Le Pilote club : HPI

Créé par Alysse Hallali et Marjorie Bosch avec le collectif La Claque, le Pilote Club invite des créateurs de série à diffuser le pilote de leur série et à échanger autour de la l’écriture de celui-ci, ainsi qu’autour du processus général de création d’une série.

Julian
Paper to Film
20 min readSep 4, 2023

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Les invitées de ce troisième Pilote Club sont Alice Chegaray-Breugnot et Julien Anscutter. La première est la créatrice de la série HPI, le second est codirecteur de collection sur la série. Produite par Anthony Lancret et Pierre Laugier chez Itinéraire Productions et diffusée depuis avril 2021 sur TF1, elle est accessible en ligne sur MyTF1, Disney+ et myCANAL.

L’entretien est modéré par Alysse Hallali et Marjorie Bosch.

Introduction :

Tout d’abord, quelques mots de présentation. Etant donné qu’il y a peu d’informations sur toi sur internet, nous profitons d’être réunis ici pour éclairer le public présent ce soir. Tu as fait des études de droit à Sciences Po, tu as travaillé pour LCI pendant un an. Très vite, tu t’es aperçu que ce n’est pas ce que tu voulais faire. Tu voulais créer quelque chose. Tu as donc fait un DEA de droit de la propriété intellectuelle et au milieu d’un cours, tu as lu un scénario d’Ally McBeal et ça a été la révélation. Scénariste, c’est ce que tu veux faire. C’est fou parce que les scénarios, il y en avait partout chez toi pendant des années. Mais celui-là, il a tout changé. Plus tard, tu as fait tes armes sur Alice Never, Chérif, Mes amis, mes amours, et mes emmerdes et surtout La Mante.

La Mante qui t’a fait rencontrer Anthony Lancret et Pierre Laugier chez Septembre productions. Qui sont ensuite devenus tes producteurs sur HPI via leur nouvelle entreprise Itinéraire Productions.

On va commencer par parler de l’écriture. Un pilote c’est énormément de travail et on s’en rend souvent compte avec quelques chiffres. Il t’a fallu combien de versions d’écriture et d’étapes pour arriver à ce pilote ?

Alice : Il a fallu sept versions dialoguées et trois versions de traitement, ce qui est plutôt raisonnable pour un pilote.

Et est ce que tu peux nous raconter comment a démarré l’aventure HPI?

Alice : C’est une série qui a été créée initialement par Nicolas Jean et Stéphane Carrié. Ils avaient cette idée d’un polar bouclé pour TF1 avec une héroïne femme de ménage qui devenait consultante pour la police. Nicolas avait pour références Lisbeth Salander, donc on est très loin de Morgane Alvaro (rires). Pour TF1 ce personnage très solitaire, très noir plus profile Asperger qui HPI coince un peu. Ainsi, ils ont ajouté une vie de famille, deux enfants, un mari à notre protagoniste, mais le personnage Asperger ne marche plus très bien. C’est à ce moment-là qu’Anthony m’appelle.

Sur La Mante, j’avais repris toutes les versions finales, il savait que j’étais capable de le faire pour sa nouvelle série. J’ai commencé par faire une fiche de lecture. En même temps, j’avais d’autres projets, et j’étais aussi sur une création de séries avec un concept à la Léon, un personnage de flic accompagné d’une adolescente qui était elle-même HPI et qui résolvait des meurtres sur sa chaine YT tout en collaborant avec ce flic. A cause de ce projet-là ça me dérangeait de travailler sur HPI. Finalement, j’ai accepté de reprendre le pilote. J’avais besoin d’être toute seule pour essayer de trouver le personnage adéquat. Parce que je ne voyais pas encore comment le personnage fonctionnait et comment il pourrait travailler avec la police. Aussi, je ne voyais pas le ton. Je me suis lancée dans l’écriture du pilote et un jour j’ai eu une illumination sur le personnage ! Il faut revenir à la caractérisation de base. Elle est femme de ménage, donc issue d’un milieu populaire, c’est vers cela qu’il faut tendre. J’ai pensé à Erin Brockovich, qui est un personnage qui m’a vraiment beaucoup marqué adolescente. J’ai grandi avec un père HPI, qui n’avait pas un profil asperger, mais plutôt très solaire. C’est donc naturellement vers cela que je me suis tournée. Il fallait trouver la lumière dans ce personnage, sa flamboyance et assumer complètement le côté populaire. J’ai vu la femme de ménage qui passe chez moi en legging léopard avec plein de strass et je me suis dit “ça y est, j’ai mon personnage”.

