Églantine Langevin : “ Paper to Film offre une accessibilité, une multiplication des chances pour tous les compositeurs : cela facilite le réseau”

Interview réalisée dans le cadre du lancement de nos services compositeur sur Paper to Film avec le soutien de la SACEM. Églantine Langevin est Directrice du Service Cinéma Audiovisuel et Musique à l’Image & du Fonds Culturel Franco-Américain.

Raphaël Tilliette
Paper to Film
12 min readNov 20, 2019

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Bonjour Églantine, merci de nous accorder cette interview. Pour commencer peux-tu revenir sur ton parcours ?

J’ai fait mes études à Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Je me suis spécialisée en cinéma en licence, avant de faire un master communication et audiovisuel en parallèle de mon travail en production, commencé dès mes premières années universitaires.

Je viens donc du cinéma, je n’ai pas un parcours musical initialement, même si je suis au concert toutes les semaines depuis que je suis adolescente ! J’ai commencé ma carrière professionnelle en production, d’abord comme assistante de production puis de fil en aiguille comme directrice de production en passant par le court, le long, la publicité et le documentaire. En parallèle, j’ai commencé à travailler pour le Fonds Culturel Franco-Américain à la Sacem. C’est une association unique entre la Sacem en France et les Guildes américaines DGA (Directors Guild of America) et WGAW (Writers Guild of America West) et l’association des studios hollywoodiens, la MPA (Motion Pictures Association). J’étais en charge d’une résidence d’écriture et de direction d’acteurs, d’organiser des ateliers, des masterclass dans le cadre de divers festivals… finalement, après plusieurs années d’intermittence, je suis devenue en quelques sortes la directrice de production de l’ensemble des actions du Fonds Culturel Franco-Américain. Je suis donc arrivée à la Sacem par le biais de ce Fonds axé sur le cinéma. J’ai ensuite été nommée directrice du Service Cinéma Audiovisuel de la Musique à l’Image, qui a fusionné la partie audiovisuelle et le Fonds Culturel Franco-Américain.

Peux-tu nous rappeler quelles sont les missions de la Sacem ?

La Sacem est une société de gestion collective, fondée et gérée par ses membres. Elle compte aujourd’hui près de 169 400 membres dont 167 nationalités, qui l’ont choisie pour protéger leurs œuvres et défendre leurs intérêts. Dans le cadre de ses missions, elle collecte puis répartit les droits d’auteur, elle protège et défend ses membres. Mais il y a un troisième métier à la Sacem, au travers de son Action Culturelle, le soutien à la création, à la diffusion, à la formation et l’éducation artistique, grâce aux ressources issues de la copie privée. L’Etat est également un appui important sur ces sujets, mais à travers l’Action Culturelle la Sacem est la société privée qui contribue le plus au financement de l’écosystème de la musique.

Comment l’Action Culturelle s’organise-t-elle ?

L’Action Culturelle est organisée en quatre services.

Un des services de l’Action Culturelle représente le cinéma, l’audiovisuel et la musique à l’image, dont je m’occupe avec le Fonds Culturel Franco-Américain.

Deux autres services s’attèlent à tout ce qui est en lien avec le territoire, comment atteindre des publics plus reculés, soutenir des initiatives plus régionales et l’international, comment exporter et soutenir des œuvres de nos sociétaires hors de nos frontières…

Pour finir, le Service des répertoires regroupe les musiques actuelles, le jazz de création, la musique contemporaine, le répertoire jeune public mais aussi l’humour.

L’humour fait partie du répertoire de la Sacem ?

Oui, la Sacem ce n’est pas que la musique. Elle représente aussi les humoristes, les auteurs de doublage et de sous-titrage, de poésie et certains réalisateurs.

Quelles sont donc, plus précisément, les missions de l’Action Culturelle et par quelles actions concrètes se traduisent-elles ?

L’Action Culturelle de la Sacem en 2018 c’est : 29,8 M€ d’aides culturelles, 2 347 projets soutenus et actions menées, 22.6 M€ investis dans la création et la diffusion, 737 festivals et salles soutenus, 136 initiatives et structures partenaires d’aides à la professionnalisation.

Les missions et nos actions sont très nombreuses, elles se déploient sur plusieurs volets principaux.

