Bertrand Levallois : “Il faudrait que tous les acteurs puissent avoir accès au budget d’un projet”

Après avoir monté un studio de création d’effets spéciaux et une société de production, Bertrand Levallois a commencé à travailler en tant que producteur chez Wanda Production.

Lia Dubief
Paper to Film
6 min readJun 3, 2019

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Peux-tu nous parler de ton parcours ?

Au départ je ne me destinais pas à la production, je viens du milieu des effets spéciaux. J’ai travaillé chez Mikros Images pendant dix ans en tant que superviseur des effets spéciaux, j’accompagnais les réalisateurs sur la fabrication des effets. J’ai fait des films indépendants comme des blockbusters. Mikros Image est devenue une grosse structure dans laquelle je ne me retrouvais plus vraiment. Je les ai quittés pour monter mon propre studio d’effets spéciaux et de création artistique. J’ai ainsi pu me lancer dans l’accompagnement de projets qui m’étaient plus personnels avec des artistes vidéastes par exemple. Certains réalisateurs m’ont demandé si la collaboration pouvait aller plus loin, donc j’ai monté une société de production. Les choses ont commencé à devenir compliquées car je ne pouvais pas gérer les deux sociétés tout en restant au plus près de mes collaborateurs.

En production il faut être très présent, surtout sur le développement, donc je ne pouvais pas me permettre de garder les deux sociétés. Je suis entré en Mars 2016 chez BlackPills avec comme objectif d’ouvrir la plateforme au mois de novembre. Nous avions 25 séries à produire avant l’ouverture et nous n’avions à ce moment-là que des pitchs. Le pari était fou, il y avait des projets tournés partout dans le monde. C’est cette expérience qui m’a donné envie de m’engager dans la production, car je me suis rendu compte qu’il existait des pratiques très différentes.

Comment es-tu arrivé chez Wanda Production ?

Wanda Production, après vingt-sept ans d’existence, est devenue incontournable dans le domaine de la publicité. La société travaille majoritairement à l’international et 90% des réalisateurs qu’elle représente sont étrangers. J’ai rencontré les membres de cette société lorsque je travaillais pour BlackPills en tant que directeur des productions. J’ai fait cela pendant un an et demi et fait vingt-cinq séries tournées un peu partout dans le monde. La difficulté était de trouver des producteurs qui intègrent notre attachement à la grille de programmation afin de pouvoir tenir la promesse de sortir une nouvelle série par semaine avec une grande diversité. Nous avons donc recherché des producteurs partenaires dans le monde de la publicité, puisqu’ils étaient habitués à ces exigences de planning. Nous avions toutefois une certaine méfiance au vu des sommes considérables qui sont généralement utilisées pour réaliser quelques secondes de publicité. Nous avons rencontré Wanda Productions qui nous a exposé une liste de réalisateurs très intéressants et innovants.

J’ai rejoint officiellement Wanda en Septembre dernier et j’ai décidé de lancer une activité de production. Nous nous sommes interrogés sur ce que l’on pourrait proposer de nouveau. Ce qui manque cruellement dans le paysage français, c’est la relation avec le réalisateur. À l’inverse, l’identité de Wanda s’est construite grâce à des relations de longue durée avec des réalisateurs.

Quels sont tes objectifs en tant que producteur ?

Notre but est de trouver des jeunes talents, afin de mettre le réalisateur au centre de chaque projet. Les réalisateurs rattachés à Wanda ne sont pas nécessairement des auteurs et nous avons besoin d’histoires ! Je travaille avec une société qui s’appelle Best-Seller to Box Office, qui fournit une veille littéraire en fonction des critères que je sélectionne. Chaque semaine je reçois plusieurs pitchs sur des livres qui ne sont parfois pas encore sortis. Cela nous permet de nous positionner assez rapidement. Je suis actuellement en train de négocier les droits de deux œuvres et des questions commencent à se poser : quelles combinaisons va-t-on placer en face de chaque histoire ? Nous expérimentons plusieurs choses pour garder la maîtrise du projet. Nous essayons actuellement de travailler avec plusieurs auteurs et ainsi de faire en sorte que le projet soit mené de manière collective. Il y a aussi la possibilité de trouver des projets qui sont déjà à un stade avancé grâce à des plateformes comme Paper to Film.

Mon objectif est de souder des liens avec des sociétés étrangères afin de travailler de plus en plus en co-production. J’ai récemment lancé des partenariats avec des productions britanniques et canadiennes, nous nous échangeons des projets et partageons nos tâches sur l’accompagnement et la réalisation.

