Comment écrire une logline du feu de dieu ?

Les affres de la création sont un phénomène bien connu: des mois et des mois de cheveux arrachés, feuilles froissées et ampoules brûlées pour aboutir à une centaine de pages bien aérées. On connaît moins cet art difficile de la logline. Pourtant, ce détail est souvent décisif pour que les longs mois n’aient pas été en vain.

Marie Laplanche
Paper to Film
12 min readMay 22, 2019

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Vous avez dix secondes pour me convaincre en une phrase que votre histoire est plus originale que les autres.

Vous avez travaillé pendant des mois à construire un récit riche de mille idées, avec des rebondissements, des personnages complexes, des intrigues secondaires. Lorsque vous rencontrez un producteur, celui-ci vous demande de pitcher votre projet ou de le résumer en une « logline » de 200 signes espaces compris maximum.Tout ce qu’il vous demande, c’est de tout dire… en quelques mots à peine!

Comme si cela allait suffire !

Pourtant, l’exercice est essentiel. N’importe quelle personne qui s’est retrouvé un jour de l’autre côté vous le dira sans hésiter. Il est primordial de savoir capturer l’attention de votre auditoire en quelques mots, une phrase à peine.

Pourquoi ? Parce qu’il y a des milliers d’autres projets que le vôtre, des centaines et des centaines d’autres scénaristes qui veulent eux aussi vendre leurs projets. Et ils ont tous des histoires aussi géniales et aussi fortes que la vôtre !

Alors, il faut faire ressortir votre projet parmi tous les autres, vous assurer qu’il attire les curieux, qu’il intrigue, qu’il interpelle au premier coup d’œil. Il faut donc avoir une logline du feu de Dieu.

Qu’est-ce qu’une logline du feu de Dieu ?

Commençons par la mauvaise logline. C’est-à-dire la logline qui ne dit rien du tout de l’histoire, ou qui donne tellement d’informations que l’on ne sait plus de quoi le scénario parle. Cette logline-là repousse plutôt qu’elle n’attire.

Puis, il y a la logline pas trop mal. Celle qui présente bien l’histoire, mais qui ne retient pas du tout l’attention. Soit parce que l’on a déjà vu cette histoire cent fois, ou bien que le sujet n’a pas l’air intéressant, présenté comme cela.

Ensuite, il y a la bonne logline. Celle qui interpelle, qui présente le projet et son originalité, qui le fait sortir du lot. Le genre de logline qui nous faire dire : « Mmh ? Tiens donc ? Pourquoi pas ? ».

Et enfin, il y a la logline du feu de Dieu. C’est comme une bonne logline… mais du feu de Dieu.

Une logline du feu de Dieu, c’est tout simplement une logline très efficace. Elle n’est pas seulement bonne, elle ne se contente pas d’intéresser : elle captive vraiment, pousse à s’intéresser au projet alors même qu’on ne l’aurait pas fait en temps normal. C’est une logline qui est capable de pousser un extrémiste du film d’auteur à lire un projet de blockbuster, un féru de comédie à se jeter sur une tragédie et un producteur de documentaire à ouvrir votre projet de fiction.

Cette logline présente le projet comme s’il était tellement exceptionnel et original que n’importe qui aura nécessairement envie d’en savoir plus. Si vous arrivez à faire cela, c’est dans la poche. On lira votre projet plutôt que ceux des autres qui ont des loglines mauvaises, ou qui sont juste « bonnes ».

Comment fait-on pour écrire une logline du feu de Dieu ?

Pour commencer, évitons de tomber dans les pièges les plus fréquent que l’on croise dans les loglines. Voici un petit florilège des choses qui plombent votre projet avant même que l’on commence à le lire :

1. La logline « proverbe » :

Elles se réfèrent au sujet de l’histoire et non à l’histoire elle-même et , le plus souvent, se présentent sous la forme d’anaphores ou de proverbe réadaptés pour faire un petit trait d’humour ou d’esprit : « Dans la nuit, les chats n’ont qu’à bien se tenir ! », « Qui ne tente rien, ne risque rien. » etc.

Même si vous arrivez à faire sourire avec votre proverbe ou même si on se dit, en lisant la phrase, que vous avez raison… Cela ne pousse pas à lire le projet ou à s’y intéresser, car cela ne nous apprend rien sur les enjeux, les personnages, l’intrigue.

De manière générale, évitez donc les loglines sur des sujets trop vagues, car ce n’est pas ce que l’on vous demande.

