Aurélien Mathieu : “Mon cinéma est souvent basé sur les traumatismes des protagonistes.”

Aurélien Mathieu est scénariste, réalisateur, auteur … Véritable touche à tout de l’audiovisuel, il nous raconte son parcours.

Marie Laplanche
Paper to Film
10 min readAug 28, 2019

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Peux-tu nous présenter ton parcours ?

Je suis né à Annecy en 1988. Après le bac, je suis allé à Paris pour être réalisateur. J’ai donc fait l’ESRA, une école en trois ans. La troisième année, j’ai fait la spécialisation “vidéo”, ce qui correspond à tout ce qui est en rapport avec les métiers de la télévision. En sortant de l’école, puisque aucun membre de ma famille ne travaille dans ce milieu, je me suis dit qu’il fallait que je trouve un travail rapidement, mais la télévision ne m’attirait pas du tout. Ce n’était pas fait pour moi. Donc, en sortant de l’école, je suis allé rencontrer des premiers assistants réalisateurs. Il n’y a pas si longtemps, le schéma CNC nous demandait d’avoir été trois fois assistant réalisateur pour avoir sa carte de réalisateur. Je me suis alors dit qu’il fallait que je fasse de l’assistanat. J’ai été troisième, second… mais tout le monde m’a dit à ce moment là : “Si tu rentres dans l’assistanat, tu vas rester bloqué dedans, et être catalogué”. J’ai donc choisi de « manger mon pain noir » en réalisant des publicités, des clips, des courts-métrages… J’ai aussi travaillé sur tous les différents postes. Pour moi, le métier de réalisateur est un métier de chef d’orchestre, donc il faut connaître tous les corps de métiers pour savoir les diriger. J’ai été machino, électro, premier assistant réalisateur sur un long-métrage auto-produit, régisseur, cadreur, chef opérateur… A 24 ans, j’ai monté ma boîte de production, avec trois associés. Pour pouvoir gagner ma vie en indépendant et ne pas être redevable de quelqu’un. Pour cette structure j’ai réalisé pas mal films institutionnels, de pubs web, de clips. En parallèle, j’ai développé une carrière photo. En fait, tout petit, j’étais fan de Lego et je rejouais les scènes de films avec mes jouets. Petit à petit, j’ai commencé à mettre en scène mes legos et à les prendre en photo. Ça a très bien marché et fait des millions de vues sur le web. Fort de ce succès, j’ai créé des mises en scènes de plus en plus élaborées, au niveau de la lumière, à construire les décors avec du polystyrène extrudé, la post-production, les explosions étaient gérées en live. Cela m’a permis de travailler pour Warner Bros qui m’a commandé des photos pour la promotion du jeu vidéo Lego Star Wars. J’ai ensuite sorti un livre « Lego Dino » publié chez Glénat. Aujourd’hui, j’ai dit adieu à cette activité, parce que c’est toujours pareil, dans le cinéma, ce genre de choses ne comptent pas. Même si c’est très cinématographique, ça n’a pas de valeur. J’ai compris récemment que si je voulais passer au long-métrage, il fallait revenir au court. En trois ans, j’ai réalisé trois courts-métrages dont deux Nikon qui ont été finalistes. En ce moment, je travaille sur différents projets de courts et de longs avec des co-auteurs. A la base, je suis réalisateur dans l’âme, mais en France c’est compliqué de trouver des scénaristes qui ne sont que scénaristes. La plupart des auteurs veulent aussi réaliser, mais la co-réalisation j’ai déjà donné et ce n’est pas pour moi.

Préfères-tu écrire seul ou à plusieurs ?

Comme j’écris des histoires depuis que je suis tout petit, je me suis lancé. Le projet de long qui est sur la plateforme, je l’ai porté tout seul. J’ai co-écrit à un moment donné avec une co-scénariste, ce qui a abouti à un moyen métrage. N’étant pas satisfait, je l’ai réécrit pour en faire un long. Ce concept, je le porte depuis très longtemps.

De tous les métiers du cinéma, l’écriture est le plus compliqué je trouve. Tout le monde peut écrire, mais écrire bien, c’est très compliqué. Je me suis mis sur les méthodes d’écritures, ce que l’on n’apprenait pas à l’école. J’ai suivi la méthode Truby, en prenant ce que je voulais. Ce que j’aime dans cette méthode, c’est qu’elle retarde l’écriture au maximum. Avant, j’avais tendance à me mettre directement sur la continuité dialoguée, du coup, c’était fait de façon trop linéaire et forcément à un moment donné ça coinçait. Alors qu’avec la méthode Truby, 80 % du travail, c’est d’écrire en dehors de la continuité dialoguée. Ça m’a beaucoup aidé. Écrire seul un long-métrage, c’est vraiment dur, je suis donc toujours à la recherche de scénaristes. C’est une rencontre avant tout. On échange nos projets, je les lis, vois leur univers… Si ça marche, on se rencontre, voir si le courant passe et après on peut se lancer. Pour rencontrer d’autres auteurs, je deviens adhérent aux associations de scénariste comme la Scénaristerie et je fais jouer mon réseau.

