Elise Mc Leod : “Je suis friande du regard de l’autre, de son point de vue”

Elise Mc Leod est scénariste, metteuse en scène et coach de comédiens. Elle nous parle de sa passion pour les comédies dramatiques.

Lia Dubief
Paper to Film
7 min readJan 13, 2020

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Quelle voie as-tu suivie pour arriver à l’écriture de cinéma ?

Je viens d’Australie, je suis arrivée en France il y a vingt ans. J’ai suivi un cursus de cinéma à l’université Paris 8. Pendant que je faisais mes études, j’ai pris des cours de scénario avec des professeurs qui ont su me passionner. Après, j’ai co-écrit un premier court-métrage avec Camille Nahum, c’était l’adaptation d’une pièce de théâtre. C’est en pratiquant l’écriture à diverses occasions que je me suis rendue compte que c’était vraiment ce que je souhaitais faire. L’écriture est tellement importante pour le film, on remarque souvent au tournage et au montage que les moments les plus compliqués sont ceux où le scénario est le moins bien maîtrisé.

Je savais que je voulais réaliser, mais je n’avais pas imaginé que l’écriture puisse être une telle passion pour moi. J’ai commencé à avoir envie de travailler sur des longs-métrages. J’ai fait des stages avec John Truby et Robert Mc Kee et j’ai aussi lu un grand nombre de livres sur l’écriture de scénarios. J’ai l’habitude de lire des scénarios car je suis par ailleurs coach pour des acteurs. C’est une bonne entrée en matière pour apprendre à connaître et analyser l’écriture. C’est important de s’intéresser au travail des autres ! En plus, cela me permet de me plonger dans des styles très divers. Il y a des outils que j’utilise en écriture qui me servent de la même manière lorsque j’échange avec des acteurs. Je pense que c’est assez complémentaire.

Comment es-tu devenue coach de comédiens ?

J’ai commencé sur un long-métrage en tant qu’assistante réalisatrice. Comme j’avais déjà eu l’occasion de mettre en scène des pièces de théâtre, on m’a demandé de répéter avec les comédiens avant le tournage. C’est comme cela que je suis devenue la coach d’une actrice qui débutait et qui, par la suite, a reçu des prix d’interprétation. Lorsqu’un comédien apprécie notre coaching, il en parle autour de lui, cela peut partir très vite !

Quand j’ai compris que c’était quelque chose qui me plaisait, j’ai pris des cours de théâtre afin de mieux appréhender les techniques de jeu, et de me mettre à la place des comédiens. Ensuite, c’est devenu plus facile de leur parler. En revanche, je n’ai jamais voulu devenir actrice. Ce que j’aime, c’est être derrière, soutenir les gens.

Ton expérience d’assistante réalisatrice a-t-elle été utile pour l’écriture ?

En sortant de Paris 8, je suis devenue assistante réalisatrice pendant cinq ans. Travailler sur des longs-métrages m’a permis de compléter mon éducation au cinéma. On comprend vraiment les mécanismes, c’est pour cela que c’est aussi utile pour l’écriture. Cela nous donne une idée plus précise de la réalité d’un film. Par exemple, on sait beaucoup mieux le coût et le niveau de difficulté de ce que l’on envisage de faire. C’est une sorte de principe de réalité. Grâce à ces limites, on se sent plus créatif car il y a des enjeux à dépasser. La contrainte exerce la créativité.

Préfères-tu l’écriture collective ou individuelle ?

En fait, j’adore écrire avec d’autres auteurs, donc j’ai toujours travaillé en binôme, que ce soit en Français ou en Anglais. J’aime beaucoup le jeu d’allers-retours qui s’installe dans une collaboration. Je suis friande du regard de l’autre, de son point de vue. Je travaille avec Julie Grumbach, avec qui j’ai écrit le long-métrage La vierge et la Balance, pour lequel nous recherchons une production. Nous écrivons à quatre mains, avec les deux langues que nous avons à disposition. Parfois, je trouve des idées en Anglais, qui peuvent être plus efficaces et qui vont nous amener sur une pensée différente. Nous sommes toujours entourées de nos dictionnaires Français-Anglais, de synonymes, pour trouver les mots justes. J’écris aussi avec Camille Nahum, qui a été interviewée par Paper to Film l’année dernière. Notre première collaboration s’est faite au théâtre, elle était comédienne et j’étais metteuse en scène. J’écris aussi l’adaptation d’un roman avec un scénariste australien.

Depuis plusieurs mois, j’écris un long-métrage toute seule, en résidence avec le Groupe Ouest. J’ai envie de faire les premières étapes seule, puis de faire venir un co-scénariste pour la suite. Je trouve que l’écriture individuelle est plus compliquée, quand je suis seule j’avance moins vite ! Les idées de l’autre me stimulent, alors que toute seule je peux passer des heures à me demander si je pars sur une bonne idée ou non.

As-tu des affinités particulières avec certains genres ou formats ?

