Laure Herpeux : “Pour moi, par l’image, par la voix et la narration, on atteint une puissance beaucoup plus forte que par l’écrit.

Journaliste, scénariste et réalisatrice, Laure revient pour nous sur son parcours, son rapport à l’écriture, au documentaire mais aussi à l’image.

Julian
Paper to Film
8 min readMar 27, 2023

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Quel est ton parcours et comment en es-tu venue à écrire pour l’audiovisuel ?

J’ai fait des études de relations internationales à Genève après le bac. Énormément de choses m’intéressaient. Je ne savais pas ce que je voulais faire plus tard. À la fin de mon Bachelor, j’ai voulu faire des stages pour m’éclairer. J’ai commencé par un stage en journalisme pour Complément d’enquête. C’était ma première vraie expérience avec l’audiovisuel, j’étais assistante du présentateur. Ce stage de six mois s’est transformé en CDD d’un an. Cela a été un coup de cœur pour moi, à tel point que j’ai su que c’était ce que je voulais faire de ma vie. Pour m’assurer que j’avais eu un coup de cœur pour le métier de journaliste et non pas pour la société pour laquelle j’avais travaillé, j’ai voulu faire d’autres stages. J’ai donc travaillé sur un documentaire portant sur le système de santé pour France 2. Ce second stage a confirmé ma passion pour le journalisme. Ensuite, j’ai passé les concours de journalisme et j’ai été accepté à l’école de Lille, l’ESJ. Là-bas, je me suis spécialisée dans le journalisme audiovisuel. Pour moi, par l’image, par la voix et la narration, on atteint une puissance beaucoup plus forte que par l’écrit. J’avais besoin de travailler en immersion avec un groupe et avec différents corps de métier. La télévision répondait bien à ces attentes-là. De plus, amener quelqu’un devant une caméra ce n’est déjà pas anecdotique, mais l’amener à se confier ajoute une difficulté supplémentaire. Ce n’est pas facile de faire oublier à la personne qu’il y a quelqu’un entre lui et moi. C’est quelque chose que j’expérimente encore plus avec les formats longs et que je trouve très riche, il y a une vraie construction et un vrai travail de fond.

Comment arrives-tu à créer de l’intimité tout en gardant de la distance ?

Le plus important, c’est d’être à l’écoute de l’autre. Pour le reportage Zone interdite : comment prendre soin de nos aînés ? scandales et défis de la dépendance, j’ai dû trouver des personnes qui voulaient bien me raconter ce que c’était de vieillir, de devenir dépendant, de perdre son autonomie. Le tout avec des gens qui sont âgés et qui peuvent être atteints cognitivement, ce qui complique le recueil de témoignages. En plus de l’écoute, il est important d’expliquer un maximum ce que l’on fait et d’être le plus transparent possible. Bien qu’aujourd’hui l’heure soit à l’abondance des contenus digitaux, peu de gens ont conscience de ce que cela implique d’être assis devant une caméra. Ils doivent me faire totalement confiance, car je ne leur promets rien, pas de visionnage final, ni de validation.

Pour le reportage sur la dépendance de nos aînés, j’ai été franche avec les familles sur ce que j’attendais d’eux et ce que je voulais : être au plus proche de la réalité et de ce que vivaient ces personnes âgées. Le tout en leur expliquant que nous voulions conserver la dignité des personnes âgées et respecter leur intimité. Il faut aussi savoir être en retrait par moment, il y a des scènes où les personnes étaient en rejet de la caméra, il faut accepter que tu n’auras pas ce que tu veux à l’instant T et que tu ne l’auras peut-être jamais. Accepter que ce que tu as imaginé en tant que réalisateur, tu ne l’auras pas forcément, mais que ce n’est pas grave.

Il faut anticiper un maximum de choses, mais les surprises sur le terrain sont quotidiennes. Il faut aussi savoir accepter la réalité des surprises de la vie et des moments que l’on n’attendait pas.

