Garance Meillon : « Dans un domaine où tout peut être remis en question à tout moment, il ne faut pas mettre en danger la singularité d’un projet dans lequel on croit. »
Autrice de trois romans, scénariste et réalisatrice, Garance Meillon a partagé avec nous ses expériences et son univers.
Pourrais-tu nous parler de ton parcours ?
A la suite de mon baccalauréat, j’ai intégré une classe préparatoire littéraire. J’avais toujours eu envie d’aller étudier aux Etats-Unis, principalement pour l’amour de la langue anglaise et la culture cinématographique américaine. J’ai donc monté plusieurs dossiers dans l’espoir d’intégrer une école sur place. J’ai eu la chance d’intégrer une école en Californie où j’ai étudié quatre ans.
L’organisation des années est très semblable à celle que nous connaissons en France. Les trois premières années offrent aux étudiants un bloc de cours commun et la dernière année leur permet de se spécialiser dans leur domaine de prédilection. Pour ma part, je me suis focalisée sur la réalisation, qui constituait le cœur de mon enseignement. A la fin de mes études, j’ai obtenu mon diplôme et j’ai réalisé quelques stages sur place, notamment en production. J’ai aussi travaillé pour le festival Sundance, où j’étais lectrice de scénarios.
A mon retour en France, j’ai exercé dans le développement de films. J’étais en charge des livres susceptibles d’être adaptés à l’écran. En parallèle j’ai participé à quelques tournages et je développais mes projets personnels, à la fois en tant que réalisatrice et romancière. Aujourd’hui je considère avoir deux casquettes à plein temps.
Pourrais-tu nous en dire davantage sur cette double-casquette ?
Je suis fille unique et j’ai grandi dans une dynamique d’auto-suffisance, comme je pense beaucoup d’entre nous. De mon côté, je me suis passionnée pour la littérature et je lisais énormément. Ce sont mes parents qui m’ont ouverte au cinéma, sans jamais poser de limites. Nous pouvions aussi bien regarder des films d’époque que de gros blockbusters américains.
J’ai toujours écrit dans les deux disciplines, cinéma et littérature, car selon moi les deux se nourrissent mutuellement. Ce n’est pas la même méthode de travail mais ces deux domaines sont complémentaires. Ma réflexion consiste, lorsque j’ai une idée, à savoir quel médium je vais employer pour la développer au mieux.
Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?
Côté littérature, mon troisième roman sera publié par Gallimard.
Pour ce qui est du cinéma, j’ai deux projets en cours de développement avec des productions : un court-métrage et une série. Mon troisième projet, intitulé J’arrive et co-écrit avec Romain Compingt, est un long-métrage, en ligne sur Paper to film.
Pourrais-tu nous parler de ce projet, J’arrive ?
C’est un projet que j’avais commencé seule et dont j’avais déjà écrit la première version. Avec cette première écriture, j’ai obtenu le fond d’aide à la réécriture du CNC. Cela m’a permis de trouver un agent qui m’a ensuite suggéré de travailler avec un co-scénariste : Romain Compingt. Grâce à lui, nous sommes allés plus loin dans le scénario. Pendant cette phase d’écriture, nous avons participé à l’atelier Grand Nord à Québec, au sein duquel nous avons pu développer encore davantage le scénario. Il a beaucoup apporté au projet et c’était un plaisir d’écrire à ses côtés. Ce projet me tient à cœur et dans l’idéal, j’aimerais le réaliser.
As-tu déjà eu quelques expériences en réalisation dans le passé ?
J’ai déjà réalisé deux courts-métrages. Le premier était mon film de fin d’études et le second, intitulé Victorine, a été réalisé pour le Fond Européen d’Intégration. Ce projet portait sur l’illettrisme et était bien encadré. Cela a été une expérience très enrichissante pour moi notamment parce que je n’avais jamais travaillé avec une équipe française. J’ai eu la chance de diriger des acteurs tels que Claudia Tagbo et Ralph Amoussou. J’en garde un très bon souvenir et je suis heureuse de voir à ce jour qu’il continue de faire des vues sur YouTube.
En termes d’écriture, as-tu une méthode particulière ?
Cela dépend principalement de la nature du projet et de son avancée. Il faut avant tout connaître le moment où nous sommes le plus efficace et savoir en tirer profit. Pour ma part, je travaille très tôt le matin, dès que je sors du lit. Avant même de prendre mon petit-déjeuner, je me fais un thé et je travaille une ou deux heures. C’est un instant que je consacre entièrement à l’écriture. L’important pour moi c’est de produire du texte, quitte à le revoir ultérieurement. Ecrire sans revenir en arrière et sans me corriger : cela me permet d’avoir de la matière à retravailler par la suite.
Une fois ce moment d’écriture terminé, je me consacre à d’autres projets. Je lis des scénarios, je prépare des rendez-vous…etc. Ce sont des occupations que je considère comme secondaires. Le moment que je privilégie, c’est l’écriture.
Lorsque tu écris, préfères-tu écrire seule ou en binôme ?
Je fais vraiment la distinction entre les scénarios et les romans.
Pour les scénarios, j’adore écrire avec d’autres gens. C’est très stimulant. Le brain storming est très utile. Dans une scène, il y a plusieurs voix, donc cela a du sens pour moi de retrouver cela dans l’écriture.
