À la recherche du showrunner français

Gilles Daniel
Paper to Film
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15 min readMar 31, 2019
(Fanny Herrero et Eric Rochant, deux showrunners connus du grand public)

Après la mise en ligne de mon article 10 conseils de survie aux scénaristes qui veulent devenir producteur, j’ai eu la chance d’être invité par La Guilde des scénaristes, à participer à une table ronde sur « Le role du showrunner en Europe » au Festival SériesMania. Animé par le scénariste Cyril Tysz (Skam France), le panel réunissait la Suédoise Camilla Ahlgren (Bron/Meurtres à Sandhamn/Quicksand), le Français Marc Kressmann (Candice Renoir/Munch) et votre humble serviteur, portant le point de vue des producteurs. Pour ne pas arriver les mains vides, face à des showrunners chevronnés, j’ai effectué une petite étude sur les encadrants littéraires et artistiques des séries en France, leur statut et leurs types d’activités. Elle est venue enrichir ma propre expérience, acquise sur un projet porté par la showrunneuse et créatrice de Candice Renoir, Solen Roy-Pagenault.

Ma méthodologie a été simple : partir du classement publié par le magazine ÉCRAN TOTAL chaque année (saison 2017–2018). Ne retenir que les séries 52’, qui avaient eu plus de deux saisons, excluant ainsi les téléfilms, les 26' et les mini-séries bouclées. Lire les génériques de début des séries en question, ainsi que les CV des scénaristes et surtout interroger des intervenants, directeurs littéraires, directeurs de collection, directeurs artistiques, producteurs, agents etc.

Un marché dominé par les polars bouclés, pas de surprise de ce côté là…

Comme l’a rappelé Cyril Tysz, le showrunner, c’est le top de l’encadrement des séries aux USA, au niveau de la production artistique. Il supervise tout ce qui n’est pas financier ou organisationnel, même s’il doit en permanence tenir compte des contraintes matérielles. Quasiment jamais appelé “showrunner” mais plutôt Executive Producer, ce scénariste a gravi les 7 échelons successifs recensés par la WGA (Writers Guild of America), lui permettant de maîtriser tout le process de créativité et de fabrication d’une série. C’est le garant de l’intégrité artistique, de la vision, mais c’est aussi et surtout un manager.

Si l’invention d’un tel métier a été nécessaire détaille Franck Philippon (créateur de nombreuses séries dont la plus récente, Mirage…), c’est parce qu’en produisant un grand nombre d’épisodes par an (de 10 à 24), aucun scénariste, ni aucun réalisateur ne pouvait seul se charger coordonner le tout. Un système pyramidal a donc été mis en place, qui permet aux showrunners d’être très bien entourés, par des équipes de scénaristes moins gradés qu’eux mais qui, comme sur un plateau, obéissent à une organisation quasi militaire, des process, un langage commun et un rythme, imposés par cette fabrication industrielle. Bien qu’ils aient chacun dans la writing room leur marque de café préférée, comme le rapportèrent avec des étoiles dans les yeux les scénaristes envoyés en voyage d’études aux USA par la SACD, aucun n’a le temps de se tourner les pouces.

En France, des séries jusqu’à 6 épisodes, avec une fin bouclée ou une récurrence aléatoire, peuvent être encadrées artistiquement (après la livraison du scénario) par un réalisateur ou un producteur. Mais au-delà, de nombreuses activités se déroulant en parallèle, il a bien fallu recourir à un top ou middle manager qui assure la bonne coordination du projet, et qui garantisse son intégrité artistique.

OUKETI LE FRENCH SHOWRUNNER ?

A l’heure actuelle, beaucoup de scénaristes français aspirent à devenir showrunners, un statut à la fois rêvé et un peu inquiétant, puisqu’on dit que 100% des showrunners ont perdu tout contact avec leur vie de famille ou ont fait un burn out. Mais sont-ils si nombreux de notre côté de l’Atlantique à exercer le métier en imperator plénipotentiaire ? Pas vraiment. Sans doute une demi-douzaine. Néanmoins, de plus en plus de chef scénaristes ou encadrants littéraires bénéficient aujourd’hui de prérogatives qui vont au-delà de l’écriture.