A partir du moment où c’était clair, tout le reste est venu assez naturellement, les autres personnages se sont construits autour. Je voulais un protagoniste qui permette vraiment une inversion des rôles traditionnels hommes / femmes, je voulais qu’elle ait la brillance, la clairvoyance, le culot et pas l’empathie du tout. Et qu’elle résolve ses enquêtes pas pour aider la veuve et l’orphelin, mais vraiment juste pour que son cerveau s’arrête.

Pour toi, cela avait l’air hyper clair que tu voulais de la lumière et de la comédie. Ce qui a abouti sur un personnage assez décalé. Comment ça se passe avec TF1 pour leur expliquer ton idée de comédie ?

Alice : J’ai refait un traitement, très détaillé et je suis arrivée avec le personnage de Morgane Alvaro. Mais cela ne rentrait clairement pas dans leur case du jeudi soir/polar bouclé. Ils ne savaient pas trop comment l’intégrer à leur programmation. À l’époque, les chaînes ne faisaient pas de comédie policière. Il y avait aussi des problèmes avec l’héroïne qui est une femme mais qui n’est pas une bonne mère, qui est très défaillante sur beaucoup de points et surtout qui ne résout pas les enquêtes parce que c’est quelqu’un de bon. Le tout n’était pas évident à faire passer.

J’ai insisté pour proposer directement la V1 et tout de suite la conseillère des programmes m’a dit que c’était pour eux finalement, qu’elle adorait l’héroïne. Cela a vraiment tout débloqué

Tu nous as cité Erin Brockovich mais est-ce que tu avais d’autres références ?

Alice : Mentaliste parce que un consultant qui fonctionne en duo avec un policier. On s’en est éloigné aujourd’hui, mais c’était quand même une des premières références. Sherlock plus pour la mise en scène et le fait de représenter la psyché d’un personnage supérieurement intelligent. Mais globalement je n’étais pas très référencée. Peut-être Shameless aussi, pour le ton et l’univers populaire et irrévérencieux.

La clé de voûte de la série, c’est donc le duo d’enquêteurs.

Est ce que tu peux nous raconter comment tu as caractérisé tes personnages ?

Alice : Dans les duos, c’est très souvent l’homme qui porte la comédie, mais là j’avais envie de proposer exactement l’inverse. Karadec a le sérieux, l’empathie avec les victimes, le côté maniaque, le rappel à l’ordre. Tout le reste est venu pour créer la comédie avec l’inversion des stéréotypes de genres mais aussi trouver dans les défauts de Karadec ce qui va nourrir leur tandem. Donc, évidemment, avec un personnage aussi bordélique que Morgane, aussi invasive, il faut un personnage très corseté, maniaque et qui a peur de tout. C’est comme ça qu’est né Karadec. J’ai aussi été assez influencée par le comédien Mehdi Nebbou avec qui j’ai beaucoup discuté au début d’écriture, qui est végétarien, qui fait du yoga tout le temps. Il a vraiment coloré le personnage de Karadec. J’aime bien le fait que ce héros masculin puisse être sexy sans les attributs classiques de la masculinité, en allant vers sa douceur. Voilà tout ce qui est finalement très charmant chez Karadec. Dans le cas d’Audrey Fleurot, elle ne voulait pas faire de polar bouclé. Elle est venue parce qu’elle a eu un coût de foudre pour le personnage. En effet, on ne lui proposait pas ce genre de rôle et jamais de comédie. Ici, elle avait l’impression d’avoir un espace de liberté avec ce personnage-là.

Comment est-ce que tu places le personnage de Karadec par rapport à celui de Morgane ? En effet, il a l’air en dessous d’elle en termes de résolution d’enquête.

Alice : Il faut laisser au personnage de Karadec des spécificités. Tout ce qui concerne les interrogatoires, c’est lui qui s’en occupe et c’est très rare que Morgane y participe. Elle est plutôt mauvaise en psychologie, c’est sa marque de fabrique à lui. Dans les premiers épisodes, on essayait de mettre Morgane partout et elle parasitait beaucoup les scènes de polar. Petit à petit, on l’a rangée de plus en plus, laissant à Karadec ses scènes de polar.

