Le Pilote Club «DRÔLE»-Fanny HERRERO

Créé par Alysse Hallali et Marjorie Bosch avec le collectif La Claque, le Pilote Club invite des créateurs de série à diffuser le pilote de leur série et à échanger autour de la l’écriture de celui-ci ainsi qu’autour du processus général de création d’une série.

Julian
Paper to Film
18 min readFeb 21, 2023

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Après une première édition très réussie, nous retrouvons pour la seconde édition Fanny Herrero, créatrice de la série Drôle, produite par Les Films du Kiosque et Netflix France. Diffusée depuis mars 2022 sur Netflix, elle est accessible intégralement sur la plateforme.

L’entretien est modéré par Alysse Hallali et Marjorie Bosch.

Combien de versions du pilote as-tu fait ?

Dans un premier temps, nous avons travaillé sur les arches de la série dont nous avons fait deux versions. Ensuite, pour le pilote, nous avons directement présenté un traitement assez détaillé, un document d’une quinzaine de pages qui est à mi-chemin entre un synopsis et un séquencier. J’aime bien ce format car il est à la fois assez précis pour plonger vraiment dans les intrigues et le parcours émotionnel des personnages, et suffisamment souple pour que le passage aux dialogues permette encore des évolutions de structure. Nous avons fait deux versions de ce traitement, puis nous avons entamé le dialogué, dont il y a eu 8 versions.

Pour la mise en page, nous avons utilisé le logiciel Final Draft, juste en personnalisant la typo car je n’aime pas Courrier New qui me fait penser aux vieilles machines à écrire !

Avec qui as-tu écrit le pilote ?

Je l’ai co-écrit avec Hervé Lassïnce, un ami très cher qui n’avait pas d’expérience en tant que scénariste, mais avec qui j’ai un dialogue artistique depuis de longues années (il est acteur, photographe et très sériephile). Il a participé à la création de Drôle depuis les premières minutes avec moi. Camille de Castelnau, qui a élaboré les arches avec Hervé et moi, a joué un rôle de consultante sur le pilote. C’est une autrice amie, qui s’est notamment déployée sur Le Bureau des légendes dont elle était un des piliers.

Pour écrire les morceaux de stand-up, nous avons sollicité de vrais et bons stand-upeurs : Thomas Wiesel, Fanny Ruwet, Jason Brokerss, Shirley Souagnon, parce que c’est vraiment une façon d’écrire les blagues très particulières, que nous, scénaristes, ne maîtrisons pas. C’était aussi très précieux de pouvoir se nourrir de leur expérience sur le milieu du stand-up, et sur leur pratique.

Personnellement, j’ai trouvé que c’était plus compliqué d’écrire Drôle que Dix pour cent, parce que les personnages sont plus éloignés de moi. Heureusement que j’étais bien entourée !

Quel a été votre organisation pour l’écriture entre auteurs ?

Grâce aux retours d’amis scénaristes qui avaient fait l’expérience des calendriers très tendus de Netflix, j’ai d’abord demandé à Netflix de me “laisser du temps”. C’est-à-dire d’attendre une bible, des arches et un bon pilote avant de pouvoir fixer un rétro-planning.

Une fois que les bases de la série étaient posées de façon solide, et que le pilote était sur de bons rails, j’ai donc mis en place un vrai atelier d’écriture pour le reste des épisodes avec toujours Hervé et Camille, ainsi que Eliane Montane et Judith Havas, deux excellentes autrices dont je me sens très proche, avec qui je travaillais déjà sur Dix Pour Cent, et Lison Daniel, autrice plus junior qui nous a tous impressionnés avec ses Caractères sur Instagram.

