Caroline & Éric du Potet : “on a réalisé que le métier était difficile et qu’il fallait qu’on se serre les coudes”

Retour sur le métier de scénariste avec Caroline et Éric du Potet, un duo fraternel.

Lia Dubief
Paper to Film
9 min readMay 23, 2018

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Éric et Caroline du Potet. Photo Carine Lautier

Bonjour Caroline et Éric. Vous êtes frère et sœur et cela fait plusieurs années que vous écrivez à deux. Comment êtes-vous arrivés au cinéma ?

Éric du Potet : À la sortie du lycée, j’ai fait un DEUG d’Histoire car je voulais intégrer la Fémis et il fallait justifier de deux ans d’études supérieures. Finalement, je me suis orienté vers l’ESRA Paris. Avant cela, j’ai suivi une formation à l’IMCA Provence pour apprendre les bases du scénario. L’ESRA m’a quant à elle permis de développer le côté technique. Durant mon cursus, j’ai pu effectuer un stage en production chez Partizan Midi-Minuit. Après les trois ans de formation, j’ai travaillé sur plusieurs courts-métrages à différents postes : assistanat, régie, chef opérateur… Cela m’a permis de mieux appréhender les tournages. Puis Caroline a fait son parcours et nous avons commencé à faire des courts métrages ensemble.

Caroline du Potet: Je suis entrée à l’ESRA juste après Éric, directement à la sortie du lycée. Puis j’ai intégré le CEEA, la formation de deux ans, pour avoir une base plus approfondie en scénario. Ensuite j’ai fait l’École du Louvre. Durant une année, mes études au CEEA et à l’École du Louvre se sont chevauchées, ça a été très intense. Ces deux formations ont beaucoup enrichi ma culture personnelle. Puis on a fait six courts métrages ensemble avec Éric pendant cinq ans. Le premier était autoproduit et aidé par le « défi jeune », un dispositif d’aides organisé par la Région île de France. Pour les autres courts-métrages, on s’est débrouillés comme on a pu mais nous n’avons pas eu de production officielle. Ce qui est improbable, c’est que l’on a eu moins de mal à trouver un producteur pour notre long-métrage que pour nos courts.

Avez-vous toujours travaillé tous les deux ou vous est-il arrivé de collaborer avec d’autres co-auteurs, voire d’écrire seul ?

CdP : Il nous arrive de travailler sur des projets différents. Nous avons des thématiques communes, mais on peut se séparer pour travailler avec d’autres auteurs. En revanche, il est très rare que l’on écrive seuls. À deux, il y a une dynamique plus porteuse, une sorte de jeu de ping-pong qui est intéressant. Très vite, on a réalisé que le métier était difficile, et qu’il fallait qu’on se serre les coudes avec Éric.

ÉdP : En travaillant avec ma sœur, je prends moins de gants, mais quoi qu’il arrive, je préfère travailler à plusieurs. À titre personnel d’ailleurs, je connais peu de scénaristes qui travaillent seuls.

Vous avez de nombreux projets en cours. Comment vous motivez-vous pour écrire au quotidien ?

CdP : Je n’ai jamais eu l’angoisse de la page blanche. Il y a toujours beaucoup de sujets dont nous voulons parler. Maintenant, on essaie de mieux tenir compte de ce que les producteurs recherchent. Quand on était jeunes, on se bridait moins, mais aujourd’hui on attend de trouver un producteur et un créneau pour se lancer.

ÉdP : Au quotidien, je me lève, je prends ma douche, mon café, et je me mets à travailler dans ma chambre. Je travaille aussi le week-end. Pourtant, je peux très bien ne pas écrire pendant trois jours. Mais il ne se passe pas une journée sans que je pense à une nouvelle idée. Je la laisse dans ma tête pendant une semaine. Si au bout de quelques jours je l’ai un peu oubliée, c’est que cette idée n’était pas bonne. En général, j’en parle à Caroline. Dans le même temps, je vais voir sur internet si cette idée n’a pas déjà été faite. Je pars du principe que faire un film demande énormément de travail et je ne travaillerai jamais sur un sujet qui a déjà été très bien traité.

