Brice Emiel : “Le documentaire nous apprend à sentir la justesse de chaque situation, c’est très utile pour la fiction”

Auteur-réalisateur de plusieurs films, Brice Emiel revient avec nous sur les apports de l’expérience documentaire dans l’écriture de fiction.

Lia Dubief
Paper to Film
9 min readJul 15, 2019

--

Comment t’est venue l’envie d’aller vers le cinéma ?

L’élément déclencheur est arrivé dès mon enfance, avec les comédies à l’italienne des années 1960 et les Westerns. Au début, je voulais être dans le film, donc je croyais que je voulais être comédien pour être Zorro pendant 1h30 ! J’ai écrit ma première histoire en répondant à un concours proposé par un des magasines féminins que ma mère lisait. J’avais douze ans, et déjà il y avait des thématiques que je retrouve aujourd’hui. J’adorerais avoir accès à mes écrits d’enfance, malheureusement ils ont disparu entre plusieurs déménagements. J’ai fait mon premier court-métrage en Super 8 à dix-sept ans, je l’ai tourné sur les toits de Paris. Après le lycée, j’avais envie de faire une école de cinéma, donc je suis entré dans une classe préparatoire à l’IDHEC, que j’ai rapidement laissé tomber. Ensuite j’ai commencé à travailler tout en étudiant l’actorat au Cours Simon.

À ce moment-là, j’ai participé à un concours de scénario lancé par le GREC. J’ai été lauréat de ce concours, ce qui m’a permis de récolter des fonds pour le réaliser. C’était encore à l’époque de l’argentique, et je n’y connaissais rien ! On m’a prêté une caméra Super 16 et j’ai monté une petite équipe pour le tournage dans le pays Basque. Pour le montage, on m’a prêté une salle aux ateliers Varan et j’ai appris à monter. La projection au CNC a été un moment assez amusant, puisque les autres courts-métrages avaient été faits avec bien plus de technique, et le mien à côté avait quelque chose d’un peu brouillon. Cela m’a tout de même permis de me rendre compte que mon souhait le plus profond était de faire des films. Tout me plaisait dans le processus d’invention et de fabrication. Après j’ai commencé à faire des courts-métrages produits avec différentes maisons de production.

Quels sont tes projets actuels ?

Dernièrement, j’ai eu connaissance via Paper to Film d’un appel à projet sur le thème du travail des producteurs et du cinéma, ce qui m’a fait repenser à un projet que j’avais. En reprenant certains points, j’ai pu faire de nouvelles propositions sur ce sujet qui me plaisait. Depuis quelques années, j’alterne de plus en plus entre les projets de fictions et les films documentaires. Sur les documentaires que je réalise, je suis souvent à la caméra et au montage.

J’ai eu plusieurs projets de fiction contractés avec différentes productions, et finalement avortés à différents stades de développement, donc je suis entré dans une démarche où j’écris plusieurs projets en même temps. Il y a deux ans, j’ai signé un contrat avec une production sur un synopsis. Nous sommes arrivés à une version suffisamment aboutie pour entamer la préparation du tournage et commencer le casting, mais malheureusement nous ne sommes plus en accord sur nos visions du projet. En discutant avec d’autres scénaristes, je me rends compte que c’est malheureusement un peu le lot de ce métier. En parallèle de cela, j’ai un long-métrage initialement écrit pour le cinéma, qui a été optionné par une autre société de production pour en faire un unitaire télé. J’ai aussi écrit plusieurs projets de séries télé, dont trois sont actuellement en option ou en développement avancé avec des productions.

Quelle est ta méthode d’écriture ?

Sans formation au départ, j’ai fini par me créer une méthode assez instinctive. Par ailleurs, j’ai suivi des formations auprès de Truby, Mac Kee, Vogler, Kaplan pour la comédie et Lusuardi pour la série télé. Cela m’a appris beaucoup de choses sur la structure. Pour ce qui est de la méthode, je pars toujours des personnages. Ce qui me plait dans les films en tant que spectateur, ce sont les comédies sociales à l’anglaise ou à l’italienne, dans lesquelles il y a des personnages très bien campés, parfois très typés.

