Le Pilote Club «Irresponsable» — Frédéric Rosset

Créé par Alysse Hallali et Marjorie Bosch avec le collectif La Claque, le Pilote Club invite des créateurs de série à diffuser le pilote de leur série et à échanger autour de la l’écriture de celui-ci ainsi qu’autour du processus général de création d’une série.

Julian
Paper to Film
17 min readJul 24, 2023

--

Pour cette quatrième édition nous retrouvons Frédéric Rosset, créateur de la série Irresponsable, produite par Tetra Media Fiction. Elle est diffusée sûr OCS à partir de 2016.

L’entretien est modéré par Alysse Hallali et Marjorie Bosch.

Avant de devenir scénariste, Frédéric Rosset a travaillé en tant que régisseur. Il a ensuite été sélectionné pour participer au parcours série TV de la Fémis. À la sortie de cette formation, il a vendu son projet d’étude, Irresponsable, à Antoine Szymalka chez Tetra Media Fiction, puis à OCS. La série s’achève trois saisons plus tard en décembre 2019, après avoir remporté de nombreux prix (Prix du jury de la meilleure série du COLCOA French Film Festival de Los Angeles, Prix de la meilleure série, du meilleur scénario et du meilleur comédien pour par l’Association française des Critiques de Séries, ainsi que le prix du meilleur réalisateur et comédien au Festival des Créations Télévisuelles de Luchon). Parallèlement à la création d’Irresponsable, Frédéric a travaillé sur Dix pour cent, Les Bracelets Rouges, Les 7 Vies de Léa, L’Opéra. Il a également réalisé un court-métrage, La Vie au Canada, en compétition à Cannes.

Un pilote nécessite beaucoup de travail. Combien de versions as-tu dû réaliser pour «Irresponsable», afin de parvenir à ce résultat ?

Frédéric : Officiellement, il y a eu cinq versions dialoguées, précédées de deux versions de séquencier. La particularité du pilote est qu’il a été créé en deux étapes. Il a d’abord été initié au sein de la Fémis en tant que projet d’école. À la sortie de la Fémis, j’avais deux versions dialoguées : la v1 et la v2, qui étaient très différentes. Au départ, je voulais réaliser un double épisode pilote, chacun d’une trentaine de pages. On m’a fait remarquer, très justement, qu’il était possible de les transformer en un seul épisode de 30 minutes. J’ai donc proposé une version 2 où le pilote était de 30 minutes. La v3 correspond à la version de tournage pour la Fémis. La v4 est la première version écrite pour OCS, où il a fallu à nouveau changer le format pour réaliser à nouveau un double épisode, cette fois-ci de 20 minutes chacun. En effet, les épisodes de trente minutes ne correspondaient pas à l’économie d’OCS. La v5 est la version de production réalisée lors de l’élaboration du plan de travail.

Comment as-tu créé cette série ?

Frédéric : J’avais cette idée d’un homme de trente ans qui retourne vivre chez sa mère et qui n’arrive à rien dans la vie. Je ne sais pas d’où m’est venue l’idée de lui donner un enfant de 15 ans qui a le même âge mental que lui. L’envie de faire une série sur un trentenaire looser a commencé à l’époque où je travaillais en tant que régisseur et que j’avais du mal à obtenir mon statut d’intermittent. Je pense qu’une partie de moi avait peur de devenir comme Julien. Cependant, à ce moment-là, je n’ai rien fait de cette idée. Ce n’est que plus tard, lorsque je suis rentré à la Fémis, que tout a changé pour moi. Lorsqu’on m’a demandé un projet de série, j’ai ressorti cette idée de mon chapeau. Raconter une relation avec un enfant m’a permis de partager mon expérience personnelle en tant qu’adolescent à travers le personnage de Jacques. En quelque sorte, je parle un peu de mon adolescence. Étant donné qu’ils ont le même âge mental, ils ont une relation plus amicale que filiale. Cela permet au personnage de Julien de revivre son adolescence, ce qui m’intéressait beaucoup. Enfin, j’ai un frère et une sœur beaucoup plus jeunes que moi, avec qui j’avais une relation spéciale, car j’étais assez mature pour juger l’éducation de mon père. Cela a sûrement beaucoup joué dans l’écriture de cette série.

La particularité de ce développement est qu’il a lieu pendant ta formation à la Fémis. Comment as-tu vécu ce développement particulier par rapport à ceux que tu as fait par la suite ?