2. La logline « qui dit tout sur tout juste au cas où » :

L’excès inverse, c’est de vouloir trop en dire, de vouloir tout préciser et justifier, pour que l’on soit sûr de bien comprendre. On se retrouve alors avec des loglines qui ressemble1nt à cela :

« C’est l’histoire de Marc, qui est le fils de Jean-Claude et la tante d’Annabelle, qui travaille dans un supermarché de banlieue tenu par son père, qui est donc Jean-Claude. Alors qu’il cherche à s’émanciper, parce qu’il est jeune et rêve d’autres horizons, comme par exemple aller faire chef-cuisinier-spécialiste-paëlla, il décide de prendre l’avion pour le Pérou, avec sa nièce, donc la fameuse Annabelle, parce qu’il n’y a pas de route pour y aller en voiture, sans prévenir personne, parce qu’il y a un festival de paëlla. »

Le problème ici n’est pas que l’on ne sache pas de quoi l’histoire parle, c’est le surplus d’informations. Il faut relire deux ou trois fois la logline pour comprendre vraiment de quoi cela parle. Mais surtout, puisque l’on sait déjà tout ce qu’il y a à savoir, cela n’émoustille pas la curiosité du tout.

Or une logline doit émoustiller la curiosité, c’est même le principe de base.

3. La logline « passe partout » :

La troisième grande erreur est de bien parler de l’histoire, mais de sortir des lieux communs qui n’apprennent rien dessus. Par exemple : « C’est l’histoire de Marc qui, suite à des épreuves difficiles, va découvrir le pouvoir de l’amour. ». Ce genre de logline peut être adapté à presque tous les projets, en changeant à peine deux ou trois mots.

« C’est l’histoire de Frodon qui, suite à des épreuves difficile, va découvrir le pouvoir de l’amitié. »

« C’est l’histoire de Hugh Grant qui, suite à une rencontre étonnante, va découvrir le pouvoir de l’amour. »

Cela est tellement vague que vous ne savez même pas de quel film avec Hugh Grant je parle. C’est justement tout le problème. Dans une logline, il faut être spécifique, donner des éléments clairs et précis pour que l’on puisse comprendre exactement quelle est la situation dramatique que vous allez raconter. Si vous tombez dans les lieux communs, qui peuvent s’appliquer à la plupart des autres histoires, vous ne pourrez pas faire ressortir votre histoire par rapport aux autres.

Alors à quoi doit ressembler une excellente log-line?

Avec tout ce que l’on vient de dire, nous pouvons dégager quelques critères essentiels à toute logline réussie :

1. Il faut parler de l’histoire, de l’intrigue, et de rien d’autre.

2. Il faut être spécifique et éviter de tomber dans les lieux communs.

3. Il faut se contenter des informations essentielles et ne pas trop en dire.

Mais si vous ne répondez qu’à ces trois critères, vous n’aurez qu’une logline “pas trop mal” à proposer. La plupart du temps, les gens à qui vous la présenterez vous diront que ça ne les intéresse pas tellement, qu’ils ont déjà vu ce type de projet cent fois et qu’ils ne voient pas l’intérêt de refaire un film de plus sur le sujet.

Pour faire une bonne logline, il faut aller plus loin et identifier dès le départ ce qui fait l’originalité de votre projet. Si ce dernier n’est pas si original que cela, il faut que vous accrochiez votre public, exactement comme votre projet est censé le faire : avec les émotions. Si ceux qui entendent ou lisent votre log-line ressentent déjà une émotion, cela va nécessairement les interpeller. Pour faire ressortir une émotion, il faut parler du conflit principal de votre texte.

4. Il faut faire ressortir l’originalité du projet dans la logline.

5. Il faut faire ressortir le conflit principal du scénario dans la logline.

L’exercice devient beaucoup plus difficile à réaliser lorsque l’on rajoute ces objectifs-là, sans retirer les contraintes de taille d’une bonne logline. Vous n’avez toujours le droit qu’à une seule phrase et une dizaine de secondes pour convaincre !

Si vous faites cela, vous aurez une bonne logline, suffisamment forte pour interpeler, éveiller la curiosité de votre public cible, mais vous n’aurez pas pour autant une logline du feu de Dieu, exceptionnellement efficace, pouvant convaincre le Diable de se retirer dans un monastère.

Pour cela, il faut aller plus loin, il faut ajouter de l’étrange, du mystère, de l’étonnant, du surprenant. Une fois que vous avez accroché ceux qui vous écoutent avec une émotion et/ou un concept original, vous proposez un petit plus qui renverse le tout et pousse les gens à s’arrêter, à s’interroger.

A partir de là, ils voudront en lire plus sur votre projet, juste pour pouvoir résoudre le mystère qu’est votre logline.