Nous avons travaillé de façon très collective. À partir des arches déjà écrites, il fallait compter environ deux semaines d’atelier pour mettre au point la structure détaillée d’un épisode. Chacune des trois autrices senior (Eliane, Judith et Camille) avait en charge un ou deux épisodes, qu’elle devait donc s’approprier plus particulièrement. Après plusieurs échanges entre nous pour affiner le traitement, cette autrice écrivait deux versions dialoguées. Et enfin, je m’occupais des versions définitives. Les “juniors” (Hervé et Lison) étaient toujours présents en réunion. Ils avaient pour fonction de participer à la réflexion collective, puis ensuite de soulager les “seniors” au moment de la rédaction, si elles en avaient besoin. Ce système leur permettait d’écrire et progresser.

Comment réfléchis-tu pour construire ta structure ?

Je viens de l’école Krivine, où l’on ne parle pas en acte. On parle de parcours émotionnel du personnage et d’obstacles. On bâtit les intrigues en trois temps : un élément déclencheur / une complication / une semi-résolution. Principe que j’ai appliqué à nos personnages dans le pilote.

Il y a peu d’antagonistes dans mes récits. Dans Drôle il y a tout de même le personnage de Laurent Califano, le producteur qui met en difficulté nos protagonistes mais ce n’est pas un vrai méchant. Ce sont généralement mes protagonistes qui se mettent en difficulté tous seuls et qui doivent trouver leurs propres façons d’y remédier.

Par exemple, dans le pilote, Bling doit écrire un spectacle depuis des mois, or il n’a absolument rien fait. Son producteur vient au club pour voir où il en est, et force Bling à monter sur scène, ce qui provoque la catastrophe. Cet élément déclencheur engendre la complication : son spectacle est déprogrammé, il n’a plus rien. Puis à la fin de l’épisode la semi-résolution est de demander à Nézir de l’aide pour écrire et sauver la face.

Comment choisis-tu tes projets d’écriture ?

Je pense que souvent, pour moi, un nouveau projet arrive en réaction au précédent. Après les années passées sur Un Village Français, série dramatique (que j’adore) sur l’Occupation, où il est question de vie et de mort en permanence, de collaboration, de déportation, d’exécutions, j’ai vécu l’opportunité de créer Dix pour cent comme un immense bol d’air ! Une comédie contemporaine, à Paris, dans un milieu que je connais bien, c’était la promesse pour moi de libérer ma fantaisie, mon humour, ça m’excitait beaucoup.

Et puis après Dix pour Cent, où on traitait d’un milieu très privilégié, assez bourgeois, j’étais très heureuse de quitter les tapis rouges pour aller dans les caves du stand-up, suivre des personnages plus jeunes, plus précaires, moins Blancs. Et puis dans Dix pour Cent, les héros ce sont les agents, tandis que dans Drôle ce sont de jeunes artistes. Ca aussi, la pratique artistique, la conquête de sa place dans la société par l’art, j’avais très envie de le traiter de façon plus frontale.

Peux-tu nous parler de l’après «Dix pour Cent» jusqu’à «Drôle» ?

Lorsque j’ai décidé d’arrêter Dix pour Cent (à la fin de la saison 3) après 7 ans passés à ne faire que ça, j’étais totalement épuisée, vidée de toute envie d’écriture. Je n’ai pas écrit une ligne pendant une année. Durant cette période, j’ai été sollicitée par beaucoup de producteurs, mais je n’étais pas prête, aucun projet ne m’excitait. Et puis un diffuseur s’est manifesté : Netflix, en la personne de Damien Couvreur, que je connaissais de longue date car nous avions déjà travaillé ensemble sur la série Les Bleus (M6), quand j’étais toute jeune scénariste et lui tout jeune producteur chez Cipango. Damien m’a proposé un “first look deal” de six mois, au cours desquels je devais élaborer trois pitchs, que j’ai donc signé en 2019. Je leur ai rapidement proposé une première idée, un peu casse-cou : une adaptation en série du roman Dans la forêt de Jean Hegland, qui m’avait bouleversée, l’histoire de deux soeurs qui doivent survivre dans la nature après une catastrophe. Quelque chose d’assez austère, avec peu de mots, dont je sais bien à présent que c’était une grosse réaction à l’humeur un peu hystérique de Dix pour Cent ! (rires)