Frédéric : J’ai énormément apprécié cette expérience, car il est très agréable de se dédier intégralement, d’avoir une bulle de création. Pendant six mois, on se concentre sur son projet, ce qui est à la fois beaucoup et peu, mais très efficace. Cela fait partie des meilleures conditions dans lesquelles j’ai travaillé. En tant que scénariste professionnel, je n’ai jamais réussi à retrouver cela. Mon tuteur, Vincent Poymiro, a joué un rôle très important dans le projet et m’a énormément aidé à le développer.

Ton dernier projet, «La Vie au Canada» parle aussi de parentalité, pourquoi ce sujet te tient-t-il autant à cœur ?

Frédéric : La Vie au Canada raconte l’histoire d’une femme d’une trentaine d’années, irresponsable, perdue dans sa vie, et qui a la particularité d’être belle-mère. Elle est en couple avec une femme qui a un enfant de 10 ans, avec qui elle vit depuis 5 ans. Elles devaient déménager ensemble au Canada, mais le personnage principal, Sarah, doit passer un week-end dans sa famille avant le départ, accompagnée de l’enfant, mais sans sa compagne, puisqu’elles se sont séparées. Personne n’est au courant de cette situation, pas même l’enfant. Sarah passe son dernier week-end avec cet enfant qu’elle a vu grandir. Si l’on compare ce projet à Irresponsable, on peut y voir un miroir inversé. Dans le premier projet, il est question de la relation entre deux hommes et du processus de découverte de son enfant biologique. Dans le second projet, la relation concerne une femme et un enfant qui se connaissent depuis des années, mais qui n’ont aucun lien de parenté et qui doivent se dire au revoir. On peut donc envisager les choses de deux manières différentes : soit je suis un auteur avec mes obsessions, soit je suis simplement très fainéant. J’ai pu réaliser mon dernier projet, ce que je n’avais pas pu faire avec Irresponsable. Je n’aurais pas pu commencer ma carrière en réalisant Irresponsable, car je n’étais pas prêt, mais il y avait une sorte de frustration que j’ai pu dissiper avec La Vie au Canada. Avec ces projets, je m’interroge sur ma relation avec l’enfance, sur l’éducation que mes parents m’ont donnée, sur ce qu’ils ont vécu en tant que parents. En questionnant ce sujet, je me questionne également sur moi-même.

Le pilote d’OCS compte aujourd’hui deux épisodes, alors qu’à sa sortie de la Fémis, il ne comportait qu’un seul épisode. Peux-tu nous parler de son évolution ?

Frédéric : Comme je l’ai expliqué, à la Fémis, la tâche la plus importante à accomplir était de comprendre ce que représente l’écriture d’un pilote. Étant donné que je n’écrivais pas pour un format de 52 minutes, mais pour un format de 26 minutes, la difficulté résidait dans le fait de leur faire accepter l’idée d’écrire un pilote en deux épisodes. Ils ont validé cette idée initialement, mais ils sont revenus en arrière lors de ma première proposition de dialogues. Ils trouvaient que cela manquait de rythme. J’ai donc créé une version de trente pages que j’ai présentée et tournée en un seul épisode. Dans cette version, le personnage principal apprenait à mi-chemin de l’épisode qu’il était père. L’idée était de continuer dans cette direction. Lorsqu’OCS a donné son accord après avoir lu le pilote, nous nous sommes lancés le défi d’écrire les neuf autres épisodes en six mois. Tout se passait bien jusqu’à ce que l’épisode de mi-saison, que j’ai écrit avec ma sœur (Camille Rosset), ne soit pas jugé très bon par la production. Il fallait faire une vraie réécriture. Nous avions l’impression que cet épisode sept pouvait être supprimé pour passer directement au huitième. Nous ne pouvions pas faire une saison de dix épisodes, cela a relancé le débat sur la longueur du pilote. Nous avons donc redécoupé le pilote qui était dix pages plus long que les autres, pour finalement le diviser en deux parties. Nous avons ajouté beaucoup de choses, notamment la mère qui était absente jusqu’à présent. Tous ces ajouts ont permis d’avoir un pilote de 40 minutes que nous avons divisé en deux épisodes. En fin de compte, je suis partagé sur cette question car je n’aime pas le fait que l’on découvre à la fin du premier épisode que Julien est père, alors que dans la première version nous le découvrions plus tôt. Pour moi, la parentalité de Julien n’était pas un cliff, elle était annoncée dans tous les documents de promotion, mais cette restructuration était indispensable pour honorer les défis de production d’OCS.

