Jonas d’Adesky : “Je me pose toujours la question du lien entre ce que je veux exprimer et ce qui peut être parlant pour les autres.”

Auteur et réalisateur, Jonas d’Adesky, soutenu par l’Organisation Internationale de la Francophonie, nous partage son expérience cinématographique marquée par les récits humains.

Orlane
Paper to Film
18 min readJan 18, 2021

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Peux-tu nous parler de ton parcours et de comment tu en es venu à l’écriture ?

J’ai toujours bien aimé raconter des histoires, j’écrivais des nouvelles et, vers 12 ans, j’ai fait des ateliers d’écriture dans l’école que je fréquentais, en périscolaire. Ils comportaient des thématiques différentes, poussant à écrire sur divers sujets.

J’ai aussi participé à plusieurs concours de nouvelles.

Ma motivation était de raconter des histoires, par l’intermédiaire de l’écriture en général.

Une autre activité périscolaire a été mise en place par une ancienne élève devenue réalisatrice.

C’est comme cela que j’ai découvert ce qu’était un scénario et la réalisation. Nous avons réalisé un court-métrage au cours de l’année. Il fallait que chacun propose une histoire et la mienne s’est démarquée. Je me suis d’abord prêté majoritairement au rôle de scénariste. J’ai aussi pris la casquette de réalisateur, même si tous les postes étaient très partagés entre nous tous. C’était ma première expérience et ce que j’ai particulièrement aimé était le lien entre la partie d’écriture — étant donné que mon écriture était déjà assez visuelle, ça n’a pas été compliqué de développer un scénario — et le travail collaboratif avec toute une équipe. La découverte du montage — qui est, en quelque sorte, “la troisième écriture” — était aussi magique. C’est ainsi que j’ai fait mon premier court-métrage à 16 ou 17 ans.

Par la suite, j’ai fait des études de sociologie. A 18 ans, je ne savais pas encore ce que je voulais dire alors il ne me semblait pas logique d’immédiatement m’orienter vers des études de réalisation sans avoir l’impression “d’être nourri”. J’ai aussi choisi la sociologie car c’est un domaine en lien avec le fait d’avoir un regard sur le monde.

Au cours de mes études, j’ai fait un deuxième court-métrage que j’ai écrit et réalisé, avec des amis et sans grand budget. Après trois ans d’études, j’ai fait un Master en histoire du cinéma et écriture de scénario en parallèle avec mon Master en sociologie. J’ai terminé mes études avec un scénario de fiction, pour mon Master en cinéma, et un mémoire sur la différence entre cinéma d’auteur et cinéma commercial pour mon Master en sociologie. J’ai ensuite décidé de me diriger vers une école en cinéma et réalisation, notamment dans l’optique de réaliser le film que j’avais écrit. C’est comme cela que j’en suis venu à étudier la réalisation à l’IAD. J’ai poursuivi mon parcours en acquérant des compétences techniques et en rencontrant des techniciens. J’ai aussi réalisé un court-métrage nommé Résonances, parallèlement à ma scolarité.

À la fin de mes études, en 2010, je suis immédiatement parti en Haïti suite au tremblement de terre. Ma compagne, qui était assistante sociale, voulait s’y rendre pour apporter son aide et c’est devenu un projet de couple. Je voulais aussi essayer de “donner un coup de pouce” et voir ce que je pouvais apporter avec ma casquette de réalisateur.

On a rencontré une ONG qui soutient un projet local et qui était intéressée par nos deux profils. Celui de ma compagne notamment pour un aspect axé sur l’organisation sur place, et le mien dans le but de proposer des films, des animations avec les enfants, et de réaliser un petit film pour faire la promotion du projet.

Je suis parti là-bas avec une idée et un synopsis d’une page. Sur place, j’ai écrit un scénario de long-métrage, en immersion totale, avec la chance et la richesse de pouvoir avoir, devant moi, le terrain et les acteurs. Mon écriture s’est nourrie de mes rencontres et de mes découvertes du pays. Ma compagne et mon chef opérateur — qui était, à l’époque, en Belgique — ont lu le scénario et j’ai développé la version définitive selon leurs retours et selon le casting que j’avais choisi.