Sur les 20 séries étudiées, j’ai trouvé 8 titres différents attribués aux « chef scénaristes » : Directeur de collection, littéraire ou d’écriture (1/3 des cas), puis une farandole de Conseillers, Directeurs, Producteurs artistiques, des Producteurs Associés et Producteur tout court. Il y avait aussi un « Showrunner », mais il n’était pas le scénariste principal, phénomène exotique sur lequel nous reviendrons.

On peut déduire de ces titres par simple logique que tous les intervenants dotés d’un grade autre que « directeur de collection, littéraire ou d’écriture » disposent de prérogatives élargies. Cela se vérifie en les interrogeant, en lisant les articles qui leur ont été consacrés, en écoutant leurs interviews : la plupart de ces scénaristes ne se contentent pas de livrer des textes. Mais leur influence sur les décisions non littéraires varie énormément. Et ils ne sont qu’une poignée, à l’instar de Fanny Herrero ou Eric Rochant, à maitriser le process créatif et de production de A à Z.

3 type de descriptions de poste se dégagent pour les encadrants littéraires, ou “chef auteurs” :

  • La « simple » responsabilité de la production littéraire (qui est tout sauf simple, on est d’accord). Elle est très majoritairement assumée par les Directeurs de collection, affublés du charmant sobriquet de dircols.
  • La direction artistique au sens élargi. Selon la personnalité, le poids du scénariste en question et sa relation avec le producteur, il ou elle va bénéficier du titre de Conseiller artistique, Producteur artistique ou encore Directeur artistique.
  • Et enfin la direction artistique, assortie d’un co-contrôle du budget (dépenses et recettes, dépassements et économies voire financements) et du final cut, stade ultime. Sachant qu’en réalité, c’est presque toujours le diffuseur, financeur principal en France, qui a ce satané final cut. Là, ça ne rigole plus, on parle de Producteurs associés ou de Producteurs tout court.

LES “DIRECTEURS DE COLLECTION”

Être Directeur de collection ou Directeur de l’écriture, c’est en général manager les auteurs et écrire. Cela s’effectue seul ou avec le concours d’un Directeur littéraire, un salarié de la société de production qui contribue au process de recrutement et de développement, mais qui n’a pas pour fonction première d’écrire. Dans l‘hypothèse la plus favorable, le directeur de collection choisit ses scénaristes, sauf s’il débarque en cours de route ou qu’un des auteurs a des relations sexuelles avec quelqu’un de la production. Il a le droit de les conserver jusqu’à la vdef, ou de les virer en cours de route, sauf raisons sus-citées.

Le Directeur de collection écrit ou coordonne l’écriture des arches narratives de chaque saison et le découpage (“breaking”) en épisodes individuels. Dans le cas de séries bouclées avec un léger fil feuilletonnant, il gère l’injection d‘histoires bouclées dans chaque épisode, souvent proposées via des pitchs par des co-auteurs. Il veille à leur imbrication harmonieuse avec le feuilletonnant.

Le Dircol effectue des rendez-vous individuels ou des sessions collectives réunissant tous les scénaristes, voire des consultants etc. Sessions qui prennent place dans une salle de réunion, dans un café ou chez lui, s’il trouve que les locaux du producteur sont trop loin, pas assez cosy, trop flippants ou pour toute autre raison relevant de la biologie. On trouve dans notre échantillon deux cas de grossesses de chef scénariste en cours d’écriture, justifiant des writing room à domicile, avec Fanny Herrero sur 10% et Marie Roussin sur Les Bracelets Rouges. Deux auteures formées par Frédéric Krivine, qui réunissait aussi ses scénaristes chez lui, autour de bons petits plats…

