Elizabeth Arnac :”C’est important de bien traiter les auteurs, ce sont eux le nerf de la guerre.”

Elizabeth Arnac, fondatrice de Lizland Films et productrice d’unitaires et de séries engagées, nous donne sa vision du travail de production et et revient sur son amour du scénario.

Marie Laplanche
Paper to Film
11 min readDec 16, 2019

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Peux-tu nous raconter ton parcours et comment es-tu devenue productrice ?

C’est un parcours assez accidenté. Au départ, j’ai fait Science Po Paris, parce que je savais pas trop quoi faire, comme souvent à cet âge. Je trouve qu’on met trop de pression aux jeunes d’ailleurs, pour qu’ils sachent très tôt quelle est leur vocation. J’étais donc dans la section service public et très mollement, j’avais dans l’idée que j’allais entrer dans la fonction publique ou passer l’ENA, ce genre de chose. Une fois rentrée à Science Po, j’ai haï le monde de la fonction publique qui se profilait devant moi. J’ai eu mon diplôme et j’ai tourné kazak ! Cela n’allait pas être possible pour moi. Ensuite, j’ai un peu trainé. Je suis tombée amoureuse d’un réalisateur un peu nul et empoté et je me suis rendue compte que ces gens là avaient besoin d’aide pour arriver à faire ce qu’ils voulaient. Je me suis donc dit que j’allais me mettre au service de la création. J’ai fait un DEA d’économie appliquée à l’audiovisuel. C’était une époque antédiluvienne, nous parlons des années 1980. La France était un monde encore archaïque où il n’y avait que trois chaînes de télévision, quelques producteurs qui étaient tous des gros dégoûtants qui ne faisaient même pas semblant de pas vous mettre des mains aux fesses. C’était compris dans le forfait pour travailler en société de production, au même titre que faire la comptabilité. Tout ceci a fait que je me suis rendue compte que cela n’allait pas être possible pour moi et comme j’avais l’appel du large, je suis partie aux Etats-Unis. C’était un peu une mission commando, je n’avais pas un centime.

