Joséphine Darcy Hopkins : “Nous avons tous·tes envie de vivre des choses exceptionnelles, affronter des situations dangereuses et explorer des mondes inconnus… C’est cela que le cinéma rend possible.”

Scénariste et réalisatrice à l’origine de deux films produits, Joséphine nous parle des cinéastes qui l’ont menée jusqu’à l’écriture. Elle revient pour nous sur sa vision du scénario, de la réalisation et sur comment elle l’applique à ses projets.

Julian
Paper to Film
8 min readJan 30, 2023

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© Kris Dewitte

Quel est ton parcours et comment en es-tu venue à l’écriture du scénario ?

J’ai toujours été passionnée par le cinéma. Je me rappelle qu’à 10 ans déjà je regardais en cachette des films que je n’avais pas le droit de voir, comme Orange Mécanique ou 37.2 le matin. Je pense que le vrai point de bascule pour moi cela a été quand à 13 ans mon beau-père m’a montré Dancer in the Dark. C’est le premier film de Lars von Trier que je voyais et j’ai mis des jours à m’en remettre. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser un peu plus aux personnes qui étaient derrière la caméra — je voulais savoir QUI m’avait mis dans cet état et je voulais voir ses autres films.

J’ai fait du théâtre pendant quelques années, puis au lycée j’ai intégré l’option cinéma grâce à laquelle j’avais accès libre au Festival du Moyen-Métrage de Brive. J’y ai découvert beaucoup de films étranges dont le moyen-métrage de David Lynch The Grandmother. A l’époque, je ne savais même pas que ce cinéma-là existait. Ce sont des moments clés et des films qui m’ont fait comprendre que je voulais moi aussi me plonger dans des univers et raconter des histoires.

Je suis venue à Paris pour faire l’ESRA de 2014 à 2017. J’y ai écrit et réalisé plusieurs courts-métrages dont Margaux (2016) et Le Jour où Maman est Devenue un Monstre (2017) qui ont été récompensés dans de nombreux festivals. En parallèle de mes études j’ai fait différents stages sur des plateaux de cinéma et l’un sur un film produit par Vincent Brançon qui est ensuite devenu le producteur de « Nuage » (2020), mon premier film hors école.

Que t’apporte la casquette de réalisatrice ? Est-ce que tu souhaites continuer à réaliser tes projets d’écriture ?

Lorsqu’il s’agit de projets d’écriture que j’initie, l’idée de ne pas réaliser le film ensuite me paraît inconcevable. Je vis l’écriture comme quelque chose de tellement intime et personnel que je pense que je serais incapable de ne pas mener cette vision jusqu’au bout. En revanche, être co-scénariste pour accompagner un·e réalisateur·ice dans sa vision est un tout autre exercice. Je pense que c’est très enrichissant de pouvoir faire les deux. De même que je serais ravie, si l’occasion se présente un jour, de mettre un scène un scénario que je n’aurais pas écrit !

Peux-tu nous parler de tes expériences d’écriture ?

Dans mes projets d’écriture personnels, je pars souvent d’un souvenir, d’un ressenti, ou bien d’un regret, d’une douleur ou quelque chose que j’aimerais réparer.

L’univers et les personnages se dessinent dans ma tête. Ensuite des images ou des scènes me viennent.

Ecrire un scénario c’est très difficile et très long. C’est comme un marathon et il faut être prêt·e à tenir sur la longueur. C’est aussi pour cela que j’aime beaucoup travailler avec un·e co-scénariste parce que je trouve que l’écriture c’est quelque chose de très solitaire et je n’aime pas beaucoup être seule. Je préfère avoir quelqu’un avec qui échanger, avec qui partager cette expérience… C’est toujours plus joyeux et stimulant que d’être seule face à son ordinateur. Jusqu’à maintenant j’ai travaillé surtout avec Jean-Jacques Kahn qui a co-écrit Nuage (2020), Les Dents du Bonheur (2023) ainsi que le scénario du premier long métrage sur lequel je travaille en ce moment avec Merryl Roche (réalisatrice de Nouvelle Saveur) qui s’est greffée au projet il y a quelques mois.