Au sein du Service Cinéma, Audiovisuel et Musique à l’Image, le soutien à la création de musique originale est une priorité. Notre objectif est d’aider à mieux financer la création. L’aide est principalement orientée vers les producteurs pour donner davantage de moyens aux compositeurs et à la fabrication de la musique. Le soutien se décline sous tous les formats : le long-métrage de fiction, l’unitaire et la série TV, le documentaire pour le cinéma, le documentaire de création, le court-métrage, les nouveaux formats numériques ; nous mettons également en place un programme pour le jeu vidéo qui j’espère verra le jour bientôt.

Le deuxième grand programme est un soutien aux œuvres audiovisuelles musicales. Toutes les œuvres dans lesquelles la musique a le rôle principal qui se décline sur le même principe sur différents formats : court, long métrage et documentaire. Un biopic sur Dalida, un film qui va s’intéresser à l’univers de la French Touch comme Eden de Mia Hansen-Løve, un portrait de Jacques Higelin réalisé par Sandrine Bonnaire, tout comme un court-métrage de comédie musicale, par exemple.

Le troisième axe pourrait être le soutien aux festivals et aux manifestations audiovisuels qui ont un fléchage musical, un véritable volet professionnel permettant de susciter des rencontres pour nos membres avec des producteurs, des réalisateurs. Et, de manière plus générale, qui vont valoriser la musique et le travail du compositeur : avoir un compositeur dans le jury, un prix sur la musique originale, une masterclass dédiée à la musique… ces actions en faveur des compositeurs peuvent s’illustrer de différentes manières, parfois très simples mais symboliques : que le compositeur fasse également partie des invités de l’équipe du film lorsque le film est en compétition.

Nous sommes également très attentifs à toutes les initiatives liées à la formation et la professionnalisation des compositeurs. Nous soutenons beaucoup de résidences allant dans ce sens : Trio organisée par la Maison du Film ou les Rencontre 3ème personnage devenue le Marché Européen de la Musique de film que nous avons créé avec le festival International du Film d’Aubagne, ou encore Next Step, la résidence développée par la semaine de la critique, ou Emergence et naturellement les écoles proposant des enseignements en direction de la musique à l’image…

Nous aidons le Clip aussi, au travers du financement participatif. Partant du principe que beaucoup de clips sont financés grâce à ces nouvelles pratiques, nous avons souhaité utiliser la caution que représente le nom de la Sacem pour créer un effet de levier et permettre au porteur de projet d’accroître la visibilité de son projet et d’élargir sa communauté de donateurs, d’atteindre voire de dépasser son objectif de collecte pour réaliser un clip dans des conditions professionnelles favorables et créer ainsi une dynamique pour le développement de projets plus ambitieux. Et cela fonctionne bien. Nous travaillons spécifiquement avec KisskissBankBank et Ulule, mais il existe également un dispositif en faveur de la musique contemporaine avec la plateforme proarti.

Un autre grand chapitre est celui de la médiatisation. Nous allons nous positionner sur tous les médias et soutenir des émissions de musique ou des œuvres audiovisuelles musicales qui vont être diffusées à la télévision, radio, web… Cela passe par des formats très identifiés comme Taratata à d’autres moins connus du grand public et transmédia comme -22,7° réalisé par Jan Kounen en VR avec Arte 360°.

Nous soutenons également beaucoup les plateformes comme la vôtre, qui vont créer du lien professionnel et accompagner nos sociétaires dans ces nouvelles pratiques.

Les outils technologiques ont beaucoup évolué, quels impacts cela a eu sur le métier de compositeur ?

Le rôle du compositeur a effectivement énormément évolué avec l’arrivée du home studio, même si cela fait déjà trente ans. Il y a eu un changement fondamental : avant, le compositeur livrait une partition à un producteur que le réalisateur découvrait une fois la musique enregistrée ; aujourd’hui, avec toutes les révolutions techniques, le rôle du compositeur a été beaucoup transformé. De créateur de musique, le compositeur a vu son champ de compétences étendu jusqu’au livrable. La différence entre la création et la fabrication de la musique est devenue particulièrement ténue. Il y a évidemment des nouveaux métiers qui sont apparus comme les superviseurs musicaux, les producteurs exécutifs de la musique… mais nous avons constaté que dans la musique à l’image et dans sa fabrication, il y a souvent un manque de connaissances et ce que l’on pourrait appeler des failles dans la pratique. C’est l’un de nos chantiers les plus importants, notre cheval de bataille en ce moment : faire en sorte que les professionnels du cinéma appréhendent mieux et soient sensibilisés à ce qu’est la musique de film.