Le tournage a débuté deux semaines après. C’était “un petit miracle” étant donné les conditions compliquées : c’était un tournage avec des enfants dans un cadre post-tremblement de terre dans un pays extrêmement pauvre. On n’avait pas de moyens.

Mes parents m’ont un peu aidé et, avec quelques aides, on avait un budget de 2000 € pour tourner le film durant six semaines. Tout le monde a dû participer et il y a eu beaucoup de négociations. On est finalement arrivés au bout de cette aventure et, en rentrant en Belgique, j’ai pu procéder au montage et j’ai bénéficié d’une aide à la finition.

Par la suite, ça a été une très belle aventure car le film a participé à de grands festivals — tels que ceux de Berlin et Toronto — et est sorti dans les salles en Belgique. Cela a été, pour moi, un tremplin indéniable et mon enthousiasme n’a pu être qu’accru par le fait que j’étais un des plus jeunes réalisateurs belges — j’avais moins de 30 ans — à avoir fait un long-métrage.

S’en est suivi un retour à la réalité. Je ne connaissais pas du tout le “vrai travail”, plus classique, d’un.e scénariste, qui doit passer par des commissions, imposer son projet et convaincre des personnes d’y investir de l’argent.

Par la suite, avec ma double casquette de scénariste et réalisateur, j’ai directement eu une idée de long-métrage en lien avec mes origines rwandaises. Tout le monde pensait que j’étais haïtien, après Twa Timoun et à cause de mon apparence métissée.

J’ai voulu revenir à mes origines et faire un film sur ce sujet. J’ai commencé à écrire une proposition, avec l’ASBL Résonances — que j’avais créée pendant mes études et qui m’avait servi à porter mon projet de long-métrage en Haïti. Pour mon nouveau projet, je pensais ne pas avoir besoin de convaincre un producteur et pouvoir porter moi-même mon projet en commission, avec ma structure… Ça a été “un massacre”. Je découvrais que même cette première étape du travail d’écriture n’était pas de proposer un concept, un embryon de projet, mais déjà un traitement abouti.

J’ai alors fait appel à une personne pour co-écrire le projet, puis à un producteur. Il m’aura finalement fallu deux ans et demi pour obtenir une aide à l’écriture pour ce projet appelé aujourd’hui Temps mort. Ensuite, en Belgique, je ne suis pas parvenu à obtenir une aide à la production malgré une aide au développement et ma participation à l’Atelier Grand Nord avec le projet. Finalement, grâce à ma nationalité rwandaise, j’ai eu une aide à la production de l’OIF. Récemment, je suis passé à la commission plénière du CNC, en France — car j’ai un producteur français — avec une adaptation française du scénario. Mais je n’ai finalement pas eu l’aide et je vais devoir redéposer…

Bref, cela fait environ six ans que je travaille sur mon deuxième long-métrage Temps mort et je suis encore en train de le porter et d’écrire des versions de scénario en fonction des commissions et des retours que l’on me fait. Ce parcours du combattant me permet de dire que la vie de scénariste peut être compliquée et très frustrante. Pour moi, le scénario est un outil de travail pour faire un film. S’il doit rester au stade de scénario, je le vis personnellement comme un échec au vu du travail et de l’investissement qu’il représente. Un film coûte très cher et le travail de scénariste est très concurrentiel car il y a peu d’argent investi dans le cinéma et dans la culture en général. Il y a donc toujours ce risque, lorsque l’on développe un projet, qu’il n’aboutisse pas.

En parallèle de mon travail de scénariste, je travaille aussi à la RTBF comme assistant réalisateur.ice. Je fais aussi des petits films pour des commandes. Cela me permet de travailler pour des projets aboutis et qui sont visibles.