Sur ce genre de tournage, comment est-ce que tu gères ton équipe ?

Normalement, avec un chef opérateur, mais il m’est arrivé de travailler avec un preneur de son en supplément. Depuis peu, je suis aussi passée derrière la caméra. Cela me permet de comprendre les plans et de ce qu’il est envisageable de faire ou non. Ce rapport à l’image, c’est quelque chose que je construis encore.

J’aime travailler en symbiose avec mon équipe. Souvent, je travaille avec une cheffe opératrice en particulier, nous nous connaissons parfaitement, ce qui fait que notre duo fonctionne à merveille. Je sais que plus je lui fais confiance, plus elle me propose des choses qui me surprennent et qui marchent souvent très bien. Pour des raisons économiques, beaucoup de chaînes de télévision veulent que les journalistes travaillent seuls, mais je trouve qu’à plusieurs, si l’on se fait confiance, on s’apporte énormément.

Que t’apporte ta casquette de réalisatrice ? Est-ce que tu souhaite continuer à réaliser ?

Pour moi, cela a été un passage important et je suis encore dans ma mue de réalisatrice. Depuis que je suis passée derrière la caméra, j’anticipe beaucoup plus la façon dont je vais filmer, ce que je vais raconter, comment je vais le mettre en scène. Avant, je voulais des propos bruts et aujourd’hui, je m’autorise plus de narration par l’image et la mise en scène.

Le documentaire est quelque chose de très codifié alors que l’on peut tout faire ou presque.

Ce que j’aime bien avec ma casquette de réalisatrice, c’est de me dire que je dispose d’énormément de libertés. L’histoire que j’aurais racontée de manière convenue dans un reportage, aujourd’hui, je veux la raconter avec mon regard.

J’aimerais vraiment travailler de plus en plus sur ce genre de projets et pouvoir déconstruire ce que l’on m’a appris, pouvoir m’autoriser à tester des nouvelles choses. C’est aussi pour cela que l’exercice du docu-fiction et du biopic sont des choses qui m’intéressent fortement.

Zone interdite : comment prendre soin de nos aînés ? scandales et défis de la dépendance

As-tu une méthode particulière d’écriture et de préparation ?

Généralement, j’utilise la même méthode pour tous les projets sur lesquels je travaille. Quand je me penche sur une thématique, je me renseigne le plus possible, en lisant et en regardant le plus de choses pour comprendre le sujet. Pour le reportage sur la dépendance par exemple, pendant deux mois, je n’ai fait que faire des recherches et des lectures. Cela me permet de définir l’angle d’attaque. Après avoir fait mes recherches, je passe des appels pour les approfondir, m’adresser aux experts du sujet, mais aussi aux personnes concernées par ce dernier. J’écris tous les contacts et toutes les informations dans des carnets. Pour un documentaire de 90 minutes, je peux remplir jusqu’à cinq carnets. Quand je fais des interviews, je note tout ce que me disent les gens, car ce qui ne m’intéresse pas maintenant pourra m’intéresser plus tard. La trace écrite me permet de lâcher prise, je n’ai pas besoin de le garder dans un coin de mon esprit. Souvent, je traite des sujets forts et il faut aller de l’avant.

Pour mon dernier projet, j’ai dû faire une note de réalisation et un synopsis pour obtenir l’aide du CNC. L’exercice était compliqué et très chronophage, mais sur la durée, il m’a fait gagner énormément de temps sur le montage et sur la trame.

Est-ce que ce n’est pas trop compliqué de se soumettre à cet exercice quand tu ne diriges pas les protagonistes ?

C’est ce challenge que j’adore, c’est pour cela que la partie recherche et rencontre est fondamentale. Il faut que je cerne au maximum mes interlocuteurs pour prévoir le plus possible ce qu’ils vont faire et dire devant la caméra.

Même si c’est plus flou que pour de la fiction, j’ai quand même une trame qui me permet de savoir où je veux aller.