Et puis un soir, durant cette période de recherche, j’ai découvert le Paname Comedy Club, et j’ai eu un choc artistique devant cette brochette d’humoristes qui racontent des blagues sur leurs vies personnelles, qui viennent transformer la douleur de l’existence en rire. La mosaïque ethnique et sociale que j’ai vue sur scène ce soir-là, je ne l’avais vue dans aucun autre territoire artistique. Et puis j’étais impressionnée par la variété des récits, la qualité de l’écriture aussi. À la fin du spectacle, j’avais envie de les suivre tous pour connaître leur vie, discuter avec eux, j’avais plein de questions à leur poser sur leur vocation, leur travail. C’est donc la deuxième idée que j’ai proposé à Damien : une série sur de jeunes stand-upeurs qui essaient de s’en sortir à Paris. Il a tout de suite aimé, et nous avons commencé le développement.

Justement, peux-tu nous parler de tes personnages de «Drôle» ?

La plupart des séries sur le stand-up se concentrent sur un personnage central et ses névroses. Moi j’avais très envie d’une série chorale, pour brasser des expériences de vie multiples, et croiser les points de vue sur notre société actuelle. Et puis ce qui m’intéressait dans le stand-up, c’était justement la constitution d’un récit collectif nouveau par différentes voix, comment, en prenant le micro dans un comedy-club, ces gens écrivent ensemble une certaine histoire française.

Pour créer nos personnages, nous avons beaucoup arpenté les comedy-clubs, les scènes ouvertes, rencontré une trentaine d’humoristes… Nous en avons tiré plein d’idées et d’inspirations.

Les quatre personnages de Drôle incarnent des problématiques existentielles différentes, mais jamais incompatibles, ainsi qu’un rapport à leur métier, au succès, à l’art, très singulier pour chacun d’entre eux. Ils composent une sorte de kaléidoscope.

Comment s’est déroulé le casting ?

Nous recherchions, avec Constance Demontoy la directrice de casting, Bryan Marciano et Farid Bentoumi, les deux réalisateurs, de jeunes acteurs de différentes origines : Nézir est maghrébin, Bling est asiatique, Aïssatou est noire, Apolline est blanche. C’était un casting “classique”, c’est-à-dire qui passe essentiellement par les fichiers des agences artistiques répertoriées, et de façon un peu plus spécifique ici, par les comedy-clubs. J’ai vraiment réalisé que le vivier de jeunes acteurs non-Blancs est encore limité en France, pour de très nombreuses raisons, à commencer par le fait que s’ils sont peu représentés à l’écran, et peu sollicités pour des rôles, ils seront évidemment moins enclins à vouloir faire ce métier. Pour la petite anecdote, Younès Boucif, qui joue le personnage de Nézir, est la toute première personne que nous avons vu en casting pour ce rôle. Nous l’avons tout de suite adoré, mais on ne pouvait pas choisir le premier sans en voir d’autres ! J’ai remarqué que pas mal de garçons arabes proposaient d’emblée une façon de jouer que j’appelle “à la Engrenage” (et j’adore Engrenages !), c’est-à-dire un style un peu ténébreux, mystérieux, voire dur. Je me suis dit que c’était probablement ce qu’on leur demande habituellement. Alors que nous recherchions un Nézir un peu lunaire, doux.

Nous avons un temps envisagé de prendre des acteurs plus connus, notamment des humoristes déjà installés, mais il était compliqué de trouver la bonne alchimie entre nos quatre personnages. Car un casting de série chorale, c’est vraiment une harmonie à trouver entre les interprètes ! Ils doivent être à la fois très différents les uns des autres, et former un tout cohérent. On doit vraiment pouvoir croire qu’ils vivent dans la même arène, qu’ils sont amis, ou amoureux, ou rivaux… Et puis finalement, j’avais très à cœur que le public découvre des inconnus. J’adore les séries aussi car elles nous font découvrir des nouvelles têtes. Et puis je trouve qu’on croit plus immédiatement et absolument à un personnage quand on n’a jamais vu, ou presque, l’acteur ou l’actrice qui l’incarne.