J’ai été accepté à NYU, et d’autres université très prestigieuses. Quand ils m’ont envoyée la facture, c’était juste impossible. Je suis donc allée dans une mauvaise fac de New York. Pour être parfaitement honnête, j’avais surtout envie d’aller à New York, je n’avais pas envie d’aller y faire des études. J’y ai donc appris des techniques de tournages, ce n’était pas très intéressant. Ce qui était bien, c’est que, comme je ne pouvais même pas payer cette université médiocre, ils m’ont proposé de travailler dans une société de production locale, à Brooklyn qui, à ce moment là n’était pas du tout à la mode ! Je faisais des publicités pour Brooklyn Union Gaz, pour des vendeurs de voitures… des chose affreuses ! C’était drôle et cela m’a plongée dans ce milieu. Je balayais des studios, rembobinais des câbles… mais c’était le New York des années 1980. Je me suis beaucoup amusée ! J’ai eu mon diplôme et je ne voulais pas rentrer en France. J’ai galéré. Un jour j’ai rencontré Arthur Penn, qui était sur sa fin de carrière, certes, mais c’était quand même très impressionnant de le côtoyer. Il avait besoin d’une assistante francophone car il voulait refaire un film en France. Il m’a embauchée, je ne faisais pas grand chose en fait, il n’avait pas grand chose à me faire faire. Mais je lisais les scénarios qui lui parvenait, envoyés par ICM, Sam Cohen. C’est là que je me suis rendue compte que l’écriture me passionnait, et que c’était cela que je voulais faire, travailler dans le développement. J’ai compris la magie d’un scénario. Je suis devenue lectrice pour des studios, MGM entre autres. J’ai appris plein de choses. Après, j’ai hésité à aller à Los Angeles, parce qu’en production, ce n’est pas à New York que cela se passe. Malheureusement, j’y suis allée, et j’ai détesté cette ville. Je me suis rendue compte que l’anglais n’étant pas ma langue maternelle, que la culture américaine n’étant pas la mienne; même si je la comprenais; je ne pouvais pas travailler d’égal à égal avec des scénaristes. Pour bien travailler avec des scénaristes, il faut vraiment avoir le même univers, avoir des références communes. Dans cette culture américaine, il y avait quand même beaucoup de choses qui m’échappaient. C’est un pays très loin du nôtre, et je ne me sentais pas légitime. A partir de là, si je voulais travailler sur les textes, il fallait que je rentre en France. Au bout de 7 ans j’en avais marre, et 7 ans, c’est comme dans les couples, cela passe ou cela casse ! La dernière année de mon séjour aux Etats-Unis, j’ai été embauché chez Unifrance Films, dans l’espoir de travailler sur des co productions. Mais il y en avait très peu, donc j’ai fini par rentrer. J’ai adoré cette expérience, mais je me sens profondément française et très attachée à la culture de mon pays. C’est donc ce que j’ai fait, on m’a fait travailler sur des co productions d’ailleurs, avec des auteurs américains, mais là j’étais d’égal à égal. Je représentais le côté français face à des Américains. Ensuite, les co productions se sont éteintes et j’ai travaillé pour Ellipse Programme, filiale de Canal. Je faisais du developpement chez eux. J’ai par la suite été débauchée par TF1 où je m’occupais de soi-disant co productions internationales, mais en fait je n’ai fait que du franco-français. Puis j’ai été nommé directrice de la fiction chez M6 pendant un an. J’ai donc battu les records de non longévité à ce poste. J’ai détesté cette expérience, je n’en pouvais plus d’être chez des diffuseurs, cela ne me convenait pas du tout. J’ai été éjectée de ce poste, et c’est finalement ce qui m’est arrivé de mieux, je devrais remercier chaleureusement Nicolas Tavernost, en fait. Je me suis retrouvée sur le marché, et j’ai redécouvert la production, par le bas, c’était super. J’ai travaillé pendant 4 ans pour un producteur, Paul Saadoun qui faisait des documentaires qui voulait quelqu’un pour faire de la fiction pour financer les documentaires, qui ne rapportent pas d’argent. J’ai donc été un honorable soldat qui faisait des téléfilms pour lui. En 2003, j’ai créé Lizland films.

As-tu une journée type ?

L’intérêt d’être producteur c’est qu’il n’y a pas de journée type en fait. Ce que j’aime c’est que les journées ne se ressemblent pas. Quand on est en période de développement, on lit les projets qu’on trouve sur Paper to Film, sur BStoBO, des textes qu’on m’envoie… mais comme je ne suis pas une grosse entreprise, je n’intéresse pas les auteurs, ce qui est dommage, parce que je paye autant que les grosses boîtes, voire plus et plus vite ! C’est important de bien traiter les auteurs, ce sont eux le nerf de la guerre. Puis, il y a les projets qui sont en développement au sein de la société, quand on en a. Certaines périodes sont très creuses. On doit lire 100 projets pour en sortir un que l’on va optionner. Disons 1 sur 40 pour une option et 1 sur 100 ou 200 qui donne un film fini. Ensuite, tous les jours, je fais le point avec Léo et César, mes deux assistants. L’intérêt d’une petite société c’est aussi que tout le monde fait tout. Enfin sauf moi, tout ce qui est ennuyant je leur laisse, c’est le privilège de l’âge. Ils font cela avec beaucoup de talent, je suis très chanceuse ! Après, il y a les rendez-vous avec les scénaristes à gérer, avec les réécritures jusqu’au moment où l’on envoie aux diffuseurs. Je n’envoie que des projets que j’aime vraiment, dont je suis convaincue. C’est inacceptable d’envoyer un projet si l’on est pas convaincu de sa qualité. S’en suit souvent une période d’attente… ensuite, si on a de la chance, on a un retour et une convention d’écriture. En ce moment on en a deux, une sur un unitaire dans un état assez avancé, avec France 2. On travaille avec Jean-François Luccioni. On espère pouvoir tourner l’an prochain. C’est une comédie sur le jeunisme avec deux auteurs avec qui je n’avais pas travaillé avant et avec qui cela s’est très bien passé. L’autre convention est pour Slash. C’est un projet ambitieux, c’est une page blanche car personne n’a fait de la comédie musicale avant. A mon stade de carrière, c’est amusant de se lancer dans cette aventure. On apprend toujours de nouvelles choses. Très modestement, ce projet est une sorte West Side Story contemporain. Il s’agit d’une histoire d’amour et de guerre de gang dans une cité; l’histoire de trois filles de 18 ans qui passent à l’âge adulte. C’est un super projet, difficile et passionnant. On ne tournera surement pas avant 2021 car il ya un gros travail d’écriture musicale à faire. Comme j’ai des relations privilégiées avec France 2, c’est toujours agréable de travailler avec eux. On a fait plein de films ensemble. Travailler pour Slash c’est super car il y a une liberté de ton plus important. La comédie musicale est ce que l’on fait de plus dur. Je me rends compte que j’ai quand même du métier, parce que je vois malgré tout où l’on va.

