Claire Barré : « Lorsqu’on écrit, on se met un peu à nu car on n’a pas d’autre choix que d’être sincère, de chercher la vérité des personnages, des situations, des actions. »

Romancière et scénariste, Claire Barré s’est entretenue avec nous et revient sur son parcours

Orlane
Paper to Film
10 min readMay 13, 2020

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crédit photo : Emmanuel Barrouyer

Quel est votre parcours de scénariste et de romancière ? Pourquoi avez-vous choisi l’écriture dans le cinéma ?

Écrire et vivre de l’écriture a toujours été mon rêve d’enfant. J’ai d’abord fait des études aux Langues Orientales, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas vraiment ma voie. J’ai donc poursuivi par des études théâtrales aux Cours Simon. Par la suite, j’ai commencé à écrire avec une amie pour le café-théâtre. Nous avons notamment écrit et joué un two women show. Et c’est lors d’une représentation au Point-Virgule que deux producteurs nous ont proposé d’écrire pour une émission télévisée jeunesse ; les Minikeums. J’ai donc appris à écrire sur le tas, dans un milieu où il y avait un rythme très soutenu de production : il fallait écrire une dizaine de sketchs par jour. Cette expérience fut pour moi un premier accomplissement personnel, où j’étais payée pour écrire. Puis, un ami m’a parlé du CEEA et m’a encouragée à tenter le concours. J’ai ainsi fait deux ans de formation dans cette école. J’avais l’impression de vivre un rêve enfin devenu réalité, puisque nous écrivions et créions chaque semaine. On m’avait toujours répété qu’écrire n’était pas un métier, que c’était juste quelque chose que l’on faisait le dimanche. Pourtant, au CEEA, on me formait pour ce métier et j’étais entourée de personnes passionnées qui avait le même désir de vivre de l’écriture. Parmi de nombreux ateliers scénaristiques proposés par la formation, il y avait aussi quelques ateliers plus tournés vers la littérature, ce qui constituait une ouverture très intéressante sur une autre forme d’écriture. J’ai notamment eu la chance de participer à un atelier encadré par l’intervenant Jean-Bernard Pouy, créateur, entre autres, de la série de romans noirs Le Poulpe.

À la fin de ces études, j’ai co-écrit trois épisodes pour RIS police scientifique, une série TF1. C’était un travail très concret, car les épisodes étaient diffusés rapidement après l’écriture. Cependant, cela restait de la commande et je me sentais assez loin de ce que je voulais vraiment écrire en tant qu’auteure. J’étais donc partagée dans une certaine frustration d’être payée pour écrire mais de ne pas exactement pouvoir écrire ce que je voulais. Je me suis donc mise à l’écriture de mon premier roman, Ceci est mon sexe, qui m’a pris entre cinq et six ans de travail. Ce dernier a constitué pour moi une aventure de longue haleine et sa publication m’a semblé être une pierre essentielle posée sur mon chemin.

En parallèle, j’ai continué à écrire pour la télévision. J’ai notamment participé à l’écriture de Xanadu pour Arte. Mes co-auteurs de l’époque, Éric Guého et William Willebrod Wégimont, et moi-même gagnions régulièrement des bourses d’écriture, ce qui nous permettait de vivre. J’ai également donné des cours à Nanterre pendant neuf ans ainsi qu’au CEEA. La transmission est une chose très agréable. En 2013, j’ai décidé d’écrire sur la femme d’Oscar Wilde. Grâce à ce scénario, Une épouse idéale, j’ai obtenu le prix Sopadin du meilleur scénariste en 2014. Ainsi, ce scénario a pu recevoir une visibilité particulière. Cette mise en avant d’Une épouse idéale a permis de développer mes contacts. Des producteurs se sont tournés vers moi et je me suis ainsi plus penchée sur l’écriture cinématographique. Mon premier film, Un monde plus grand, co-écrit avec la réalisatrice Fabienne Berthaud, est sorti en octobre dernier. Le second, Police, d’Anne Fontaine, ainsi que le troisième, Hommes au bord de la crise de nerfs, d’Audrey Dana sont déjà tournés mais ont dû être repoussés pour cause des mesures actuelles du confinement. Aujourd’hui je continue à écrire autant de romans que de scénarios.

Quels sont vos projets actuels ?

J’ai terminé un nouveau roman qui devrait paraître en janvier prochain et je suis aussi en train d’en travailler un autre. J’ai aussi plusieurs projets de scénarios de film. Généralement, je pense qu’il y a tellement de choses qui font qu’un projet ne pourrait pas se faire que j’évite de parler de mes projets avant leur aboutissement.

Quelle est votre méthode de travail ? Avez-vous une journée type ?