Au niveau du scénario, l’une des conclusions de mon parcours peut être de travailler sur différents projets sans être trop dans l’expectative d’un retour ou d’une validation. Avoir plusieurs projets en parallèle permet de limiter la frustration par rapport au fait de ne pas mener à terme des projets qui nous tiennent à cœur. En ayant plusieurs options, on multiplie aussi les chances pour qu’un projet fonctionne et que la situation se “décoince”.

Que t’apporte ton “double parcours” en sociologie et en cinéma ? Penses-tu avoir une approche différente que celle des autres scénaristes et réalisateur.rice.s ?

C’est difficile à dire, puisque la façon de travailler des autres est quelque peu abstraite pour moi. Je n’ai jamais exercé comme sociologue même si j’ai une formation dans ce domaine.

Mon parcours m’a peut-être apporté une approche différente et moins auto-centrée du cinéma. C’est-à-dire qu’avant d’étudier la sociologie, je m’intéressais à un cinéma de l’intime, assez psychologique et au fait de rechercher la subjectivité des personnages. Après mon cursus en sociologie et avec l’âge et la maturité, je me suis ouvert au réel et à une démarche où je me nourris de la réalité.

Mon premier long-métrage a été écrit en fonction d’une réalité et ça a été très fort. C’est aussi ce à quoi j’aspire avec mon projet Temps mort qui se passe en grande partie au Rwanda. J’ai mon idée de fiction, mais je cherche des décors naturels qui vont faire partie de l’histoire et peut-être changer, en partie, le scénario. Idem avec le casting, puisque j’aime trouver un écho entre mes personnages et le vécu de ceux qui vont les interpréter. La rencontre me permet alors de potentiellement finaliser mon scénario en fonction du point de vue des interprètes et/ou de ce que je trouve en eux.

Je n’invente pas une réalité. Par exemple, un décor artificiel ne m’intéresse que très peu. Au contraire, je vais m’adapter, sur base de mon idée, et me nourrir de ce qui existe. Le deuxième personnage de mon film Temps mort, au début, était inspiré de mon grand-père qui avait un commerce de café. Je suis allé au Rwanda et j’ai découvert que le thé était beaucoup plus intéressant, d’un point de vue visuel — plantations bien plus belles et grandes — mais surtout parce que c’est une culture bien plus répandue que le café. J’ai donc changé ce détail. De même pour mon personnage principal. Elle était judoka à la base, j’en ai finalement fait une basketteuse car c’est un sport bien plus important au Rwanda. Dans le même ordre d’idée, je fais partie de l’ASBL Humanitarian Prosthetists and Orthotists dont l’objectif est d’aider à réaliser des prothèses orthopédiques pour un public en difficulté. Or, une partie du projet se situe au Rwanda. J’ai ajouté cela dans l’histoire, en termes de personnage et de décor.

Ma casquette de sociologue s’implique notamment sur ce type de démarches en ajoutant de la réalité à l’histoire — fictive — que j’imagine dans un premier temps.

Comment stimules-tu ton imagination et comment trouves-tu tes idées ? As-tu une méthode de travail particulière ?

Mon idée de base est généralement très personnelle et inspirée de mon vécu. Par exemple, mon projet Temps mort s’est développé à partir de l’idée selon laquelle si on a des “nœuds” dans notre passé, on a du mal à se projeter dans l’avenir. Ce sujet parle de moi, car je suis une personne de nature assez angoissée. J’ai besoin de parler et de régler chaque problème ou préoccupation au plus vite afin que cela ne reste pas comme “une boule dans mon estomac”. Ce n’est peut-être pas le cas pour tout le monde, mais je pense que la démarche de parler du “nœud” et de le résoudre est bénéfique pour chacun.e.

Je me pose toujours la question du lien entre ce que je veux exprimer et ce qui peut être parlant pour les autres.