Une des forces de HPI ce sont ses personnages secondaires qui sont des personnages de comédie hyper jubilatoire. Est ce que tu peux nous en dire un mot ? Comment les as-tu construits ?

Alice : Certaines choses étaient très claires tout de suite. Je voulais ce commissaire qui vient d’être nommé. J’avais envie d’un personnage féminin de pouvoir, mais pas complètement à l’aise dans son pouvoir. Je trouvais aussi original de voir ses failles et ses doutes. Aussi, que ce soit lui qui repère Morgane, qui l’impose, qui lui donne sa chance.

Pour le personnage de Gilles, je savais que c’était un personnage de comédie, mais on l’a amené à cela petit à petit. Au début ce n’était pas simple, TF1 était assez frileux/ TF1 acceptait une héroïne comique mais souhaitait se rassurer avec des personnages secondaires plus normaux . Il a fallu du temps pour que le personnage arrive à son plein potentiel comique.

Je n’avais jamais proposé autant de comédie dans un polar. On a vraiment avancé pas à pas pour voir si le polar tenait toujours. Avec le temps, nous avons compris le truc pour trouver le bon équilibre entre comédie et polar : parfois laisser des scènes purement polar, telles que les interrogatoires ; ajouter quelques moments de pur polar pour remettre les choses en place et que le spectateur ne se perde pas. Mais nous avons vraiment voulu voir jusqu’où on pouvait pousser la comédie, et on peut la pousser très loin sans perdre le sens du polar (rires).

Pour le personnage de Daphné, pendant les essais, nous sommes tombés sur cette comédienne belge avec une vraie singularité et on a privilégié la bizarrerie. Dans les premières versions de texte, c’était un personnage qui était impudique alors qu’aujourd’hui, elle a un côté clairement Phoebe Buffay qui tend vers la bizarrerie.

C’est intéressant, les astuces que tu nous a donné pour allier comédie et polar est ce que tu en as d’autres ?

Julien : L’équilibre est très important en fin de scène. On s’est rendu compte que, souvent, si l’on finit une scène “polar” sur de la comédie, cela ne fonctionne pas car on perd le fil de l’enquête. Ainsi, le montage joue un rôle primordial pour l’équilibre.

Au niveau de la structure du polar, comment construis-tu ton fil polar ? Est-ce que tu structures avec les cliffhanger ?

Alice : Je structure en quatre actes avec des cliffs polar. Par exemple, pour le pilote, je dirais que l’intrigue A c’est comment Morgane rentre dans la police, et la B c’est le polar. L’enjeu c’était de présenter le personnage et de la faire rentrer dans la police. Il fallait faire des démos suffisamment brillantes pour la rendre crédible. Ensuite, le fil C constitue l’intrigue avec Romain.

Est ce que tu peux nous raconter à quel moment Julien est arrivé ?

Alice : J’ai écrit le premier et le second épisode, je cherchais des auteurs pour la suite et notre agent a joué les entremetteurs. Julien a écrit le troisième avec Julie Anna Grignon et le quatrième avec Marion Carnel. Julien a compris Morgane aussitôt et dès la première version du dialogué, je savais que c’était la bonne personne.

Sur la saison deux, il a fait beaucoup de Vdef avec moi, quasiment toutes et on a co-écrit directement certains épisodes. Pour la saison trois, il est devenu co-directeur de collection avec moi.

Le fil rouge de la disparition de Romain est apparu dans le pilote. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

Alice : On a tourné quatre épisodes de la série avant le covid puis nous avons montré les premiers montages à TF1 la semaine avant le confinement. Ils étaient un peu perplexes. Je pense qu’ils ont eu un peu peur, ce qui se comprend. Avec le confinement qui s’éternisait, ils ont commencé à tout remettre en cause. On leur a donc présenté une version sans comédie, sans effets visuels, qu’ils n’ont pas appréciée et petit à petit, on a remis tous les éléments de comédie, en représentant des versions et des versions. Je pense que comme l’époque était morose, ils ont fini par se dire que la comédie était une bonne chose.

Mais le fil rouge que nous avions prévu par la suite était devenu trop sombre, la chaîne a voulu que nous retravaillions les arches pour rendre le ton plus léger. Il a fallu abandonner ce fil rouge que l’on retrouve en saison deux dans une version beaucoup moins drama.