A Cannes, j’ai assisté à la conférence de Paul Laverty, le scénariste de Ken Loach ; c’est ce genre de collaboration que je cherche dans l’absolu. Ken Loach oriente le travail d’écriture sur un sujet, une envie, puis Paul Laverty écrit et Ken Loach réoriente, suggère des modifications. Ce dernier n’écrit pas une ligne mais participe à l’écriture malgré tout.

As-tu une méthodologie pour écrire ?

Je n’ai pas de règles, mais souvent je me force. J’ai du mal à m’y mettre, me mettre derrière un bureau pour écrire. Avant je fonctionnais à l’impulsion. Je sentais qu’il fallait que ça sorte et j’écrivais. Maintenant, je tente d’être plus rigoureux mais des fois ça ne veut pas venir. Dans ces cas là, ce que j’écris ne vaut pas grand chose. Je retourne à Annecy, au calme, comme ça je n’ai pas de tentation, je n’ai que ça à faire. J’écris tous les jours, toute la journée, en essayant d’avancer au maximum.

Je suis sûr d’une chose, peu importe ce que l’on écrit, il faut retarder l’écriture, il faut que cela mature et se confronter au réel. Je travaille sur un projet qui se déroule dans le milieu de la course automobile. Le personnage principal est une femme donc on va aller rencontrer des femmes pilotes, voir leur quotidien. Tout cela va nourrir l’histoire. Le travail d’enquête est très important. C’est ce qui est bien dans nos métiers. On peut s’immerger dans plein de vies différentes. Il faut creuser les sujets et savoir ce que l’on veut raconter avec le film ; pour tout passer sous le filtre du thème, bien travailler la motivation sous-jacente de l’histoire. Ensuite, je fais des fiches personnages. Mon cinéma est souvent basé sur les traumatismes des protagonistes. Je dois donc bien connaître leurs failles internes et la façon dont elles se manifestent à l’écran.

Comment te vient l’idée d’un scénario ?

Mes projets sont souvent basés sur des images. Un de mes derniers projets a été initié par une photo d’un garçon, prise juste après son premier combat de boxe. L’enfant avait les yeux rougis par les coups et il était sur le point de pleurer mais on voyait bien qu’il se retenait. Pour moi cette image devaient être la dernière du film, elle symbolisait à elle seule tout le propos. Dans tous les cas, pour écrire, il ne faut pas se brider.

Je travaille aussi beaucoup à partir de concept. J’aime beaucoup les films à concept. Concernant le projet présent sur la plateforme, je suis arrivé à la rencontre entre deux mondes, entre un dealer de cité et une agricultrice. Mais il y a un lien avec mon histoire personnelle. Mon père a passé son enfance en Algérie et ma mère est issue des campagnes. La réunion des deux faisait un peu “choc des cultures”, je pense que c’est dans mon ADN. J’ai toujours été très à l’aise dans tous les milieux, c’est mon côté caméléon. A chaque fois que je vois des tensions entre les gens, j’ai envie de leur dire “voyez plutôt vos points communs”. J’essaie de créer des ponts entre les gens. On oppose souvent la cité et la campagne. Ils ne se croisent jamais et ont une très mauvaise opinion l’un de l’autre. Pour les jeunes de cité, les campagnards sont des consanguins. Pour les gens de la campagne, les jeunes de cité sont tout ce qu’on leur montre à la télévision. Mon père m’a éduqué dans la nostalgie de l’Algérie, c’était une Algérie spéciale- l’Algérie française- mais avec sa culture malgré tout. J’ai toujours été attiré par la culture arabe. Je reviens d’une semaine dans laquelle j’ai passé sept jours dans le village des grands-parents de mon père, dans une ferme, et j’ai vécu le quotidien d’agriculteurs avec eux. Je voulais voir le métier, la dureté, les journées de douze heures… le travail est harassant. Cela a confirmé tout ce que j’avais écrit. Je voulais faire un film réaliste en ayant une approche de fiction, donner à voir un quotidien et comment ces deux quotidiens peuvent s’apporter. Les gens des villes ont besoin de contact avec la nature, ce contact a été perdu. Les agriculteurs sont tout le temps dans la nature, dehors, et ils étoufferaient en ville. C’est aussi ce qui va faire changer le jeune de cité, le protagoniste du film. Il va opérer un retour à la base.

Comme tu es aussi réalisateur, écris-tu avec des images en tête ?

Les gens me disent souvent que j’ai une écriture très visuelle. Je mets peut-être un peu trop l’accent sur les détails, c’est mon défaut. Les ambiances sont très importantes pour moi, j’essaye d’immerger au maximum le spectateur, j’ai un langage très visuel. C’est un équilibre délicat entre littérature et storytelling visuel. Et je bascule plus d’un côté que de l’autre.

Selon toi, quelle est la relation idéale entre un producteur et un scénariste ?