Sinon, c’est dans le cœur de l’écriture que je vais avoir le lien avec le réel dont je parlais. En traitant ou développant, pour que les choses existent et soient touchantes, il faut que ce soit vrai. Je m’appuie sur des faits réels que j’ai entendus ou sur lesquels je me suis informé.

Il y a également un apport certain de mon producteur qui intervient beaucoup en termes d’écriture. J’ai la chance de travailler auprès de quelqu’un doté d’une belle lecture. De plus, il me connait bien et sait sur quels sujets se concentrer et “appuyer”. Il y a un côté “archéologue” chez les scénaristes, il faut rechercher tous les éléments nécessaires pour faire totalement exister une scène. Il y a donc à l’origine un travail très personnel qui s’ouvre par l’apport des personnes qui nous aident et grâce aux recherches dans “le réel”.

Mon nouveau projet de long en écriture, Petite reine, porte sur une joueuse d’échecs — sujet très en vogue avec la nouvelle série Netflix Le Jeu de la Dame -, roumaine et venant de Belgique, qui cherche un moyen d’émancipation. Le fait qu’elle soit roumaine, au début, était quelque peu abstrait pour moi. Petit à petit, je me suis intéressé à ce qui se passe en Roumanie, aux problèmes, à la question de la femme en Roumanie puisque c’est un personnage féminin, etc. Je trouve cela fascinant, de voir à quel point on s’attache au scénario au fur et à mesure de ces découvertes qui rendent le projet vivant.

Ce n’est pas tant l’histoire qui prime dans ce cas. En tant que jeune scénariste, j’avais l’impression que ce qui faisait la force d’un scénario était sa structure et le pitch mais, finalement, ce sont tous ces détails en arrière-plan et la façon de raconter. Les bonnes histoires, tout le monde en a. Il s’agit de savoir comment les raconter. Tout ceci est passionnant et très complexe.

Que t’apporte ta casquette de réalisateur dans l’écriture du scénario ?

Je ne dissocie pas réellement les deux. Peut-être que, comme ce dont je viens de parler, le fait d’être aussi réalisateur me pousse à me projeter assez rapidement dans des images à travers l’écriture. Mon écriture se différencie peut-être de celle d’un scénariste qui peut sans doute se projeter et évoluer dans son travail sans nécessairement s’appuyer sur un support réel.

À terme, je souhaiterais davantage travailler avec un.e scénariste ou plusieurs. Dans l’absolu, je préfèrerais évidemment pouvoir choisir de co-écrire mes projets. Actuellement, je travaille avec un script doctor. Celui-ci m’accompagne et me fait des retours sur mon écriture, et c’est précieux !

Lorsque j’imagine ma carrière sur le long terme, en tant que scénariste-réalisateur, je pense qu’il sera trop chronophage d’écrire seul. Si je peux m’appuyer, en termes d’écriture, sur des personnes qui comprennent et partagent mon univers, je crois que mes projets gagneront à la fois en qualité et en temps de développement. Cette logique me permettrait aussi d’avoir différents projets en parallèle sans être débordé… Cependant, être scénariste est un choix, j’affectionne beaucoup l’écriture. Je pense qu’il serait difficile pour moi de recevoir un scénario et de ne porter que la casquette de réalisateur. Je ne veux pas dire que je suis fermé. Si on me propose de réaliser un projet qui me plaît, je ne refuserai pas. Ce n’est pas fréquent de pouvoir réaliser et cela me manque.

Mais par nature, je suis plus à l’aise à l’idée de diriger des comédiens et une équipe autour d’un projet lorsque je l’ai développé dès l’écriture.

Peux-tu nous parler de ton expérience de la co-écriture, de ce que cela t’a apporté et des difficultés que cela peut impliquer ?

La co-écriture apporte un certain enthousiasme, ce qui est positif. Travailler avec quelqu’un facilite souvent l’écriture et permet, la plupart du temps, de contourner nos défauts et de compléter nos visions des choses. Cela implique bien sûr une certaine méthode de travail, ce n’est pas toujours évident. Les consensus peuvent prendre du temps et il ne s’agit pas de directement coucher son idée sur papier. Je dirais aussi qu’il peut parfois y avoir une frustration, lors d’une co-écriture, lorsqu’on n’est pas d’accord sur certains éléments et qu’il faut tout de même avancer.