Le Café Beaubourg, la writing room de Marc Kressmann

Si les scénaristes français ont plutôt tendance à éviter la banlieue Ouest (où sont situés les sièges sociaux de nombreux producteurs) et préfèrent se rencontrer entre Opéra et République, Camilla Ahlgren souligne l’intérêt d’impliquer le producteur dès le stade de la réunion d’écriture, afin que chacun comprenne au mieux les impératifs de l’autre et avance main dans la main. C’était la minute “conseil scandinave”, vous en ferez ce que vous voudrez.

Enfin le dircol écrit des épisodes, réécrit les épisodes des autres scénaristes, entièrement ou juste pour un lissage. Il est rémunéré pour son travail d’encadrement ET pour son travail d’écriture. Ce qui peut d’ailleurs générer des conflits avec les auteurs, mais c’est une autre histoire….

LES “DIRECTEURS ARTISTIQUES”

Les scénaristes que j’appelle les Directeurs artistiques (ou conseillers ou producteurs artistiques) font tout le travail du directeur de collection. Ils peuvent même avoir un directeur de collection « sous » eux. Ils sont souvent les créateurs de la série et de sa bible, mais pas toujours. En plus de leurs prérogatives littéraires, ils ont leur mot à dire sur le choix des acteurs, des décors, des costumes, des accessoires…et même au bout d’un certain temps, sur celui du réalisateur. Sauf si ce dernier est imposé par le producteur ou l’acteur principal, pour des raisons liées à la logique, le talent, la fidélité, l’amitié ou même la sexualité.

Ça c’est le premier cas de figure. Ce scénariste directeur artistique “de base” sera probablement invité aux lectures du scénario avec les comédiens puis les chefs de poste. Il se rendra de temps en temps sur le plateau ou au montage, mais on ne peut pas l’appeler showrunner à mon sens, car il ne sera pas garant permanent de l’intégrité artistique, pendant deux phases essentielles de la fabrication : le tournage et la post production.

C’est là qu’entre en scène le directeur artistique aux prérogatives élargies et une organisation qui commence à ressembler à l’Américaine, où ce « chef scénariste » est omniprésent, sur le plateau, en montage, au mixage etc. En réalité, comme me l’ont détaillé Marc Kressmann ou Stéphane Drouet, le producteur de Chérif, showrunné par Lionel Olenga, cette omniprésence est un challenge sur une série avec plus de 6 ou 8 épisodes et une forte récurrence, c’est à dire une saison mise à l’antenne par an. Trop d’étapes se déroulent en parallèle, dans des lieux géographiquement éloignés, pour qu’une seule personne puisse être présente partout pour donner son avis et orchestrer le bal : le tournage, l’écriture de la fin de la saison ou de la saison suivante, des réunions avec la chaîne, des choix de costumes, des points avec les auteurs…

Le showrunner essaie donc d’être au four et au moulin, carte Fréquence de TGV en poche et cernes sous les yeux, mais il s’appuie parfois sur des “doubles” pour atteindre l’ubiquité. Il doit déléguer occasionnellement son pouvoir de décision à 360 (au producteur, au réalisateur, à des adjoints) pour que la fabrication de la série ne soit pas paralysée. Néanmoins, tout est fait sur les séries qui se sont le plus inspirées de l’organisation américaine, en tête desquelles Le bureau des légendes, pour faciliter cette omniprésence, comme le fait d’avoir des salles d’écriture, ou même un second domicile, à proximité du plateau.

