Gilles Verdiani : “ La série est le royaume du scénariste. ”

Co-scénariste avec Frédéric Beigbeder sur le film “ L’amour dure trois ans ”, auteur de cinéma, théâtre et romans, Gilles Verdiani nous partage ses expériences.

Orlane
Paper to Film
16 min readAug 25, 2020

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© Claire Rostan

Qu’est-ce qui t’a amené vers le cinéma et l’écriture ?

A l’âge de 15 ans, j’ai décidé que mon métier serait de réaliser des films. Mes parents étaient très cinéphiles, adoraient Woody Allen, François Truffaut et la comédie italienne, et tout a commencé par là. J’ai bifurqué vers la quarantaine pour devenir scénariste. Comme il est difficile d’en vivre, j’ai une activité alimentaire à coté, je suis l’auteur des émissions Le Cercle et Le Cercle Séries sur Canal +. J’écris également des livres et des pièces de théâtre. J’ai aussi réalisé un long métrage en 2016 et j’espère bien en tourner un autre, que j’ai écrit. J’essaie d’être un auteur complet, d’exploiter ce que je sais faire et de me perfectionner.

Mais si j’ai eu très tôt la vocation du cinéma, en réalité, dans mon enfance, j’ai regardé au moins autant de séries que de films.

Or la série est le royaume du scénariste : la construction narrative est au cœur du processus.

Je pense que c’est cet ensemble de choses qui m’ont conduit à devenir scénariste.

Par ailleurs j’ai fait des études de lettres, en hypokhâgne et en khâgne. Cela m’a permis d’acquérir une culture littéraire, humaniste, aussi bien en français qu’en anglais, en philosophie, en sciences humaines, ce qui, je crois, est utile pour inventer et raconter des histoires.

Je pense qu’un scénariste ce n’est pas seulement un technicien du récit, mais c’est aussi un créateur de contenus, un producteur de sens.

Je pense que plus on connait l’Histoire, les aventures du genre humain, plus on a de chances d’avoir des choses intéressantes à raconter. Ma formation littéraire classique a joué dans le fait que je me sente légitime pour raconter des histoires, bien que je n’ai pas suivi de cursus d’écriture de scénario à proprement parler. D’ailleurs, à l’époque où j’ai fait mes études, cela n’existait pas, il n’y avait pas de filière pour les scénaristes. Les grands modèles que l’on pouvait suivre, en France, étaient Gérard Brach, Jean-Claude Carrière, Nina Companeez, Jean-Loup Dabadie, Jean-Paul Rappeneau : des autodidactes cultivés, qui avaient chacun leur propre vision “du monde et du cinéma” pour reprendre le mot de Truffaut.

Quels sont tes projets actuellement ?

J’ai deux projets de séries qui sont sous option par la société Step By Step. Ce sont deux séries que j’ai co-écrites. L’une, Le Pharaon, avec le scénariste Henri Kebabdjian qui en a eu l’idée originale — on vient de terminer la bible. L’autre série, je la co-écris avec Marina Bellot, sur mon idée originale : Laura détective. C’est une série procédurale, dans la France d’aujourd’hui, qui se passe à Melun. Nous avons essayé de faire quelque chose qui soit à la fois une proposition un peu nouvelle sur une série d’enquête, puisque le personnage principal n’est pas une policière, et en même temps, de plonger dans une France très réaliste et contemporaine, à travers une petite ville de région parisienne. Melun est une ville étonnante car elle est mixte socialement et tout y est particulièrement réduit : les quartier HLM sont proches des quartiers bourgeois. C’est également une ville historique, qui a même été la capitale de la France sous les Mérovingiens.