Pour stimuler mon inspiration, tous les matins je navigue sur Internet pendant une heure, je lis des sujets divers. Je suis à la recherche de faits et d’histoires insolites sur lesquelles je prends des notes. J’ai des fichiers entiers de notes sur des idées de films. Il m’arrive de me replonger dedans pour nourrir des projets en cours. En 2011, j’ai commencé à écrire une série télé à partir de deux faits divers relatant des vols de sacs à main à l’arrachée sur des grands-mères. Malheureusement pour les jeunes délinquants, ils sont tombés sur des grands-mères qui avaient de la ressource et qui ont su renverser la situation.

Récemment, on m’a demandé un synopsis et un pilote pour une série télé à partir de ce sujet. Le rendu que l’on me demande est assez court et synthétique, mais pour arriver à ce résultat, je dois passer par une phase où j’écris en grande quantité. Je vais peut-être faire cent pages de recherches avant de réduire pour arriver aux sept pages de synopsis qui m’ont été demandées. Je prépare bien la base en amont, pour ne pas avoir à revenir là-dessus plus tard. Je passe plusieurs jours à définir chaque personnage, je fais des listes de caractéristiques pour chacun. Je vais chercher des synonymes et des antonymes afin de soulever les points de contradiction. Chaque personnage doit permettre une exploration d’un des thèmes de la série. Et c’est l’évolution de mon personnage qui va dicter les péripéties de l’histoire.

Quelle place l’écriture prend-elle dans ton quotidien ?

J’écris le plus possible, tous les jours. J’ai toujours plusieurs projets en cours, à mener de front. Dès le réveil, j’écris. C’est pour moi le moment où je sens que je peux avoir un regard neuf, clarifié par la nuit. Dans le noir, avant d’ouvrir les volets, c’est là que j’ai les meilleures idées. Je note aussi des choses au moment d’aller me coucher, car les idées continuent de travailler pendant la nuit et je peux les reprendre au matin. Dans ma journée, je travaille au moins jusqu’à 14h à l’écriture et après je sors pour des rendez-vous. Je reprends l’écriture le soir quand je rentre chez moi. Je m’arrête souvent tard dans la nuit. Quand je suis fatigué, je me rends compte que je tranche plus facilement, mon jugement est plus intraitable.

J’ai la chance d’avoir un petit endroit au bord de la mer, donc je pars aussi là-bas pour des sessions d’écriture. À midi, je m’arrête pour aller au marché, je me promène, puis je rentre et je reprends mon travail.

As-tu des affinités pour certains genres en particulier ?

Ce n’est pas nécessairement le cas pour les genres, mais il y a des thèmes et des émotions qui reviennent souvent dans ce que je fais. J’aime explorer l’univers de la famille. Prise au sens large, cela signifie aussi amour et amitié, la famille c’est la solidarité. J’aime aussi les personnages qui sont en quête de rédemption ou qui se trouvent dans un parcours initiatique. Un personnage qui revient souvent, c’est celui de l’enfant. Les enfants peuvent avoir une réflexion très poussée, et en même temps, ils ont encore tant de choses à découvrir !

Dans mes documentaires, je m’attache souvent à suivre des personnages âgées. Au fil de mes expériences, je me suis rendu compte que les jeunes font très attention à leur image, alors que les personnes âgées sont plus libres et détendues devant une caméra. Ils ont traversé la vie, et ils ont des choses à raconter. Mon long-métrage parle du milieu des EHPAD.

Est-ce que tu prépares différemment les films de fictions et les documentaires ?

Je ne veux pas trop écrire à l’avance pour les documentaires, sauf que dans le système français, si le projet n’est pas écrit il ne peut pas être financé. Quand je fais un documentaire, tout part d’une rencontre, il y a une sorte d’urgence à filmer un processus naissant. On ne peut pas se dire qu’on le fera dans six mois, les choses nous arrivent, à l’instant. Je préfère écrire en tournant. J’ai appris cette technique du cinéma direct aux Ateliers Varan. On n’utilise pas l’interview, on ne pose pas de questions. Il faut être là, et en même temps s’effacer pour laisser place au déroulé de la vie. Je travaille presque en tourné-monté. Pour le montage, je fais comme si je montais un film de fiction, mais avec des personnages qui existent vraiment. Je ne vais pas convoquer un narrateur ou une voix off. Ce qui m’intéresse c’est de chercher sur le moment, grâce à l’instinct, à saisir quelque chose d’authentique qui ne se reproduira pas. Quand on n’a pas le droit à une seconde chance, il faut rapidement savoir où se placer, il faut choisir son angle de vue mais également ce que l’on veut raconter, dans une scène qui ne se passera qu’une fois. Je suis obligé de travailler dans une certaine économie. Souvent, je réussis à vendre mes documentaires après-coup.