Pour l’anecdote, dans les années 80 déjà, aux beaux jours des sitcoms d’AB, Jean-Juc Azoulay, qui était un peu le premier showrunner à la française (Producteur, scénariste, compositeur de la musique..) s’était fait construire un chalet sur le toit de ses studios de la Plaine Saint-Denis. L’ascenseur le menait directement aux plateaux, aux loges ou aux salles de montage. Maison plus tard utilisée pour Secret Story, mais je m’égare…

Pour revenir à notre sujet, il faut noter que le scénariste Directeur artistique, de par l’étendue de son influence, est forcément au courant des grandes masses du budget et de l’impact financier de ses directives. Il interagit avec le producteur sur chaque décision majeure, financière et souvent artistique. Mais le stade ultime pour le showrunner est d’avoir sa propre boite. Quelle soit une société de production à part entière, comme The Oligarchs, la compagnie montée par le producteur Alex Berger et le réalisateur-scénariste Eric Rochant, ou une entité destinée à mieux négocier, détenir des pourcentages de recettes et gagner de l’influence sur les choix non artistiques.

Ces choix peuvent inclure l’entrée d’un nouveau coproducteur, la décision de faire moins (ou plus) de marge pour des raisons artistiques ou stratégiques, changer de diffuseur, participer à la stratégie de communication etc. Le scénariste producteur parlera quasiment d’égal à égal avec le producteur et le diffuseur. Un changement de paradigme qui ne fait pas plaisir à tout le monde, mais qui est inéluctable dans un contexte de montée en qualité de la production et de rareté des talents au niveau d’expérience requis pour accompagner cette montée.

LES SCÉNARISTES PRODUCTEURS

C’est un phénomène récent, mais à la progression rapide, parmi les scénaristes bankable, qui font partie des 10, 20 ou 30 noms que toute la profession s’arrache. Ils sont de plus en plus nombreux à créer une société pour accompagner la montée en puissance de leur statut et de leur importance dans la “chaîne alimentaire” de la production. Les génériques les mentionnent comme producteurs, producteurs associés ou producteurs artistiques (label qui recouvre aussi des scénaristes sans société). Des génériques qui vont de facto inclure le nom de leur boite, à côté de celui de producteurs installés…

Certains cabinets d’avocats ont monté des départements spécialisés pour les accompagner. Néanmoins, s’ils exigent des parts de coproduction via leur société nouvellement créée, il est très rare que les scénaristes acceptent le statut de coproducteur délégué, qui les rendrait notamment responsables des pertes potentielles ou de la garantie de bonne fin des projets. Partager, why not, mais il y a des limites à la fibre entrepreneuriale de la plupart des auteurs.

De façon générale, on constate que de nombreux scénaristes sont rebutés par le quotidien du métier de producteur, ce qui peut être un frein à leur accession au statut de showrunner. Eux qui se démènent avec ardeur pour éviter de faire intervenir des Deus Ex machina dans leurs histoires, rêvent d’en devenir un. Mais de là à devoir manager des gens aussi sensibles que les réalisateurs ou les comédiens par exemple, se soucier de la paperasse, des problèmes de santé ou de la bonne entente d’une équipe de 100 personnes pendant plusieurs mois, il y a un cap que seuls peu de professionnels de l’écriture sont prêts à franchir.

TOUS SHOWRUNNERS ?

Ce qui est fondamental, c’est de comprendre que vue l’expérience nécessaire pour encadrer un aussi grand nombre de corps de métiers, allant d’un consultant scénaristique jusqu’aux maquilleurs ou à l’étalonneur, on ne peut pas se décréter showrunner du jour au lendemain, sans risquer une sortie de route assez rapide, due à un manque de connaissance des us et coutumes du tournage et de la post production. Dans le système américain, les équipes sont assez grandes pour qu’on puisse mettre aux manettes un gamin de 26 ans (ex : Josh Schwartz, The O.C.) qui sera assisté par une myriade d’autres Executive producers expérimentés. Mais dans le système français, où les producteurs rechignent parfois à salarier un showrunner, multiplier les béquilles au chef est quasi impossible. Très vite, le manque d’expérience peut être pris pour un talon d’Achille, entrainant immédiatement un regain d’influence du réalisateur ou du producteur.