CdP : On fonctionne beaucoup sur l’idée à l’épreuve du temps. Au bout de plusieurs mois, si on considère toujours que notre idée est bonne, on tient peut-être quelque chose. Éric ne fait jamais de coupure. Il travaille un peu tous les jours. Moi je travaille la semaine, mais pas le week-end. Ensuite, cela dépend à quel stade du scénario on se trouve. Si on est au début du développement, on fait beaucoup d’après-midis de brainstorming, de discussions… Enfin, Éric fait une première version, je repasse dessus, on en discute, il refait une version, je repasse dessus, etc… On se voit surtout en début de projet puis après on s’envoie nos écrits. Ça permet d’avoir un scénario unifié. On ne sépare pas les scènes en fonction de chacun.

ÉdP : En revanche, Caroline a toujours la dernière formulation de la phrase, les derniers fignolages.

Quand vous avez un projet à maturité, comment commencez-vous à écrire ?

CdP : Quand on écrit un scénario, on le fait de manière très scolaire ; c’est peut-être dû à ma formation au CEEA. On forme d’abord la structure. Je travaille beaucoup avec des camemberts, je crée un diagramme à partir des principaux éléments dramaturgiques, cela me permet d’avoir plus de visibilité sur l’ensemble de l’histoire. Si on n’est pas obligé de faire un synopsis, on fera obligatoirement un séquencier. Ce n’est qu’à la fin du processus qu’on commence à dialoguer. On ne se lancera jamais dans une continuité dialoguée sans être sûrs de la structure. On aime le cinéma avec des non dits. Quand on peut faire passer une action autrement que par le dialogue, on le fait.

ÉdP : Ce que l’on fait beaucoup, c’est écrire des synopsis de dix pages que l’on fait lire à plusieurs camarades scénaristes.

CdP : On aime avoir des retours, en faisant attention à qui on fait lire nos projets et sans avoir trop d’avis différents. Sinon, on peut vite s’égarer. Je conseille d’ailleurs aux scénaristes débutants de faire lire leurs projets quand ils sont sûrs de ce qu’ils ont écrit.

Avez-vous d’autres conseils pour des jeunes scénaristes ?

CdP : Ne pas travailler sur un seul projet, car il y a neuf chances sur dix qu’il ne se fasse pas. On ne peut pas tout miser sur un scénario sinon cela peut devenir très dur psychologiquement. Par exemple, notre premier film nous a permis de vivre quelques années grâce aux droits d’auteur. Ensuite, comme nos projets cinéma avaient du mal à avancer, on a fait des projets de télé et vendu des options qui nous ont permis de continuer à écrire. Depuis deux ans, on arrive à vivre totalement de notre métier.

ÉdP : Je pense que c’est notre force aussi : on se relève très facilement. Ce qui fait un bon scénariste est son sens de la patience, de la détermination et du travail. Le talent s’entretient. Il faut se nourrir en lisant, en voyageant, en allant au cinéma ou à des expositions.

Comment naissent vos idées ?

ÉdP : On pense en premier lieu à un sujet, puis l’histoire en découle.

CdP : On a d’abord envie de parler d’une thématique. Il est très rare qu’on commence une histoire en partant du personnage. On se demande surtout de quel fait de société on a envie de parler. Nos thématiques sont assez sombres, mais je précise qu’on ne fait pas que du cinéma de genre. On aime tout ce qui a trait à la psychologie des personnages. On n’est pas fermés sur un genre. La preuve, en ce moment on travaille sur un film historique, un drame sociétal et un thriller.

ÉdP : Il faut néanmoins qu’il y ait un fond, même si on fait une comédie. On imagine le personnage qui incarnera au mieux un sujet sociétal. On a par exemple écrit un film sur l’agoraphobie et un autre sur le déni de grossesse pour France 2.

Comment êtes-vous parvenus à travailler aux États-Unis ?