Je me lève généralement assez tôt. J’adore écrire le matin, car c’est à ce moment que j’ai l’esprit le plus clair. Le soir venu, j’aime à rêvasser au travail à venir, ce qui me permet de provoquer des images et des scènes que je prends en notes pour le lendemain. J’ai cependant besoin d’être très concentrée pour écrire, ce pour quoi j’écris le matin jusqu’à 14h ou 15h. Je travaille tous les jours ; je n’ai pas vraiment de week-end. Lorsque je co-écris, ma routine est un peu différente. Je vais souvent chez mes co-auteurs où nous passons des journées à travailler. Entre deux rendez-vous, j’écris de mon côté avant de mettre en commun le travail effectué. J’apprécie énormément travailler en co-écriture avec des réalisateurs ; réfléchir ensemble est très stimulant. Le tandem réalisateur et scénariste est très intéressant. Les réalisateurs ont vraiment des idées assez précises de l’ambiance, des visuels, de ce qu’ils ont envie d’aller explorer. Ils font preuve d’instincts formidables dans la créativité. De mon côté, je suis la petite fourmi qui va remettre de la structure et de l’architecture dans tous ces élans créatifs. Il s’agit de choisir les choses qui sont intéressantes et de les creuser ou bien d’écarter des choses qui dilueraient le propos. Je trouve ce travail passionnant puisqu’il permet la construction d’un vrai dialogue intime. En effet, lorsqu’on écrit, on se met un peu à nu car on n’a pas d’autre choix que d’être sincère, de chercher la vérité des personnages, des situations, des actions. Si j’adore, dans l’écriture romanesque, écrire seule, pour le scénario, la co-écriture me plaît tout autant. À mon sens, ces deux formes d’écritures sont à la fois différentes et complémentaires.

Où puisez-vous votre inspiration ? Y-a-t-il des thématiques particulières qui vous inspirent ?

Les thématiques principales constituant mon univers romanesque sont la sexualité, la sensualité féminine, la poésie, le chamanisme. Le chamanisme fait écho à une expérience qui m’est arrivée il y a six ans et dont j’ai eu besoin de parler dans mon quatrième livre, Pourquoi je n’ai pas écrit de film sur Sitting Bull (Robert Laffont). Puis j’ai écrit un film mais qui était cette fois-ci au service de l’histoire de Corine Sombrun, auteur du roman Mon initiation chez les chamanes (Albin Michel). À mon sens, la matière première de l’inspiration est le vécu. D’autre part, j’aime beaucoup les biographies. Pour l’écriture d’Une épouse idéale, je me suis énormément documentée sur la femme d’Oscar Wilde. Je n’ai pas la prétention d’être historienne, j’essaye plutôt de déceler une certaine vérité dans ce que j’ai vu, perçu de la personne dont j’ai exploré la vie à travers des récits. J’essaye de combler les trous avec ma sensibilité et mon imaginaire.

La sexualité des femmes est aussi un sujet qui me passionne et que j’ai plus exploré à travers mes romans, en particulier dans mon premier roman, Ceci est mon sexe (Hugo Romans) et dans mon tout dernier, Chant d’amours (Sable polaire). Quand on a la chance d’avoir un éditeur qui nous accompagne — et c’est mon cas, puisque l’éditeur Stéphane Million me suit depuis mes débuts — on peut alors explorer tous les sujets qui nous animent. Il y a une grande liberté d’expression. C’est plus compliqué au cinéma, où il faut convaincre les diffuseurs, les financiers, etc. Cela peut devenir difficile avec des sujets plus délicats ou marginaux. Cependant, je pense qu’il est important de se battre pour des films auxquels on croit.

Est-ce différent d’écrire pour un scénario ou un roman ? Comment se passe l’écriture d’une adaptation et comment choisissez-vous les pistes à développer ? Étiez-vous en contact avec Corine Sombrun et Hugo Boris, les auteurs des romans que vous avez adaptés ?

Pour ma part, j’ai besoin de plus de temps de sédimentation pour l’écriture d’un roman car il s’agit d’une exploration très intime et psychique de moi-même et du monde. En revanche, l’écriture d’un scénario s’inscrit plus dans un mélange d’artistique et d’industriel. Il faut d’abord que le scénario soit réalisable. Ces deux types d’écritures sont très différentes. La fin d’un roman c’est lorsque l’on tient le livre relié dans les mains, tandis qu’au cinéma, la fin du film, c’est lorsque l’on voit le montage. L’écriture d’un scénario, contrairement au roman, constitue la réalisation d’une partition, d’une œuvre à venir.

Pour les deux adaptations sur lesquelles j’ai travaillé, il s’agissait pour chacune de commande. Corine Sombrun, l’auteure de Mon initiation chez les chamanes, a été très présente avant et lors du travail d’écriture. Elle nous a beaucoup parlé de son expérience, a énormément partagé avec nous. Nous sommes même parties ensemble en Mongolie afin de nous immerger dans son univers. Elle nous a réellement ouvert la porte de sa vie en nous laissant une grande liberté de fictionnalisation. Bien évidemment, elle ne désirait pas que l’on s’écarte du fond de son histoire. Elle a été très contente du film réalisé.

