Baptiste Rinaldi : « Je considère le métier de producteur comme de l’artisanat, nous sommes des gens qui touchons à tout. »

Baptiste Rinaldi est producteur au sein d’Astharté & Compagnie et membre du SPI. Il revient pour nous sur l’importance de la production de films engagés et sociétaux, mais aussi sur sa façon d’accompagner de jeunes scénaristes.

Marie Clauzier
Paper to Film
9 min readFeb 17, 2020

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Quel a été ton parcours pour devenir producteur ?

Au départ, je n’étais pas destiné à faire ce métier. J’avais envie de travailler à la montagne ! Au lycée, je me suis cherché, j’ai eu un parcours un peu chaotique au niveau des études. J’ai intégré un BTS audiovisuel car j’avais quand même une passion pour le cinéma. Le problème est que cette formation était plutôt destinée à entrer dans la production télé telles que les émissions ou captations, mais beaucoup moins en fiction, alors que cela m’intéressait davantage. J’ai tout de même appris à travailler dans le milieu, et à faire de bonnes rencontres pendant mon stage. J’ai commencé dans la publicité puis j’ai fait un stage dans le court-métrage et là, j’ai trouvé ma place. J’ai su que je voulais raconter des histoires et travailler dans la fiction.

Il y a neuf ans et demi, j’ai passé un entretien chez Astharté & Compagnie pour devenir l’assistant de production de Sophie Deloche. Depuis, je n’ai pas quitté la société et j’ai gravi les échelons. J’ai commencé par trois années d’assistanat, en accueillant les projets et en faisant de l’assistanat de production très classique. Puis j’ai eu envie de continuer là-dedans mais en me centrant plus sur le scénario. Je me suis mis à davantage lire et Sophie m’a formé en direction littéraire. J’ai commencé à en faire, tout en continuant ce poste d’assistant. Nous n’étions que deux, avec parfois quelques stagiaires. Ensuite, on a embauché quelqu’un donc j’ai pu me consacrer au développement de scénario. A un moment, j’ai eu envie de produire, de passer ce cap. Sophie m’a toujours accompagné dans cette envie d’aller plus loin et c’est une vraie chance pour moi. Elle m’a laissé la place pour faire ce que je voulais. J’ai donc commencé à produire il y a quatre ans sur un projet de format, je n’ai pas réussi à trouver de diffuseur (même avec les prix des collégiens au Festival de la Fiction TV de La Rochelle) mais cela m’a permis de me lancer. Ensuite, j’ai vraiment commencé ma carrière de producteur sur LesEngagés, il y a à peu près trois ans.

Même si au départ j’ai eu un parcours un peu compliqué, j’ai très vite su ce que je voulais dans le milieu. Je n’ai presque connu qu’Astharté. Je suis sorti du BTS très jeune, j’ai vivoté dans le milieu un an puis j’ai commencé à travailler pour cette société. A aucun moment je ne me suis senti dans l’obligation de changer ; la sensibilité de la boîte correspond tout à fait à la mienne.

Comment as-tu rencontré Sullivan le Postec, le créateur de la série Les Engagés ?

Ce projet est venu un peu par hasard ! Au moment où j’ai commencé à produire, on a accueilli une directrice du développement, Fanny Mary, qui était auparavant l’agente de Sullivan. C’est elle qui m’a présenté Les Engagés.Sullivan était suivi par un diffuseur mais sans producteur ! C’était le moment ou le format 10x10’ commençait à trouver ça place en digital, mais avec peu de diffuseurs. J’ai tout de suite eu envie de défendre le projet, ce qu’il racontait et le message qu’il faisait passer. Sullivan faisait un « « casting » de producteurs, et je pense que notre énergie l’a convaincu. Nous sommes maintenant en développement de la saison 3, nous partons sur un format différent et une autre manière d’écrire le projet.

Quels sont tes projets actuels ?