Avant je ne savais pas vraiment ce qui pouvait être un moteur pour moi, mais maintenant je sais que c’est la comédie et la comédie dramatique. Le film que j’écris seule, La loi des conséquences inattendues, devait être un drame. Mais lorsque j’ai présenté le projet au Groupe Ouest, on m’a dit que l’histoire était tournée d’une manière très amusante. Donc il n’y a plus de doute, cela doit être culturel, je suis plus à l’aise dans la comédie dramatique !

Sur les projets que j’écris, j’aime aborder plusieurs points de vue. C’est quelque chose qui revient souvent, je raconte des histoires sous deux ou trois points de vue. Je pense que la communication entre les êtres est assez compliquée, donc quand on peut se mettre dans le point de vue de l’autre, il y a beaucoup de choses qui se démêlent. C’est comme cela que l’on peut comprendre pourquoi l’autre est comme il est. Cela nous rend les personnages plus sympathiques, parce qu’on entre en empathie. Comprendre les autres, c’est toute la difficulté de la communication ! Ce n’est pas un processus conscient, mais j’ai remarqué que c’était présent dans tous mes projets.

Est-ce que tu as une technique pour écrire des scènes comiques ?

J’essaie de creuser l’ironie de la vie ! J’ai remarqué que dans les pays anglophones, en Australie par exemple, on a l’habitude de tester l’humour des gens, même si l’on ne se connaît pas. On fait rapidement des blagues, il y a un jeu de répartie qui s’installe, même dans les milieux professionnels. Nous sommes culturellement baignés dans une tonalité ironique et sarcastique.

Je pense qu’il y a aussi une question de rythme. Il faut beaucoup jouer avec les ruptures de temps et de ton. C’est quelque chose que l’on a ou non, je remarque ça au quotidien avec les comédiens. On peut apprendre des techniques pour accentuer son pouvoir comique, exercer la répartie, mais c’est mieux quand c’est spontané. Je crois aussi qu’il y a des façons de se libérer, par l’autodérision notamment.

As-tu déjà écrit pour d’autres réalisateurs ?

J’ai écrit une web-série publicitaire pour une maison de production. Souvent, les choses changent beaucoup entre le projet écrit et le projet réalisé, car il y a plusieurs filtres, des personnages différents qui interviennent à tous les niveaux. Ce sont des projets de commande, avec des clients. J’aimerais écrire des films pour d’autres réalisateurs, si l’occasion se présente.

J’écris très souvent en me projetant dans la réalisation. Ce qui est amusant, par contre, c’est qu’il m’est impossible d’écrire quelque chose pour un comédien. Pourtant, j’en côtoie beaucoup depuis des années et il y a des acteurs que je connais bien avec qui j’adorerais travailler. Au moment du casting, il m’arrive parfois de choisir un comédien que je connais bien, mais à l’étape d’écriture je n’ai jamais pu me projeter avec un comédien en particulier.

Quelle est la place de l’écriture dans ton quotidien ?

Je pense que cela prend la moitié de mon temps de travail. Le coaching me permet de faire dix à vingt heures de travail par semaine avec des acteurs. Le reste du temps j’écris. Dès que je peux, je m’échappe à la campagne pour écrire. Sinon, j’écris chez moi ou chez mes co-auteurs. À un moment j’allais à la SACD. Ils ont des bureaux pour les auteurs, que l’on peut réserver pour des demi-journées, c’est un endroit super où il est facile de rencontrer d’autres auteurs.

Peux-tu nous parler de tes derniers projets ?

Il y a Spermission, une série co-écrite avec Camille Nahum. Il raconte la bataille d’une femme qui veut avoir un enfant toute seule. C’est une comédie déjantée qui pose la question de comment être enceinte quand on est déçue par les hommes. L’héroïne, ou anti-héroïne, décide d’aller chercher le sperme à sa source. Ce film traite de problématiques très actuelles, en questionnant une quête assez incorrecte finalement.

La loi des conséquences inattendues raconte l’histoire de trois personnes, pendant la nuit de Halloween. Une femme se fait agresser pendant cette nuit. Je raconte l’histoire du point de vue de cette femme, de celui de son jeune agresseur et de celui d’un couple témoins de l’agression. J’essaie de réfléchir sur les effets de la violence, l’agression devient un événement déclencheur dans la vie de chacun de ces personnages. J’utilise Halloween, qui symboliquement représente la nuit de l’horreur pendant laquelle on célèbre cela.

Je suis actuellement en fin de post-production de mon dernier court-métrage Songlines avec Slimane Dazi, Selma Kouchy, Arben Bajraktaraj, Hervé David et Justin Lacroix.

Quelles sont tes attentes vis-à-vis d’un producteur ?

Je cherche des producteurs créatifs, qui ont envie d’être dans l’échange, pour m’aider, me soutenir et me challenger sur un projet. Faire du cinéma est un travail d’équipe. Lorsque je suis en développement sur un film, à chaque rendez-vous avec mes collaborateurs, je sens que le projet se précise, que les intentions se resserrent.

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