J’ai également un projet de long-métrage pour lequel je cherche un producteur. Il s’intitule Les Zadistes, et il est en ligne sur Paper to Film. Il raconte les quelques jours d’un couple d’étudiants dans une ZAD — un lieu de lutte écologiste inspiré de Notre-Dame des Landes et du barrage de Siven — au moment où le pouvoir politique décide de la démanteler. Pour moi, ce film est un western : parce que ce genre se caractérise par l’action et le dilemme moral — qu’est-ce qui est bien ? Qu’est-ce qui est mal ? Quel usage faut-il faire de la violence ? Jusqu’où faut-il être loyal, comment peut-on trahir ? — sur fond de paysages naturels. C’est donc comme cela que je vois ce film : comme un western politique, mais qui se passe en France, aujourd’hui. La ZAD, les zadistes, qui s’engagent dans ces questions, de se battre ou non, du pacifisme, de savoir où s’arrête la politique et où commence la délinquance sont des sujets qui sont très politiques à mon sens. J’ai commencé à l’écrire il y a déjà quelques années, alors que Notre-Dame-des-Landes était encore un lieu de lutte très vivace.

J’en suis à l’étape du traitement, car je crois qu’il est plus intéressant de passer à l’étape de la continuité dialoguée avec un producteur.

J’ai eu de bons retours, mais toujours un peu gênés par la difficulté que les producteurs semblent rencontrer aujourd’hui à financer des films sur un thème qui s’apparente à l’écologie politique. Je suppose que si c’était quelque chose de plus pacifique comme réintroduire la vie sauvage dans le Vercors, cela serait plus simple. Mais comme il s’agit d’un affrontement politique, c’est plus compliqué. Les producteurs qui m’ont répondu jusqu’ici m’ont dit que ce sujet était trop délicat et sensible aujourd’hui. J’espère que cela peut évoluer. J’espère trouver quelqu’un qui sera stimulé par le sujet.

C’est un projet que j’ai d’abord essayé de proposer à la télévision, mais j’ai vite compris que les chaînes ne pouvaient pas s’emparer d’un sujet qui leur parait controversé. Il me semble que le cinéma est un espace plus libre dans lequel ce sujet serait plus apprécié.

J’écris en ce moment une pièce de théâtre sur l’Opéra, mais l’Opéra comme un symbole ou une métaphore de la culture en général. L’Opéra rassemble le théâtre et la musique, c’est un art, je crois, très archaïque, même si ses formes ont évolué depuis le théâtre antique, dans lequel le chant, la parole et la musique étaient distribués autrement. Cette pièce aborde, sur un ton d’abord léger, puis de plus en plus grave, le sens que cela peut avoir de faire un opéra aujourd’hui, alors qu’autour de nous c’est la catastrophe écologique. Il y a un rapport entre ces deux choses-là, qui est pour moi un conflit intérieur : à quoi sert toute cette culture pendant que les océans se meurent ? Je vis ce conflit intérieur et j’ai eu envie de faire une pièce légère à ce sujet.

Un genre, un sujet qui t’inspire ?

Tous les genres m’intéressent, même si j’ai du mal avec ce que l’on appelle l’horreur, tout ce qui repose sur le fond sadique des spectateurs. Je n’ai jamais été client des gens qui fuient devant une créature difforme qui veut les massacrer avec une hache, des viols, des sérial killlers, de la torture hurlante à répétition, donc je ne saurais pas en écrire. Cela mis à part, j’ai tourné un film de science-fiction, écrit un western contemporain, un thriller psychologique, des comédies romantiques, et mes films préférés sont des comédies musicales. Donc je n’ai pas vraiment de tabous.

Par nature je vais vers la comédie : je suis venu au cinéma par Woody Allen, alors naturellement j’aime l’humour, l’ironie, la farce.

Pour ce qui est de l’inspiration, en lisant vos autres interviews où vous posez la question, je me la suis posée également, ce que je n’avais jamais fait auparavant. La réponse que j’ai trouvée est celle-ci : je pars presque toujours de quelque chose que j’ai vécu. Pas forcément une histoire qui m’est arrivée, mais une émotion que j’ai vécue, ou rêvée, ou que l’on m’a racontée. Quand quelqu’un de proche raconte quelque chose qu’il a vécu et qui l’a touché, on vibre avec lui. Je prends l’exemple de Presque parfait, un des projets que j’ai déposé sur Paper to Film. C’est l’histoire d’un couple d’hommes qui voit petit à petit des actes de malveillance se multiplier contre eux, ils se mettent à soupçonner tout leur entourage, et même à se soupçonner l’un l’autre. Et cette histoire-là, en tous cas ce mécanisme-là, un de mes amis l’a vécu et me l’a raconté. Ce n’est pas quelque chose que j’ai vécu moi-même, par chance je n’ai jamais été persécuté. Néanmoins, parce que cet ami très proche me l’a raconté, au jour le jour, et que j’ai participé à tous ses doutes et enquêtes à travers ses récits, j’ai pu appréhender cette émotion de manière personnelle.

