Anne-Sophie Rouvillois : “ Ce qui me touche particulièrement au cinéma c’est un mouvement, une progression…”

Marquée par sa rencontre et une longue amitié avec le cinéaste Eric Rohmer, Anne-Sophie Rouvillois a écrit un roman, et réalisé plusieurs courts métrages dans l’héritage de la Nouvelle Vague. Elle travaille à l’écriture d’un long-métrage.Elle dévoile pour Paper to Film son parcours, ses expériences et ses doutes en toute franchise.

Louise Rubi
Paper to Film

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Pouvez-vous nous parler de votre parcours d’auteure-scénariste réalisatrice et pourquoi vous êtes vous tournée vers le cinéma ?

J’avais 18 ans lorsque j’ai rencontré Eric Rohmer. Je commençais des études de littérature à La Sorbonne, j’étais passionnée par le cinéma et la Nouvelle Vague. Je lui ai écrit et nous nous sommes rencontrés. Il préparait à ce moment là les Jeux de société (1989), qui était une commande de la Sept. Il recherchait, parmi la littérature du 19ème, un passage dans lequel serait décrit un jeu de société qu’il pourrait mettre en scène. Je savais qu’il aimait beaucoup Balzac. J’ai demandé conseil à un de mes professeurs qui m’a orientée vers le roman Béatrix, dans lequel est décrit le jeu de la Mouche. Eric Rohmer était ravi. Moi aussi! Il m’a proposé de faire la figuration dans ce film, ce que j’ai évidemment accepté avec joie. Nous sommes allés essayer des costumes à l’opéra Garnier. C’était un grand moment.

J’ai poursuivi mes études littéraires, lui m’encourageait à ne pas les lâcher. Il m’a beaucoup épaulée, relisait mes dissertations, corrigeait les fautes. Je le voyais très régulièrement, je venais au moins une fois par semaine au Losange (1), je lui faisais lire des nouvelles que j’écrivais, un premier scénario même.

J’avais très envie de renouveler l’expérience d’un tournage avec lui. Pour cela il fallait une bonne raison. Soit être figurante, soit avoir une fonction quelconque car il refusait d’avoir des observateurs inutiles sur le plateau. Il était souvent en recherche de lieu, de décor. Je lui ai proposé de venir tourner en Bretagne, dans notre petite maison de l’Île aux Moines. C’est comme cela que, des années plus tard, le prologue de Conte d’hiver (1992) a été tourné là-bas.

Un peu plus tard, à partir d’une situation comique dont nous avions discuté ensemble, j’ai écrit et lui ai soumis le scénario d’un projet de court-métrage, qu’il a aimé. Il n’avait pas de temps à ce moment-là, il l’a donc mis dans un tiroir en me promettant que le moment venu, il le ressortirait. Il me disait que si l’on voulait faire du cinéma il fallait être patient. Il avait l’habitude de garder comme cela des projets sous la main, des courts-métrages écrits par ses jeunes ami(e)s, qu’il réalisait pour se détendre, et aussi pour écouler de l’argent qui n’avait pas été dépensé, entre deux vrais projets à lui.

A l’université, j’avais entrepris un doctorat sur lequel je peinais pas mal. Pour m’aérer, je suis partie à la campagne écrire un roman, le Pas de base. J’ai fait lire le manuscrit à Rohmer qui m’a dit « c’est fantastique » (quand j’y repense cela me fait sourire, c’est très exagéré). A l’époque je l’ai cru, cela m’a donné une confiance incroyable. Malgré les retours négatifs du début, j’ai continué sur ses conseils à l’envoyer. Il était extrêmement fier pour moi le jour où je lui ai annoncé que Belfond allait le publier.

Cette année là, il a eu l’occasion de tourner le petit scénario que j’avais écrit pour lui, Des goûts et des couleurs (1998) qui est sorti, à un mois près, au moment de la parution de mon roman. Ce film fait partie du coffret L’atelier Eric Rohmer. Rohmer m’a demandé si j’avais des idées de comédiens. J’avais très envie de faire tourner Laure Marsac, Rohmer l’aimait aussi et savait qu’elle avait le désir de tourner avec lui. Il lui a laissé choisir le comédien masculin (Eric Viellard). Le film s’est tourné à Paris, j’ai moi-même interprété le rôle d’une vendeuse, mais c’est Eric Rohmer qui a vraiment réalisé ce film. Si je l’ai signé, c’est que lui n’a jamais tenu à assumer les courts-métrages qu’il réalisait de cette manière-là. Pour La proposition (que Rohmer a tourné, selon ce même principe en 2010), les choses se sont passées de façon un peu différente : il voulait faire une série autour du modèle et du peintre. J’avais alors imaginé un sujet sur la nudité à partir d’une expérience que je lui avais racontée : à l’époque j’allais tous les jours à la piscine et je lui avais raconté que j’étais gênée par les femmes qui se mettaient nues dans les vestiaires pour se laver. Comme pour Des goûts et des couleurs, il m’a fait écrire le scénario, et a ensuite rangé le sujet dans un tiroir. Mais il ne l’a ressorti que très longtemps plus tard. Je le voyais beaucoup moins régulièrement. J’ai su qu’il le tournait, c’est tout. Une fois tourné, il ne m’en a jamais plus parlé. Je pense qu’il n’a pas eu trop envie de me dire qu’il l’avait en partie réécrit. Le film est signé de mon nom, mais quand je l’ai découvert après sa mort, ce n’était plus du tout l’histoire que j’avais imaginée. Cela ne m’a pas gênée sur le plan personnel, ce projet lui appartenait, mais j’ai été déçue par la chute, que je trouvais beaucoup moins drôle que la première. Je ne m’y reconnaissais pas du tout. Du coup c’était étrange pour moi que mon nom soit associé à ce film..

