Jonathan Rio : “On peut faire du montage dès le scénario, grâce à la manière de découper et de structurer le texte”

Après avoir écrit et réalisé plusieurs courts-métrages distingués en festival, Jonathan Rio s’installe dans la série avec de nouveaux projets en perspective.

Lia Dubief
Paper to Film
7 min readMay 27, 2019

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Comment es-tu devenu scénariste ?

Tout est parti de la réalisation : j’ai un parcours de technicien et j’ai toujours voulu faire de la fiction. Au fur et à mesure des années, après avoir réalisé des courts-métrages en auto-production et en production, j’ai commencé à écrire à partir de nouvelles de Gudule ou de Philip K. Dick. J’ai aussi collaboré avec une scénariste sur un film produit. En côtoyant le monde de l’écriture, j’ai ressenti le besoin de me former au scénario.

Il y a quelques années, j’ai entamé tout un parcours de formations, que ce soit au CEFPF en écriture de longs-métrages, à l’Ina en web séries et récemment au CEEA en séries télé. J’ai vraiment été piqué par l’écriture et aujourd’hui je peux dire que j’ai les deux casquettes d’auteur et de réalisateur. Par contre, je me laisse la liberté de réaliser les textes écrit par d’autres scénaristes ou d’écrire pour un autre réalisateur. J’ai une volonté de connaître plein d’expériences différentes en terme de collaborations et de création.

As-tu des affinités avec un format en particulier ?

Je me concentre de plus en plus sur la série car c’est un format qui me plaît en tant que spectateur et créateur, même si je n’abandonne pas pour autant le cinéma. J’aime développer des univers, surtout quand ils ont la place pour s’étendre. J’ai ressenti pas mal de frustrations de ce côté-ci lorsque j’écrivais ou réalisais des courts-métrages. En dix, quinze ou vingt minutes, on doit surtout se concentrer sur un concept ou sur une bonne idée. J’ai toujours voulu étirer des univers forts, que ce soit en partant de décors ou de personnages et donc je me suis senti restreint par le passage obligatoire au court-métrage. Je suis assez content de pouvoir évoluer maintenant vers la série, où je vais être en mesure de faire avancer simultanément plusieurs personnages et plusieurs lignes narratives.

Peux-tu nous parler des dernières séries que tu as écrites ?

J’ai deux projets en ligne sur Paper to Film. Il y a d’abord une web série (Synthetik) qui a reçu une aide de Pictanovo. Les retours que j’ai eu sur cette série m’encouragent à la développer sur un format plus conséquent, c’est pourquoi je suis actuellement en train de la réécrire afin d’en faire un format 8x26 minutes. Le format initial était de 6x8 minutes. C’est une série d’anticipation sous la forme d’une enquête dans la mémoire familiale. J’envisage de réaliser un pilote pour trouver les fonds nécessaires pour développer la série sur un format plus long que prévu.

Il y a aussi une série science-fiction/espionnage en format 52 minutes qui s’intitule Les Chronogéomètres. L’histoire se passe à notre époque, elle suit le parcours de Stella une jeune femme en recherche de ses origines. Stella entre dans un groupe d’activistes qui remontent dans le temps grâce à l’hypnose . Technophobes , leur but est de changer le passé afin de réduire l’impact de l’humanité sur la planète. Stella a les capacités d’aller assez loin dans le temps, elle va être chargée d’une mission, celle d’infiltrer les Chronogéomètres, des protecteurs de l’espace-temps qui évitent tous les changements qui pourraient y survenir. Mais les activistes ne se doutent pas qu’ils ont eux aussi été noyautés par un jeune Chronogéomètre. Les deux espions vont se rencontrer et être amenés à reconsidérer leurs quêtes réciproques. Stella va aussi apprendre que son propre passé ne se trouve pas là où elle le croyait. Avec cette série, j’ai utilisé toutes les possibilités amenées par le voyage dans le temps, tout en rendant les complexités temporelles le plus simple et le plus visuel possible. En plus du temps, c’est une histoire d’identité et de mémoire, des thèmes qui me sont chers.

As-tu des affinités avec certains genres ?

En effet, je suis assez fan du genre. Plus globalement, je me sens très lié à la grande famille de l’imaginaire, que ce soit la science-fiction, le fantastique, ou même la comédie musicale… J’aime tout ce qui peut colorer le réel, les formes créatives qui nous permettent de donner une autre dimension au quotidien et au trivial. On peut partir d’éléments très réalistes, les replacer dans des ambiances ou des lieux plus inhabituels, et inversement. Pour moi, le réel et l’imaginaire font partie d’un même monde. Dans ces genres, il y a une approche visuelle que j’essaie de retranscrire dans mon écriture. On me dit souvent que j’ai une écriture très visuelle et qu’elle permet à celui qui lit le scénario de se projeter. Cela doit être lié à ma pratique de la réalisation et de la mise en scène. Le but, dans cette écriture du genre, ce n’est pas de faire des exercices de style mais plutôt d’utiliser cette sensibilité visuelle pour donner du sens et une certaine profondeur à l’histoire que l’on raconte.