A partir de ces émotions, les histoires naissent en moi.

Je distingue cela du fait divers que l’on trouve dans le journal. Il me semble que beaucoup d’histoires proposées aujourd’hui sont stéréotypées, et fabriquées à partir d’une vision du monde qui passe essentiellement par les médias. Pour moi une histoire est vraiment touchante si elle passe par la sensibilité subjective d’un auteur, s’il met quelque chose de personnel dedans.

As-tu un format de prédilection ?

Comme pour un scénariste aujourd’hui en France il y a plus de possibilité de gagner un peu d’argent à la télévision, et comme la télévision cherche plutôt des concepts de série, je me suis donc naturellement tourné vers ce format. En réalité en France aujourd’hui, dans le cinéma, il est extraordinairement rare qu’un scénario devienne un film s’il n’est pas écrit par son réalisateur.

J’ai pu observer depuis dix ans une demande de la part des producteurs, d’associer un réalisateur à un scénariste comme technicien pour mettre en forme l’histoire, mais dans 80–90% des cas, l’histoire appartient au réalisateur, c’est son envie à lui. Lorsqu’un scénariste invente une histoire, il a plus de chance de la voir d’abord optionnée puis éventuellement développée à la télévision qu’au cinéma. Donc, je me suis retrouvé à inventer et développer beaucoup de séries. Ce qui me plait beaucoup. Comme je le disais, c’est aussi beaucoup plus riche pour un scénariste, il est plus maitre du jeu.

Quelle est ta méthode de travail ?

Je n’ai pas de rituels, ni de difficulté à écrire, j’adore écrire depuis tout petit. A chaque fois que je peux me mettre devant mon écran pour écrire, je suis très heureux. En revanche j’ai vécu une période avec beaucoup de déceptions en tant que scénariste et j’ai décidé de travailler à deux. Soit à deux scénaristes, soit très en amont avec un réalisateur.

La première raison de ce choix est que j’ai subi plusieurs trahisons et déceptions. J’ai été escroqué par un réalisateur, lâchés par d’autres, déçu par des décisions incompréhensibles. C’est pour cela que pendant 3 ans, j’ai arrêté d’écrire; Quand j’ai repris l’écriture, parce que cela me manquait vraiment, je me suis dit qu’à deux on était plus solides. On peut se soutenir l’un l’autre face aux difficultés humaines que ce métier peut réserver.

Mon idée de départ était de former un tandem pérenne, mais je me suis rendu compte que l’on pouvait s’associer avec différentes personnes, selon les projets.

Le travail à deux a encore d’autres avantages : d’une part on se surveille l’un l’autre, on se tempère, on vérifie les idées de l’autre, on pose des questions et on critique. Cela se fait dans les deux sens. L’écriture de scénario, c’est quelque chose qui doit être assez pragmatique et réaliste, il ne faut pas écrire des scènes de bataille dans le cosmos si on a un petit budget. D’autre part on s’enrichit l’un l’autre, on s’écoute et donc on se transmet de la confiance, peut-être qu’à deux on a plus d’audace.

De plus, quand on est scénariste, on ne peut pas se permettre de travailler sur un seul projet, à deux la force de travail est démultipliée et donc on s’offre du temps pour plus de projets.

Peux-tu nous parler de L’amour dure 3 ans ?

