Antoine Paley : “J’ai tendance à être bien plus créatif quand il faut respecter des deadlines.”

Scénariste et réalisateur sortant de l’Ecole de la Cité, Antoine revient avec nous sur son parcours.

Marie Laplanche
Paper to Film
8 min readOct 23, 2019

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Peux-tu nous présenter ton parcours ?

J’ai commencé mes études en Suisse, dont je suis originaire. J’ai fait une double licence en histoire et esthétique du cinéma et en sciences sociales. Pendant ces études théoriques, j’ai assouvi ma soif de pratique en me formant par moi-même sur des projets auto-produits et en trouvant des stages sur divers plateaux… Puis j’ai entendu parler du concours de l’Ecole de la Cité à Saint-Denis, que j’ai eu en section réalisation. C’est une formation de deux ans, essentiellement pratique pour le coup. J’ai fini mes études il y a quatre ans et depuis je fais des choses très variées. En tant que réalisateur, je fais des commandes, des clips, des pubs… et sinon beaucoup d’écriture à côté. J’ai trois projets sur Paper to film. C’était des scénarios que j’avais laissé de côté un temps, puis que j’ai retravaillé pour la plateforme. Je suis ravi qu’ils aient plu et été sélectionnés.

Écris-tu seul ou à plusieurs ?

J’écris majoritairement seul au début, car l’écriture est pour moi un moyen de faire vivre une idée initiale et j’ai besoin que ça sorte vite. En court-métrage, je boucle une version satisfaisante de la continuité dialoguée puis fais lire aux personnes intéressées. En long ou en série, je préfère travailler par étape (pitch, synopsis, traitement), sans forcément aller jusqu’au scénario complet. En somme, l’idée est de proposer une base de travail venant d’une de mes idées afin de trouver une production désireuse d’en suivre le développement à mes côtés et éventuellement me proposer un co-auteur. C’est ce qui devrait se faire sur une série qu’on m’a optionné, ainsi que sur un court-métrage dont le producteur a envie d’affiner le scénario en me faisant travailler avec une scénariste sensible au sujet. J’accueille ces propositions d’auteurs avec grand plaisir, car l’écriture n’est pas mon activité principale, je n’y ai pas été formé. J’ai lu beaucoup de choses sur le sujet, mais de manière autodidacte. C’est donc toujours génial quand mes projets bénéficient de l’expertise de scénaristes expérimentés.

As-tu une routine d’écriture ?

Malheureusement pas, mais j’aimerais bien. Je dois toujours jongler entre mon temps d’écriture et les tournages, donc mon emploi du temps est très irrégulier. En plus, j’ai tendance à être bien plus créatif quand il faut respecter des deadlines, ce qui déséquilibre pas mal mes sessions d’écriture.

Tu réponds à beaucoup d’appels à projets, comment les choisis-tu ?

Maintenant, j’ai des projets dans les tiroirs donc je peux les ressortir selon les demandes, si ça correspond. Souvent, j’ai déjà un dossier plutôt complet que je retouche au gré des exigences. Sinon, je vais fouiller dans mes listes d’idées et vois si je peux les développer dans le temps imparti. Mais les idées vieillissent vite chez moi. J’ai le défaut de me lasser assez rapidement, ce qui m’obligent quand même à m’attaquer régulièrement à de nouvelles choses.

Voudrais-tu réaliser ce que tu écris ?

C’est le but premier ! Mon métier est avant tout la réalisation. Je l’ai notamment compris lorsqu’une co-auteure et moi avons rencontré une productrice intéressée par un projet de série. Elle savait que j’étais réalisateur et a donc vite mentionné le sujet. La plupart du temps, en séries, les producteurs choisissent les auteurs, mais c’est ensuite la chaîne qui achète le projet qui impose des réalisateurs (à moins d’être bankable ou force d’expérience en la matière, mais je ne le suis pas). Cette réalité m’a refroidi. Elle a bien remis en question mon envie de continuer à écrire le projet. Ce qui me porte vraiment c’est la mise en scène cinématographique, le travail avec les comédiens, le point de vue, la technique…

Quand tu écris, écris-tu en pensant déjà à la réalisation ?