Dans ma carrière, sur le long terme, je suis quand même curieux de travailler avec un.e scénariste qui aurait beaucoup d’expérience. Jusqu’ici j’ai plutôt travaillé avec des personnes qui avaient moins d’expérience ou autant que moi. La plupart du temps, ça fonctionnait bien le temps du traitement, puis je décidais de continuer seul pour des raisons financières surtout, mais aussi car j’avais l’impression que la collaboration ne me faisait pas gagner suffisamment de temps ou d’énergie. Je pense que l’important pour un.e scénariste est de définir une manière d’avancer et d’avoir l’impression d’une constante évolution.

Pour mon nouveau projet de long-métrage, j’ai déjà parlé avec mon producteur du fait que je pense avoir besoin de l’aide d’un.e co-scénariste pour rédiger une V2 scénario. Ma motivation est d’avoir le meilleur projet possible, et je pense qu’un deuxième regard est un plus. Mais c’est aussi stratégique puisque présenter un projet écrit par deux scénaristes est généralement plus crédible et donc moins attaquable que lorsqu’on est seul.e. Recevoir seul.e les critiques peut aussi souvent être pesant. Le monde du cinéma fonctionne comme cela : sous un aspect qualitatif mais aussi dans la stratégie pour définir ce qui peut nous donner le plus de crédibilité. Cela représente une difficulté supplémentaire pour les jeunes scénaristes, puisqu’iels n’ont pas ce “prestige” aux yeux des gens alors qu’iels sont peut-être aussi doué.e.s que les scénaristes qui ont vingt ans d’expérience.

De ce côté, je me sens plus en confiance avec ma double casquette de scénariste-réalisateur. Car si je décide d’écrire avec quelqu’un d’autre, je suis en mesure d’avoir le dernier mot. Le fait de ne pas avoir la casquette de réalisateur.ice peut donc aussi représenter, pour les scénaristes, une forme de frustration dans leur écriture s’iels sont confronté.e.s à un.e réalisateur.ice ou à un.e producteur.ice plus fort.e.s et expérimenté.e.s. C’est le consensus du cinéma, c’est un travail d’équipe. Pour ma part, je suis ouvert au dialogue et, si je constate une frustration chez un autre parti, c’est qu’un réel défaut est pointé et j’en tiens compte. C’est une question d’équilibre.

Quelle est ou serait ta relation idéale avec un.e producteur.ice ?

C’est compliqué de répondre à cette question étant donné que je n’ai pas un grand nombre d’expériences avec des producteur.ice.s. Hélicotronc, m’a apporté son aide sur la finition de mon premier projet en Haïti. C’était une excellente expérience. Cependant, au niveau du travail d’écriture, je n’ai pas eu l’occasion d’être en développement avec ce producteur. Mais avec le temps, j’ai en tout cas réalisé que si je ne travaillais pas avec un(e) autre scénariste, j’avais besoin d’un.e producteur.ice impliqué.e dans l’écriture. C’est actuellement le cas avec Neon Rouge Production.

Côté matériel, l’idéal serait que je puisse être financé dans ma démarche d’écriture dès le travail du concept. Le problème, c’est que le milieu du cinéma est tellement concurrentiel que seuls les « gros » producteurs peuvent prendre le risque de parier sur un scénariste dès le départ sans aucune garantie de financement. En Belgique, par exemple, j’ai le statut d’artiste. Sans ce dernier, je ne pourrais pas faire ce que je fais. C’est comme le statut d’intermittent en France, c’est une sorte d’allocation journalière lorsque je n’ai pas d’autre contrat. C’est cela qui me permet notamment de lancer l’écriture des projets au départ, ce qui représente un travail considérable, fait aussi, de pistes oubliées.