Peux-tu nous expliquer comment tu as structuré les épisodes pour réaliser ton pilote ?

Frédéric : Avant ou après la division en deux épisodes, le pilote s’est toujours terminé de la même façon. J’avais l’idée que le deuxième épisode soit consacré à la rencontre entre le père et le fils. Le père essaierait de connaître son fils sans lui révéler la vérité sur ses origines. L’atmosphère était plus nébuleuse dans sa version Fémis. L’idée était qu’il cache à sa mère tout au long de l’épisode qu’il était revenu pour de bon. Cependant, je ne voulais pas revenir sur cet aspect, donc la version finale s’est davantage concentrée sur le développement des personnages avant l’arrivée de l’intrigue à la fin du premier épisode.

Peux-tu nous décrire concrètement les changements apportés dans ce pilote ?

Frédéric : Deux éléments manquaient dans le pilote original : la relation entre Julien et sa mère, ainsi que leur histoire. Nous avons ajouté tout ce qui se passe avant qu’il n’arrive au collège, tous ces moments où il fait semblant d’aller travailler en même temps que sa mère, alors qu’il rentre chez lui pour fumer un joint, et bien sûr, il se fait prendre en flagrant délit. Nous avons également inclus les moments où sa mère essaie de lui trouver des entretiens d’embauche. Un autre changement concerne la scène avec Jacques où il devait lui acheter de la drogue. Au départ, Julien n’arrivait pas à s’enfuir, mais dans la scène finale, il réussit à partir pour rentrer chez lui, tombant ainsi sur sa mère en plein désarroi. Il la réprimande, provoquant chez elle une crise de panique. Cet événement le décide à retourner voir son fils. La conversation que Julien a avec son fils dans l’appartement de Marie, où ils peuvent regarder les photos et découvrir les lieux, était également absente du pilote précédent. Nous avons réparti ces ajouts entre le premier et le deuxième épisode.

Peux-tu nous parler de la façon dont tu as caractérisé les personnages du pilote ?

Frédéric : Pour la caractérisation, je suis resté fidèle à la vision initiale. Je me suis surtout demandé jusqu’où je ne voulais pas aller et comment éviter certaines problématiques inhérentes aux personnages. Par exemple, Julien risquait de devenir rapidement un anti-héros antipathique. J’ai souvent réfléchi à la manière de contourner cet écueil. Il fait énormément d’efforts pour donner l’illusion qu’il n’est pas un perdant. Plutôt que d’assumer la réalité, il préfère mentir, ce qui finit par lui nuire. Cela en fait un personnage étonnamment énergique et ambivalent. De plus, il a une réelle volonté d’être un bon père et de se montrer sérieux. Il se bat intensément pour cela.

Les personnages masculins ont un côté comique, et j’avais peur que les personnages féminins soient essentiellement catégorisés comme des mères. Pour éviter cela, je voulais que la mère de Julien soit le personnage le plus drôle et le plus excentrique. Il fallait trouver des situations qui le permettent, comme son obsession pour son psy ou ses crises de panique. Quant à Marie, l’idée était de montrer qu’elle n’a pas vécu son adolescence, contrairement à Julien. Ils sont donc devenus des opposés. Julien aimerait être comme Marie, plus responsable, alors qu’elle traverse une crise d’adolescence tardive qui la pousse à craquer. Très tôt, nous avons décidé de rendre l’avortement impossible pour elle, et qu’elle n’aurait pas le choix. La première saison se termine par le fait qu’ils recouchent ensemble et qu’elle tombe à nouveau enceinte, mais cette fois-ci, elle décide d’avorter, même si Julien souhaite garder l’enfant. Il devra alors faire preuve de maturité et de responsabilité pour la première fois de sa vie en la comprenant et en la soutenant. Julien devra aussi aider Jacques à ne pas être trop dur avec sa mère à cause de l’avortement. Jacques a ses propres intrigues, il est plus sage que son père au fond. Il devra apprendre à ne pas vouloir que son père soit un père “classique” et à l’aimer pour ce qu’il est même s’ils sont plus amis que père et fils. Au début, Jacques est fasciné par son père, mais rapidement ils se disputent et comprennent que leur relation ne sera pas celle d’un père et de son fils, mais quelque chose de différent qui deviendra une force pour eux. Plus tard, il aura une petite amie et développera sa propre intrigue.

