Hélène Giudicelli : “La raison et le sens des histoires viennent en réponse à des questionnements personnels”

Un an après sa formation au CLCF, Hélène Guidicelli nous raconte l’écriture de son premier scénario de long-métrage.

Lia Dubief
Paper to Film
6 min readJun 19, 2019

--

Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire du cinéma ?

Cela remonte à mon enfance. J’ai grandi en Corse dans les années 90. J’adorais imaginer des histoires, et les mettre à l’écrit. Petite, je m’essayais à l’écriture de chansons, de pièces de théâtre et de scénarios. Je trouvais merveilleuse l’idée que le cinéma pourrait mettre en image ce que j’écrivais. Je pensais alors devenir auteur réalisatrice.

Je me suis finalement un peu éloignée de mon rêve de cinéma en intégrant une école de commerce après le lycée. Dans le cadre de ce cursus, j’ai tout de même réalisé toutes mes expériences professionnelles en production audiovisuelle car je souhaitais garder un lien avec le cinéma.

À ma sortie de l’école de commerce, j’ai choisi de faire une formation scénariste en une année au CLCF (Conservatoire Libre du Cinéma Français) car je souhaitais revenir à mon rêve premier d’écriture et gagner en légitimité.

Comment as-tu acquis une méthode d’écriture ?

J’avais acheté pas mal d’ouvrages sur le sujet, mais c’est vraiment ma formation qui m’a donné les outils pour écrire avec plus de structure. Dans l’apprentissage, on mélangeait des cours très théoriques avec des ateliers pratiques. Pendant l’année, nous devions développer un projet de long-métrage. Pour ce travail, j’ai repris un projet que j’avais commencé toute seule pour le prolonger et l’améliorer.

Durant cette année, nous avons aussi beaucoup travaillé main dans la main avec la section réalisation. C’était un exercice très intéressant puisque nous devions écrire des scénarios de courts-métrages d’après les idées des étudiants en réalisation. Cela nous a appris à travailler sur commande. Il y a eu aussi des projets collectifs, en binôme : ces collaborations ont été très enrichissantes.

As-tu déjà participé à des festivals ?

J’ai présenté mon projet de long-métrage Jeunesse Sacrifiée au Festival de Valence en 2018 à la compétition Stand Up des Bleus. Il n’était pas encore terminé, mais j’avais eu la chance d’arriver jusqu’en finale. C’était une expérience gratifiante pour le projet car cela a prouvé que le sujet pouvait intéresser un public. Cet événement a été formateur car j’ai dû pitcher le film devant un public et un jury. On n’est pas toujours préparé à cet exercice donc je me suis servie de mes acquis de l’école de commerce.

As-tu l’habitude de faire lire tes projets ?

Oui. J’ai mis du temps à oser faire lire mes écrits, mais maintenant je considère cela comme une étape essentielle dans l’écriture de mes projets. Avec mes camarades de l’année dernière, nous avons développé cette entre-aide et nous nous échangeons souvent des scénarios.

J’ai pu faire lire certains projets à des contacts dans les sociétés de production dans lesquelles j’ai travaillé. J’aime beaucoup avoir des retours sur ce que je fais pour améliorer mon travail. Il faut apprendre à accepter la critique et savoir prendre le bon et le moins bon de chaque avis. C’est très utile de se remettre en question. Quand j’envoie quelque chose à lire, j’essaie d’envoyer une version la plus aboutie possible.

J’aime aussi avoir des avis totalement extérieurs au milieu du cinéma. Je considère que c’est un public important, puisque ce sont eux qui vont au cinéma. Ce sont des retours parfois différents de ceux des professionnels qui peuvent révéler certaines choses qui nous échappent. Cela permet de revoir ce qui manque de clarté.

As-tu déjà écrit à plusieurs ?

J’ai co-écrit une web-série sur un format imposé et à partir d’un budget restreint. À trois, nous avons commencé par définir un projet global notamment par l’écriture d’une bible, puis nous nous sommes partagé l’écriture des épisodes à partir de synopsis que nous avions déterminés ensemble. Finalement, dans le détail chacun était assez libre, tout en suivant la bible détaillée écrite tous ensemble.

Lors de l’écriture de court-métrages en duo, nous alternons des moments où l’on se réunit pour confronter nos idées, avec des moments d’écriture plus solitaires. On travaille toujours ensemble la structure et le sens du récit. Une fois que ces choses sont posées, on peut se donner des libertés.

Quelle étape préfères-tu dans l’écriture ?

