Alexis Bougon : « Un film, c’est une démarche esthétique et un point de vue singulier, je cherche des individus qui sortent du lot ».

Ancien entrepreneur et aujourd’hui producteur chez Samsha Production, Alexis Bougon revient avec nous sur ses expériences de cinéma.

Marie Laplanche
Paper to Film
9 min readJul 6, 2020

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Peux-tu nous présenter ton parcours ?

Je dirais que mon parcours est assez atypique, s’il en est. Je viens de la campagne, où le cinéma n’était pas très accessible et on avait la télévision par intermittence. J’ai découvert le cinéma à travers les magazines, Les Cahiers du cinéma en particulier. Mon oncle était abonné et je les lisais tous. Les émissions de télé ont été importantes également, Le cinéma de minuit, La dernière séance, sont à l’origine de mon amour pour le cinéma américain. Mon premier choc de cinéma dans une salle est arrivé assez tard, vers mes 15 ans. J’étais en pension et j’avais fait le mur pour aller voir La mouche de Cronenberg. C’est 2001, L’odyssée de l’espace qui m’a donné envie de faire du cinéma vers mes 12 ans… sur une toute petite télévision en noir et blanc.

A l’époque, j’avais une caméra super 8 et une forte envie d’aller à Paris. Après mon bac, je me suis inscrit à Paris 8. J’ai réalisé un documentaire à la fin de mes études. J’en suis sorti avec une maîtrise en cinéma, et j’ai commencé à travailler sur des films, en régie. Vivant avec une Américaine, nous sommes partis en 1996 aux USA, et j’ai bifurqué. Un ami avait créé sa société de développement de sites internet à Montréal, j’étais à Boston à l’époque. J’ai donc commencé dans ce domaine. Puis on a déménagé à New York, c’était les balbutiements du web. Avec un client, j’ai créé un site de colocation immobilière ; c’était le tout début aussi. En 2004, en rentrant en France, j’ai créé un autre site de petites annonces. J’étais donc très loin du cinéma, mais avec une envie toujours très forte de m’en rapprocher. Entre 2014 et 2016, j’ai muri des projets, acheté du matériel, j’investissais un peu d’argent sur des court-métrages. J’ai quitté la société que j’avais cofondée pour me consacrer au cinéma début 2017. J’avais 46 ans à l’époque et je pensais que la meilleure porte d’entrée était la production. J’ai produit mon premier court en 2017. Par la suite, j’ai rencontré un réalisateur, Éric Bu, qui avait déjà de l’expérience. Ensemble, nous avons rencontré un producteur, Stéphane Sansonetti, et Gilles Dyrek, un auteur. Vu mon âge, je ne pouvais pas me permettre de faire d’abord du court-métrage pour arriver au long. Il fallait que je passe au long dès le début pour me légitimer un peu. J’avais conscience que le paysage audiovisuel était en pleine mutation, et que c’était le moment pour se lancer en production. L’arrivée des plateformes rebattaient les cartes. J’avais un petit capital qui m’a permis de ne pas travailler effectivement pendant quelques années, je n’étais donc pas obligé de faire de la publicité ou autre pour faire prospérer la société.

Gilles, l’auteur, venait du théâtre. Éric a trouvé une idée, Gilles l’a écrite. J’étais impliqué à tous les stades de développement du projet, c’était une façon d’apprendre le métier, tout est allé assez vite. En faisant cela, on se fermait des portes sur les financements et la distribution mais on a quand même tenté, tout s’est très bien passé, c’était incroyable. On a fait une avant-première de grande envergure aux Lilas. C’était une façon pour moi de mettre un pied dans la porte. Les difficultés ont commencé après. Le film ne rentrait pas dans les cases. Pour trouver un distributeur, c’était compliqué. Nous n’en avons finalement pas (encore) trouvé, cependant les retours étaient très positifs mais le casting n’était pas assez conséquent, donc personne ne voulait prendre le risque. Puis le Covid-19 est arrivé et là c’était encore plus compliqué de sortir le film. On a décidé de le mettre en accès libre pendant le confinement avec de très bons retours, c’était super. Suite à cela on a rencontré les gens de FilmoTV, une plateforme de VOD créée par Wild Bunch. Le film est sorti le 17 juin. Cela nous permet que le film soit visible et depuis, on a eu de très bonnes critiques, entre autres dans Télérama, Le Figaro, Le Parisienou encore Le canard enchainé.