Oui beaucoup. Je sais que ce n’est pas très académique, mais je n’écris pas pour les autres, seulement pour mes réalisations, donc je prémâche le travail de mise-en-scène dès l’écriture. J’essaie de me limiter, mais certains détails finissent toujours dans le scénario, alors qu’ils ne devraient pas y figurer si on s’en tient aux règles de l’art. Très souvent mes idées partent d’images, de décors, de situations précises que j’imagine à travers le prisme du découpage cinématographique, de la musique ou d’un montage particulier. Je ne me départis pas de cette façon d’imaginer les choses quand je commence à écrire.

D’où viennent tes idées ?

De partout. J’en ai environ 10’000 à la seconde, que je note, même si beaucoup sont mauvaises. J’ai ma petite règle des 48 heures. Quand une idée surgit, je lui laisse 48 heures avant de la reconsidérer et si elle me semble toujours digne d’intérêt au bout de ce temps imparti, je commence à en parler autour de moi pour l’éprouver davantage avant de la développer concrètement.

En termes de sources, je puise beaucoup d’inspirations dans la lecture : les romans, la bd, les magazines. Et beaucoup dans les faits divers aussi. Je les trouve intéressants car leur structure est souvent, sinon toujours, la même : « Hier, il s’est passé un truc drôle, choquant, flippant, etc. » Mais on ne cherche que rarement à connaître le pourquoi. J’aime bien réfléchir à un fait divers comme la somme d’éléments passés. Comme le résultat de plein d’éléments compilés. Ce qui me permet de passer de l’anecdote à l’histoire, puis de l’histoire au récit.

J’imagine aussi des histoires à partir de thèmes de réflexion. Pendant un temps, c’était la notion de talent qui occupait mon esprit. En arrivant en école de cinéma, c’était un mot que les gens utilisaient beaucoup. Du coup, tu te poses la question de ce qu’est vraiment le talent. Tu es entouré de gens qui font de l’art, qui ont plus ou moins de facilité ou qui travaillent plus ou moins assidument. Du coup je me suis interrogé sur la prédisposition, sur l’inné versus l’acquis. Ça a glissé vers des questions d’inégalités sociales. N’y a-t-il pas que de la chance ? Est ce que le talent existe ? N’est-ce pas une notion bien pratique pour gommer le fait que tout le monde n’a pas les mêmes cartes dans le grand jeu de la réussite professionnelle, artistique, scolaire, etc. ? Ça m’a aussi fait réfléchir à l’émancipation. Un sujet présent dans mes trois projets sur votre plateforme.

Deux de tes personnages sont de femmes de 50 ans. Comment les appréhendes-tu, as-tu des sources d’inspiration ?

C’est le fameux débat : “Faut-il être une femme pour écrire des personnages féminins, ou être racisé pour écrire des personnages racisés ?“. Au-delà de ça, j’ai été élevé par une mère célibataire, une grand-mère veuve et leurs amies respectives… Ça joue forcément. Toute mon enfance a été peuplée de femmes au caractère fort. J’essaie de ne pas trop y penser, sûrement par pudeur, mais ça ressort inévitablement dans ce que j’écris. Par exemple, Mumu parle d’une femme qui a un cancer du sein. Ma mère en a eu un. Sur le coup, j’ai écrit ça comme ça, très naïvement, sans me rendre compte du lien. J’ai cru écrire très instinctivement, mais c’était en fait parsemé d’éléments très réalistes et de vécu.

Quelle est la relation idéale avec un producteur selon toi ?

Que l’on s’entende humainement et professionnellement. Quelqu’un de sensible aux histoires et aux personnages que je développe. Quelqu’un qui puisse me conseiller, avoir les bonnes ressources, me mettre en relation avec les bonnes personnes. Quelqu’un qui fait de bons retours, critiques, pertinents, qui sache développer un propos sur l’écriture, et ce n’est pas donné à tout le monde. L’idéal, ce sont des producteurs qui ont un passif dans l’écriture, qui savent ce que ça veut dire, dans le process et dans les règles, pour que l’on s’entende sur une base commune. Jusqu’à maintenant je n’ai rencontré que des gens avec qui ça s’est très bien passé.

