Tribune

10 conseils inestimables pour devenir scénariste

Ou les conseils que l’on n’a pas envie d’entendre mais dont on sait tous qu’ils ne sont pas complètement faux…

Paper to Film
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par GILLES DANIEL

1 — Écrivez tous les jours

À heure fixe. Que vous remplissiez quatre pages sur votre ordinateur ou juste un post it avec trois mots importe peu. Écrire tous les jours est le signe de reconnaissance des vrais auteurs. Et cette discipline est la seule susceptible de repousser l’angoisse de la page blanche, la flemme et la procrastination. Si vous êtes bloqués sur un projet, écrivez sur autre chose, vous y reviendrez plus tard. Mais écrivez !

2 — Nourrissez-vous de recherches

Quel que soit votre vécu ou votre quotidien, ils vous suffiront rarement à nourrir plus qu’une première œuvre. Passionnez-vous pour vos sujets. Regardez des documentaires, allez voir des expositions, lisez des ouvrages techniques, rencontrez des spécialistes. Mais attention, ne vous noyez pas non plus dans la matière. Les recherches sont votre toile de fond, elles ne remplacent jamais l’observation des comportements humains et la structuration d’une mécanique dramatique. Dernière chose : n’utilisez pas les recherches comme prétexte pour arrêter d’écrire…

3 — Étudiez comment font les autres

L’écriture c’est du talent, qui ne peut s’exprimer sans technique. Et avant d’envoyer bouler les règles, il faut d’abord les maîtriser. N’arrêtez jamais de vous former, en lisant des livres spécialisés, en suivant des cours et des masterclass, dans les écoles, des festivals ou en ligne. Mais surtout observez et disséquez les œuvres qui vous plaisent. Sortez vos tableaux Excel et vos stabilos. Comment les personnages sont-ils caractérisés, quel est leur écheveau de relations, quelles émotions les conduisent ? Quelles sont les pièces détachées des arches dramatiques ? Quel est le rythme, la durée et la quantité des séquences, leur type de contenu ?… Une fiction est un ensemble de Lego, qu’il faut savoir démonter et remonter dans n’importe quel ordre, même sans le mode d’emploi.

4 — Mangez Français

C’est bien beau de vouloir écrire le prochain Peaky Blinders, mais votre marché principal est la France, où l’essentiel de l’investissement porte sur le prime time des chaînes généralistes qui cherchent à réunir plusieurs millions de téléspectateurs. Bien sûr, quelques rares scénaristes français ont d’ores et déjà collaboré à des séries internationales ou vendu leurs séries à des plateformes, mais il est déconseillé de fermer les yeux vis-à-vis de 90% de la production. Chaînes gratuites ou payantes, polars, drames sociaux ou comédies familiales, ce n’est qu’en connaissant la production française sur le bout des doigts que vous pourrez pénétrer le marché et espérons-le, faire changer les choses.

5 — Sortez de votre coquille

Beaucoup de scénaristes ne sont jamais plus heureux (et malheureux) que seuls devant leur clavier. Or pour réussir, le jeune auteur doit devenir un animal social. Fréquenter les festivals, les concours, les agents, les réunions associatives. Savoir présenter et vendre ses projets succinctement. Être un collaborateur plaisant pour les boites de prod et un bon camarade pour les co-scénaristes qu’il ne manquera pas d’avoir. Devenir scénariste est souvent un moyen pour les intellectuels timides de se connecter au monde. Mais ils ne survivront la plupart du temps qu’en devenant le mec ou la fille la plus populaire du lycée.

6 — Adoptez le point de vue des autres

Au début on a tendance à tout voir avec son propre point de vue. Or la principale qualité d’un scénariste est de savoir épouser le point de vue de plusieurs de ses personnages pour comprendre leurs motivations et examiner les histoires sous un autre angle. Mais il y a aussi le point de vue de toutes les personnes qui interviendront « en aval » de votre création. Directeur littéraire, producteur, diffuseur, réalisateur. Comprendre leurs motivations et leur schéma de pensée à eux aussi vous aidera à dialoguer avec « la machine » et ne pas finir complètement incompris ou aigri.

7 — Ne soyez pas psychopathe

A moins que vous ne disposiez déjà d’une grande notoriété et d’une vaste expérience, ou que vous vous auto-produisiez, ne faites pas les stars irascibles et encore moins quand on vous demande de changer une virgule. Soyez ouverts aux suggestions et aux modifications. Elles ne sont pas toujours idiotes ou destinées à vous brimer. Vous fournissez avec vos idées la matière première d’un processus qui va mobiliser de nombreux intervenants plus riches et spécialisés que vous dans leur domaine. Bien sûr, ce sont parfois des « gros cons conformistes, fermés au talent » de jeunes génies comme vous. Mais vous combattrez mieux le système de l’intérieur. Si vous êtes étiqueté « casse couilles », le système vous éjectera sans égards.

8 — N’envoyez vos projets que quand ils sont vraiment aboutis

Il y a une tendance à envoyer les dossiers comme s’ils brûlaient les doigts, dès qu’on est parvenu au bout du strict minimum. Or un projet doit reposer. Avec le temps et les relectures vous découvrirez non seulement des coquilles, mais aussi des manques et des failles. Vous pourrez décider en votre âme et conscience quelles corrections apporter. Vous pourrez peser l’opportunité d’un investissement-temps supplémentaire. Mieux vaut ça que de se désoler en se disant qu’on a envoyé un dossier trop faible. N’oubliez pas que les producteurs ne le liront en général qu’une fois et que leur avis sera le plus souvent définitif. Better safe than sorry.

9 — N’abandonnez pas totalement votre job

Il y a un certain romantisme à tout quitter pour devenir scénariste. C’est chic et courageux. Mais en général, c’est complètement idiot. Même les scénaristes confirmés ont parfois du mal à joindre les deux bouts et la plupart des débutants mettent des mois, parfois des années à en vivre correctement. Bien sûr, il faut être capable d’aménager son temps en gardant des plages (journées, demi-journées, mi-temps, 4/5ème…) d’écriture, mais avoir des soucis d’argent en plus de la grande question « vais-je arriver à devenir Shonda Rimes », c’est en général trop déstabilisant. Vu l’aventure qui vous attend, vous avez besoin de sérénité.

10 — Ne vous découragez jamais

Scénariste débutant est un job ingrat. Des absences de réponse. Des délais absurdes. Des rejets comme s’il en pleuvait. Des enthousiasmes passagers qui s’évanouissent comme ils sont arrivés. Vous montez tout en haut de l’Everest et oups vous trébuchez en plantant le drapeau… Il vous faut un moral en béton pour surmonter tous ces coups à votre amour propre. Vous aurez généralement moins de satisfaction à court terme avec un dossier que vous avez mis des mois à écrire qu’en postant une photo de chat sur les réseaux sociaux. Mais si vous avez un tantinet de recul et que vous êtes persuadés que vous allez dans la bonne direction, encouragé par les premiers retours de vos lecteurs du milieu professionnel, accrochez-vous. La satisfaction d’un produit fini créé par un seul dieu, vous, en vaut généralement la peine.

GILLES DANIEL est producteur — en charge du pôle fiction chez Morgane Production — et également scénariste.

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