Au-delà de ce projet, deux moyens-métrages sont actuellement en finition. La cellule a été sélectionné au festival du FID Marseille, il doit donc doit être finalisé pour le 15 juin. L’autre devrait être terminé en septembre.

Comment choisis-tu les films que tu souhaites produire ?

Je cherche davantage des réalisateurs, plus que des projets. Pour moi, c’est la relation et la rencontre qui comptent. Un film, c’est une démarche esthétique et un point de vue singulier, je cherche des individus qui sortent du lot. Je me retrouve plus à travailler avec des gens du milieu de l’art contemporain, sans l’avoir vraiment cherché d’ailleurs, qui sortent des Beaux-Arts. Je collabore entre autres avec Samir Ramdani, Émilie Lamoine ou Mathilde Soares. Ce sont plutôt des plasticiens. Ces gens-là m’intéressent d’autant plus lorsqu’ils ont la volonté de sortir de l’expérimental pour trouver un public. Sur le dernier film de Samir, on a réussi à sortir de l’expérimental grâce au montage. Il fallait qu’on amène le projet vers une plus grande narration et il a vraiment cette envie de faire du cinéma ouvert à un public le plus large possible. C’est à ce moment-là que je vais chercher des scénaristes pour intervenir sur les projets des réalisateurs, qui ne sont pas forcément des auteurs. Même si je pars d’une envie esthétique, je sais que le métier de scénariste ne s’invente pas et que le cinéma c’est raconter des histoires. Son dernier film parle d’une pandémie suite à un virus, c’est drôle parce qu’il avait fait des plans de Paris desquels il avait enlevé toutes les voitures, les passants… Alors que pendant la pandémie il aurait eu tous ces plans sans post production ! Mais ça montre son côté visionnaire et aussi débrouillard pour toujours trouver des solutions, quels que soient ses moyens.

M’entourer de gens qui ont envie de faire bouger les lignes, voilà ce qui m’anime. En tant que producteur, je suis davantage porté par le cinéma de genre, qui permet, selon moi, une liberté formelle et permet de parler ouvertement de problématiques sociétales et politiques. Pour moi, il y a un marché avec le film de genre dont il faut s’emparer. Je voudrais aller vers le genre, esthétique, et politique. Avant tout ce sont des rencontres, c’est primordial. Je lis aussi, mais ce sont deux choses différentes. Sur Paper to Film, par exemple, je vais chercher des univers et des scénaristes que je pourrais mettre en relation avec un réalisateur. Je ne vais pas chercher des histoires, mais des gens, y compris des producteurs.

Je fonctionne aussi à vue, car je suis tout seul. Je sais que je dois être à l’origine d’un projet parce que la rencontre avec le réalisateur et le scénariste est très importante ; je ne pourrais plus arriver en cours de route.

Tu écris aussi. En tant que producteur, à quel moment interviens-tu dans l’écriture ?

Pour l’instant, je suis intervenu sur des retours. Sur Richard III, je n’écrivais pas mais on faisait beaucoup de retours, je ne veux pas m’approprier les choses. J’apprécie la collaboration, travailler en bonne intelligence mais aussi pousser les limites. L’idée est d’avoir un peu plus et de sortir les gens de leur zone de confort. Avec Éric Bu, on va toujours plus loin ensemble que chacun de son côté. Avec Samir, on va commencer à écrire ensemble, j’essaie aussi de lier production et scénario. Il s’agira de faire bien plus que des retours. L’idée est de commencer à travailler à deux, même si le projet est très personnel pour Samir. On va commencer ensemble, et on fera intervenir un scénariste qui nous aidera à mettre en forme et créer une histoire consistante. Scénariste est un métier, il ne faut pas le sous-estimer.

Peux-tu nous parler de ton expérience en tant que scénariste ?