Je viens de finir le tournage d’une série au Sénégal, un projet ambitieux qui mêle thriller politique et propos universels. C’est une co-production franco-sénégalo-nigerienne qui sera diffusée sur TV5MONDE. Le financement en Afrique est très différent du financement français. C’est compliqué, il faut s’accrocher ! C’est mon premier « gros » projet en terme de format, car il se déroule sur huit épisodes de quarante-cinq minutes, drivés par un showrunner français et deux réalisateurs issus du collectif Kourtrajmé. Pour l’écriture, il y avait dix scénaristes panafricains, qui venaient du Sénégal, de Côte d’Ivoire, du Mali, du Cameroun… ce sont des personnes qui ont un peu d’expérience dans le métier et à qui on a appris à faire de la série longue. Ce projet est un vrai pari. La difficulté de ce projet est que l’Afrique touche difficilement le public français et international. Il y a une sorte de point d’interrogation autour de ce continent, alors qu’il s’y passe énormément de choses.

Comment trouvez-vous les projets chez Astharté & Compagnie ?

On nous envoie beaucoup de scénarios, même si nous nous apercevons vite que 90% des projets reçus ne correspondent pas à ce que nous produisons. En parallèle, nous avons un réseau intéressant d’auteurs, et il y a toujours des découvertes qui se font. Je suis très axé sur le lien que l’on peut avoir avec les personnes, au-delà du projet. On peut se tromper avec le scénariste, mais quand on rencontre la personne, il y a un lien de confiance qui se créé. Nous ne cherchons pas un profil particulier et nous allons souvent voir les agents, parce que c’est important. Ils sont également là pour représenter leurs auteurs et il y a une vraie relation de confiance. Ils savent également très bien cibler les projets en fonction des sociétés.

Nous n’avons pas vraiment de ligne éditoriale, on fonctionne au coup de cœur, on va chercher des projets que l’on a envie de défendre. Notre marque de fabrique est la production de projets engagés, sociétaux, politiques… mais Sophie a aussi fait beaucoup de polar. Nous travaillons aussi sur des projets humoristiques comme Vestiaires, mais il y a quand même un fond sociétal derrière. Nous avons toujours cette envie de défendre un propos particulier, cela ne nous intéresse pas de faire de la comédie pour de la comédie. Par ailleurs, Sophie me laisse toute la place dont j’ai besoin et quand j’ai besoin d’elle, elle est là. J’ai la chance d’avoir l’accompagnement de quelqu’un avec plus de trente ans d’expérience et qui sait pointer les soucis. Lorsqu’elle développe ses projets, je fais aussi partie des discussions et j’interviens sur la partie littéraire.

On aime aussi amener des jeunes auteurs à aller plus loin. Par exemple, on accompagne Sullivan sur des projets plus longs en ce moment. S’il est compliqué de faire des premiers films en télévision, il y a un vrai espace sur le web.

As-tu déjà eu de mauvaises expériences avec des scénaristes ?

Nous avons eu des projets pour lesquels il y a eu des problèmes d’égo ou de compréhension. Un scénariste avec peu d’expérience a souvent cette vision biaisée ou mal comprise du producteur. La définition d’un producteur est très vague, ce n’est pas uniquement lié à l’argent. Il doit y avoir une relation de confiance entre le scénariste et le producteur, ainsi qu’avec le reste de l’équipe. Si cette confiance est là tout est possible et nous pouvons régler n’importe quel problème en bonne intelligence.

D’ailleurs, je conseille souvent aux scénaristes de prendre un agent. Ils sont plus tranquilles pour le contrat, sont bien représentés et cela peut leur ouvrir d’autres opportunités. L’agent est là pour mettre le scénariste en confiance. Si l’auteur est jeune, il découvre un contrat de vingt-cinq pages qu’il ne va pas forcément comprendre. Cela peut poserproblème dans son travail derrière. Payer une commission d’agent pour s’assurer d’une relation saine avec un auteur n’est pas de l’argent perdu.

Laisses-tu beaucoup de libertés au scénariste dans l’écriture, ou au contraire préfères-tu suivre de près le développement ?