Est ce que tu peux nous parler du teaser du premier épisode ? Parce qu’on n’est pas du tout sur un teaser polar contrairement au deuxième épisode. Comment y as tu pensé et comment est-ce arrivé dans ton écriture ?

Alice : J’ai commencé par écrire un teaser polar et je me suis furieusement ennuyée en l’écrivant, j’ai donc écrit un teaser centré sur Morgane. L’élément compliqué c’était qu’il n’y avait pas de scène de crime, ce qui normalement permet d’amener énormément d’éléments polar et d’amener la famille des victimes. Il fallait donc que l’on puisse restituer toute la scène de crime et ses éléments à travers le tableau d’enquête. Ce n’était pas simple, mais je ne regrette pas une seconde ce choix-là. Après ce démarrage, j’avais écrit une scène de crime qui ne fonctionnait pas non plus, parce que j’avais besoin d’avoir tous les éléments dans le dossier. Je me suis donc débarrassé des éléments polar classiques pour me recentrer sur Morgane.

Il y a de nombreuses scènes de caractérisation dans le teaser, est-ce que tu peux nous les pointer du doigt ?

Alice : Effectivement, il y en a beaucoup, notamment quand Céline vient voir Morgane dans le couloir en lui demandant “c’est quoi ton truc ?” puis qu’elle lui répond qu’elle est HPI et que ce n’est pas un cadeau, que son cerveau marche devant et qu’elle court derrière. C’est une scène de caractérisation forte mais aussi de rencontre entre quelqu’un qui va lui faire confiance pour la première fois et qui lui fait comprendre qu’elle a de la valeur.

Il y a évidemment la scène où Karadec vient la voir chez elle, dans sa cuisine. Toute la vie privée d’Alvaro envahit dès la première seconde le personnage de Karadec qui va donner à manger à la fille de Morgane, qui ne l’écoute pas du tout.

Dès le début, je voulais que cette série soit l’invasion de l’univers de Morgane partout, tout le temps.

Ensuite il y a la scène du supermarché. Ici, il y a la caractérisation du côté populaire du personnage. Elle compte, elle a des coupons de réduction, elle sait exactement ce qu’il y a dans son caddie. Aussi, je pose les conflits entre les personnages avec sa fille et son fils, le déséquilibre dans la famille. Le spectateur comprend à ce moment qu’elle est supérieurement intelligente puisqu’ elle calcule tout de tête en quelques secondes

Dans cet épisode, nous ne sommes pas sur un cas polar classique puisqu’il s’agit de sauver quelqu’un. Comment justifies-tu ce choix ?

Alice : Je suis partie du synopsis de Stéphane et Nicolas. Il y avait deux enquêtes, la première polar parce qu’elle résolvait une enquête et c’est ça qui l’a fait embaucher dans la police. Je voulais que ce soit une première étape d’enquête avec un premier twist. Je trouvais que c’était intéressant comme miroir par rapport à son histoire personnelle. C’est toujours compliqué de ramener les backstories de façon naturelle dans un pilote. Ici, la résonance qu’il y avaient entre Romain et se cette femme disparue permettait de parler de ce fil rouge.

Tu ne fais pas de séquencier, est-ce que tu peux nous en dire plus ?

Alice : En l’occurrence sur le pilote j’ai fait un séquencier, mais depuis c’est vrai qu’on travaille avec des fils à fils. En réalité, ce sont des séquenciers desquels on a supprimé l’aspect documents de vente. Il n’y a pas d’éléments marketing, ce sont vraiment des documents de travail. Cependant, il y a déjà tout, un titre de séquence avec un lieu, un décor, le nom, on découpe par intrigue (A, B, C), par scène avec des couleurs et quelques punchline pour pouvoir écrire les dialogues autours, ce qui nous sert de guide au moment de l’écriture.

Julien : Oui, ça je pense effectivement que ça nous aide de poser des dialogues notamment en comédie, parce que ça nous rassure. On a besoin d’avoir la dimension comique à ce stade là, quitte à la changer au dialogue. C’est parfois très compliqué d’expliquer la structure d’une scène alors que souvent, avec une punchline préalable, tu comprends le ton que tu dois donner aux dialogues.

Alysse Hallali, Marjorie Bosch, Alice Chegaray-Breugnot et Julien Anscutter

Comment as-tu bâti cette saison après le pilote ?