Il y a une portée sociale dans tous tes films. D’où vient cette envie ?

C’est peut être la seule chose que j’ai gardée de Science Po. La télévision, dans toutes ses versions, ancienne ou actuelle, n’est qu’un tuyau qui donne accès à un très grand nombre de personnes, pour leur raconter des histoires. Il me semble que la fiction est le vecteur le plus performant pour faire passer des messages. Ce qui me plaît est d’associer un emballage de divertissement à un fond. Je ne sais pas faire de documentaires malheureusement. Mais il est un fait indéniable, la fiction emporte systématiquement l’adhésion du public. Pour notre dernier film qui traitait de la détresse chez les policiers, on a eu 3,2 millions de téléspectateurs. Ces gens qui ont regardé ce film n’avaient pas forcément conscience de tous les aspects de la vie d’un policier. Moi même, étant plutôt “anti flic”, une fois que l’on se plonge là dedans, on se rend compte que tout est plus compliqué, que cela se passe très mal pour eux. Cela nous a fait réfléchir, on prend conscience de choses très graves. Les policiers vont mal et ils sont armés. C’est dangereux. C’est un vrai problème de société. Dans ce genre de projet, ce qui est intéressant c’est qu’il y a une grosse part de documentation. Même le film que l’on a fait sur le jeunisme est assez bateau comme sujet, mais on a fait cela sous un angle assez féministe. C’est l’histoire un homme qui quitte sa femme pour une petite jeune, mais elle l’épuise tellement qu’il préfère retourner avec son ex épouse. Malgré le côté comédie, on traite de la peur de vieillir chez beaucoup d’hommes.

Est-ce que l’arrivée des plateformes a changé quelque chose dans ta manière de travailler ?

Je ne travaille pas pour les plateformes hormis Slash pour l’instant. Il faut espérer que les plateformes apporteront de la diversité et une plus grande demande de contenus, sans faire du low cost. Dans la création, le temps est fondamental. Si on ne prend pas le temps de faire un cadre, de bien monter, de prendre le son, on ne peut pas faire un film correctement. Il se pourrait qu’il y ait deux monde. Un avec les énormes productions, avec des talents reconnus et de l’autre des fourmis qui travaillent dans l’ombre juste pour remplir les tuyaux et les cases. Comme le cinéma, ce sont les films du milieu qui vont souffrir, films auxquels je m’identifie le plus. Je ne ferai pas la prochaine méga production, encore que je pourrais le faire, mais cela n’est pas ce que je fais, et ma structure d’entreprise n’est pas dans ce modèle là. Il y a une grosse inquiétude au niveau des chaînes, un tournant à prendre et un besoin plus accrue de programme, mais à quel prix ? Comment cela va se passer à long terme ? Est ce que cela permettra de faire des choses moins formatées ? Il y a eu un appauvrissement de l’offre télévisuelle ces dernières années. Espérons que les plateformes réhausseront le niveau, mais à quel coût cela se fera-t-il ? Est ce qu’ils vont se plier aux droits français, par exemple ? Pour le moment, en tant que Français, si on leur rapporte un projet, on est plus dans un rôle de producteurs exécutifs que de producteurs délégués. C’est très dur de négocier et garder nos droits, cela change la nature du travail de producteur. C’est un monde qui se réinvente, c’est passionnant mais comme toutes les mutations, c’est anxiogène.