Venant de Suisse, aimerais-tu faire du cinéma en Suisse ?

Ça n’a pas beaucoup d’importance pour moi, encore que. Je trouverais ça vraiment bien de faire du cinéma en Suisse. Mais on a un pays minuscule, qui en plus est divisé en 4 langues nationales. L’audience est limitée et les ressources minimes. C’est difficile d’y monter des fictions. Il faut souvent que ce soit exportable et donc recourir à la co-production. J’ai toujours voulu faire des ponts entre la Suisse et la France. Quand je suis arrivé à Paris, je rêvais de pouvoir connecter mes deux réseaux, mais je me suis fait happer par ma vie française durant les études et l’entrée dans le marché professionnel qui a immédiatement suivi. Mais il semblerait que des opportunités commencent à germer aujourd’hui. Durant le dernier festival de Cannes, j’ai rencontré un producteur suisse avec qui je travaille désormais sur un projet de série. C’est peut-être l’occasion de tisser des liens entre mon entourage d’ici et là-bas.

Pourquoi as-tu choisis de ne pas faire tes études en Suisse ?

La question est plutôt pourquoi avoir choisi de les faire en France. Je rêvais de mouvement et de productions à gros dispositifs. Quand le cinéma est devenu une évidence pour moi, j’ai cherché des moyens de me former et ai beaucoup entendu que ce milieu était une affaire de réseau. C’est à ce moment là que j’ai appris que Luc Besson avait monté une école sur Paris. Je me suis donc dit que ce serait l’endroit parfait pour rencontrer des gens et être au cœur de la grosse production cinématographique. Je ne me suis pas trompé. L’école m’a apporté beaucoup de choses. J’ai fait plein de stages, rencontré de grands metteurs en scènes et des chefs de postes qui me font encore travailler aujourd’hui.

Es-tu plutôt cinéma ou télévision ?

J’aime l’exigence esthétique du gros cinéma. La mise en scène chiadée et les logiques cinématographiques. Je m’intéresse surtout au cinéma et très peu, voir pas du tout, à la télévision. Mais est-ce que cette phrase signifie encore beaucoup de choses à l’heure des plateformes ? Elles brouillent complètement les pistes et rendent les différences de plus en plus obsolètes. Je rêve de cinéma, mais ai avant tout une envie essentielle de réalisation. C’est surtout la contrainte qui me motive. La contrainte d’un format, d’une durée, d’un budget, d’un genre, etc.

Que penses-tu de Paper to film ?

Je pense que c’est une super initiative. Je prends votre plateforme comme un outil supplémentaire dans ma recherche de productions. Tu plantes des graines, et tu les regardes pousser. Vous proposez une vitrine de promotion qui est très chronophage à faire soi-même et souvent moins efficace. Dans un premier temps, après que 3 de mes projets ont été sélectionnés, j’ai eu des doutes quant à la qualité de la plateforme, car je croyais que vous preniez tout ce qui vous était soumis. Puis le quatrième a été refusé, ce qui m’a ironiquement réjouis…

NB de Paper to film : Sur 2 400 projets reçus, 430 seulement ont été sélectionnés.

Ses projets présents sur la plateforme :

Mumu : court-métrage. Drame / comédie : “Mal soutenue par les siens dans la maladie, Murielle, mère de famille réservée, décide enfin de s’affirmer, boostée par sa rencontre avec la turbulente Océane, sa nouvelle “copine de cancer.”

Le Test : court-métrage. Science-fiction / drame : “Alors que les seniors doivent passer un test d’aptitudes pour conserver le droit de vivre dans notre monde surpeuplé, Paul (82), diminué physiquement, annonce à sa fille qu’il doit passer son examen ce soir.”

Fanny la Fusée : long-métrage. Comédie / tout public. “En se découvrant un talent hors-norme pour le célèbre jeu vidéo Rocket League, Fanny, mère de famille négligée par les siens, saisit l’opportunité de sortir d’une existence vécue dans l’ombre des autres.”

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