Avec Romain, nous nous laissions la main libre sur l’ensemble du scénario et nous nous renvoyions les versions au fur et à mesure. Nous n’écrivions pas dans la même pièce. Nous nous sommes rencontrés à de multiples reprises, pour discuter des personnages, par exemple. Lorsqu’il venait à bout d’une version, il me l’envoyait, puis je lui renvoyais ma version modifiée et ainsi de suite.
Pour les romans j’écris complètement seule. Une fois terminés, je ne les fais lire par personne de mon entourage : mon éditeur est mon premier lecteur.
Pour ce qui est des écritures scénaristiques, ou même en tant que spectatrice, as-tu des affinités avec un genre en particulier ?
En ce qui concerne les genres, je suis très ouverte. J’aime particulièrement lorsqu’un film ou une série commence avec un certain ton et se termine sur un autre. Je parlais de ce type d’évolution avec ma productrice dernièrement. Par exemple dans la série Poupée Russe (créée par N. Lyonne, A. Poehler et L. Headland, disponible sur Netflix) le propos part du fantastique avec cette journée que le personnage principal revit sans cesse, et évolue vers quelque chose de beaucoup plus psychologique, réalisant le portrait d’une femme.
J’aime aussi beaucoup les œuvres où le fantastique est plus quelque chose d’ordre psychologique. Comme c’est le cas dans Birth de Jonathan Glaze (2004). Dans ce film, le fantastique est une « idée », tenue tout au long du scénario, puis il y a un basculement et le genre change.
Quelle serait ta relation idéale avec un producteur ?
Je travaille avec deux producteurs en ce moment, sur deux projets différents et cela se passe très bien. Nos rapports humains sont formidables. Evidemment, il y a toujours le côté professionnel mais je pense qu’il est important d’avoir une affinité relationnelle avec son producteur. Cela permet des échanges plus transparents et honnêtes. Je tiens à ce que l’on soit franc avec moi, qu’on ne cherche pas à me ménager.
Je trouve important que le producteur fasse des propositions artistiques. J’estime que si un producteur valide un projet, il doit être en mesure de déterminer de façon précise ce qui lui plaît dans le projet. Il est primordial qu’il sache mettre en lumière les éléments qui l’ont interpelé à la première lecture. Il doit être sûr de lui à ce sujet car il y a tellement d’avis divergents, de retours de commissions, de lecteurs extérieurs et autres qu’il est facile de perdre de vue ce qui est à l’origine de la décision de produire. Il faut qu’ensemble, auteur et producteur se mettent d’accord sur ces éléments qui sont centraux et qu’ils choisissent de ne pas en démordre sur ces aspects du scénario.
Le reste peut bien sûr changer, évoluer et s’améliorer mais nous ne pouvons pas tout remettre en cause. Sinon le risque c’est de perdre le projet et sa racine même, qui nous a parlé au départ. Dans un domaine où tout peut être remis en question à tout moment, il ne faut pas mettre en danger la singularité d’un projet dans lequel on croit.
Peux-tu nous parler des résidences auxquelles tu as participé ?
J’ai participé à un concours grâce auquel nous pouvions gagner une semaine au Moulin d’Andé. J’étais finaliste et j’ai eu la chance de m’y rendre. Nous étions plusieurs dans ce cas, tous sous la supervision d’un scénariste confirmé. Chaque jour, nous devions écrire une version de notre scénario et la lui remettre, pour ensuite en proposer une nouvelle le lendemain. C’était extrêmement intense. A cette période, j’étais dans la phase d’écriture de mon court-métrage actuellement en financement. Parfois nous organisions des réunions où chaque scénariste pouvait lire son projet et écouter les retours des autres. Ce qui était agréable c’était cette double facette, à la fois collégiale et solitaire.
Le cadre était très apaisant et propice à l’isolement mais il n’était pas impossible d’aller chercher la stimulation à travers les échanges humains. Le Moulin d’Andé a aussi son passé et dégage une aura bienveillante. Dans les années soixante, Jules et Jim de François Truffaut y a été tourné.
C’est une expérience unique à vivre. Il y a des scénaristes de tous horizons, cela permet d’avoir plusieurs influences et cultures. Une autre expérience marquante a été la résidence du Grand Nord à Québec. Il y avait quatorze projets et des intervenants francophones. C’était un peu le même principe. Nous faisions des tables rondes autour de nos projets et en parallèle des rendez-vous individuels avec les personnes qui nous supervisaient. Il y avait trois intervenants par projet, qui avaient chacun choisi les scénarios dont ils souhaitaient s’occuper. Le cadre était magnifique, comme hors du temps.
Quand tu es en vase clos avec des gens pendant un certain temps, les relations humaines s’accélèrent. Cela permet de se parler plus librement. Au fil du temps, les inhibitions sont tombées. Les gens se libéraient et étaient constructifs. Le tout dans une ambiance bienveillante. Cela tranche avec l’isolement que l’on peut ressentir en tant qu’auteur.
Son projet sur Paper to Film :
J’arrive : “Enfermé dans son quotidien et dans l’oubli de son entourage, Antoine décide un jour de suivre Ophélie, sa voisine, à la piscine municipale. Alors qu’il tombe amoureux pour la première fois de sa vie, Antoine découvre qu’Ophélie cache un secret.” — Co écrit avec Romain Compingt.