En d’autres termes :

6. Il faut mettre une chute.

Voilà donc les six critères essentiels pour écrire une logline du feu de Dieu

Évidemment, caser des éléments spécifiques de l’intrigue, sans trop en dire, mais suffisamment pour que l’on comprenne, qui fassent ressortir le conflit principal et l’originalité du projet, avec une petit chute, le tout en une phrase… Ce n’est pas si simple et cela demande du travail avant de ressembler à quelque chose d’efficace et de cohérent.

C’est pourquoi nous vous avons concocté une petite série d’exercices, une petite « recette » en neuf points pour construire votre logline (du feu de Dieu) pas à pas.

1. Identifiez l’émotion principale de votre scénario.

Que voulez-vous que les spectateurs ressentent en priorité en voyant votre film, votre série, votre court-métrage ? Voulez-vous qu’ils aient ri, pleuré, tremblé ?

Exemple avec Marc et sa fameuse paëlla : un sentiment de liberté.

2. Identifiez le conflit principal de votre intrigue.

Votre histoire se construit nécessairement autour d’un conflit central et principal, une situation dramatique irrésolue qui appelle à ressentir l’émotion que vous avez identifié dans l’exercice précédent. Cela se constitue toujours autour d’un objectif inassouvi et d’un élément qui empêche le ou les personnages de l’atteindre.

Par exemple, dans une histoire d’amour, il y a d’une part la volonté que les personnages se mettent en couple, et d’autre part un élément qui pourrait empêcher cet amour de se réaliser : les deux amoureux appartiennent à des familles ou des clans rivaux, ils ne viennent pas du même monde, l’un d’eux est déjà engagé avec quelqu’un d’autre, la différence d’âge…

Attention, assurez-vous que cette situation dramatique est précisément celle qui génère l’émotion que vous avez identifiée plus haut.

Exemple avec Marc et sa fameuse paëlla : Marc veut réaliser son rêve et cuisiner des paëllas, mais son père a besoin de son aide pour faire tourner le supermarché familial.

3. Identifiez le concept original de votre projet.

Le concept original de votre projet est tout simplement la petite idée qui démarque votre projet de tous les autres. Ce peut être un point d’univers, un point de l’intrigue, une façon de construire un personnage…

Quelques avertissements et conseils.

Tout d’abord, même si votre histoire repose sur plusieurs concepts originaux, n’en choisissez qu’un seul, le plus important. Vous n’aurez pas l’occasion d’en mettre plus dans une seule logline.

Ensuite, un concept original, c’est toujours l’association (innovante) de deux idées préexistantes. Il s’agit donc en réalité de trouver les deux idées à associer.

Si vous avez du mal à identifier votre concept original ou même l’une des deux idées à associer, n’hésitez pas à tester le concept sur vos amis et voyez comment ils réagissent. S’ils ne trouvent pas cela original ou intriguant, c’est probablement qu’ils ont déjà entendu cette association d’idées quelque part.

Enfin, il arrive parfois que votre projet ressemble beaucoup à un autre projet préexistant et bien connu, mais s’en démarque surtout par un détail particulier. Dans ce cas-là, pour formuler votre concept original, n’hésitez surtout pas à mentionner cet autre projet préexistant (s’il est suffisamment connu bien sûr). Par exemple : « C’est Mission Impossible, mais au Moyen-Age. » ou encore « C’est Pretty Woman, mais avec Cyril Hanouna. »

De manière général, un concept original se formule de cette manière : « C’est … mais avec … ».

Exemple avec Marc et sa fameuse paëlla : Un extraordinaire voyage à l’autre bout du monde… mais pour cuisiner de la paëlla.

4. Identifiez le lien entre votre concept original et le conflit principal du scénario :

Maintenant que vous avez la situation dramatique qui génère l’émotion de votre histoire et que vous savez ce qui en fait l’originalité, il s’agit de trouver ce qui les lie. Vous devrez mettre les deux en une seule et unique phrase à l’arrivée.

A priori, si votre histoire est adroitement construite et que vous avez bien identifié le conflit et le concept, le lien devrait sauter aux yeux. Si c’est un concept d’univers, le conflit fait généralement ressortir celui-ci de lui-même. Si c’est un concept de personnage, il a tendance à changer la façon dont le conflit va être géré.

Il y a toujours un lien, il s’agit simplement de le trouver.

Exemple avec Marc et sa fameuse paëlla : le concept original du voyage à l’autre bout du monde exacerbe la quête d’émancipation du personnage en rendant l’aventure plus incroyable.

5. Construisez la structure de la logline :

Maintenant que vous avez tous les éléments pour construire votre logline, il s’agit de mettre ces idées dans l’ordre le plus efficace. Encore une fois, pour avoir une bonne logline, il faut mettre en avant le concept et le conflit principal, mais pour avoir une logline du feu de Dieu, il s’agit de construire une chute qui interpelle et pousse à se poser tout un tas de questions.