Nous travaillons donc avec la Sorbonne, Louis Lumière, l’Ensav, La Cinéfabrique de Lyon et nous espérons prochainement la Fémis, pour que, dans le cursus des élèves producteurs et réalisateurs, il y ait un apprentissage dédié à la musique pour l’image et que la Musique à l’Image fasse partie des U.E. qui valident le diplôme. Expliquer le fonctionnement, les enjeux juridiques, les coûts, afin que plus tard dans leur carrière ils puissent définir avec plus de précision l’enveloppe allouée à la composition musicale (qui est trop souvent un montant « standard » que l’on n’adapte pas à la nature du projet) et mieux comprendre les enjeux de la création d’une musique originale.

Encore aujourd’hui, il y a généralement une seule ligne sur le budget pour la musique, mais il faut que les producteurs assimilent qu’une prime de commande (la rémunération pour la composition) n’est pas la même chose, ni la même charge de travail que la fabrication de cette musique. Qu’ils soient également conscients de toutes les conséquences de leurs demandes auprès du compositeur.

Sortir la Bande Originale du film dans le commerce ? Cela implique un travail spécifique et supplémentaire sur la musique pour l’adapter au format album.

Demander la cession de tout ou d’une partie des droits d’édition ? Cela ne va pas de soi et implique certaines obligations de la part du producteur, comme l’exploitation future et régulière de la musique du film.

Enfin, toute la relation producteur-compositeur doit évidemment se faire dans le cadre de la gestion collective, où le compositeur a droit à une rémunération proportionnelle, gérée par la Sacem.

Sur ces questions financières et juridiques, il y a un besoin de clarification des fondamentaux. Par exemple, certains compositeurs ne savent pas précisément la différence entre une prime de commande qui est la rémunération du compositeur par le producteur pour sa composition, et les droits d’auteur qui sont les sommes versées par la Sacem grâce à la diffusion du film notamment, et que le producteur ne paie pas. De manière encore plus générale, il faut que les réalisateurs et producteurs puissent parler la même « langue ». A ce sujet, je me souviens d’une master class de Fleming Nortkrog : un réalisateur lui demande une musique très crescendo, Fleming s’attèle à la composition et lui propose une musique crescendo. A la première écoute le réalisateur est circonspect, et rétorque que cela ne correspond pas à sa demande, puis entonne un air, ce à quoi Fleming réagit en lui précisant que c’est une musique Allegro et non Crescendo. Il faut donc participer à la création d’un espéranto compositeur-réalisateur.

Il est en effet aussi fondamental que le scénariste ou auteur-réalisateur réfléchisse en amont à la place de la musique. Beaucoup d’auteurs affirment écrire en musique, cependant la plupart ne seront pas à même d’identifier les scènes sur lesquelles la musique interviendra. On pourrait imaginer faire une lecture musicale du scénario afin de tisser les premiers ponts.

Lors d’un atelier que nous avions organisé dans le cadre du festival 1ers Plans d’Angers, Rebecca Zlotowsky expliquait qu’elle commandait la musique à Rob, avant même le tournage afin qu’elle puisse la diffuser sur le plateau pour « imprégner » les acteurs et donner une couleur à la direction d’acteurs. Elle soulignait l’impact fondamental de la musique sur le jeu et sa direction d’acteurs.

Il y a donc beaucoup de pistes, d’initiatives, que nous essayons de partager afin qu’elles se généralisent pour nourrir la création.

Dans le trio des auteurs : scénaristes, compositeurs, réalisateurs, où en est la reconnaissance des compositeurs quant à leurs homologues ?

Indéniablement, si nous faisions un micro-trottoir et que nous demandions de citer un compositeur de musique de film français et un réalisateur, la grande majorité des interrogés citeront plus facilement le deuxième. Ceci étant dit, le rayonnement des compositeurs français est important, Alexandre Desplat, Bruno Coulais, Rob, sont des compositeurs qui s’exportent, renommés à l’international. Ils sont auteurs d’une œuvre au même titre que le scénariste et le réalisateur ! Beaucoup de compositeurs de renom ont commencé par d’autres répertoires avant de se tourner vers la musique pour l’image. Ces artistes participent ainsi à mettre un coup de projecteur au genre. Nous dédions d’ailleurs le 19 novembre prochain un rdv avec l’Ecole de la SRF « De la scène à l’écran » en présence de Arnaud Robotini, Dan Levy et Ulysse Klotz.

Quelle est la principale problématique des compositrices ou compositeurs ?

Nous sommes très régulièrement contactés par des compositeurs qui nous demandent comment rencontrer des réalisateurs… la mise en réseau est donc selon moi la principale problématique. Avec des réalisateurs et des producteurs bien sûr, mais aussi d’autres compositeurs.