Peux-tu nous parler de la façon dont tu introduis les personnages ?

Frédéric : Si l’on prend du recul, le cœur de la série est une comédie romantique avec Marie, car chaque fin de saison tourne autour de cela. Pour introduire les personnages, j’ai réfléchi à une idée simple permettant de rapidement comprendre à qui nous avons affaire. Une mère qui vient réveiller son fils dans une chambre très adolescente, mais lorsque la couette se lève, c’est un barbu d’une trentaine d’années qui en sort. La mère est principalement là pour présenter Julien dans le teaser, mais rapidement, l’idée de la scène du téléphone est apparue pour montrer sa propre folie. Cette idée a été trouvée par Sébastien Chassagne, et en poussant plus loin, elle permettait de comprendre la folie du personnage de la mère. En ce qui concerne Jacques, les choses tournent rapidement autour du joint. Il est fasciné par cet adulte qui est plus préoccupé par la recherche du joint qu’il est en train de fumer que par le fait de lui faire des reproches pour en avoir fumé un. Marie met plus de temps à se révéler, car je voulais la rendre intéressante au moment où elle commence à craquer.

Comment structures-tu ton intrigue dans le pilote ?

Frédéric : Lorsque je conçois la série, je recherche initialement une récurrence à la Malcolm mais rapidement se dessinent deux intrigues principales feuilletonnantes. La première concerne Jacques et ses problématiques d’adolescent. Julien veut l’aider et prouver qu’il peut être un bon père. En même temps, il y a une deuxième intrigue liée aux problèmes personnels de Julien. Les deux intrigues finissent par se rejoindre, et Julien, qui voulait bien faire, finit par mal faire les choses. Dans la première, il y a une réunion parents-professeurs, Marie n’est pas présente pour accompagner son fils, et Julien se propose de la remplacer. Mais il finira par tout gâcher et se fera prendre par Marie. Dans l’autre situation, Jacques se fera surprendre en train de fumer par les parents de son meilleur ami, des parents très stricts qui estiment que Jacques est une mauvaise influence pour leur fils. Jacques ne pourra plus voir son meilleur ami, et en essayant de résoudre le problème, Marie va l’aggraver. Julien tentera de rattraper le coup, mais rien ne se passera comme prévu. À cause de cela, son fils se brouillera avec lui. Ce qui différencie la série de la sitcom, c’est que je voulais que chaque épisode ait une influence sur les suivants, et que chaque action ait des conséquences sur les relations entre les personnages.

Comment organises-tu ta réflexion ? En actes ? En arc émotionnel ?

Frédéric : J’étais seul avec ma sœur, et nous devions écrire chaque épisode en moins d’un mois. Nous nous concentrions principalement sur l’évolution de nos personnages. Chaque scène devait faire avancer l’intrigue. Tout devait être imbriqué, même si nous nous permettions quelques libertés concernant l’évolution des personnages.

Tu nous as parlé de ta sœur. Comment as-tu commencé à travailler avec elle ?

Frédéric : Nous n’avions pas les moyens d’avoir un pool d’auteurs pour l’écriture des épisodes. J’ai donc commencé seul, mais j’ai rapidement ressenti le besoin d’écrire avec quelqu’un. Camille est apparue comme une évidence, car le projet lui parlait beaucoup, et elle était ma lectrice lorsque j’étais à la Fémis. Elle n’était pas scénariste de séries, mais elle voulait faire ça. Nous avons écrit la première saison ensemble, et elle m’a apporté beaucoup de choses, notamment dans la construction des personnages féminins et leur discours. Nous avions des débats sur chaque épisode, et cela nous a permis de trouver une dynamique d’écriture très fluide.

Concernant la préparation du tournage, il y a eu deux castings, comment cela c’est passé et comment cela a participé à affiner ta vision des personnages ?