Une fois qu’ils ont été choisis, nos quatre comédien.ne.s, Younès Boucif, Elsa Guedj, Mariama Gueye, Jean Siuen ont beaucoup travaillé la partie stand-up, notamment avec Shirley Souagnon qui dirigeait le Barbès Comedy Club à l’époque. On les a mis en situation sur scène avec des bribes de textes pour commencer à appréhender le personnage. Ils ont travaillé pendant 2 mois, on les a même lancés devant du vrai public. Les pauvres, c’était une formation express et à la dure !

De vrais stand-upeurs “connus” ont participé à la série de façon amicale, (Jason Brokerss, Panayotis Pascot, Hakim Jemili, Fanny Ruwet…), c’était génial de les avoir avec nous.

Sur cette série et épisode pilote choral, comment as-tu fait pour choisir le point de vue ?

Nous savions qu’il y aurait trois points de vue principaux dans le pilote (Nezir, Aïssatou et Bling), avec une intrigue plus centrale pour Nezir et Bling que tout oppose, mais qui vont devoir s’allier en fin d’épisode. Nous avions décidé qu’Apolline deviendrait point de vue à partir de l’épisode 2.

Il fallait donc parvenir à faire leur connaissance très rapidement, enchâsser leurs intrigues, les rendre interdépendantes, tout en présentant l’arène de façon vivante.

Ce pilote a vraiment été compliqué à écrire. C’est une telle pression aujourd’hui de réussir à attraper rapidement les spectateurs, à leur donner envie de rester plus de quelques minutes… Netflix nous expliquait que beaucoup de gens regardent leurs séries sur un téléphone dans le métro, ou en scrollant sur les réseaux sociaux en même temps qu’ils sont devant leur ordinateur chez eux. Il y a donc un énorme impératif d’efficacité, mais qu’on ne sait pas forcément bien définir concrètement. Est-ce que c’est émotionnel ? Visuel ? Est-ce qu’il faut de l’action ? Prendre son temps pour créer de la curiosité, ou au contraire embarquer les gens par un rythme effréné ? Il y a tellement d’options possibles ! Et puis Netflix insistait aussi pour que, très rapidement, le spectateur comprenne qui sont les personnages, leurs problèmes, et leurs objectifs. Bref, tous les scénaristes connaissent ça, mais qu’est-ce que c’est dur un pilote !

À propos de mise en tension du spectateur, peux-tu nous raconter la conception des trois premières minutes du pilote?

Pendant longtemps nous avons hésité entre deux options :

  • D’abord rencontrer des gens, et ensuite découvrir qu’ils sont stand-uppers ;
  • D’abord rencontrer des stand-uppers, et découvrir ensuite quel genre de gens ils sont.

En dialoguant avec Netflix et nos producteurs (François Kraus et Denis Pineau-Valenciennes chez les Films du Kiosque), nous avons opté pour la deuxième option : nos trois personnages sont stand-uppers, on les découvre au travail, au comedy-club, tout de suite dans l’action, dans leurs problématiques professionnelles, et puis ensuite on va chez eux, on rentre dans leur vie personnelle.

Concrètement pour l’ouverture du récit, nous avons choisi de commencer avec Nezir en livreur, qui cherche des blagues sur son vélo, quelque chose de dynamique, en mouvement, qui nous fait traverser une géographie parisienne vivante et pas cliché, avec cette première réplique : “Je suis pauvre”, qui déclenche des vannes. C’était notre façon de présenter tout de suite le thème : la parole, et plus particulièrement le rire, comme façon de conjurer la dureté de la vie.