Le conseil est tout simplement d’organiser les informations de votre logline en créant d’abord une situation conflictuelle par nature, mais pas très originale. Ainsi, ceux qui vous liront penseront avoir cerné votre histoire. Il faudra alors ajouter un petit morceau de phrase, soit qui renversera complètement la situation, ou alors qui enfoncera le clou à l’excès, de manière inattendue.

Cela veut dire que vous aurez concrètement deux éléments à mettre en opposition dans la première partie de la phrase, puis un autre élément à ajouter à la fin. Cette structure simple, si elle est maîtrisée, fonctionne à tous les coups. La question est donc : qu’est-ce qui renverse la situation, change la donne ? C’est cet élément-là que vous devrez mettre à la fin de la logline.

N’hésitez pas à tester plusieurs options.

Exemple avec Marc et la fameuse paëlla : le plus original, c’est cette histoire de paëlla, qui transforme un peu ce drame familial sur l’émancipation en quelque chose d’un peu plus étonnant et inattendu. C’est donc cet élément qui doit achever la logline.

Il s’agira donc de dire dans un premier temps que c’est l’histoire de Marc qui se lance sans prévenir dans un voyage un peu extraordinaire. Qu’il doit s’émanciper de son père pour y parvenir. Mais que, finalement, au bout du voyage, il s’agit juste de cuisiner des paëllas.

6. Exprimez chaque élément de la logline en un seul mot :

Pour vous assurer de ne pas partir dans tous les sens et de ne pas donner trop de précisions inutiles, forcez-vous à réduire votre logline au minimum dans un premier temps. Pour cela, restreignez-vous à un seul et unique mot pour chaque élément de la structure que vous avez établi juste avant.

Si vous avez trois éléments distincts, comme cela sera le cas si vous avez suivi les conseil précédents, vous aurez donc uniquement trois mots à trouver et pas un de plus.

La technique pour réussir cet exercice est d’écrire une phrase complète pour exprimer l’élément en question. Puis de retirer les mots de la phrase un à un, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un : celui qui est le plus essentiel de tous.

Attention ! Vous n’avez pas le droit de mettre de nom propre (sauf si c’est un nom propre que tout le monde connaît, comme « Superman »). Vous n’avez pas le droit de mettre le genre de votre scénario.

Exemple avec Marc et sa fameuse paëlla :

Marc se lance à l’improviste dans un voyage extraordinaire. > Voyage.

Marc doit s’émanciper de son père pour y parvenir > Emanciper.

Il va en réalité participer à un concours de cuisine spécialisé dans la paëlla. > Paëlla.

7. Construisez la phrase en faisant le lien entre les mots choisis :

Il s’agit alors tout simplement d’écrire la phrase, en mettant des mots de liaison entre les mots choisis. Ce n’est pas très compliqué, il faut juste que la syntaxe soit correcte. Une consigne de plus : vous n’avez le droit qu’à un seul et unique verbe conjugué.

Exemple avec Marc et sa fameuse paëlla :

Afin de s’émanciper, il plaque tout pour voyager et cuisiner une paëlla.

8. Ajoutez des compléments, des adjectifs :

A partir de là, votre logline est presque construite. Mais elle est un peu pauvre. Vous devez donc y ajouter des éléments spécifiques pour lui donner un peu plus de corps. Il s’agit d’y ajouter des adjectifs et des éléments de précisions qui embellissent les choses.

Faites simplement en sorte que cela fasse ressortir l’émotion principale que vous avez identifié au tout début.

En quête d’émancipation, Marc plaque tout et voyage à l’autre bout du monde… pour participer à un concours de paëlla.

9. Testez votre logline :

Voilà, vous avez votre logline. Si votre histoire est un peu plus intéressante et originale que celle d’un type qui veut cuisiner des paëllas, vous avez sûrement une logline plus intéressante que celle que j’ai donnée en exemple.

Mais avant de la poster sur Paper to Film, prenez le temps de vous assurer qu’elle est vraiment super. Pour cela, rien de plus simple. Testez-là auprès de gens, d’inconnus dans la rue, d’amis qui ne connaissent pas le projet. Voyez comment ils réagissent, à quoi ils réagissent le mieux, s’il ne manque pas une petite information ou s’il n’y en a pas trop. Peaufinez un peu tout cela et vous serez fin prêt !

Et si vous voulez en savoir plus sur Marc et ses paëlla… vous n’avez qu’à écrire l’histoire !

Paper to Film tient à remercier Ferdinand Trotignon pour la conception et la rédaction de cet article.

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