La relation idéale avec un producteur, comme avec un scénariste, c’est d’avoir la même envie de cinéma, la même vision du film. Je fais plutôt des films de genre, un peu à l’américaine, entre le cinéma de genre et d’auteur. J’aime bien quand on m’emmène ailleurs. Il faut donc avoir cette même envie, être d’accord sur la direction globale du film. Mais je suis très ouvert, et ça ne me pose pas de problèmes de faire des ajustements, des modifications… Le côté interventionniste ne me gêne pas, je me nourris souvent des remarques des autres, ou à l’inverse ça me conforte dans mes décisions. C’est un art collectif. Le film, c’est aussi le bébé du producteur, comme le réalisateur, il va beaucoup s’investir. Par ailleurs, il faut avoir une relation humaine, amicale, que ce ne soit pas que professionnel, que ce soit froid, que l’on n’ose pas se dire les choses… En fait, je pense que le facteur déterminant est qu’il ou elle ait autant envie que moi de voir le film.

Peux-tu nous raconter ta pire et ta meilleure expérience sur un tournage ?

Je commence par la pire ! Sur un tournage que je produisais, j’avais donc deux casquettes (producteur et réalisateur), on devait avoir l’autorisation de tourner dans Paris avec des policiers en uniformes. La préfecture nous avait dit oui, mais cela a traîné. La veille c’était toujours bon, et le jour J on nous dit non. On s’est retrouvé au milieu du tournage sans autorisation. J’ai donc caché l’information au reste de l’équipe. Si on leur avait dit, ça allait les démotiver. On a donc fait la journée, en sachant que je ne pourrais pas finir le film. On s’est demandé si on tournait quand même sans autorisation. Finalement, on a quand même tourné mais six mois plus tard. J’avais engagé de l’argent, de l’énergie, et pendant six mois, je n’ai pas su si je pourrais finir. C’était affreux. Mais tout ça forge et nous fait apprendre. Et quand le film est fini, c’est très gratifiant.

La meilleure expérience est sur mon dernier tournage. Je voulais une séquence d’ouverture le matin en extérieur avec un brouillard en arrière plan… On envisage de louer des canons à brouillard, mais on a pas le budget pour et c’est une installation lourde, compliquée sur un planning de tournage déjà très serré. Donc je fais donc une croix dessus. C’est souvent ça, on est souvent obligé de lâcher prise sur des choses qui nous tiennent à cœur. Le matin où l’on devait tourner ces fameux “plans brouillard”, les conditions météo de la vieille, pluie verglaçante, ont fait qu’au moment de tourner, il y eut ce fameux brouillard que je voulais tant ! Quand la nature te donne ce que tu veux, c’est magique, là, tu sens que les planètes s’alignent juste pour ton film.

As-tu déjà participé à des résidences ?

Je commence à participer à des concours de scénarios, Beaumarchais, le Groupe Ouest… Pour l’instant j’ai été sélectionné à Cannes par la Maison des Scénaristes pour une rencontre avec des producteurs. Au final ça n’a rien donné, mais j’ai rencontré plein de gens. Il y a tellement de choses organisées pour le scénario et quand tu gagnes un prix, Sopadin ou autre, ça t’ouvre des portes incroyables. Depuis quelques mois, je postule partout pour multiplier les chances. En parallèle, je gagne ma vie en free lance en travaillant pour des boîtes de production, en montage, en cadre…

Tu as plein de casquettes différentes. Sur ton film, voudrais-tu t’occuper du montage, qui est une autre forme d’écriture ?

Ah non ! En fiction, j’aime bien avoir un monteur. J’ai trop la tête dans le guidon, j’ai besoin d’un regard extérieur. Il a un œil totalement neuf, il a pas lu le scénario, pas participer à la prépa, au tournage. Le regard du monteur c’est le regard du spectateur, c’est fondamental. Il peut vérifier que tout est compréhensible. On m’avait dit un jour “fais attention à la compréhension, tout le monde n’est pas dans ta tête”, ça m’a marqué.

Que penses-tu de Paper to film ?

J’ai d’abord vu passer ça comme un peu tout le monde. Puis, j’ai remarqué que Raphaël était très actif. A Cannes j’ai vu une amie productrice qui m’a parlé de lui : “Il est partout, il se bouge, ça vaut le coup de s’inscrire”. C’est ce qui m’a motivé à postuler. Vous faites des articles, ça permet de faire de la communication. Dans ces métiers là, il faut se mettre en avant sinon on reste au fond du panier, il faut multiplier les initiatives… et vous participez à ça. C’est bien organisé, on sent qu’il y a une structure solide derrière, même le développement du site web est bien. Enfin, on sait qu’il y a une vraie sélection. Si on est sur Paper to film, c’est un gage de qualité.

Son projet sur la plateforme :

Les Guerriers : “En fuyant la banlieue, après avoir braqué l’argent sale de son grand-frère, un jeune dealer atterrit chez une agricultrice endettée. À la campagne, il découvre un nouveau monde où il lutte contre son passé qui ne cesse de le rattraper.”

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