J’ai également eu la chance de co-écrire Inexorable (2022), un film de Fabrice du Welz produit par Frakas Productions et The Jokers Films. C’était très enrichissant de me retrouver à cette place là et de travailler avec Fabrice. J’ai pris énormément de plaisir à me projeter dans sa vision et j’ai beaucoup appris.

Comment est venue l’idée de ton dernier court-métrage : Les dents du bonheur ?

Sur Les Dents du Bonheur, je savais que je voulais aller vers l’horreur. Je venais de terminer Nuage qui était un film fantastique plus doux que mes précédents courts. Cela faisait quelques temps que j’avais envie de mettre en scène un jeu entre des enfants qui tourne mal mais je ne voyais pas vraiment quel jeu faire. C’est en discutant avec mon co-scénariste que j’ai pu lier cette idée à un souvenir d’enfance. Je me rappelle que petite, avec ma soeur, nous avions compris que pour pouvoir s’acheter des bonbons il fallait avoir des sous — et que pour avoir des sous il fallait perdre une dent et attendre que la petite souris passe. Nous nous sommes donc retrouvées à jouer au dentiste dès que l’une avait une dent qui bougeait… Sauf qu’un jour, la dent en question ne bougeait pas tant que cela ce qui a conduit à un bain de sang ! C’est un souvenir qui m’a beaucoup marqué. J’y ai souvent repensé parce que c’est tellement absurde d’imaginer jusqu’où on était prêtes à aller pour quelque chose d’aussi éphémère que des bonbons… C’est cette absurdité là que j’ai trouvé intéressante et c’est comme cela que j’ai eu l’idée de m’en servir comme une métaphore des rapports de classe et du déterminisme social.

As-tu un genre ou un format de prédilection, en tant qu’autrice-réalisatrice ?

J’ai toujours été fascinée par le cinéma, quel que soit le genre, mais il est vrai que j’ai une attirance particulière pour les films qui me provoquent ou me dérangent… Et ces films sont souvent étiquetés « films de genre ». Je pense que mon amour pour le cinéma fantastique est très lié à l’enfance et à mon amour des contes.

En tant qu’autrice-réalisatrice ce qui m’intéresse c’est quand, comme dans les contes, un phénomène psychologique interne est matérialisé sous une forme symbolique.

Plus que des informations «utiles», j’ai l’impression que ces histoires-là permettent d’en apprendre plus sur soi-même et les mécaniques internes présentes en chacun de nous. Nous avons tous·tes envie de vivre des choses exceptionnelles, affronter des situations dangereuses et explorer des mondes inconnus… C’est cela que le cinéma rend possible. L’idéal pour moi serait de pouvoir explorer différents «genres» mais à ma manière, en me les appropriant. Un peu comme ce qu’a fait Lars von Trier. J’adorerais un jour pouvoir faire une comédie musicale, un western, un thriller, même une pièce de théâtre… J’aime l’idée de pouvoir explorer plein de mondes différents.

Est-ce que tu te mets au défi dans tes réalisations ?

Oui en quelque sorte, s’il n’y a pas de défi je ne trouve pas cela très intéressant. Avec Nuage, mon premier film hors école, le défi c’était de tourner un road trip à l’autre bout de la France dans les Pyrénées. Il s’agissait d’un défi logistique mais aussi financier parce que le film nécessitait de gros effets spéciaux numériques, chose assez nouvelle pour moi.

Avec Les Dents du Bonheur, le défi principal résidait dans le fait de tourner avec 4 enfants ce qui implique une direction d’acteurs très intense ainsi qu’un nombre d’heures de tournage restreint. J’avais envie de faire un film à l’inverse de Nuage qui était un film tourné en grande partie en caméra portée. Dans Les Dents du Bonheur, les petites filles passent la plupart du film assises autour d’une table à jouer à un jeu de société. Il fallait donc que le rythme, la tension et le mouvement soient amenés par la mise en scène. J’ai travaillé le découpage de manière très précise parce que je ne voulais surtout pas que tout le film soit filmé de manière répétitive ce qui aurait pu susciter de l’ennui.