C’est à l’origine un roman de Frédéric Beigbeder. Un producteur avait acheté les droits du roman, Fréderic avait rencontré le scénariste Christophe Turpin, et lui avait demandé d’en faire l’adaptation. Lorsqu’une première version a été écrite, Frédéric n’en était pas totalement satisfait, et il m’a demandé de revoir les dialogues. Il présentait à l’époque l’émission Le Cercle dont j’étais et suis toujours l’auteur, et on s’entendait très bien. J’ai pris cette tache très à cœur, et j’en ai fait beaucoup plus que ce qu’il m’avait demandé, en ajoutant des suggestions de réécriture et de nouvelles scènes. Frédéric a été très satisfait de cette intervention et a demandé au producteur de m’engager comme deuxième scénariste. Celui-ci a refusé, alors nous sommes partis à la recherche d’un nouveau producteur. C’est Alain Kruger qui a repris le projet, en association avec Michael Gentile.

Tous les cinéastes que nous avons rencontrés pour réaliser le film voulaient réécrire le scénario, et les producteurs ne voulaient pas, si bien que Frédéric a fini par le réaliser lui-même, c’était son premier long-métrage.

Lorsque que Frédéric a pris cette décision, il a également réécrit. Il a pris des libertés que lui seul pouvait prendre pour l’adaptation de son roman. Christophe Turpin avait fait un très bon travail d’adaptation, moi j’avais cherché à mettre plus de comédie et de fantaisie, et Frédéric a effectué une nouvelle passe, avec des nouvelles idées plus provocantes — lui seul pouvait oser faire du personnage joué par Joey Starr un hétéro qui tombe amoureux d’un homme.

Huit ans après sa sortie en salles, c’est très agréable pour nous de voir que ce film dure. Il est disponible sur les plateformes, il est diffusé souvent à la télévision en France et à l’étranger. Dans le monde actuel, où tout semble passer très vite, c’est une véritable satisfaction. Je suis fier que mon nom y soit associé.

Peux-tu nous parler de ton travail de critique et de journaliste ? Est-ce que cela influe sur ton écriture ? Tu as notamment écrit Essai moratoire sur le champ contre champ

A vingt-cinq ans j’ai créé une revue qui s’appelait Crise du cinéma. Cette revue est tombée entre les mains de gens à qui on venait de confier Première : Alain Kruger, Jean-Yves Katelan, Marc Weizmann. Ils m’ont proposé de rejoindre l’équipe du journal. C’était le magazine de cinéma que je lisais quand j’étais enfant. Mon regard critique avait été formé, plus tard, par Les cahiers du cinéma ou Libération, mais Première m’avait fait croire au cinéma comme conte de fées. Pendant les six ans que j’ai passés à Première, j’ai écrit à peu près ce que je voulais, et j’ai rencontré des gens intelligents et généreux qui sont restés des amis. Alain Kruger avait cette idée de faire un journal très œcuménique, tout propos était possible du moment qu’il était étayé et écrit avec un peu de style.

J’étais l’intello qui regardait les films obscurs, lointains ou un peu expérimentaux, et comme je suis d’origine italienne on me confiait aussi le cinéma transalpin. J’étais également reporter, j’allais sur les tournages. Si bien que je n’ai pas fait d’école de cinéma mais j’ai vu beaucoup de gens travailler, et pas les plus mauvais, dans beaucoup de genre et de traditions différents, depuis Emir Kusturica, Pedro Almodovar ou Etienne Chatilliez jusqu’à la grosse machinerie de James Bond. Cela fait donc partie de ma formation.

A Première j’ai créé en 1994 la première rubrique consacrée à des séries qui soit jamais apparue dans un journal de cinéma en France — j’en suis assez fier ! Mon premier article était sur Steven Bochko, le scénariste qui a révolutionné les séries américaines à la fin des années 80 avec La Loi de Los Angeles ou NYPD Blue. Quand on est amené à écrire pour expliquer aux gens pourquoi on a vibré à telle série, pourquoi telle série est intéressante et importante, on va au-delà de ses premières impressions, on doit réfléchir. Cela m’a aidé à me doter d’une réflexion sur la série, à organiser ma « culture séries » au-delà du principe de plaisir. J’ai regardé énormément la télévision depuis mon enfance, avec beaucoup de bonheur, et les trois chaînes nationales diffusaient énormément de séries, des séries françaises comme Vidocq, Arsène Lupin, les Dames de la Côte, L’Ile Mystérieuse, des séries anglaises comme Amicalement vôtre, Cosmos 99 ou Le Prisonnier, des séries américaines comme Les Mystères de l’Ouest ou Columbo. Je ne cite que les plus remarquables, les plus créatives, parmi celles qui m’ont marquées dans mes plus jeunes années. Mais en créant cette rubrique Série Je t’aime Série je t’adore, j’ai commencé à réfléchir à tout ce que j’avais avalé avec gourmandise.

