune chez les autistes, sans doute parce que ‘vivre’ dans le monde des neurotypiques ne revient souvent qu’à ‘essayer de vivre’ — je suis tout à fait convaincue que je “vis”, et plutôt mieux que bien ! Et malgré tout cela donc, les gens chers à mon cœur ont préféré mon autisme à une hypothétique maladie, à ma possible mort, ou encore à la mort d’autres personnes. Je dirais que je leur en suis reconnaissante, mais vraiment, c’est une telle évidence !

Autism Speaks pousse désormais les parents à vacciner leurs enfants, et soutenait et subventionnait les recherches liées aux vaccins jusqu’en 2009. Mais l’organisation continue de débiter sa rhétorique anti-autisme qui fait que les gens dépourvus d’un certain sens critique sont d’emblée terrorisés

Je ne suis pas certain de ce qu’il faudrait préconiser. Les anti-vaccins sont tellement dévoués à la fausseté des choses. Comme l’écrivait Brendan Nyhan du New York Times l’année dernière, il y a plus de résilience aux faits irréfutables que les enfants vaccinés ne le sont (…résilients…) face aux maladies évitables. Mais je conserve néanmoins un semblant d’espoir devant le regain d’intérêt pour la rhétorique anti-vaccin, éperonné par la percée récente de la rougeole, et j’espère que cela inspirera un débat plus approfondi concernant l’autisme — un peu à la manière des excellents travaux menés par Anne Theriault et Jen Zoratti sur le sujet(divulgation complète — je suis citée dans ’cette dernière)—, et que cette discussion améliorera les choses. Pour commencer, on pourrait simplement nous définir comme “mieux que la rougeole”, parler de nous comme si nous étions humains, comme si nous existions au même titre que vous.

Bien avant que la peur de l’autisme ne menace la vie et le bien-être de tout un chacun par l’intermédiaire du mouvement anti-vaccination, elle menaçait la vie et le bien-être des autistes eux-mêmes du fait de leur isolation, du traitement indu leur étant infligé ou même carrément même de meurtres. Même si nous ne pouvons pas éradiquer ces morts — et à l’instar de Temple Grandin je souhaite que l’on puisse —, la façon dont la population réagit à ce sombre merdier de santé publique nous offre tout de même la possibilité de sauver des vies.

--

--