Alice : Je n’ai pas fait d’écriture en atelier avec plein d’auteurs. Je faisais les arches, puis je partageais les épisodes entre les différents binômes d’auteurs. Maintenant avec Julien, on fait des ateliers à quatre par épisode. On accompagne toutes les étapes, synopsis, séquencier, V1, V2 …

Je n’ai jamais voulu faire de grosses équipes, parce que c’est pas une méthode de travail avec laquelle je suis moins à l’aise, tout simplement. Et puis aussi parce que j’aime bien le fait que chaque auteur viennent avec un univers, un truc à apporter à la série et que sa personnalité ne soit pas diluée dans un groupe. Je voulais que chaque épisode porte la couleur d’un auteur. Les épisodes sont tous très différents, je suis persuadée que c’est grâce à cette méthode.

Il y a une grammaire forte sur HPI. De nombreux petits éléments font la caractérisation de la série, est-ce que tu peux nous raconter comment c’est venu au fur et à mesure ?

Alice : Les démos, c’était le point de départ du personnage à la Sherlock. Il fallait faire comprendre ce qu’il se passe dans son cerveau, montrer la complexité. C’était très dur à écrire, puis à mettre en image de la façon la plus ludique possible.

Pour la série, je voulais que les démos représentent le fait que Morgane n’a pas fait d’étude et qu’elle dispose d’une culture à trou avec des images de la pop culture dans tous les sens, que ce soit le bazar, comme dans sa tête. J’en ai discuté avec le réalisateur Vincent Jamain qui est venu pour faire les quatre premiers épisodes de la première saison et qui est revenu après. On a échangé ensemble sur nos points de vue respectifs. Il a vraiment proposé des choses que je n’attendais pas du tout et qui marchent à merveilles. Le monteur, Jean de Garrigues, a aussi ajouté sa patte en utilisant des stock shot avec par exemple dans l’épisode 2 une parodie des experts. C’est exactement l’esprit que l’on voulait pour la série. Le côté référence à la pop culture qui parle à tous, cela participe à la caractérisation du personnage.

Tes démos ont évolué au cours de la première saison, les références à la culture internet sont beaucoup plus présentes, peux-tu nous dire pourquoi ?

Alice : On a eu un second réalisateur sur la seconde partie de la saison (post covid) et lui n’a pas fait de proposition de flash. Ce qui a changé le ton de la série. L’idée nous est venue de combler avec des images de stock. J’ai passé des nuits entières pendant les trois mois de montage à chercher des images, à fabriquer des GIF’s, puisqu’il est quasi impossible d’acheter un GIF déjà existant. Il fallait donc trouver ces images et prendre le petit extrait, l’accélérer pour lui donner un ton comique, lui ajouter des bruitages pour l’accentuer. Cela m’a pris énormément de temps.

Tu as choisis de ne pas mettre de flashback, ce qui est assez rare dans le polar pourquoi ce choix ?

Alice : Ce qui m’intéressait vraiment, c’était de voir ce qui se passe dans la tête de Morgane, que toutes les images qui n’appartiennent pas au récit soient des projections à elle. On raconte l’histoire par ces projections. Ce qui est un sacré pari puisque les flashback aident bien pour raconter une histoire polar.

Il y a aussi beaucoup d’anecdotes culturelles dans la série, comment les gérez-vous ?

Alice : Nous avons une boîte à idées qu’on partage avec Julien, chacun peut piocher dedans.

Un autre aspect du pilote m’avait marqué : la précarité de Morgane. Comment fais-tu pour aborder ce genre de sujet sur une grande chaîne hertzienne ?

Alice : Effectivement, c’était important pour moi que Morgane négocie son salaire à la fin du pilote. Ça n’allait pas de de soi, en général, on ne parle pas de salaire, alors même que c’est une préoccupation tout à fait légitime pour une grande partie de la population. . TF1 a très bien réagi à notre façon d’aborder la question, cela n’a jamais été un vrai souci. On se demande à chaque début de saison comment la mettre en difficulté financièrement. Cependant, il est important pour nous qu’elle s’en sorte toujours.

Abordons les étapes du tournage et du montage;. Comment est-ce que tu gères la préparation ?