Ce passage par Première m’a donc beaucoup nourri, pour le cinéma, la réalisation et l’écriture.

L’essai Moratoire sur le champ/contre-champ (et autres mesures urgentes pour une vraie réforme de l’audiovisuel) a été publié en 2006. Après Première, j’ai continué à être critique sporadiquement pour le supplément du Nouvel Obs et l’éditrice Mildred Simantov a lancé une collection en disant “écrivez quelque chose qui concerne votre métier mais que vous ne pouvez pas écrire dans votre métier.”

J’ai donc écrit ce texte, très court, comme un pamphlet et un manifeste esthétique. Tout est parti de mon allergie au champ/contre-champ.

Quand il faut filmer un dialogue, on dirait que personne n’a la moindre idée pour le filmer autrement qu’en champ/contre-champ. C’était devenu la source d’un agacement.

A partir de là, j’avais énuméré une dizaine de choses que je n’avais plus envie de voir au cinéma. C’était exprimé pour faire rire, mais au fond c’était sérieux.

Peux-tu nous parler de ton travail d’écrivain ?

Quand j’ai envie de raconter quelque chose, je me demande d’abord sous quelle forme. En effet, les histoires ne se racontent pas toutes de la même manière et passent par des supports différents. C’est aussi une question économique, quand je décide d’écrire un roman, je sais que je dois y consacrer du temps, un temps qui sera quasiment gratuit. Il faut donc que j’ai un peu d’économies, ou de la visibilité sur mon travail à venir pour m’organiser. Si c’est une pièce de théâtre comme c’est le cas en ce moment, c’est encore différent. En effet, non seulement je ne suis pas payé pour l’écrire mais en plus, il faut que je me dégage du temps après pour la monter, car je sais que si je ne m’en occupe pas moi-même, cela n’aura certainement pas lieu.

C’est donc à la fois une question d’esthétique, de choix de vocabulaire et de mode de narration, et une question économique. Il y a des univers, des visions du monde auxquels on peut faire croire avec les moyens du roman, mais que je suis incapable d’imaginer comme film. Mais je peux me tromper. Par exemple, mon roman La Nièce de Fellini, une amie actrice m’a déjà suggéré d’en faire une adaptation, elle voit très bien le film que cela donnerait, même si moi je ne le vois pas.

Quelle serait ta relation idéale avec un producteur ?

J’ai vécu de belles relations avec des producteurs, qui m’ont appris beaucoup de choses, m’ont fait énormément progresser. J’ai aussi eu évidemment des relations exécrables avec d’autres, qui se sont montrés malhonnêtes ou méprisants, mais c’est heureusement beaucoup plus rare. En ce moment même je travaille avec Jean-Baptiste Jouy, le producteur de Step by Step. On se comprend, on se respecte, il fait un vrai travail de développement et c’est très agréable. Je pense que ce qui est important c’est qu’on ait le même langage.

Il faut que, quand le producteur parle au scénariste de son travail, il lui dise des choses que le scénariste comprenne. C’est une question de rencontre et d’alchimie.

Le plus important, un fois qu’on a cette compréhension réciproque, c’est la franchise. Si le producteur ne dit pas réellement pourquoi quelque chose ne va pas, le scénariste ne sera pas à même de corriger et — d’expérience — cela créera des conflits.

Ainsi ce qui est important dans la relation avec un producteur ou une productrice c’est d’être franc et de respecter le travail de l’auteur. Comme ils doivent aussi comprendre et satisfaire le point de vue des diffuseurs, leur position est très compliquée, elle demande beaucoup d’intelligence et de diplomatie. Ils sont comme des éditeurs qui n’auraient pas le pouvoir de décision finale.