Quel est ton rapport idéal avec un scénariste ?

C’est une relation de confiance. C’est même une relation intime, cela dure longtemps, on doit partager des références, des ressentis… Le travail avec un scénariste n’est pas de l’amitié, mais elle se place dans une complicité, avec des valeurs communes. J’adore cela, même quand cela se passe mal, qu’on ne s’entend plus. Il y a la famille, les amis et les scénaristes arrivent juste après. Si je ne partage rien avec un scénariste, je ne peux pas travailler avec. C’est purement de l’ordre de l’affect. Ensuite, il faut un respect mutuel et du travail, de part et d’autre. C’est un métier dur, ils sont seuls, je n’aurais pas le courage d’être scénariste. J’aime beaucoup jouer au ping pong avec eux. Je peux être très exigeante, mais ils considèrent souvent que j’ai une expérience reconnue. On peut passer des moments délicieux. Il faut que ce soit une aventure, que l’on avance ensemble et que je les soutienne. Il faut faire des critiques constructives et les faire avec une certaine souplesse. J’ai dit des bêtises plus jeune, c’est un métier que l’on apprend. Souvent les chargés de programmes sont trop jeunes et ne savent pas faire des retours. Ils disent des choses sans réfléchir et je l’ai fait moi même. Lorsque l’on fait une remarque sur un texte, on peut détruire tout l’édifice sans même s’en rendre compte. Il faut donc du respect des deux côtés, que chacun entende ce que l’autre dit. En tant que productrice, je dois trouver le moyen de leur donner l’énergie quand on repart en écriture, et faire des remarques intelligibles. Chose que je ne sais pas faire en musique, c’est un monde que je connais pas, je peux dire : “j’aime” ou “je n’aime pas”. C’est ce que l’on peut faire de pire. On ne peut pas dire « c’est pas drôle » à un scénariste, cela ne sert à rien. Cet échange avec les scénaristes, c’est la partie de mon travail que je préfère, c’est passionnant. Le développement est un processus très lent. Je me suis rendue compte qu’il faut aimer lire et surtout aimer relire. Pour arriver à une version qui tienne la route, on a lu 5 synopsis, 6 séquenciers, autant de versions dialoguées…. il faut avoir le goût de la relecture. De la même façon, les bons scénaristes sont des gens qui aiment réécrire. S’ils n’aiment pas cela, il faut faire autre chose. En tant que productrice, si je n’aime pas lire 100 fois la même chose, je dois changer de métier. Quand j’étais enfant, j’adorais que l’on me lise 1000 fois la même histoire, je pense que j’en suis resté à ce stade. C’est un plaisir jubilatoire, d’entendre la même histoire, un peu différente, un peu plus jolie…

Que penses-tu de Paper to Film ?

J’aime beaucoup. Je n’ai pas encore pris d’option sur un projet venant de chez vous. En revanche, j’ai rencontré un scénariste. Le principe est super. La plateforme fonctionne bien, je ne regarde que les projets télé, même si vous faites plein d’autres choses. Depuis peu, on a trouvé un projet sur votre site sur lequel on cherche un co auteur. Cet outil est efficace et va vite. On a vite des réponses, des retours, et on peut accéder à des talents divers. C’est très dur d’accéder à des nouveaux talents, donc c’est une bonne façon de trouver des gens que je ne connais pas et qui n’ont pas le même réseau que moi.

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