Alice : Nous la gérons à deux avec Julien. Ici, la difficulté, c’est évidemment de tout faire rentrer dans le plan de travail, même si souvent il y a des jours qui débordent de partout, des heures sup dans tous les sens. HPI c’est très très chronophage, parce qu’il y a beaucoup de comédie. La comédie, c’est des dialogues, du rythme, de nombreux personnages, beaucoup de plans caméras. Les démos qui se superposent au récit, il faut les tourner avec des décors et des costumes, avec un tas de choses. C’est donc une série très gourmande à tous les postes. Les comédiens ont très envie d’improviser et cela apporte beaucoup de choses chouettes. Les réalisateurs sont également très contents de pouvoir essayer de nouvelles choses, ce qui fait que c’est très riche individuellement. On pousse tout le temps les murs pour faire rentrer les épisodes dans le plan de travail.

Julien : Généralement si l’épisode déborde côté plan de travail, les gens vont naturellement nous suggérer de couper des scènes qui ne leur semblent pas indispensables… mais ces scènes “moins utiles”, ce sont souvent les scènes de comédie qui ne font pas directement référence à du polar. Le problème, c’est que si on les coupe, à la fin, il ne reste que du polar et ça devient une série policière classique. Ainsi, la grosse difficulté, c’est d’arriver à trouver où on peut couper dans le polar pour le rendre le plus efficace possible, afin de garder de la place pour la comédie à côté. Cet équilibre demande beaucoup de temps.

Alice : Sur les épisodes trois et quatre de la saison une, nous avons du couper de nombreuses scènes et cela m’a beaucoup peinée.. Par la suite, nous avons essayé le plus possible de mixer ces scènes à l’enquête pour être sûrs de les conserver. Cela a aussi été l’occasion de discuter avec les réalisateurs et c’était intéressant car chacun a vraiment sa personnalité, ses envies et donne une couleur différente à chaque bloc.

C’est aussi le rôle de la directrice artistique de dépasser sa position d’auteur, de ne pas rester accrochée à ses lignes. Faire les choix qui vont être intéressant visuellement pour la série.

Que peux-tu nous dire de la V1 montage du premier épisode ?

Alice : Je suis allée au montage avec les producteurs. Vincent m’a montré cette première version où il n’y avait plus de polar ! C’était génial, très drôle, mais il y avait un souci de compréhension de l’intrigue, en même temps le personnage était complètement là, le pari était gagné. Il fallait rééquilibrer le côté comédie / polar avec encore des mois de travail derrière pour tout comprendre, mais j’étais très rassurée.

Est ce que cette expérience sur le tournage a confirmé pour toi la nécessité du scénariste d’être présent sur le plateau ?

Alice : C’est une grande joie de pouvoir accompagner son projet jusqu’au bout, c’est vraiment un aboutissement. En revanche, il faut tout assumer quand on se retrouve dans cette situation, surtout les ratés. C’est important d’accompagner les projets. Pour la vision des personnages et leur construction, c’est génial, puisque arrivés au montage, on peut reconstruire des choses et prendre du recul sur ce que l’on a fait pour améliorer les choses. C’est également intéressant pour les autres membres de l’équipe d’avoir la vision d’un scénariste dans ces moments et tout au long du processus créatif.

Les tenues d’Alvaro ont été inspirées par ta femme de ménage, mais est-ce plus généralement que tu as ton mot à dire sur les costumes ?

Alice : Sur la première saison elle avait un look plus rock. On a beaucoup discuté avec les équipes et je voulais qu’elle ait un look très particulier et populaire, qu’elle porte des matières synthétiques, des vêtements qui ne soient pas neufs. Sur toute la grammaire visuelle, nous avons beaucoup discuté avec Vincent, il avait de nombreuses références américaines et je voulais l’adapter le plus possible à notre culture française. Effectivement, le look a évolué et Audrey Fleurot a aussi participé, en achetant des vêtements sur Vinted.

Qu’en est-il de la relation producteur/diffuseur ? Que faisais-tu valider comme document ?

Alice : Maintenant que la série est lancée, nous faisons un synopsis à TF1, puis des arches à l’oral. (et les dialogues aussi) Ce qui n’était pas le cas sur la première saison ! Il fallait vraiment des traitements puis des V1 et beaucoup plus de documents de travail. Depuis la saison 2, nous faisons valider le synopsis détaillé par la chaîne, mais pas les documents structurels. Puis, bien entendu, on valide toutes les versions dialoguées.