Tu as écrit une tribune sur le système économique du cinéma français, dans Le Monde. Peux-tu nous en parler ?

Au cours d’une discussion avec deux amis, j’avais parlé de ce que j’avais touché du doigt avec mon long-métrage à moitié autoproduit Reception (save the date) : le principal problème n’est pas du côté de la production mais plutôt de la distribution. Il n’y a pas assez de guichets. Cela paraissait intéressant à ce moment-là. Cela a été beaucoup dit ensuite, notamment par le patron de Wild Bunch Vincent Maraval qui est producteur et distributeur. Il y a un énorme vivier du côté de la production ; on a un système vertueux, avance sur recette, comptes de soutien, etc… qui paie pour faire écrire des scénarios, qui fait émerger les idées. Il existe donc beaucoup de possibilité pour produire mais peu de canaux pour diffuser. Notamment par la chronologie des médias qui a sacralisé la salle. Ces deux amis, Quentin Jagorel et Paul Grunelius, avaient écrit une tribune après cette discussion entre nous, ils m’avaient demandé de participer et de signer.

Comment intègres-tu la musique dans ton écriture ?

Je ne pense jamais à la musique quand j’écris un scénario, mais bien plus quand je suis réalisateur. Pour mon projet de série Chez Dolores, j’ai inséré une liste dans la bible qui indique quelles musiques vont passer, car dans cette série qui se passe dans un bar le jukebox est un personnage en soi. C’est de la musique intradiégétique. Pour la musique d’accompagnement ou extradiégétique, à mes yeux cela fait partie de la mise en scène, c’est une réflexion qui revient au réalisateur. Finalement, je trouve que la musique est cruciale pour le metteur en scène, et secondaire (peut-être à tort) pour le scénariste.

Tu peux nous parler de tes projets sur la plateforme ?

Le premier est un thriller psychologique, Presque parfaits, je l’ai évoqué tout à l’heure : l’histoire d’un couple d’hommes, apparemment très bien acceptés par leur proches et insérés dans leur petite ville du sud de la France, qui se retrouvent victimes d’une série de persécutions. Je pense que ce projet peut intéresser le petit comme le grand écran.

Le second est Les Zadistes, un western politique, j’en ai aussi parlé précédemment. Celui-ci j’aimerais le réaliser, idéalement pour le cinéma.

Le troisième est plus atypique, c’est une série en épisodes bouclés de 40 mn : Chez Dolores. Il y a eu au début de l’année 2020 un appel à projets sur Paper to film qui permettait d’aller au festival de Valence scénario, et ce projet a eu la chance d’être retenu — après quoi le festival a malheureusement été annulé pour cause d’épidémie. C’est une série transgenre. D’abord parce qu’elle est à la fois comique et dramatique, ou plutôt tantôt légère et tantôt grave, avec des glissements vers le policier et le fantastique. Ensuite parce que le personnage principal est transgenre : c’est la Dolorès du titre, qui est née Douglas. Chez Dolorès est un bar de nuit qui rassemble des habitués, des noctambules, des fêtards, des voyous, des prostituées, des gens déclassés, des artistes, des touristes — un lieu de brassage et de mixité. J’ai développé ce projet avec mon ami le romancier Frank Secka. On a beaucoup fait la bringue tous les deux dans les années 90 à Paris, et on aimait en particulier deux endroits qui ont inspiré Chez Dolores : Chez Carmen dans le 2e arrondissement et Le Club Club à Pigalle. On a décidé de faire d’un bar de nuit dans ce style un personnage de série. On a ajouté à cela un guest comme personnage principal de chaque épisode. Il arrive dans ce bar à un moment critique de sa vie, et il vit une aventure qui le secoue. Idéalement, ça permet d’avoir un acteur ou une actrice très connu(e) pour juste un épisode. C’est un peu le même système que Dix pour cent, sauf que chez nous le guest n’est pas dans son propre rôle, donc on peut lui faire faire des choses plus rock’n’roll.

Chez Dolores : “La première nuit du reste de ta vie.

Presque parfaits : “Dans la plupart des affaires de persécutions, le coupable est un proche.”

Les Zadistes : “On ne change pas le monde en restant innocent.

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