Le peu d’ancrage, de cadre et de pratique de la fonction de showrunner en France est un élément déstabilisant pour quiconque le devient. La guerre des égos est fréquente. Chacun voudrait se faire mousser ET gagner plus d’argent ET avoir le dernier mot, ce qui peut créer des situations particulièrement inconfortables. A cet égard, la bataille pour un pourcentage des droits de diffusion, distribués par la SACD, ne facilite pas l’harmonie au sein des équipes, entre scénaristes et réalisateurs, mais aussi avec les producteurs, qui peuvent avoir créé un concept ou une bible. Enfin, ironiquement, vous aurez peut-être constaté que les deux seuls professionnels à avoir vu inscrire au générique le titre aussi prestigieux qu’inexistant de “showrunner”, sont des réalisateurs. Dans les deux cas, ils n’étaient pas les scénaristes principaux de la série.

Les génériques de Sam (saison 3) et Marseille (saison 1)

Au delà de ces aberrations de “naming”, ce sont bel et bien le besoin d’une énorme expérience du terrain et le prestige d’un CV qui font parfois pencher la balance du pouvoir de showrunning en faveur du réalisateur. Sur la saison 1 de 10% par exemple, le plus expérimenté et le plus “prestigieux”, c’est Cédric Klapisch. Il hérite du titre de Producteur Associé et directeur artistique, challengeant fortement les décisions de la scénariste créatrice de la série, Fanny Herrero*. La société du réalisateur, Ce qui me meut, est mentionnée au générique comme coproductrice. Il n’est pas question ici de minimiser l’apport de Cédric Klapisch dans 10 %, mais de noter que ce n’est qu’à la seconde saison que Fanny Herrero, pourtant louée dans toute la presse grand public et la profession comme la prestigieuse showrunneuse de la série, bénéficiera du titre de « Conseillère Artistique », en plus de son crédit de créatrice de la série, Cédric Klapisch étant retourné faire du cinéma.

*“Dix pour cent Les dessous d’une série sur le cinéma” de Guillaume Evin, Éditions de la Martinière

LOTS OF COOKS IN THE KITCHEN

Le showrunner doit donc souvent lutter pour s’imposer. Lutter contre un réalisateur qui voudrait que la direction artistique soit sa prérogative exclusive. Lutter contre des acteurs devenus des stars, qui au bout de plusieurs saisons, pensent être les meilleurs connaisseurs de leur personnage, et supportent de moins en moins la toute puissance des choix du scénariste. Lutter contre des producteurs, restés au stade de l’artisanat, ne produisant qu’une seule série et voulant être impliqués dans chaque décision. Des producteurs qui rechignent, à quelques exceptions près comme chez Beaubourg Audiovisuel (Profilage, Falco, Balthazar…), à salarier les showrunners sur de longues périodes, voire en CDI, préférant une rémunération à l’épisode, quelle que soit la durée de production. Lutter contre des diffuseurs, qui ne voient pas tous d’un bon œil l’explosion d’un système où des créatifs potentiellement rebelles et émotifs prendraient le pouvoir. Et surtout lutter contre eux-même, pour sortir de derrière leur ordinateur et aller se coltiner tous les problèmes de la Création…

L’acteur, le meilleur ami du showrunner…

UNE FONCTION CENTRALE MAIS PAS ENCORE INSTITUTIONNALISÉE

Souvenons-nous que le statut de Showrunner est relativement nouveau dans notre pays. Popularisé dans le milieu audiovisuel français à la fin des années 2000 par Frédéric Krivine, lors de la création d’Un village français, il n’est pour l’instant pas organiquement lié à notre organisation, que nous voudrions tant industrialiser, tout en gardant sa saveur artistique artisanale. Il est lié à des parcours individuels. Des rapports de force. Des egos et la valeur de chacun sur le marché.