Pour conclure, je dirais qu’une production idéale rassemble une implication dans l’écriture et un soutien économique d’un projet du début à la fin, ainsi qu’une transparence et un réel dialogue à tous les niveaux.

Peux-tu nous parler de tes projets en cours ?

A ce stade, je ne veux pas en dire beaucoup plus que les pitchs car ce sont des « work in progress ».

Je travaille sur le long-métrage de fiction Petite Reine qui raconte l’histoire d’Ana, adolescente roumaine exilée depuis peu à Bruxelles, qui vit dans une tour de logements du centre-ville avec sa petite sœur et son père. C’est la cité, la précarité. Isolée et mise sur une voie de garage à l’école, Ana décide de prendre sa revanche sur la vie en devenant la femme la plus intelligente du monde… Ce qui signifie aux yeux de son père devenir champion du monde d’échecs.

Mon autre projet en cours d’écriture est une série 8X 52 minutes nommée Oasis qui raconte l’histoire de June et Nola dans leur ville frappée par une tempête liée au réchauffement climatique. L’une veut sauver le monde, l’autre veut le diriger… mais elles tombent amoureuses. Un Roméo et Juliette contemporain sur fond d’urgence climatique.

Par ailleurs, comme dit plus haut, je suis encore en phase de production de mon projet de long-métrage Temps mort, ce qui implique encore certaines retouches scénario. Le film raconte l’histoire de Lia, métisse rwandaise, qui est au crépuscule de sa carrière de basketteuse professionnelle en Europe. Un jour, l’entraineur de l’équipe rwandaise vient lui proposer une sélection en vue du Championnat d’Afrique. Elle part au Rwanda où elle n’est plus retournée depuis ses 9 ans quand elle a dû fuir le génocide. Ce voyage qui ravive les souvenirs d’un passé

douloureux va profondément bouleverser sa vie.

As-tu un format ou un genre de prédilection ?

Je penche plutôt pour le long-métrage de fiction. Ce que j’aime faire, c’est ce que j’aime voir de façon générale. Ce que j’aime moins avec les séries, c’est l’impression que “ça n’en finit pas” par rapport à un long-métrage où l’on peut découvrir l’entièreté d’une histoire en une seule fois. Par contre, les mini-séries sont un format que j’affectionne beaucoup ! Il y a tout de même une durée dans ce cas, puisque je sais qu’au bout de six ou dix épisodes, c’est terminé. Il m’est évidemment arrivé de regarder des séries plus longues lorsque je suis pris par l’histoire, que “j’accroche”. En résumé, je préfère les formats où j’entrevois une fin, donc plutôt film unitaire, téléfilm, mini-série ou série sur deux ou trois saisons maximum.

En général, j’aime le cinéma rythmé, lorsqu’il se passe des choses et qu’il y a du mouvement. D’où mon récent projet de série en écriture pour explorer ce format dans lequel on est poussé à inclure davantage de rebondissements. L’important pour moi, que ce soit un film ou une série, c’est qu’ils soient vus, qu’ils existent. Selon moi, le cinéma n’est pas le sacro-saint, un film est un film. Ce qui change, ce sont les contraintes, le budget auquel il faut s’adapter. Le public cible varie également entre la télévision et le cinéma. Ces critères ressortent sans doute plus lorsque l’on travaille sur un téléfilm ou une série par rapport au cinéma où l’on dispose peut-être d’une plus grande liberté.

Penses-tu à la musique dès le stade de l’écriture ou plutôt lors de la réalisation ?