En 2007, puis en 2013, j’ai réalisé deux court-métrages d’une trentaine de minutes. L’un pour lequel j’ai eu l’aide de la ville de Paris et du GREC (2), La fenêtre, avec Judith Chemla. Le deuxième, Aujourd’hui, produit par CHAZ, que j’ai réalisé avec la contribution financière du CNC et l’aide de la Région Centre.

En 2016, j’ai auto-produit un autre court métrage, qui est une sorte d’adaptation d’un conte de Marcel Aymé pour laquelle j’avais obtenu les droits. Je l’ai fini l’an dernier. Malheureusement, il n’a pas du tout tourné dans les festivals. J’ai tout de même eu le plaisir de le projeter, à l’occasion de la nuit de la Lecture, à la Bibliothèques Buffon. Et je dois le présenter également à des enfants de CM2 d’une école élémentaire.

A présent, je suis en train d’écrire le traitement d’un projet de long-métrage pour lequel je voudrais demander l’aide à l’écriture. J’ai également le projet de réaliser un court intitulé Si et seulement si, actuellement sur la plateforme Paper to Film.

Avez-vous une méthode de travail pour écrire ?

J’écris toujours d’abord sous une forme plutôt littéraire. Par exemple Si et seulement si était une nouvelle au départ. Je l’ai ensuite dialoguée et découpée mais au départ, cette nouvelle était destinée à faire partie d’un recueil.

C’est la même chose en ce qui concerne le traitement de mon long-métrage, je l’écris comme on écrit un roman. Evidemment, je cherche à rendre présentes les intentions de mise en scène, mais je m’efforce de ne pas les nommer. D’une part, parce que cela donne à l’écriture un caractère plus cinématographique, et aussi parce que, à ce stade, je préfère ne pas trop définir la forme.

Une fois que j’ai une première version, je la fais lire. Si les retours sont positifs et que je suis moi-même satisfaite, j’essaie d’élaguer un peu, et d’accentuer certains traits.

Ces dernières années, je ressens le besoin de contraintes supplémentaires, j’ai envie d’écrire pour quelqu’un. Il me manque une production, des dates, une échéance.

Vous préférez travailler seule ou en binôme ?

L’écriture est un travail très solitaire. En ce moment, cela me pèse, je me sens un peu trop isolée. J’ai tout de même des amis, professionnels du cinéma ou non, qui acceptent de relire mon travail, mais ce n’est pas pareil.

Autrefois je n’aurais pas supporté l’idée d’écrire à deux. Aujourd’hui, cela me plairait. Je ne peux pas imaginer écrire quelque chose pour moi puis le céder à quelqu’un pour la réalisation… Mais j’aimerais que quelqu’un fasse appel à moi pour des dialogues par exemple ; j’adore ça. Il me semble que je me sentirais déchargée de la pression que je me mets à moi-même quand il s’agit de mes propres projets. C’est d’ailleurs la première expérience que j’ai eue, en écrivant ces deux courts-métrages pour Eric Rohmer.

Qu’est-ce qui vous inspire particulièrement ?

En général, ce qui m’inspire en premier, le point de départ, c’est un lieu. Et une personne, je veux dire une comédienne, ou un comédien, une rencontre avec quelqu’un. Et enfin, une direction, un mouvement, toujours un peu le même. Une descente, une traversée de l’obscurité et ensuite une remontée vers la lumière.

Quelle serait la relation idéale avec un producteur ?

Le producteur idéal pour moi, ce serait quelqu’un qui a de l’expérience et une grande confiance (en soi, en l’autre, dans la vie). Quelqu’un qui aime la beauté, pour qui la beauté est nécessaire. Quelqu’un de cultivé et d’intelligent, capable d’être là tout en se tenant à distance. J’ai besoin de bienveillance aussi.