Les deux. Les contraintes que je vais lui donner seront surtout dans le temps, plus que dans ce qu’il va développer. Je vais en tout cas le laisser aller loin, parce que je pense qu’un scénariste a besoin d’aller loin. Si je le restreins tout de suite pour des questions d’argent, cela va le bloquer dans son processus créatif. Pour Les Engagés, si l’on avait restreint Sullivan au départ, nous n’en serions pas arrivés là. Nous avons fait confiance à l’histoire en sachant qu’elle nous aiderait, par la qualité du propos, à trouver du financement. Je laisse donc beaucoup de liberté au scénariste. J’aime aussi passer du temps avec lui et parler d’autre chose que du scénario. Je pense qu’un scénariste a besoin de se sentir en confiance. Je le restreins peu, sauf quand il y a une mise en production. Il est toujours bon d’aller loin, même s’il y a une forme d’exigence quelque part, notamment en fonction du diffuseur. Au-delà de la contrainte, ce sont plutôt des adaptations. Un projet doit avoir une souplesse dans son écriture. Il peut changer, on peut le réadapter comme on le réadapte au montage, et il faut que le scénariste le comprenne. Cela est parfois compliqué pour un auteur de comprendre qu’il faut qu’il bouge des choses. Il faut que le scénariste se rende compte seul que le projet ne pourra pas se faire s’il n’effectue pas certains changements.

Comment développes-tu un projet avec un scénariste ?

Au départ je vais signer une option ou une cession. Si je sens bien le scénariste, j’aime l’emmener au bout de son idée à lui, quitte à revenir en arrière ensuite. Jepréfère déjà qu’il commence seul, que l’on aille au bout de quelque chose pour lui, toujours dans cette idée de processus créatif. Si, à un moment, je sens un blocage quelque part, dans la narration ou la structure, nous le ferons accompagner d’un autre scénariste. L’idée avant tout est d’aller au bout de la personne, au bout de son idée et les décisions seront prises ensuite. Je préfère prendre le temps avant d’aller voir un diffuseur, j’ai envie que l’on soit content du projet. L’idée est de pouvoir faire la différence par rapport aux autres projets.

Aurais-tu des conseils pour quelqu’un qui souhaiterait se lancer dans la production ?

Je crois qu’il faut prendre le temps et se poser les bonnes questions pour faire les bonnes rencontres. Le métier de producteur est beaucoup lié à des rencontres qui vont permettre d’avancer. Il ne faut jamais arriver en étant trop sûr de soi, surtout si l’on nevient pas du milieu. Moi par exemple, je ne viens pas de ce milieu, et je pense que la meilleure chose que j’ai faite a été d’écouter les gens autour de moi. Ce ne sont pas toujours de bons conseils, mais je les ai écoutés et cela m’a servi. On tisse des liens et logiquement, ils ne se perdent pas. Nous avons un métier de réseau, mais de réseau sain. Je ne considère pas le producteur d’une autre société comme un concurrent, mais plutôt comme un collègue, et l’on doit s’appuyer sur les compétences des uns et des autres. Je fais partie de la Commission des Nouveaux Médias au SPI (Syndicat des Jeunes Producteurs Indépendants) et je remarque qu’il y a de plus en plus de producteurs dans ce domaine. Un virage est en train de se faire. L’idée est de se soutenir ; il faut écouter, regarder ce qui se fasse et le faire en bonne intelligence. Mais ce n’est pas facile, on est beaucoup sur le marché.

Il faut donc déjà apprendre le métier, savoir comment cela se passe, voir comment les autres font pour ensuite créer son propre modèle, parce qu’il n’y a pas de modèle parfait ; comme pour chaque métier ! Je considère le métier de producteur comme de l’artisanat, nous sommes des gens qui touchons à tout. Nous avons un respect des autres métiers et des spectateurs. Il ne faut pas oublier que nous racontons des histoires aux gens. Ce n’est pas un métier avec un enjeu particulièrement énorme ; toutefois, il ne faut pas oublier non plus qu’en télévision, chaque soir entre trois et cinq millions de personnes regardent un film. Cela est valable aussi pour les plateformes de diffusion, ou pour le web. Donc nous nous devons de faire quelque chose d’intelligent. Je cherche à produire des projets qui ont leur place, pour que les spectateurs puissent en débattre après.

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