Lorsque nous étions en tournage, le montage de l’épisode pilote se faisait en parallèle. C’était utile pour voir si notre début fonctionnait bien. On a présenté à Netflix un premier montage du début, et ils nous ont très vite alertés sur le fait qu’on savait trop peu de choses sur nos personnages en arrivant au comedy-club. Eh oui, notre fameux dilemme d’écriture finissait par se présenter de nouveau ! Cela nous a semblé pertinent, et nous avons donc rajouté la séquence qui montre Aïssatou en train de coller ses affiches partout avec sa petite fille. Nous avons aussi tourné une séquence de présentation pour Bling, qui le montrait en train d’émerger au milieu d’un after assez déglingué chez lui, mais la séquence était un peu statique, elle ralentissait le rythme entraînant qu’on avait réussi à créer sur Nezir et Aïssatou, et donc nous ne l’avons pas gardée au montage.

Tu as évoqué le “scénariste face au réel”, est-ce que tu peux nous parler des difficultés que tu as rencontrées entre l’écriture et la mise en scène pour l’entrée dans le club (qui devait-être un plan séquence) ?

Le tournage, c’est vraiment ce moment où l’on quitte l’infini champs des possibles de l’écriture pour entrer dans une zone assez violente, celle du réel ! On a quelques heures seulement pour fabriquer une séquence, c’est très concret, et on doit composer avec des tonnes de paramètres. Quand on écrit un scénario, on rêve d’images… Pour cette arrivée de Bling dans le club au début, j’imaginais quelque chose de foisonnant, du monde, un joyeux bordel, la chaleur, et Bling au milieu qui n’est pas dans son état normal, qui essaie de donner le change mais on voit qu’il ne va pas bien, qu’il sue à grosses gouttes… On en a beaucoup parlé avec le réalisateur du pilote, Farid Bentoumi. Il m’a très vite proposé de tourner en plan séquence, il voyait quelque chose de fluide et d’immersif, ce qui me convenait très bien. Mais je ne mesurais pas à quel point c’est difficile à faire, un plan séquence ! Il faut que tout soit réglé au millimètre. Or on n’avait pas le temps de peaufiner, il fallait essayer d’obtenir le meilleur résultat en très peu de temps. En plus, c’était un des premiers jours de tournage, nos acteurs n’étaient pas encore très bien rôdés, ce qui est normal… On a fait du mieux possible. Ensuite, au montage, nous nous sommes rendu compte que le rythme du plan séquence n’était pas assez soutenu, ce que Netflix a souligné aussi. Nous avons donc dû couper dans le plan séquence pour redynamiser toute l’arrivée dans le club. Malheureusement, cela nous a fait perdre certains éléments de caractérisation sur Bling, notamment dans son rapport à son père, qui étaient très utiles pour comprendre la problématique du personnage, son auto-destructivité..

Avec le recul, je pense que nous aurions dû faire plus simple, faire plus de plans, de gros plans aussi… Nous avons pensé à retourner cette scène mais cela nous aurait coûté très cher, nous avons donc compté plutôt sur un gros travail de montage.

Comment s’est déroulée la relation avec Netflix lors de l’écriture ?

Nous avons entretenu une bonne relation, avec comme toujours des points de débat, parfois de légère crispation, mais globalement une vraie volonté de collaborer et d’avancer ensemble. Je pense qu’ils ont été surpris par l’aspect “existentiel” de la série, ils attendaient sans doute un truc plus comme “la guerre des gangs dans le stand-up” ! (rires). En immense fan de “Friday Night Lights”, je voulais une authenticité, une vérité, je cherchais l’empathie et l’adhésion aux personnages. Parfois nous divergions sérieusement avec Netflix, par exemple sur leur volonté de mettre “plus de glamour”, ce qui me semblait assez peu raccord avec la réalité du milieu du stand-up !