Le documentaire est une forme très utile pour appréhender la fiction, cela nous apprend à être dans la justesse de la situation. La mise en confiance des personnes que l’on va filmer, c’est déjà une forme de direction d’acteur. Pour moi, le documentaire est un pont permanent avec la fiction. Il nous apprend à capter la vie à travers l’objectif d’une caméra, à étudier le comportement humain et à avoir la bonne distance par rapport à une situation, un sujet, un personnage. Il nous apprend aussi à faire des choix, à développer la mise en confiance des êtres que tu filmes, à devenir plus juste dans l’écriture des personnages et des dialogues. Il développe un regard, un œil, un ton, une mise en lumière des détails et de l’essence d’une scène.

Peux-tu nous parler de tes projets sur Paper to Film ?

Il y a Petit Chef, un conte social sur un enfant Syrien de douze ans. Il débarque à Paris orphelin, et se retrouve recueilli par des SDF qui vivent sous la dalle du quartier de la Défense. Cette communauté de sans-domiciles, de laissés pour compte et de petits trafiquants survit comme elle peut sous un des quartiers les plus riches de Paris. Le jeune garçon sait cuisiner et commence à faire à manger pour toute la communauté. Il rencontre quelqu’un qui a un bar juste au-dessus de là où il vit, et cette personne lui offre son soutien et le recueille. L’enfant se met alors en tête de monter un restaurant solidaire.

Il y a une série télé humoristique et politique qui s’appelle Stand Up et qui raconte l’histoire d’un berger dépressif qui va inventer le stand up dans la Grèce Antique. Il y a de grandes similitudes avec l’époque que nous sommes en train de vivre, beaucoup de gens rêvent d’un grand changement. Ce berger est vendu en tant qu’esclave, il a tout perdu et n’attend plus que la mort. Il fait tout pour mourir, mais il n’y parvient pas et cela fait rire les gens. Il a beau supplier qu’on le jette aux lions, rien n’y fait. À chaque fois qu’il entre dans une arène et que sa vie se joue à l’occasion d’un défi, il est toujours gracié. Les gens se reconnaissent en lui et s’attachent à ce personnage qui va devenir la coqueluche du tout Athènes. Petit à petit, des groupes politiques tentent de le récupérer. Le problème, c’est quand on commence à prendre conscience de son pouvoir, on risque de perdre son humour. Et lui, va se mettre en tête de prendre la place de l’empereur.

Peux-tu nous dire quelques mots de ton long-métrage ?

Cela va faire deux ans que je développe La ballade des gens heureux. C’est l’histoire de Paul, un père de famille de quarante ans, divorcé. Son ex-femme veut reprendre la garde de leur fille de neuf ans. Paul est endetté et va perdre son apparemment, il doit tout faire pour chercher de l’argent afin de garder son logement et sa fille. Il se rend à Pôle Emploi où il affirme qu’il saurait faire de l’animation dans les maisons de retraite. Il va embarquer avec lui deux amis chômeurs, et sa fille, pour une tournée des EHPAD pendant l’été. En apportant du bonheur un peu partout, ils vont ressortir de cette aventure grandis.

Ses projets sur Paper to Film :

Petit Chef : Selim, orphelin syrien de 12 ans arrivé clandestinement à Paris, est recueilli par des SDF qui vivent sous la Défense. Il devient leur homme à tout faire et rêve d’ouvrir un restaurant solidaire.

Stand up ! : Dans l’Antiquité, un esclave dépressif réclame d’être jeté aux lions mais fait rire les foules. Maintenu en vie par le tyran de l’époque, l’esclave désabusé invente malgré lui le stand-up comique.

--

--