En réalité, c’est une fonction qui s’acquiert tant par le mérite, au fil du temps, grâce aux relations de bonne entente entretenues avec un producteur, qu’à travers des situations plus transactionnelles ou tendues. Nous nous trouvons en effet dans un contexte de pénurie des talents expérimentés, renforcé par la création de deux nouveaux feuilletons quotidiens et l’arrivée des plateformes, avides, quoi qu’elles en disent, de scénaristes ultra-bankable. Dans notre pays, qui recense 3 ou 400 scénaristes professionnels, diffuseurs et producteurs s’arrachent seulement 10% d’entre eux. Ces quelques dizaines d’heureux gagnants sont du bon côté du manche pour obtenir de nouvelles prérogatives, ou a minima des titres plus prestigieux, tant qu’on estime leur participation essentielle aux projets.

Deux autres signes indiquent que la fonction de showrunner est plus liée à des situations individuelles qu’une structuration industrielle du marché :

-Certaines séries changent le titre de leur encadrant littéraire et artistique, en fonction la personne qui occupe le poste. C’est le cas d’Engrenages, THE série prestigieuse française, où Anne Landois était Directrice artistique (avec la mention « Ecrite par Anne Landois » au générique début) sur les saisons 4 à 6, et Marine Francou, Directrice de l’écriture sur la saison 7 (mention « une saison conçue par » au générique début). Cela indique bien que le titre, le périmètre, et la définition de poste peuvent varier en fonction de la personne qui occupe le poste.

-D’autres séries, historiquement produites par un showrunner, comme Candice Renoir, évoluent désormais vers un modèle français plus classique après leur départ de leur(s) showrunner(s) historiques, Solen Roy-Pagenault puis Marc Kressmann. C’est le retour, pour des raisons particulières, mais pas isolées, d’un modèle où l’encadrement artistique est assuré par le producteur et un directeur de collection. Tout est donc bien une question de personnes et de situations individuelles.

CONCLUSION

Sur un marché où les séries à succès se multiplient et reviennent chaque année, la position du showrunner pourrait se développer et s’institutionnaliser en France. Néanmoins, très peu de scénaristes disposent actuellement de l’expérience nécessaire en matière de production et de tournage. Beaucoup d’entre eux aimeraient profiter du prestige et des avantages du titre, sans avoir à se préoccuper des contingences, chaque fois par exemple, que l’équipe fait des heures supplémentaires ou quelqu’un se tord la cheville sur le plateau. Quelques uns sont rebutés par la perspective de gérer et d’être responsable d’autres êtres humains. Nombreux appréhendent l’analyse d’un budget ou toute autre forme de paperasse de façon hostile.

Mais surtout, comme le soulignait le showrunner Franck Spotnitz à une récente table ronde organisée par Séries Series à l’Ambassade d’Angleterre, il n’est pas certain que les séries à grand nombre d’épisodes et de saisons continuent de représenter la majorité de la consommation. Dans un marché submergé de contenus, avec des téléspectateurs papillonnant d’une série à l’autre, le nombre de séries comprenant une grande quantité d’épisodes a tendance à décroitre, rendant moins incontournable la figure du showrunner, ce qui pourrait permettre aux réalisateurs ou aux producteurs de regagner l’influence âprement grignotée par les scénaristes ces dernières années. Néanmoins, l’augmentation de la qualité générale des séries françaises a accru le besoin de directeurs artistiques expérimentés et visionnaires, ce qui devrait assurer au showrunner hexagonal de beaux jours. Sans compter que ceux qui ont acquis durement ce prestigieux statut, ne seront pas prêts de le lâcher.

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Le blog officiel de Paper to Film, la première plateforme de mise en relation entre scénaristes, producteurs et agents. // The official blog of Paper to Film, the first network connecting scriptwriters, agents and producers

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Written by Gilles Daniel

Scénariste et producteur, en charge du pôle fiction du groupe Morgane. Il a auparavant dirigé les programmes de TMC, NRJ12, MTV, Virgin 17…

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