Laetitia Pansanel-Garric : “ Le compositeur doit savoir s’infiltrer dans les rouages de la narration cinématographique.”

Compositrice à l’image, Laetitia Pansanel-Garric nous parle de son parcours et de son travail de composition musicale.

Orlane
Paper to Film
10 min readJul 8, 2020

--

crédit photo : Pj. Pargas

Peux-tu nous présenter ton parcours ?

Je me suis intéressée à la musique de film au cours de mes études au conservatoire quand j’avais 18 ans. A l’époque, il n’y avait pas de formation spécialisée dans ce domaine en France, je me suis donc tournée vers les formations à l’étranger. Je suis partie étudier aux Etats-Unis, où j’ai obtenu un « Gratuated Certificate » au sein de l’University of Southern California de Los Angeles. Nous enregistrions tous les quinze jours avec des ensembles allant du quatuor au grand orchestre, c’était incroyable et très formateur. Je suis revenue en France à l’âge de 22 ans et ai immédiatement trouvé un poste d’assistante auprès du compositeur et designer sonore Christophe Héral, que j’apprécie beaucoup. A ses côtés, j’ai pu faire mes armes sur des projets de courts et de longs-métrages. Pendant un an j’ai été copiste, j’ai dirigé des sessions, fait des programmations de maquettes pour des jeux-vidéos, j’ai beaucoup appris ! Par la suite, souhaitant développer mes apprentissages, je suis rentrée au CNSMD de Lyon où j’ai obtenu un prix de composition pour la musique à l’image ainsi qu’un prix d’écriture. J’ai effectué toutes ces formations car il était important pour moi d’être irréprochable sur le papier !

Pourquoi ce choix d’aller étudier à l’étranger ?

Aux prémices des années 2000, j’étais imprégnée du cinéma grand public, des blockbusters américains et comme beaucoup de générations de compositeurs avant moi, cela me faisait rêver. J’ai donc souhaité me rendre directement à la source de cette création. J’ai eu la chance d’obtenir une bourse de la Fondation Rotary et de pouvoir partir. Il y a 20 ans, il existait un vrai décalage entre le savoir-faire américain et le savoir-faire français. Alors que tous les élèves travaillaient déjà sur leurs ordinateurs personnels et disposaient de leurs propres studios, moi je partais de loin et composais encore tout au crayon à papier. Je faisais mes times-codes au clic-book et orchestrais à la table. J’ai dû être une des dernières à utiliser cette méthode ! Malgré tout, cela se passait très bien, ils étaient assez impressionnés du savoir-faire français, où le solfège et la composition à l’oreille sont davantage développés. Néanmoins je pense que ce décalage s’est nivelé avec le temps.

Préfères-tu travailler sur scénario ou à partir d’images ?

J’apprécie indéniablement intervenir après l’écriture du film. Néanmoins, travailler en amont permet au monteur de pouvoir utiliser la musique existante pour faire parler les images et le résultat est parfois étonnant, bien que ça ne soit pas le but premier. Mon métier est de réussir à naviguer musicalement avec souplesse et parfois en quelques secondes, passer du drame à la découverte d’une tension supplémentaire et d’illustrer plusieurs strates d’émotions simultanées…Le compositeur doit savoir s’infiltrer dans les rouages de la narration cinématographique.

Tu travailles aussi bien pour le documentaire, le court-métrage, le jeu vidéo, la publicité… quelle différence dans ta composition ?

Dans le jeu-vidéo j’étais en charge de mettre en musique les cinématiques, c’est-à-dire les petits films permettant à la narration d’avancer. C’est un exercice de composition de musique de films dans le sens noble du terme, où il m’est aisément possible d’installer mes couleurs, mon mouvement narratif et mes ambiances. On construit le langage en fonction de ce qu’on voit à l’image, c’est un beau métier.

Quant à la publicité, je trouve que c’est un format redoutablement difficile, où l’on fait des douzaines de versions pour des formats de 15 secondes. C’est justement parce que ce sont des formats très réduits que c’est très pointu à faire ! Il faut être patient.

J’ai la chance de pouvoir travailler sur des courts métrages qui me permettent de m’exprimer musicalement. De la même manière que pour les documentaires, sur lesquels j’ai plus de longueur pour développer les thèmes, jusqu’au long métrage documentaire où se mêlent les problématiques de fiction plus exigeantes en termes d’identification thématique et de souplesse. Le travail sur la déclinaison du thème et sur l’identité musicale avec le réalisateur.trice prend une place primordiale dans ces films.

As-tu un rituel de création ? Une méthode de travail particulière ?

Cela dépend du sujet du film. Lorsque le sujet du film m’est personnel, qu’il correspond à mon esthétique ou évoque des références qui me parlent je n’ai pas besoin de faire de recherches. A l’inverse parfois, le réalisateur m’emmène ailleurs lors de nos échanges, et je découvre alors des terrains inexploités, c’est un métier de partage. Il nous faut beaucoup écouter. Quand on arrive à un stade de compositeur confirmé, je pense que l’on peut répondre à une certaine variété de demandes. Lorsque je dois répondre à des demandes très précises, je m’immerge alors complètement de certaines références. Il me semble nécessaire d’écouter beaucoup de choses pour toujours avancer et rester cohérent avec les esthétiques sonores qui se renouvellent sans cesse. Pour l’écriture des thèmes, je me mets souvent au piano mais j’écris aussi parfois mes développements et mes motifs mélodiques sur partition (sur papier « à la table » ou directement sur un éditeur) pour laisser mon imagination donner l’impulsion mélodique sans se soucier du son ou de l’instrumentation. Cela me paraît important de varier les process de composition.