Le réalisme social, c’est vrai, n’est pas tellement leur endroit, ça leur fait peur, parce qu’il faut faire rêver les gens… Par exemple, la scène de Nézir qui fait les comptes avec son père dans le pilote, était pour moi très importante, car si on parle de la précarité d’un personnage, il faut dire des chiffres, prendre le temps de voir son angoisse devant les chiffres. C’est une amie qui travaille à la sécurité sociale qui m’a donné les montants précis, tirés d’un dossier sur lequel elle travaillait. J’ai ainsi appris qu’on ne pouvait pas cumuler le RSA et l’aide au logement. Cette scène a été sur la sellette plusieurs fois, on me demandait de la couper, mais j’ai tenu bon.

Tu étais productrice artistique sur le projet. Est-ce que tu peux nous parler de cette nouvelle casquette et de ce que cela a changé pour toi sur le plateau ?

Sur Dix pour cent, je n’étais pas co-productrice et j’en ai souffert parce que ma place de showrunner était fragile, laissée à la merci des humeurs de certains collaborateurs. Je devais déployer beaucoup d’énergie pour garantir ma position d’autorité, c’était fatigant.

Je savais que pour la série suivante cela ne pourrait pas se passer comme cela. C’est pour ça que j’ai imposé la co-production à Netflix. En plus de cela, Netflix avait signé en direct avec moi, il n’a donc pas été difficile de démarcher des producteurs et de m’associer en tant que coproductrice. Je voulais pouvoir exercer ma fonction de façon normale, et que ce soit clair pour tout le monde. Ensuite, évidemment, il y a l’aspect financier. Sur Dix pour Cent j’avais au départ un contrat d’auteur classique sans intéressement digne de ce nom, que j’ai heureusement pu renégocier au fil des saisons pour espérer toucher quelques bénéfices sur l’exploitation de la série. Mais rien de comparable à un vrai statut de co-productrice. Pour Drôle j’ai donc dû monter une société de production, qui m’accompagnera dorénavant dans tous mes projets.

Avec ce nouveau statut, est-ce que tu as dû affronter de nouvelles choses ?

Même si j’avais acquis beaucoup d’expérience sur Dix pour cent, il y avait de nombreuses choses que je connaissais pas et que j’ai dû apprendre sur le tas. Sur Dix pour cent, je participais au choix des réalisateurs, mais pas du reste des équipes techniques par exemple (les chef.fe.s de postes, les compositeurs, …). Sur Drôle, j’ai eu la chance de travailler avec les Films du Kiosque, qui ont un immense carnet d’adresse grâce à leurs nombreuses années d’expérience et je me suis beaucoup fiée à leur avis.

La musique, c’était compliqué pour moi, je ne savais pas comment orienter les compositeurs, j’avais beaucoup de références mais qui partaient un peu dans tous les sens ! Heureusement que Farid et Bryan m’ont beaucoup aidée, ainsi que Astrid Gomez-Montoya, la superviseuse musicale.

Tu es productrice artistique, déléguée ou les deux ?

Je ne suis que productrice artistique. Je n’engage pas d’argent dans la production mais je me retrouve garante avec mes co-producteurs du bon déroulement du tournage.

La série à été écrite pendant le covid, est-ce que cela a apporté des challenges particuliers de collaboration ?

L’aspect le plus difficile a été le travail à distance, les zooms, l’éloignement physique. Nous avons pu profiter des bureaux flambants neufs de Netflix au début de l’écriture, mais malheureusement, ils ont fermé très vite avec l’arrivée de la pandémie. On est tous partis se confiner et les équipes de Netflix se sont mises en télétravail. À partir de là, nous n’avons plus eu une seule réunion en présentiel jusqu’à la livraison de la série finie. Et malgré les efforts de tout le monde, on y a perdu la chaleur humaine des vraies réunions, où on peut davantage plaisanter, éclaircir les malentendus, mieux se comprendre. Cela a un peu perturbé la complicité avec les diffuseurs (déjà difficile à établir en temps normal, je trouve !). Cette distance imposée a jeté un froid sur nos échanges, et les retours que nous recevions, uniquement par écrit. J’ai conscience que les équipes de Netflix travaillent sur beaucoup de séries et qu’elles sont soumises à une énorme quantité de stress mais parfois, les notes étaient expéditives, sèches. C’est une chose que le présentiel permet d’éviter. Cela a entraîné un processus de défiance qui, s’il peut exister en temps normal, a été accentué par le covid. Au fur et à mesure, nous avons cependant réussi à instaurer un dialogue par écrit, car je répondais très longuement aux notes, je prenais le temps d’analyser leurs demandes, et d’argumenter nos choix artistiques..