Frédéric : Irresponsable est effectivement un cas particulier, le projet est né pendant mon année de formation à la Fémis série TV, et à l’époque nous avions l’opportunité de tourner le pilote. Évidemment nous n’étions pas dans une économie professionnelle, et n’avions pas de budget pour les acteurs mais la directrice de casting a eu l’idée de Sébastien Chassagne, comédien de théâtre qui n’avait jamais fait d’audiovisuel. Quand je l’ai rencontré, beaucoup de choses se sont clarifiées. J’avais très peur que mon personnage soit antipathique et Sébastien m’est apparu immédiatement comme extrêmement sympathique. Par la suite, il a apporté beaucoup d’idées, mais toujours très respectueuses du texte et du rythme, très maîtrisées. Nous avions donc la certitude qu’il fallait garder Sébastien dans le rôle titre. Par contre, avec l’arrivée d’un nouveau réalisateur Stephen Cafiero, il nous est apparu intéressant de recaster les autres personnages. Stephen était aux commandes du casting, mais j’ai eu accès à tous les essais et toutes les décisions étaient collégiales. Tétra Média a été très clair dès le début, tous les choix artistiques devaient se faire avec la majorité des trois têtes pensantes : le producteur, le scénariste et le réalisateur, c’est ainsi qu’ils avaient fonctionné sur Un Village Français.

Pour le rôle de Jacques, l’acteur du pilote Fémis était vraiment drôle et talentueux, mais trop jeune. Pour pouvoir tenir le plan de travail, on avait besoin d’un acteur de plus de 16 ans car la législation est beaucoup plus lourde sur les temps de tournages des moins de 16 ans. Ce casting a été assez long, jusqu’à la rencontre avec Théo Fernandez qui s’est imposé comme une évidence. A l’inverse, Nathalie Cerda a rejoint le projet très rapidement. Initialement, bien que je trouvais l’actrice excellente, je n’avais pas décelé dans son rôle dans Un Village Français, la folie nécessaire pour interpréter la mère de Julien, mais dès les essais j’ai été convaincu. Notre directrice de casting était la même que celle d’Un village Français, il y a donc beaucoup d’acteurs de cette série. C’est d’ailleurs assez amusant, car la plupart des collabos d’Un village Français, jouent un rôle d’autorité dans Irresponsable.

Pour le rôle de Marie, j’aimais bien l’actrice du pilote de la Fémis, mais il manquait une alchimie qui puisse vraiment faire accepter qu’elle et Julien redeviennent un couple. Marie Kauffmann est arrivée et cela a été très intéressant car l’alchimie à tout de suite pris et elle a amené à réécrire le personnage. Elle a une vraie sensibilité, douceur, elle a quelque chose de très touchant, par contre l’arche “pétage de câble” écrite initialement ne correspondait pas à ce qu’elle dégageait. Dans la saison 2, on souhaitait que Julien veuille devenir plus sérieux mais n’y arrive pas, il nous a donc paru intéressant, qu’elle fasse le même chemin inversé : elle aimerait être moins sérieuse mais n’y arrive pas. Pour garder ma volonté d’avoir des personnages féminins plus fous, purement comiques, on a créé d’autres personnages féminins, comme la petite amie de Jacques, ou la sœur de Julien, jouée par la vraie sœur de Sébastien.

On a réussi a avoir des personnages justes, car on s’est adapté aux comédiens, nous ne voulions pas forcément avoir de contre emploi trop important. Les acteurs n’ayant pas beaucoup de temps de tournage, il fallait qu’ils puissent trouver très rapidement le naturel.

As-tu fais des lectures comédiens et que t’ont-elles apporté ?

Frédéric : Pour chaque saison, on a fait une lecture complète de la saison. Stephen dirigeait les comédiens, j’étais dans un coin, je n’intervenais pas, je prenais des notes, sur les idées évoquées, les questions soulevées, les reformulations proposées. Par la suite, j’ai tout inclus dans la version de tournage. Cette lecture intervenait après un travail conséquent avec Stephen, nous passions en revue toutes les scènes de tous les épisodes. Dans ces séances, Stephen qui n’est pas du tout intervenu dans l’écriture, me posait des questions sur les séquences, ou me proposait des idées de mises en scène, et parfois m’interrogeait sur le sens ou la logique d’une scène. C’était très intéressant comme exercice, car il faut vraiment apprendre à écouter son réalisateur. Lorsque une scène n’est pas claire pour le réalisateur, ou qu’il propose un changement c’est souvent qu’il y réellement un problème dans la scène. Il s’agit dès lors d’identifier la cause et de reconstruire la scène pour la rendre plus claire.

Peux-tu nous parler du tournage ?