Quels sont tes projets en ce moment ?

Les Dents du Bonheur (qui sera diffusé sur Arte à partir du 28 Janvier) est sélectionné en compétition nationale au Festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand. Je suis très contente, c’est la première fois que j’ai un court en sélection à Clermont. J’ai hâte de savoir où il ira ensuite !

Sinon en ce moment je travaille sur l’écriture de mon premier long-métrage qui est en développement chez To Be Continued, la société de production qui m’accompagne depuis mes courts-métrages.

Qu’est-ce que tu attends des festivals?

Les festivals de cinéma sont essentiels pour moi et m’ont apporté beaucoup. En arrivant à Paris je ne connaissais personne dans le milieu. J’ai envoyé mes premiers courts-métrages d’école dans plusieurs festivals et dès que j’avais la chance d’être sélectionnée, je me rendais sur place. C’est comme cela que j’ai rencontré la plupart des personnes que je connais aujourd’hui. Et bien sûr, cela m’a permis de découvrir le travail de plein d’autres réalisateur·ices ce qui est très enrichissant et inspirant.

Quelle serait ta relation idéale avec un·e producteur·ice ?

Le plus important pour moi est de travailler avec un·e producteur·ice avec qui la confiance règne, dans les deux sens. Cela permet de travailler dans un environnement sain. J’ai besoin de savoir que la personne en face de moi partage la même vision et qu’elle est à l’écoute.

Si tu devais donner un conseil à de jeunes réalisateur·ices / scénaristes, quel serait-il ?

Je pense qu’il faut déjà commencer par tourner des films auto-produits en s’entourant de ses ami·es, c’est comme cela qu’on apprend. Ensuite, si ces jeunes scénaristes / réalisateur·ices sont en école et ont déjà tourné des films alors je leur conseille de faire un maximum de stages.

Je pense que c’est important de créer un lien personnel avec les gens avant d’espérer pouvoir travailler avec eux.

J’ai l’impression que beaucoup d’étudiant·es pensent que c’est en faisant du porte à porte de manière anonyme avec leurs scénarios qu’ils vont trouver une société de production pour les accompagner… Mais de ce que j’ai pu observer, ce rapport anonyme ne donne pas souvent grand chose parce que les producteur·ices n’ont pas le temps de tout lire. Comme je l’ai dit un peu plus tôt, c’est en faisant des stages que j’ai rencontré le producteur avec lequel je travaille aujourd’hui.

Ses projets :

Les Dents du Bonheur : Madeleine, 8 ans, accompagne sa mère, esthéticienne à domicile, chez de nouvelles clientes dans un quartier bourgeois. Afin de ne pas déranger, elle est envoyée dans la salle de jeux pour faire la connaissance des autres enfants : Eugénie, Constance et Émeraude. Celles-ci l’invitent à participer à un jeu de société pour lequel il faut miser de l’argent. Malheureusement, Madeleine n’en a pas.

Nuage : Alors qu’un mystérieux nuage de cendres s’apprête à passer au-dessus de leur ville de province, Capucine contrevient aux consignes de sécurité et prend la route avec sa mère malade et Eugénie, une camarade discrète, dans l’espoir de passer les Pyrénées.

Le Jour où Maman est Devenue un Monstre : Une jeune fille de 9 ans vit seule avec sa mère après le divorce de ses parents. La petite fille voit alors sa mère se muter en une étrange créature.

Margaux : Margaux, une jeune adolescente, découvre son pouvoir de séduction et les balbutiements de sa sexualité, en tentant de fuir une créature monstrueuse qui hante son quotidien et semble de plus en plus se rapprocher d’elle.

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