J’ai commencé très tôt à collaborer avec un compositeur, Rafaël Leloup, avec qui j’ai une relation privilégiée. Il est au courant de tous mes projets en cours même si je ne les lui ai pas encore fait lire. Je pense à la musique en cours d’écriture ou à la fin. En tout cas, sur mes projets, les intentions musique sont posées avant le tournage. Pour Twa timoun, mon film en Haïti, j’avais flashé sur un groupe de musique haïtienne que j’avais rencontré sur place et ce fut la base que j’ai donnée à mon compositeur pour la bande originale du film. Pour Temps mort, on a tous les deux effectué un travail de recherche musicale rwandaise. Nos propres goûts musicaux sont aussi une inspiration. Rafaël a d’ailleurs récemment écrit un article sur son site web pour parler de cette dynamique positive qui consiste à collaborer au plus tôt avec un compositeur sur un projet de film.

Côté scénario, la musique est, pour moi, souvent associée aux personnages. Dans Temps mort, les chansons de Renaud font partie de l’enfance de mon personnage principal et créent un lien particulier avec son père. Dans mon projet Petite reine, l’héroïne aime la musique punk, ce qui est un peu « has been », mais qui fait partie du personnage en opposition au monde « nouveau » qui l’entoure.

En tant que scénariste, j’ai été mis en relation avec Paper to Film via l’OIF. Je trouve cela très bien que l’interface existe et dans mon cas, cela s’avère utile dans le cadre de la recherche de coproduction internationale.

As-tu déjà participé à des résidences d’écriture ?

Il y a deux ans, j’ai participé à l’Atelier Grand Nord au Canada. Je regrette qu’il n’y ait pas de résidence d’écriture en Belgique. C’est le juste milieu entre script doctor et co-scénariste. J’admire beaucoup la dynamique des résidences et j’aurais envie d’avoir cela sur chaque projet, notamment pour l’aspect collectif des retours.

Je trouve qu’il devrait y avoir des résidences d’écriture dans chaque pays afin d’avoir davantage de possibilités de postuler, sinon les places sont chères. On ne peut par exemple participer qu’une seule fois à l’Atelier Grand Nord donc j’ai déjà utilisé ma cartouche.

Peux-tu nous parler des projets que tu as déjà réalisés ? Notamment de Nuit Blanche qui est l’un de tes premiers courts-métrages ?

Nuit Blanche était mon film de fin d’études en 2010. C’était l’histoire d’un homme qui perd la mémoire et vit dans le souvenir de sa femme disparue à travers des photos de Polaroïd. Une jeune femme s’occupe de lui et tente de le sortir du souvenir dans lequel il vit.

Avec du recul, quand je revois ce film, j’aime l’univers, l’ambiance et la thématique de la mémoire — qui est au cœur de mon projet Temps mort — qu’on y trouve. Cependant, il y a une scène extrême que je changerais aujourd’hui pour être plus sur le fil de l’émotion.

Cela dit, il y a une certaine continuité avec ce que j’aime traiter dans mes films : les moments de transition où les vies peuvent basculer. Dans Nuit blanche, le vieil homme est tiré de sa bulle et doit soudainement faire son deuil, accepter le présent. Ces moments charnières de nos vies m’intéressent tout particulièrement.

Si tu devais donner un conseil à de jeunes scénaristes ou adresser un message aux producteur.ice.s, quel serait-il ?

Donner des conseils me paraît compliqué. Scénariste est un métier complexe pour lequel il n’existe aucune formule magique. Je crois qu’il faut être persévérant.e et parfois même résiliant.e. Accepter de remettre continuellement son travail en question en ayant la capacité de prendre les critiques et de rebondir. Je pense qu’il est également plus judicieux de travailler sur plusieurs projets en parallèle pour ne pas être frustré par des projets qui n’aboutiraient pas. Puis essayer de rester ouvert.e et tenter de communiquer l’envie à la base de nos projets.

Au final, je crois que la clé est le goût de l’écriture. Si c’est vraiment ce qu’on aime faire, alors le plaisir l’emportera toujours sur les difficultés du métier.

Temps Mort : Lia, métisse rwandaise, basketteuse professionnelle, part au Rwanda où elle n’est plus retournée depuis ses 9 ans quand elle a dû fuir le génocide. Ce voyage qui ravive les souvenirs du passé va profondément bouleverser sa vie.

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