Comme j’aime le genre, je choisis souvent des thématiques de SF, d’horreur… J’ai écrit des courts et un long. Je m’inspire beaucoup de mon village d’enfance, la thématique du désenchantement des campagnes, leur isolation face aux grandes villes et à l’élite et les dangers qui en découlent. C’est un milieu que je connais et dont j’ai envie de parler car il cristallise bien les enjeux actuels.

La difficulté est d’avoir les deux casquettes. Celle de producteur est plus importante que celle de scénariste pour l’instant. Je priorise, car c’est aussi celle qui est plus actuelle. Je n’écris pas suffisamment quotidiennement mais je me donne des plages horaires. Ce n’est pas tous les jours, mais je me donne des temps d’une semaine pendant lesquels j’écris. Je travaille par intermittence sur les projets. Je passe de l’un à l’autre. Je laisse reposer le premier, puis j’y reviens. C’est souvent par vague. Je suis tout de même un peu frustré en ce moment car je n’ai pas assez de temps et je n’ai pas trouvé le bon co-auteur. A deux, c’est plus aisé.

Un de mes projets s’est lancé officiellement pendant le confinement. C’est un projet d’écriture collaborative d’une série. L’idée est de moi, et on a commencé à travailler pour développer ensemble. On est 15 scénaristes, professionnels ou non. C’est le premier pas vers un collectif aussi. C’est une expérience ! L’objectif est Séries Mania l’année prochaine, on a donc 1 an. Je ne sais pas si cela va fonctionner mais cela part très bien pour l’instant, et à 15 on peut se permettre un turn over plus conséquent. C’est très intéressant comme expérience. Cela me permet aussi de travailler avec des gens avec qui je pourrais écrire plus tard.

Veux-tu produire les projets dont tu es l’auteur ?

Oui, ou les coproduire. Je cherche des sociétés de production complémentaires. C’est le cas sur une série sur les dessous de la gastronomie dont une amie productrice a eu l’idée et qu’on développe ensemble. Comme le projet est assez conséquent, il faut que l’on trouve des gens plus en place, qui nous ouvrent les portes de Netflix par exemple. Comme je suis arrivé tard dans le milieu, je ne prends pas trop en compte ce qui est censé ou non se faire. Je tente à chaque fois. Je veux garder le contrôle, mais le but est d’arriver au bout.

En tant que producteur, as-tu un format de prédilection ?

Mon format c’est la fiction cinéma. En tant que producteur, je préférerais faire des films. Les séries, c’est bien, mais j’ai un attachement particulier à l’esthétique. C’est souvent plus simple à mettre en œuvre dans les films que dans les séries. Les choses ne sont pas aussi manichéennes, mais les séries sont bien plus scénaristiques qu’esthétiques. Je pousse donc plus les long-métrages, avec un amour pour le genre. Je cherche également à avoir une identité de producteur donc je la creuse au mieux. Mais la rencontre reste le nerf de la guerre.

Je suis passionné de gastronomie et j’ai un projet de série sur le sujet. Si je fais une série, c’est parce que le sujet est fort et qu’il me semble que le format est le plus approprié pour cette intrigue.

Il faut aussi avoir plusieurs projets, car comme chacun le sait, sur 10 projets il y en a deux au mieux qui vont au bout. Je continuerai à faire du court, pour accompagner un réalisateur à passer au long. Mais le court n’est pas une finalité en soi et ça ne me semble pas viable économiquement.

Peux-tu nous donner ton avis sur Paper to Film ?

J’aime beaucoup cette plateforme. J’ai même payé en tant que producteur, et j’ai pu en faire l’expérience. Je n’ai pas suffisamment de temps pour utiliser l’outil comme il faudrait, mais je trouve que c’est super pour les scénaristes. Ils sont très dévalorisés en France et c’est une façon de changer cela. Vous faites partie des acteurs qui les mettent sur le devant de la scène, comme pour les compositeurs, c’est une très bonne idée. Un film c’est trois écritures, et c’est le scénariste qui est toujours oublié à la fin, alors que c’est une partie fondamentale du processus. Il faut qu’on les remette en avant.

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