Frédéric : La préparation avant tournage a été fondamentale. Nous avons eu 23 jours de tournage pour la saison 1, cela n’a laissé la place à aucune hésitation sur le plateau. J’ai été présent au début du tournage, puis j’ai dû m’absenter une semaine, mais lorsque j’ai dérushé cette semaine d’absence j’ai été très rassuré, Stephen avait gardé parfaitement le cap que l’on avait défini. Il a été aussi magnifiquement accompagné par la script (NOM) qui était absolument brillante. Sur le plateau, les retours qu’elle faisait à Stephen était les mêmes que ceux que je souhaitais faire, on était sur la même longueur d’onde, comme si nous avions le même cerveau.

Sur la mise en scène, nous avions évidemment une marge de manœuvre réduite car nous devions réaliser beaucoup de minutes utiles par jour. Stephen a brillamment trouvé la parade, deux caméras épaules simultanées, plan d’ensemble et serré avec quelques folies quand le plan de travail nous le permettait. Cela a grandement participé à une esthétique très proche du jeu, mettant en valeur les acteurs et la direction artistique, c’était clairement le choix optimal.

Pour les saisons 2 et 3, j’étais toujours sur le plateau, car j’en avais envie et je ne voulais pas passer à côté d’une expérience si formatrice. La conséquence est qu’il a fallu ajuster notre relation avec Stephen, trouver le bon équilibre entre un espace d’expression pour moi sur le plateau et ne pas ralentir ou brouiller la réalisation de Stephen. Cela n’a pas été facile, car nous n’avions pas convenu précisément du moment opportun pour faire mes notes sur les scènes que l’on tournait. Trop tôt, cela ne lui laissait pas le temps de rectifier le tir par lui-même, trop tard nous étions déjà passé à un autre axe de prise de vue… Les seuls moments où je pouvais échanger avec lui, c’était quand il s’isolait, mais c’était donc le pire moment, car lorsqu’il s’isolait, c’était lui même pour réfléchir…

C’est en saison 3, que nous avons trouvé l’équilibre. En amont du tournage, on a mis tout à plat, chacun à reconnu ses torts et les qualités de l’autre et on est repartis sur de bonnes bases.

Comment s’est passé le montage ?

Frédéric : Le temps de montage a aussi été très serré, ce que je n’avais pas anticipé. On a convenu que Stephen et le monteur faisaient une première version de montage, le producteur et moi-même faisions nos retours pour la V2, puis nous nous retrouvions tous en salle de montage pour faire les derniers ajustements. On a gardé le fonctionnement initial de notre collaboration pour la version finale, lorsque deux d’entre nous étaient en désaccord, le troisième tranchait.

Peux-tu nous raconter comment tu as choisi ton producteur ?

Frédéric : Ce qui est amusant, c’est que je faisais partie des premières promotions Fémis série TV. A l’époque, la formation n’était pas encore autant identifiée qu’aujourd’hui. Je n’ai eu que deux propositions, l’une d’une productrice du jury et l’autre grâce à Emmanuel Daucé qui a transmis le projet à Antoine Szymalka, mais très différentes. La première, on m’a dit que le projet était pour Canal Plus, là où Antoine m’a dit que le projet n’intéressait jamais Canal Plus, qu’ils allaient demander trop de changements, alors qu’OCS allait m’offrir la liberté de ton et le contrôle sur le projet. J’ai été séduit par le discours d’Antoine, car je voulais absolument pouvoir amener la série où je voulais. La suite lui a donné raison, OCS l’a pris rapidement en convention.

C’est l’heure de conclure… Créer sa série en sortie d’école : bénédiction ou sacerdoce ?

Frédéric : Je pense que celui qui répond sacerdoce à cette question est profondément hypocrite, cela a évidemment été une chance, une opportunité incroyable ! Rétrospectivement, je m’aperçois que la naissance d’Irresponsable et son parcours sont un alignement hors du commun de chances et de bonnes étoiles. Le bon producteur, le sujet qui intéresse, le bon diffuseur, le bon casting et équipe technique, une très bonne réception critique et publique car elle faisait partie des premières séries de ce genre.

Irresponsable m’a ouvert beaucoup de portes, j’ai pu travailler sur Les Bracelets Rouges, 10%, Les 7 vies de Léa, L’opéra… Grâce à Irresponsable, je n’ai jamais été perçu comme un auteur junior.

Le seul revers de la médaille a été de comprendre, quand j’ai voulu créer une nouvelle série, que l’alignement parfait des énergies pour Irresponsable était en réalité extrêmement rare.

--

--