Le site de la Sacem reprend toutes nos initiatives et celui de Tous pour la Musique est un bon outil également.

Dans la plupart des branches de l’audiovisuel et du cinéma, les femmes sont moins représentées, qu’en est-il des compositrices ?

Il y a une nouvelle génération, nous voyons de plus en plus de compositrices sortir de formation, mais nous sommes encore sur un ratio très masculin dans ce métier.

Sacem Université est en train de réaliser une étude, mais nous pouvons estimer qu’il y a seulement 15 à 20% de femmes compositrices de musique de film. Nous sommes dans la moyenne globale de la Sacem tous métiers confondus mais c’est beaucoup plus élevé que les compositrices « seules » (9%). En revanche, fort de tous les mouvements tels que 50/50 ou Girls support Girls, il y a beaucoup de jeunes compositrices qui émergent et qui sont d’ailleurs extrêmement talentueuses ! Le problème à nouveau n’est pas de l’ordre de la professionnalisation, mais vient de la formation : il n’y a aucune femme -ou très peu selon les années- dans la classe de musique à l’image du CNSM par exemple. Cela est difficilement explicable. C’est pour cela que qu’une étude approfondie est nécessaire afin de pouvoir mieux appréhender les causes et explications de cette disparité.

Quels conseils pour une jeune compositrice ou compositeur ?

Le travail. Il faut aussi savoir persévérer et s’entourer des bons partenaires. La Sacem, via son action culturelle, accompagne et soutient les artistes à toutes les étapes de leur carrière et de leur développement. Elle les conduit très tôt vers la professionnalisation afin d’inscrire le projet durablement dans l’écosystème de la création. Les jeunes compositeurs peuvent bénéficier des conseils de professionnels du secteur et des équipes de l’Action Culturelle qui contribuent à leur formation et au renforcement de leur réseau au sein de la filière.

En parallèle de cet accompagnement, il est indispensable de pratiquer, sur des séquences de films existants, sur des projets audiovisuels divers, des courts-métrages, des documentaires etc.

C’est là tout le sens de notre action : mettre un coup de projecteur sur ces jeunes talents de l’ombre et les aider à faire leur entrée dans la profession.

Où aller et quelle attitude à avoir pour faire les bonnes rencontres ?

Il ne faut pas hésiter à aller en festival et répondre à des appels à projets, mais en amont avoir une culture cinématographique. J’ai participé à de nombreux jurys, ce qui m’a permis de constater de manière récurrente que si l’on interrogeait les jeunes compositeurs sur les réalisateurs avec lesquels ils souhaiteraient collaborer, leur influence, référence, ils se retrouvaient assez vite muets. Il faut donc travailler, bâtir ses références et son univers puis aller au « front ».

Il faut aller au-devant des rencontres ; à ce titre, un jeune compositeur peut proposer ses services à un élève en cinéma, sur des courts-métrages, répondre à tous les appels à candidature que nous relayons sur le site de la Sacem : https://bit.ly/2oYr35v. Je relaye également toutes ces informations sur ma page Facebook professionnelle Sacem : https://bit.ly/2Jl4ley.

Dernier conseil : l’audace ! Identifiez les réalisateurs avec qui vous souhaitez travailler et contactez-les pour leur dire… il y a de grandes chances pour qu’ils répondent, peu importe leur notoriété. Vous serez surpris !

Pourquoi soutenir Paper to Film et quels sont les attentes ?

Dans le cadre de ses missions, la Sacem s’engage pour la création et la solidarité via son action culturelle. Ce soutien ne se traduit pas uniquement par le financement de la culture ou de la création, mais aussi par la participation à l’ingénierie culturelle. Peut-être plus encore, rester à l’écoute et être réactif pour suivre l’évolution des pratiques. Très clairement, une plateforme de mise en relation telle que Paper to Film fait partie des solutions qui émergent de plus en plus. Soutenir cette initiative est dans l’ordre des choses.

Paper to Film offre une accessibilité, une multiplication des chances pour tous les compositeurs : cela facilite le réseau. En offrant un lien direct entre les compositeurs et les scénaristes, elle permet d’établir de nouvelles connexions et idéalement de générer des co-créations de projets. Le fait que les collaborateurs artistiques -scénaristes, compositeurs, réalisateurs et producteurs- soient tous réunis offre une solution concrète à la mise en réseau, qui est le besoin premier des compositeurs.

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