J’ai adoré travailler avec les gens du GREC. Je les ai trouvés présents mais jamais intrusifs.C’est nous qui venions les consulter quand nous avions besoin.

Sur vos projets, vous préférez écrire et réaliser des courts-métrages ou longs-métrages ?

J’ai l’expérience du court mais je me projette sur un long. Tout ce qui précède la réalisation est fastidieux, et cela demande un effort presque aussi énorme pour du court que pour du long, pour finalement être très vite consommé sur un court. Le court est difficile. Je trouve périlleux d’arriver à raconter une histoire qui fonctionne sur ce format.

Avez-vous un genre qui prédomine ?

Je n’écris pas des films d’actions, c’est sûr… J’adore le dialogue mais mes scénarios ne sont pas bavards. Ce qui m’intéresse ce sont souvent des quêtes humaines, je recherche toujours une dimension spirituelle. Mais cela doit rester voilé, comme dans la vie. Je ne sais pas bien en parler, disons que ce qui me guide je crois au stade de l’écriture, ce sont surtout des atmosphères, des réminiscences de films qui m’ont marquée. En ce moment par exemple, c’est plutôt le cinéma italien.

Avez-vous fait des résidences d’écritures ?

Oui, j’ai été à Casa Velasquez (3) et au Moulin d’Andé (4). J’ai aussi bénéficié de la Mission Stendhal, mais c’était différent. On m’avait alloué une somme avec laquelle je suis partie seule, dans un monastère en Toscane.

La Casa de Velasquez, j’y étais allée à l’audace, pour mon roman. A l’époque il n’y avait pas de section littérature mais ils me l’ont tout de même accordée. Au cours de ce séjour, se sont déroulées toutes sortes de manifestations artistiques au sein de la Casa: des conférences, des expositions précédés de vernissage, des concerts… Je me tenais complètement à l’écart, je me suis même un peu enfermée. Cet enfermement est d’ailleurs devenu le sujet de mon premier court-métrage La fenêtre, que j’ai écrit là-bas. Quand je n’écrivais pas, je me baladais dans Madrid. J’ai beaucoup nagé, car il y avait une piscine à la Casa. J’ai rencontré une jeune peintre, Marion, très sauvage elle aussi, plus sauvage que moi, qui est devenue le modèle de mon personnage. Elle non plus n’aimait pas l’atmosphère de la résidence, elle avait loué une maison en dehors de la Casa.

J’ai ressenti un peu la même chose au Moulin d’Andé. J’étais flattée d’avoir été sélectionnée, je me sentais gâtée et bien accueillie. Mais je trouvais que l’on mangeait trop, et que l’on parlait trop, toujours de cinéma en plus. Je n’arrivais pas à travailler. Je me sentais très coupable de ne rien faire, c’était horrible. Du coup pour atténuer ma mauvaise conscience, je regardais des films, j’avais au moins l’impression de faire quelque chose en lien avec le cinéma!

En fait, ce que j’ai découvert là-bas, c’est que j’aime écrire dans le secret. L’écriture est quelque chose de mystérieux et de fragile. Pour moi, moins on en parle, mieux c’est. .

Avez-vous déjà répondu à des appels à projets ?

Non. Je dirais que les conséquences de ma fragilité à m’exposer, de ma tendance à fuir la pression, font que je n’ai pas développé comme je l’aurais souhaité ce désir d’écrire pour les autres, ou à plusieurs, ou même de répondre à des appels à projets. J’aime être dans mon coin, mais en même temps je m’y sens très seule. Je me suis inscrite sur Paper to Film dans cette optique. J’ai envie de rencontrer de nouvelles personnes et de me confronter à des projets qui ne soient pas les miens.

1 Les Films du Losange, société de production et de distribution créée en 1962 par Eric Rohmer et Barbet Schroeder

2 GREC : (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques) produit de premiers court métrages — fiction, expérimental, film d’art, animation, essai — en veillant à leur caractère singulier et innovant.

3 La Casa Velasquez est un centre de création artistique et un centre de recherches, sous la tutelle du Ministère de l’Enseignement Supérieur. Elle se situe à Madrid.

4 Moulin d’Andé-Céci : Le Moulin d’Andé, Monument Historique du 12ème siècle, est devenu en 1957 une maison de travail, une terre d’accueil fertile, un refuge fécond pour tous les artistes. Cette ouverture aux créateurs a fait de ce lieu un îlot de référence et en 1998, un endroit choisi pour implanter un centre permanent dédié aux écritures cinématographiques, le Céci. A l’initiative de François Barat, délégué général du GREC, le projet du Céci s’est bâti, consolidé et progressivement modelé aux besoins des auteurs : scénaristes, réalisateurs, compositeurs de musique pour l’image, critiques, essayistes…

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