Récemment, une réalisatrice m’a demandé de réaliser une musique à destination d’un trailer pour une future série en me donnant comme référence la cohabitation entre musique baroque et l’artiste Billie Eilish… j’ai alors découvert cette artiste et l’ai beaucoup appréciée ! C’est donc au cours de discussions qu’on emmène le réalisateur ou qu’on se fait soi-même emmener sur dans des situations sonores inédites.

Quel est pour toi la relation idéale réalisateur-compositeur ?

Il faut savoir créer une relation de confiance et apprendre à communiquer ensemble. Être sérieux bien entendu et savoir délivrer son travail dans les temps. Si les réalisateurs sont satisfaits, en général, on continu de travailler avec eux, parfois ce sont même les producteurs qui vous rappellent quand cela s’est bien passé sur une collaboration.

Vous avez composé la musique du documentaire Cinéma par… Michel Hazanavicius, pouvez-vous nous en parler ?

Ce film est un des nombreux films sur lesquels j’ai travaillé avec le duo de réalisateurs Jean-Marie Nizan et Stéphane Bergouhnioux. Sur ce documentaire, le contexte était assez particulier. Jean-Marie et Stéphane aiment que je leur envoie la musique en amont. Ils préfèrent monter avec la musique. Or à ce moment-là je travaillais sur un autre film et n’étais pas disponible au moment du montage, et leur ai donc demandé de faire un premier montage avec des musiques temporaires. Le challenge a donc été pour moi de faire une proposition musicale assez percutante pour surplanter ces musiques préexistantes et sublimer le projet. Tout a été bouclé en seulement dix jours, cela a été un très beau challenge ! Je suis heureuse du rendu et revendique avec plaisir le résultat.

Que penses-tu de la place de la femme dans le milieu de la composition à l’image ?

Béatrice Thiriet a été la pionnière des femmes compositrices en France dans le milieu. Pour ma part, j’ai mis de nombreuses années à prendre conscience du problème de représentation des compositrices. Ma compréhension de cette problématique s’est faite lors de mon passage au CNSM de Lyon. C’est à ce moment que j’ai pris connaissance du principe de cooptation. Un principe de passation de « Maître » à élève où un compositeur va prendre un jeune élève sous son aile et le pousser vers le haut. J’ai donc observé ce mécanisme et me suis rendue compte que pour ces « Maîtres », généralement des hommes, la mixité dans ces dispositifs n’était pas naturelle. L’engagement auprès de femmes compositrices était beaucoup plus rare…Ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis. On peut reprocher aux américains beaucoup de choses mais je ne me sentais pas genrée là-bas. Cette légèreté est nécessaire quand on veut créer quelque chose.

Le deuxième phénomène relatif au milieu de la musique à l’image est le système de réseautage qui valorise et met en lumière majoritairement des compositeurs masculins. Lorsque la compositrice islandaise Hildur Guðnadóttir a été couronnée par de nombreux prix, j’ai entendu de violentes critiques sur son travail, alors que c’est la première compositrice en presque 20 ans à avoir été récompensée aux oscars. Ne serait-ce que symboliquement, sa réussite était pour moi à saluer et à valoriser. Certains compositeurs n’ont pas conscience de la difficulté que c’est pour une femme de se projeter dans une carrière où il n’existe pas ou peu de référence féminine. Il nous faut donc abattre des montagnes pour exister.

Ce qui m’interpelle le plus est que ces phénomènes s’observent même au sein d’organisations censées représenter l’ensemble de la communauté de compositeurs de musiques de films. En effet, depuis des années, les femmes sont quasiment absentes des nominations pour les prix compositeurs, toutes catégories confondues. La revendication n’est pas relative au prix, ce n’est pas le sujet, mais ce sont des temps forts permettant de faire rayonner les compositeurs, de communiquer leurs actus, de les valoriser. Quelles valorisations pour les femmes compositrices lorsque celles-ci sont grandement occultées ? Nous sommes encore trop peu représentées actuellement, c’est un fait.

En vérité, une certaine parité existe jusqu’à la sortie des conservatoires, suivant bien sûr les instruments et les cours suivis. Or, combien de femmes feront carrière dans la musique ? Très peu, les pourcentages dégringolent ensuite. Elles disparaissent selon moi par manque de soutien. Je me considère comme une guerrière pour avoir persévéré !