Les surprises qui peuvent arriver se passent au moment où la caméra commence à tourner, elle peut intimider les protagonistes et provoquer un comportement différent de lors de nos premiers échanges.

Quels sont les projets sur lesquels tu travailles en ce moment ?

Pour l’instant, ce sont des projets qui sont confidentiels et que je réaliserai pour le compte d’une production.

J’aimerais aussi beaucoup leur proposer des projets sur des sujets que je suis en train de travailler, mais globalement j’aimerais bien m’exercer vraiment à l’exercice du portrait.

Est-ce que tu vas aborder ton documentaire en fonction de la plateforme sur laquelle il va être diffusé ?

Je pense que c’est quelque chose que l’on prend en compte. Plus tu sors du format reportage, plus tu vas être libre de ce que tu racontes et de la façon dont tu le racontes. Par exemple, complément d’enquête a une ligne éditoriale stricte, certains sujets ne les intéressent pas et certaines façons de faire ne leur conviennent pas. Quand tu travailles avec les plateformes, tu ne peux pas leur vendre n’importe quoi. Si tu traites une histoire française, il faut qu’elle ait un potentiel international. Donc oui, j’adapte forcément l’angle de mes projets en fonction des diffuseurs avec lesquels je travaille.

Sur ton dernier reportage, est-ce que l’émission t’a imposé des choses ou est-ce que tu as été libre de faire ce que tu voulais ?

On a fait quelques points d’étapes avant le montage. J’allais vers eux pour leur parler de la trame que je voulais mettre en place. Ils pouvaient m’aiguiller sur certains points, écarter une histoire qui les intéressait moins. Globalement, ils ont quasiment accepté tout ce que je proposais. Concernant le montage, ce sont eux qui avaient le Final Cut, ils ont tous les droits. Heureusement cela s’est très bien passé.

Tout au long du processus, je devais vendre mon projet et mes idées, mais c’est quelque chose que j’aime beaucoup et que je trouve stimulant.

Avec ce genre d’exercice, quel rôle joue la production et quelle relation tu aimerais entretenir avec eux ?

Pour moi, c’est super important d’avoir un lien de confiance et un lien de transparence totale. À côté de cela, j’ai besoin de travailler en autonomie. La production sera la première informée des problèmes que je rencontre, mais si je ne lui parle pas de problème, c’est qu’il n’y en a pas.

Étant donné que je suis jeune, j’ai beaucoup de choses à apprendre et ma productrice m’a appris à ne pas m’imposer de limites, à m’inspirer de tout ce que je vois y compris des projets qui ne sont pas des documentaires.

Si tu devais donner un conseil à de jeunes journalistes ou adresser un message aux producteur.ice.s, quel serait-il ?

Si je devais donner un conseil ce serait d’être curieux, d’oser poser les questions, de ne pas avoir de tabous.

J’aimerais dire aux producteurs que ma plus grande force c’est ma détermination d’aller au bout des choses, mon autonomie et ma force de travail.

Ses projets :

Zone interdite : comment prendre soin de nos aînés ? scandales et défis de la dépendance : C’est un sujet auquel toutes les familles sont confrontées un jour et un défi pour notre société: comment prendre soin des personnes âgées dépendantes; aujourd’hui, un million et demi d’hommes et de femmes sont considérés comme dépendants.

Nous présidents : Ce rendez-vous propose de comprendre quel regard les Français portent sur cette nouvelle campagne présidentielle. Des femmes et des hommes, de tous milieux sociaux, de toutes sensibilités, évoquent leur vote et leur rapport à la politique, leurs envies et leurs rêves. Ils seront suivis régulièrement dans leur quotidien jusqu’au scrutin.

L’info du vrai : Les rois du pétrole : En abordant un sujet d’actualité occupant de manière centrale le débat public, un documentaire permet à chacun d’enrichir son point de vue sur un monde en perpétuel changement.

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