Les fil à fil, peuvent en revanche servir en prepa quand nous sommes trop à la bourre sur les V1 dialoguées.

Au moment de la diffusion du première épisode de la saison une, où en êtes vous de l’écriture de la saison deux ?

Alice : Nous sommes en train d’écrire le premier épisode de la saison deux ! La première saison a très bien marché, ce qui a confirmé la suite. Le mélange des genres de la série était un vrai pari mais son succès nous a confortés dans nos choix. En saison 2, on souhaitait encore pousser plus loin le mélange des genres. Mais chacun a son analyse des raisons du succès et il fallait convaincre la chaîne que c’était possible.. Avec le temps, nous avons gagné la confiance du diffuseur qui nous laisse aujourd’hui beaucoup de liberté.

Julien : Sur la saison deux, malgré le succès de la série, il y avait encore des discussions sur son ADN et son identité. On a dû continuer à faire nos preuves. Mais après la diffusion de la saison deux, tout le monde était d’accord sur ce qu’était la série.

Alice : Avec la saison deux, nous avons essayé de confirmer ce que nous trouvions bien dans la saison une. Pour chaque épisode, nous voulions un concept de comédie, une couleur spécifique, en plus du polar, qui nourrissait notre intrigue et nos personnages. Nous jouons beaucoup avec les codes du polar, on a par exemple essayé de faire un épisode cold case à la sauce HPI. On essaye de définir un genre et de s’en amuser.

Est ce que tu peux nous parler de l’évolution de la relation entre Alvaro et Karadec ?

Alice : Sur l’écriture du pilote, Morgane n’était pas encore avec Ludo, puis elle s’en séparait au fil de la saison. Audrey voulait un clair de lune avec Karadec. L’idée nous plaisait, nous pensions l’ajouter plus tard, mais finalement je l’ai intégrée des le début de la saison.

Quel est le bilan de cette expérience, même si elle est toujours en cours ?

Alice : Cela m’a donné confiance en mes propositions et mes convictions. Le personnage m’est tout de suite apparu, il était très clair dans ma tête puis il n’a plus bougé. J’ai écrit ce que j’avais envie de regarder. Cela m’a aussi appris à faire plus confiance aux réalisateurs et aux comédiens. Au début, j’avais toujours peur que l’on vienne saboter mes lignes, les changer. Finalement, les comédiens et les réalisateurs ont beaucoup apporté à la série. C’est vraiment une co-création et au contraire, il faut laisser rentrer toutes ces nouvelles idées, il faut privilégier l’échange. J’ai aussi appris que quand on a un instinct très fort sur une scène, il faut se forcer à la faire exister, cela paye toujours, souvent elle deviennent des scènes clefs, peu importe à quel point elles sont rocambolesques et dures à mettre en place.

Questions du public :

Au regard du succès de la série en France, est-ce que vous êtes consultés par des productions étrangères pour les adaptations/remakes ?

Alice : Pour les adaptations, nous ne sommes pas du tout consultés. Nous n’avons plus vraiment le contrôle sur les personnages que nous avons créé dans ce cadre ci. Il y a évidemment l’adaptation américaine qui est en cours. Ils tournent le pilote qui sera diffusé pour un pré test pour savoir s’ils commandent la suite ou non. Cela a été sympa de discuter avec eux sur la série et notre vision mais, ils en ont fait ce qu’ils ont voulu. Même si nous n’avons pas la main dessus, cela reste très agréable de voir que le projet plait en dehors de nos frontières.

La série se place dans un contexte post gilet jaune, est-ce que c’est quelque chose que vous aviez en tête en écrivant un personnage qui questionne la police et ses méthodes ?

Alice : Alors non, puisque nous étions déjà bien avancé dans l’écriture au moment ou la crise des gilets jaunes battait son plein. Cela à sûrement facilité les choses pour que TF1 valide le personnage. En revanche, j’avais à cœur de créer un personnage avec un côté revanchard socialement. Nous avons toujours voulu partir d’un personnage maltraité par la société parce que trop différent et qui se retrouve exclu de partout malgré ses compétences. C’était une volonté très forte dès le départ. Mais indépendante de cette crise.

Merci Alice pour cette analyse très détaillée ! Et à bientôt pour le prochain Pilot Club !

HPI Saison 3

Pour aller plus loin :

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