Pour Police, l’histoire ne semblait a priori pas du tout s’inscrire dans mon univers. Cependant, après la lecture du livre, j’ai été très touchée. Il y avait beaucoup d’humanité et cela m’a donné envie de travailler sur le projet. D’autant plus que j’avais très envie de travailler avec Anne Fontaine. J’ai rencontré l’auteur, Hugo Boris, assez tardivement dans le processus d’écriture. Nous avons eu son premier retour après l’écriture d’une belle V1 qu’il a beaucoup aimée. Il n’a pas désiré intervenir plus fortement sur l’écriture du scénario. Je pense qu’il avait peut-être un peu peur de ne pas avoir assez de recul ou bien d’entraver notre liberté de créativité. Cependant, il ne s’est pas du tout senti trahi par l’adaptation, bien au contraire, il était très heureux du film. Ce sont deux expériences très différentes et enrichissantes. Dans les deux cas, il s’agissait d’auteurs vivants, alors que pour le scénario que j’ai écrit sur la femme d’Oscar Wilde, cette dernière n’a rien pu me dire !

Quelle serait ou est la relation idéale avec un producteur pour vous ?

Je pense qu’une relation de confiance est essentielle entre un producteur et un scénariste. Le producteur doit suffisamment faire confiance à l’auteur lorsque c’est à lui de travailler. Il doit aussi être un bon partenaire et un bon lecteur qui puisse faire des retours constructifs permettant de donner l’envie de s’atteler à la réécriture. Pour ma part, mes relations avec les producteurs ont été très satisfaisantes ; que ce soit Olivier Delbosc, Philippe Carcassonne, Jean-Louis Livi, Carole Scotta et Christine Palluel. En étant très différents, ils ont chacun été à la hauteur du projet en s’impliquant fortement et ont pu porter ce dernier jusqu’à la réalisation. Lorsqu’un producteur fait son métier avec passion, en général, cela se passe bien.

Qu’est-ce qu’être une femme dans le milieu du Cinéma ?

C’est assez drôle puisque j’ai co-écrit mes trois premiers films avec des réalisatrices. J’ai cependant aussi pu co-écrire avec des hommes. Il me semble que le fait d’être une femme est plus un frein en tant que réalisatrice qu’en tant que scénariste. En effet, le scénariste est plutôt dans l’ombre, donc cela gêne moins. Il est vrai qu’être une femme dans ce milieu, est toujours plus compliqué. Cela dépend du parcours de chacun. Cependant, le rôle de scénariste, n’est pas au même niveau que celui de réalisateur, qui est bien plus considéré comme un métier d’homme, de capitaine de terrain. Cette manière de penser me semble une vision un peu « arriérée » : pourquoi est-ce qu’une femme ne pourrait pas endosser ce rôle ? Il y a encore du travail à accomplir pour la reconnaissance de la puissance féminine.

Pour ma part, jusqu’à présent, je n’ai pas eu l’impression que mon genre m’ait posé problème. Cependant, j’ai reçu le prix Sopadin qui a pu m’ouvrir des portes qui ne se seraient peut-être pas ouvertes si facilement. De plus, je suis aussi romancière, ce qui permet de rendre compte de mon univers et de sa singularité aux personnes qui lisent mes romans et qui pourraient ainsi avoir envie de travailler avec moi.

Avez-vous déjà fait des résidences d’écriture ?

J’ai fait une résidence d’écriture romanesque à la Rochelle. Par la suite, j’ai plutôt participé à des résidences en tant qu’intervenante, par exemple pour Le Groupe Ouest, pour DreamAgo ou pour le festival Varilux, au Brésil. J’ai été intervenante très vite, peut-être puisque j’avais déjà de l’expérience dans l’écriture professionnelle. J’aime beaucoup transmettre donc cela s’est fait très naturellement.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience de professeure ?

Je ne me considère pas spécialement comme professeure, mais plus comme une intervenante. Comme quelqu’un qui fait ce métier et qui a donc quelque chose à transmettre à des gens qui veulent faire le même métier. J’ai beaucoup appris de personnes qui m’ont transmis leur propre expérience et leur bienveillance de scénaristes. Cela m’a donné envie de faire la même chose. Lorsque l’accompagnement est sur du long terme, j’aime beaucoup voir les personnes, quel que soit leur âge, prendre confiance en leur plume. Petit à petit, ces personnes osent alors exprimer quelque chose de sincère, de réel, de singulier, qui vient du plus profond d’elles-mêmes et qui leur ressemble. C’est un peu comme de voir une éclosion. Il est fascinant de voir une personne sortir de sa chrysalide et d’en découvrir tous les papillons qui en fleurissent lorsqu’elle prend confiance en elle-même. Nous sommes là pour aider ces personnes à sortir d’elles-mêmes de leur chrysalide.

Le mot de la fin ? Un conseil pour les jeunes scénaristes ?

Un scénariste doit beaucoup écrire. Écrire c’est réécrire. Au bout de cinq « non » peut se trouver un « oui », c’est pour cela qu’il faut beaucoup travailler et ne surtout jamais perdre espoir.

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