CdP : En France, nous n’avions pas trouvé de producteur pour notre premier long-métrage, mais nous avons pu en rencontrer beaucoup, notamment Antoine Rein de Delante Films. À ce moment il y avait une ouverture dans le genre et nous avons proposé notre thriller Dans ton sommeil. Antoine a été séduit et cela nous a permis de partir en production. Le film est sorti en 2010 mais n’a pas marché en France. En revanche, il a très bien fonctionné à l’étranger et ça reste un film tout à fait rentable. Il a été vendu par TF1 International, il est allé au marché du film à Berlin et nous avons ainsi eu la chance de rencontrer un manager américain. Il nous a fait rencontrer beaucoup d’agents intéressés par des réalisateurs étrangers. Notre agent est Greg Pedicin chez Gersh Agency, basé à Los Angeles. Désormais, de par notre expérience américaine, on peut tout à fait réaliser un projet que l’on n’a pas écrit, ou écrire un projet qu’on ne réalisera pas. On peut séparer l’écriture de la réalisation.

Vous avez travaillé avec un agent aux États-Unis et en France. Quels sont vos retours ?

CdP : Aux États-Unis, on en a un parce que c’est plus compliqué de contacter des producteurs. C’est très hiérarchisé, on ne saute pas les étapes. Là-bas, je pense qu’on ne pourrait pas s’en passer. Les agents américains sont plus actifs. Le nôtre nous envoie des scénarios déjà écrits, et on postule ensuite en tant que réalisateurs. On a été pris pour l’instant sur deux projets, dont un qui était un thriller qu’on a réécrit. Ce projet nous a pris du temps et ne s’est finalement pas fait. Puis on a été pris sur un autre projet qui n’a malheureusement pas abouti. Aux États-Unis aussi, beaucoup de projets ne se montent pas ! On a été déçu de notre agent en France par rapport à ce qu’il nous apportait. Comme on est deux et qu’on a le temps de faire un travail de démarchage, on n’en a pas eu vraiment besoin. On a quitté notre agent par choix commun, ce n’était pas dans le conflit. C’est un choix, on est désormais avec un avocat qui travaille au forfait et qui négocie certains contrats. Peut-être qu’on a raté des plans sans agents, mais on a tendance à appeler nous-même les producteurs, donc on n’a pas besoin d’intermédiaire dans la chaîne.

ÉdP : Ça ne nous dérange pas d’aller au devant des gens, mais on comprend que ce n’est pas le cas de tout le monde. On n’est pas fermé aux agents, mais notre expérience n’a pas été concluante pour l’instant.

Quelle relation entretenez-vous avec les producteurs ?

ÉdP : J’attends trois choses d’un producteur avec lequel je compte travailler. Il me paraît essentiel qu’il ait d’abord une bonne cinéphilie. Ensuite, tout en me laissant libre de mes choix, j’aime que le producteur m’accompagne au quotidien, qu’il puisse répondre à mes questions, que je puisse le joindre. Enfin, il faut que le producteur se batte à toutes les étapes du film, de la recherche d’acteurs jusqu’au moment de la promotion. Il est important qu’il soit impliqué de A à Z, notamment durant l’écriture.

CdP : On ne diabolise pas le producteur, au contraire. Je pense qu’il est bénéfique pour le côté artistique. Si un producteur refuse un projet, ce n’est pas forcément lié à la qualité du travail. Il y a plein de facteurs qui entrent en compte. Derrière un refus de producteur, il y a parfois des raisons indépendantes du scénariste, et son retour est toujours intéressant. Pour moi, un bon producteur doit suivre le projet. Le feeling est aussi important.

Comment avez-vous découvert Paper to Film ?

CdP : Nous avons connu la plate-forme grâce au site des Lecteurs Anonymes. Un article sur Paper to Film était paru dans la newsletter, et nous sommes allés voir ce que c’était.

Leurs projets sur Paper to Film :

La Ruche : Le quotidien mouvementé d’une ambassade de France à l’étranger, entre luttes de pouvoir et affaires privées, au sein du corps diplomatique mais aussi du petit personnel.

Coup de patte : Un jeune lieutenant de gendarmerie se retrouve forcé de collaborer au sein d’une cellule spéciale avec une quinquagénaire bénévole dans une association de protection animale.

Les Yeux fermés : L’histoire vraie d’une infirmière qui va se lier d’amitié avec une jeune malade sur internet… Très vite, cette relation va envahir son quotidien et prendre le pas sur tout le reste…

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Le blog officiel de Paper to Film, la première plateforme de mise en relation entre scénaristes, producteurs et agents. // The official blog of Paper to Film, the first network connecting scriptwriters, agents and producers

Lia Dubief
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Written by Lia Dubief

Collaboratrice de Paper to Film