Je suis un enfant des années fin 1980–1990, donc j’ai grandi avec les Spielberg, Retour vers le futur et tout cet univers qui me permettait de partir dans l’imaginaire. Adolescent je lisais beaucoup de nouvelles, comme celles de Maupassant et de Théophile Gautier, qui sont les pères du fantastique français. Un de mes rêves serait d’adapter La Morte Amoureuse de Gautier par exemple. J’ai découvert la science-fiction plus tardivement.

Comment naissent tes idées ?

Souvent les idées me viennent sous la forme d’univers ou de décors. Dans Synthetik, l’histoire prend place dans la maison familiale. Le lieu devient alors une allégorie de la mémoire et des souvenirs de famille. Pour Les Chronogéomètres, l’idée est partie du personnage de Stella, de sa quête des origines au voyage dans le temps, j’ai essayé de tordre la notion de temps en imaginant que ses origines seraient justement perdues quelque part dans le temps.

Quelle est ton étape préférée dans l’écriture ?

Toutes les étapes ne me demandent pas le même effort et ne mobilisent pas les mêmes capacités. J’aime beaucoup le début, la création d’un projet, ce moment où l’on se trouve devant une page blanche et où l’on fait dialoguer le sujet avec les thématiques que l’on a envie d’apporter. On voit souvent émerger des thématiques inattendues, des choses que l’on n’avait pas prévues, des personnages que l’on pensait mineurs et qui prennent de plus en plus de place. C’est très plaisant de créer un monde, mais ça l’est encore plus lorsqu’il commence à nous échapper. Je passe donc pas mal de temps sur la structure, principalement quand j’écris une série, puisqu’il faut trouver l’organisation et le rythme interne à chaque épisode tout en recherchant une ligne dramatique globale.

J’aime beaucoup le travail des dialogues, j’essaie de trouver la voix des personnages, leur vocabulaire différent mais surtout leur poésie. J’essaie de ne pas construire des dialogues trop réalistes. Sur le papier, les dialogues naturalistes peuvent faire bonne impression, mais on y perd un peu d’emphase poétique. Ce qui me tient le plus à cœur, c’est le potentiel d’évocation des dialogues, donc j’essaie de m’écarter de la tentation du « retour à la vraie vie » qui peut être parfois réducteur.

Quels sont les liens entre écriture et mise en scène ?

Il ne sert à rien de s’étendre sur de longues didascalies, je crois que l’on peut être synthétique et qu’en quelques lignes on doit pouvoir faire ressentir une ambiance ou une tonalité. Ma formation initiale dans le cinéma c’est le montage, et je pense qu’elle est utile aussi au moment de l’écriture. On peut faire du montage dès le scénario, grâce à la manière de découper et de structurer le texte. Passer d’une ligne à l’autre peut permettre de passer d’un plan à l’autre et ainsi d’envisager un découpage technique. Une virgule peut être une respiration dans le plan, ou un changement de rythme. Quand je me projette dans la mise en scène, je travaille avec des storyboards. Cela fait partie d’une bonne préparation d’un film. Écrire sa page plan par plan c’est déjà se lancer dans la préparation du tournage et du montage, cela permet d’avoir une tenue globale de ce que l’on va réaliser. C’est un véritable support pour les collaborateurs.

Comment envisages-tu la relation auteur-producteur ?

Pour moi il y a une vraie collaboration artistique entre l’auteur et le producteur. Celui-ci ne peut pas se contenter d’organiser et de financer le tournage, il faut qu’il y ait une entente et une confiance dès le départ. Plus le projet avance, plus les difficultés arrivent, donc le travail de confiance en amont est très important.

Du côté des auteurs, je pense que les formations et les résidences permettent d’attirer plus facilement des producteurs sur nos projets. Cela participe à cette confiance dont je parle, qui doit être réciproque bien sûr ! Depuis que j’ai fait la formation au CEEA, les choses se sont accélérée pour moi. J’ai fait beaucoup de nouvelles rencontres, je suis représenté à l’agence de Lise Arif et j’ai optionné mon premier projet de série longue (Rivages), qui est un projet de genre.

Ses projets sur Paper to Film :

Synthetik : Dans un futur proche, une jeune femme dont le père a été assassiné quelques années plus tôt, cherche à disculper sa mère du meurtre en enquêtant dans ses souvenirs grâce à une machine expérimentale. Mais fouiller dans le passé n’est jamais sans conséquence…

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