Avec mon équipe d’écriture, en revanche, il aurait été impossible de travailler à distance au stade où nous en étions. Le premier confinement était terminé, nous avons donc organisé ensuite nos réunions d’atelier de façon normale, en présentiel, avec plus ou moins nos masques sur le nez !

Bilan : Qu’est-ce que tu as appris avec cette série ?

Alors il n’y a pas de deuxième saison déjà ! Le bilan est donc moyen (rires).

Cependant, la série a fait de bons chiffres ?

La première série que j’ai créée, Dix pour cent, est un succès miraculeux, on ne l’attendait pas. Ainsi, j’ai été très mal préparée à “l’échec” puisque le succès était devenu la norme pour moi. Avec Drôle, j’ai donc appris que le succès n’était pas forcément acquis. Cependant, le non renouvellement d’une série, surtout sur une plateforme, n’est pas forcément signe de mauvaise qualité de celle-ci. En effet, l’accueil critique a été excellent, la série a eu des notes spectateurs très élevées sur Allô Ciné, nous avons eu des retours très positifs, très émouvants, pendant de longues semaines, tellement de messages d’inconnus qui nous disaient leur attachement à la série, c’était fou ! Je suis donc très fière de cette série, même si elle n’a pas été renouvelée. Je sais ce que nous y avons mis, cherché, je sais qu’elle était ambitieuse, malgré son apparente simplicité.

Cette expérience m’a aussi fait réaliser que le pacte que j’avais conclu avec le diffuseur / plateforme était peu clair. Je ne savais pas quelles étaient leurs attentes en termes d’audience. Un peu naïvement, je me disais que si la série était sincère et touchante elle allait marcher, ce n’est malheureusement pas ce qui est arrivé, en tout cas pas suffisamment. C’était très perturbant pour nous, car nous sommes restés longtemps très bien classés dans le top 10 Netflix, du coup nous n’avons pas très bien compris ce qu’il signifiait réellement. Avec le recul, je pense que la direction a pris une décision trop vite (au bout de vingt jours de diffusion), ils n’ont pas suffisamment laissé de temps à la série pour s’installer. Car nous savons maintenant que les chiffres sur la durée sont bons. Je pensais qu’il y avait la place sur Netflix pour une série comme Drôle, un peu plus sensible, émotionnelle que leurs grands succès, mais aujourd’hui je me rends compte que ce n’était pas forcément le bon canal de diffusion.

Question du public : Comment avez-vous écrit le stand up ?

Pendant la phase de développement, nous avons rencontré beaucoup de stand-uppers, une bonne trentaine environ, des plus débutants aux plus confirmés. Nous avons ensuite choisi Jason Brokerss et Marina Rollman pour être nos consultants attitrés. Pendant plusieurs mois ils nous ont donné beaucoup d’informations de l’intérieur, et nous ont aidés à développer nos personnages et à rendre crédibles leurs parcours. Pour écrire le stand up nous avons recruté des auteurs dont c’est le métier : Fanny Ruwet, Thomas Wiesel, Jason Brokerss et Shirley Souagnon. Pour chaque sketch, l’équipe scénario leur donnait les thèmes, ou l’effet recherché pour la dramaturgie, et ils balançaient des vannes ! Souvent l’un des quatre prenait le lead sur un sketch, travaillait davantage la structure, et les autres venaient alimenter en blagues. À la fin, c’est un tel mille-feuille, on ne sait plus vraiment qui a écrit quoi !

Pour aller plus loin :

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