Avez-vous une ligne éditoriale ?

Chez Wanda nous sommes assez diversifiés, à l’image des chaînes de télévision nous pouvons produire des comédies, du drame, du thriller, de la science-fiction. Ce qui nous importe c’est la manière dont le projet sera traité. Un film ne sera pas fait de la même manière s’il est destiné à TF1 ou à Arte. Nous voulons trouver une identité qui soit propre à Wanda et qui passe par l’inventivité et l’innovation. Les diffuseurs français commencent à s’intéresser à la nouveauté et à aux jeunes circuits de production qui sont moins classiques. Aujourd’hui, rien ne nous empêche de travailler avec d’autres territoires, le monde est plein de possibilités !

Sur le choix des sujets nous sommes très ouverts. Beaucoup d’histoires ont déjà été racontées, donc ce qui est intéressant c’est comment on va raconter ces histoires, comment on va rénover des thématiques, comment on va remplacer des enjeux.

Quels sont les derniers projets que tu as accompagnés ?

Cette année j’ai participé à l’appel à projet lancé par France Télévision sur les contenus digitaux. L’une des catégories s’intitulait « comédie high concept », nous avons proposé une série sur un univers inédit. Celle-ci se passe à notre époque, mais nous partons du principe qu’en 1906 toute la côte Ouest des États Unis a été rasée et l’industrie du cinéma n’a pas pu se développer à Los Angeles. Donc l’industrie s’est développée là où le cinéma est né : en France. Dans cet univers possible, Montreuil compte une myriade de grands studios et affiche son nom en grandes lettres blanches. Les grosses franchises ne sont plus Star Wars ni James Bond mais Arsène Lupin et Fantomas. Il y a des réalisateurs américains comme Steven Spielberg qui sont refusés et qui font des téléfilms aux États Unis. L’intrigue est finalement assez classique, mais l’univers est très fort. Avec cette série nous avons fait partie des finalistes, ce qui nous a valu d’être contactés par tout France Télévision.

Comment envisages-tu la relation auteur/producteur ?

Cette relation part d’une vision commune sur un projet. C’est pour cette raison que je discute beaucoup avec un auteur avant de m’engager. Ce n’est pas parce que j’ai lu sa bible ou son traitement que j’ai compris le projet et la vision de l’auteur. À cela vient s’ajouter l’aspect personnel de la relation, qui nécessite une entente professionnelle et artistique, mais aussi humaine.

J’essaie de m’impliquer beaucoup dans la création, je suis très présent dans l’accompagnement. Avec les auteurs, nous nous voyons régulièrement pour faire des points et discuter sur l’écriture. C’est là que la relation de confiance devient essentielle. Il faut réussir à accorder nos avis et nos envies, et cela n’est possible qu’en évitant les rapports d’ego.

À quoi ressemblent tes journées ?

En général j’essaie de suivre une semaine type. Wanda a de très beaux bureaux qui sont à Aubervilliers, mais qui sont assez loin de tout. J’ai beaucoup de rendez-vous qui se font dans Paris, du coup je me laisse une ou deux journées pour faire ces rendez-vous. Mon emploi du temps est divisé en deux parties : l’accompagnement et la recherche de projets. Il m’arrive aussi régulièrement de consacrer des journées entières à la lecture de scénarios ou à la rencontre de nouveaux auteurs.

Pour les réunions de développement, je préfère qu’elles ne soient pas trop longues. Cela permet de nous forcer à être rapides et à suivre un ordre du jour défini au préalable. Il peut y avoir quelque chose d’un peu frustrant, mais je suis convaincu que ces cadres soutiennent nos relations professionnelles et nous rendent plus efficaces.

Comment pourrait-on améliorer la production en France ?

En travaillant avec des auteurs et des réalisateurs étrangers, je me suis rendu compte qu’il y a des manières de procéder qui permettent plus d’assurance et d’efficacité. On peut proposer des contrats plus formels qui définissent l’embauche sur une période donnée. Les auteurs étrangers sont habitués à ces systèmes et sont capables de fournir un très bon travail tout en entrant dans les délais que l’on s’était fixés. Ils sont par ailleurs très partants pour des co-écritures, qui ne sont à mon sens pas assez encouragées en France par les producteurs.

Alex Berger a écrit un très bon rapport récemment, dans lequel il affirme que le système pourrait s’améliorer en France s’il était plus transparent. Si tout le monde pouvait avoir accès au budget d’un projet, on aurait mieux conscience des postes sur lesquels l’argent est dépensé.

Bertrand Levallois est producteur chez Wanda Production.

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