J’aime le processus dans son ensemble, mais je suis tout particulièrement attachée à la phase de recherches. Dès que l’idée est suffisamment développée et que je sens qu’il y a assez de matériel exploitable, je passe toujours par une phase de recherches assez poussée sur le contexte, l’univers du projet : les milieux professionnels, les régions, les cultures. Je ressens un devoir d’être fidèle au sujet que je choisis de traiter. C’est la phase la plus longue. Cela me permet aussi d’être assez renseignée pour que les intrigues se recoupent et que la caractérisation des personnages soit naturelle.

Comment naissent tes idées ?

Au quotidien, je m’interroge beaucoup sur ce qui m’entoure et sur ce qui m’interpelle. Il y a des problématiques qui me touchent plus que d’autres, et c’est là que les histoires vont naître. Les idées me viennent en réponse à des questions que je me pose. J’aime raconter des histoires, mais il faut qu’elles aient une raison et un sens pour moi, et ceux-ci découlent généralement de questionnements personnels et quotidiens.

Quelles ont été les prémices de ton premier long-métrage ?

J’ai entamé ce projet il y a environ deux-trois ans. C’était le résultat de questionnements que j’ai gardé en moi depuis mon enfance. J’ai grandi en Corse dans les années 1990 et j’ai le souvenir d’une ambiance pesante. Le soir dans les journaux télévisés, j’entendais parler d’assassinats, de règlements de compte. Quand on est enfant, on ne sait pas vraiment ce à quoi ces évènements font référence, mais on peut ressentir l’angoisse ce ces situations. En grandissant, j’ai eu envie de comprendre d’où venaient ces angoisses et pourquoi j’avais ressenti cette ambiance pesante. Je ne connaissais pas très bien l’Histoire de la Corse dans cette période. En m’intéressant à ces événements, j’avais aussi envie de me comprendre mieux.

Comment as-tu procédé pour l’écrire ?

J’ai fait beaucoup de recherches et réalisé des interviews de personnes qui ont connu cette période. Durant ces années, il y avait une guerre fratricide entre les deux branches armées du FLNC. J’ai alors posé ce contexte pour mon film.

Par ailleurs, il y avait d’autres sujets que j’avais envie d’aborder qui pouvaient concerner la Corse ou être universels. Je voulais notamment traiter le rapport des Hommes avec la violence : comment bascule-t-on dans la violence, comment évolue-t-on dans un groupe violent, quelles sont nos limites… J’avais aussi envie de traiter de la complexité de la jeunesse sur l’île. Pour cela, j’ai eu l’idée d’articuler l’histoire autour d’un trio d’amis d’enfance soudés qui ont pourtant des personnalités opposées. Chaque personnage reflète une facette de la Corse : l’un d’eux représente une jeunesse identitaire et violente, un autre une jeunesse attachée aux traditions, à sa terre et à la simplicité. Enfin, le troisième personnage représente une jeunesse ouverte sur le monde et qui souhaite participer à la modernité. J’ai ensuite mêlé les intrigues amicales, amoureuses et idéologiques au contexte historique.

Parmi les autres thèmes abordés dans ce film, on peut compter l’exploration des amours amicaux, fraternels et amoureux. Aussi, j’ai voulu traiter de l’innocence de la jeunesse qui s’envole, parfois de manière violente.

Qu’est-ce qui est ressorti de cette expérience ?

C’est un processus qui prend beaucoup plus de temps que pour un court-métrage, durant lequel on ressent des hauts et des bas. Comme le thème me touchait, je n’ai pas eu de mal à m’investir dans l’écriture sur le long terme. Au début, j’ai eu quelques doutes sur la légitimité que je pouvais avoir à parler de cette époque que je n’ai connu qu’en temps qu’enfant. J’ai eu des discussions avec des scénaristes bien plus confirmés, qui m’ont rappelé que le scénario est différent du journalisme et que l’on a le droit de mêler la fiction au réel.

L’écriture d’un long métrage nous en apprend aussi beaucoup sur nous-même. Il nous confronte à nous-même. J’ai du apprendre à me détacher de mes personnages. Jusqu’où le personnage est capable d’aller ? Il faut savoir lâcher prise et se détacher de notre éthique personnelle et de dépasser nos valeurs. Pour chaque personnage, il faut se demander quelles sont les parties de soi qu’on place en chacun et celles que l’on doit abandonner.

Ses projets sur Paper to Film :

Jeunesse Sacrifiée : 1994. En Corse. Trois amis d’enfance voient leur amitié ébranlée lorsque des sentiments amoureux émergent et que l’un d’eux, Joseph, s’engage dans un groupe armé, nationaliste et clandestin, mettant leurs vies en danger.

--

--