Certes, selon les statistiques, nous représentons un pourcentage réduit dans la composition à l’image mais comme en politique, c’est en forçant les mécanismes qu’on obtient un changement. Lorsque la parité hommes-femmes a été imposée au gouvernement, les femmes se sont présentées. Si le mot compositrice ne devient pas usuel dans la bouche des gens, les femmes ne se sentirons pas légitimes d’envisager ce métier. C’est pour cela qu’avec plusieurs collègues compositrices, nous essayons de notre mieux de faire bouger les choses en revendiquant une représentation plus égalitaire, à minima une ouverture aux compositrices et une visibilité de notre travail.

Tu es également enseignante, que t’apportes cette activité ?

J’enseigne dans un Master qui s’appelle le MAAAV (Musiques Appliquées Aux Arts Visuels) à l’Université de Lyon 2. Le master accueille 16 étudiants par an, et reçoit d’ailleurs de plus en plus de filles ! J’adore enseigner car cela me permet de sortir de mon studio et de rencontrer des jeunes étudiants talentueux. C’est très agréable de voir les étoiles dans leurs yeux ! On travaille de nombreuses choses telles que l’orchestration, l’arrangement, l’analyse, etc. Je dirige également l’orchestre de l’Université, ce qui me permet de faire le lien entre les pièces des jeunes compositeurs du maaav et leur interprétation sur scène. La direction me permet de m’épanouir tant en amont en composant, orchestrant, ou en arrangeant les œuvres, que sur scène lors des concerts avec les musiciens de l’ensemble. Les chœurs s’ajoutent même parfois pour certains évènements, comme ce fut le cas avec les Carmina Burana à La Bourse du travail à Lyon en mai 2019.

Quelles sont tes références musicales ?

J’ai des références très variées. La musique du contrebassiste Avishai Cohen m’interpelle pour ses mécanismes et ses harmonies mélangeants diverses influences. J’aime aussi les compositeurs américains tels que Steve Reich, John Adams tout autant que l’énergie rythmique des compositeurs russes Stravinsky ou Shostakovitch dont la musique me fascine. Les compositeurs français Ravel et Debussy font bien sûr, partis de mes références fortes d’écoute. La chanson aussi me touche, j’ai tous les albums de Neil Hannon et son Divine Comedy par exemple…Il orchestre merveilleusement bien ses chansons et je ne me lasse pas de son génie mélodique, ou encore Daughter, groupe britannique qui fait chanter ses guitares électriques et ses pédaliers. Je pense que je suis quelqu’un de très ouverte musicalement et cela s’entend dans ma musique.

Et dans le cinéma, as-tu un genre de prédilection ?

Non, j’aime être secouée après la vision d’un film, que ce dernier me laisse une empreinte. Nous pouvons être touchés de différentes façons, comme ce fut le cas avec le dernier film de Céline Sciamma, où elle a réalisé un très beau film (et comble pour la compositrice que je suis, quasiment sans musique). J’apprécie également un beau film d’aventure ou encore, les belles histoires humaines. Je suis grande amatrice de comédies françaises ou scandinaves, je m’éclate avec Agnes Jaoui ou Vinterberg ! J’aime la science-fiction car elle dérange, elle est physique. Par exemple les films Bienvenue à Gattaca, Blade Runner, ou encore Interstellar m’ont bousculés un bon moment. J’aime aussi qu’on m’emmène ailleurs, et comme j’ai deux petites à la maison je regarde beaucoup de films d’animation et je trouve le travail des américains formidable sur ce format. Ils font bouger les choses doucement en instaurant des héroïnes dans les films d’animations et ça me fait plaisir que mes enfants grandissent avec de tels modèles. Il me semble important qu’elles voient d’autres manières d’être et de se définir, même si ma plus jeune fille se revendique princesse ! Il est nécessaire de pouvoir se construire sur des références galvanisantes, elles permettent un développement personnel plus épanouissant.

Quels sont selon toi les enjeux à prendre en compte dans la musique à l’image aujourd’hui ?

Avoir conscience des budgets d’enregistrement est important. La différenciation entre ce que va coûter la production musicale et le salaire du compositeur. Souvent dans le documentaire les budgets sont très serrés. J’ai donc pris l’habitude d’interpréter beaucoup moi-même dans mon studio qui est un peu ma caverne d’Ali Baba, il faut s’adapter avec les moyens du bord. Je joue de la mandoline, de la guitare, de la basse, de la contrebasse, du violoncelle, de l’alto, du violon, etc. Personnellement avec l’expérience, j’ai pris l’habitude de négocier le budget de production musicale en amont, bien que j’ai conscience que dans le secteur du documentaire cela soit souvent compliqué. Je souhaite pouvoir me faire plaisir prochainement avec un projet de film sur lequel je pourrais avoir un réel budget d’enregistrement.

Quels sont tes projets actuellement ?

Je viens de terminer un biopic sur Meryl Streep pour Arte et je travaille sur une série France 2 web, Au bord de la crise de vert, constituée de six documentaires de 25 min. Je travaille également sur deux courts métrages et un documentaire sur les psycho-killer avec Stéphane Bergouhnioux pour Canal +. Avec ce dernier je m’amuse beaucoup à travailler sur des films de genres ou d’auteurs, tels que nous l’avons fait l’été dernier notamment avec un focus sur Yvan Attal. Il est toujours intéressant de se plonger dans des cinématographies et découvrir d’autres univers.

--

--