Marie Manand : « La plus grande difficulté dans l'écriture pour les enfants est de construire des récits simples mais qui ne soient pas simplistes. »

Autrice pour l’animation, Marie Manand nous rend compte de ses projets et sources d’inspiration.

Orlane
Paper to Film
7 min readJul 1, 2020

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Quel est ton parcours et qu’est-ce qui t’a amenée vers l’écriture ?

J’ai commencé par faire des études théâtrales avant de m’orienter vers la production audiovisuelle. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le métier de scénariste. Je me suis alors rendu compte qu’il s’agissait d’un véritable métier, très concret, avec une formation et un travail à plein temps. J’ai donc commencé à écrire sur des séries d’animation. J’ai trouvé ce travail fantastique mais j’ai également réalisé que je manquais de compétence, d’un bagage méthodologique, d’expérience… Bref d’une formation. Je suis alors entrée au CEEA où j’ai expérimenté pendant deux années l’écriture et la réécriture en continu. J’ai donc pu m’immerger dans la réalité quotidienne de ce métier; nous écrivons en permanence. En sortant de cette formation, j’ai fait un stage chez TF1, où j’ai assisté les conseillers artistiques de TFOU. Après avoir travaillé du côté des producteurs et des scénaristes, je voulais aussi découvrir celui des diffuseurs. J’ai pu voir quelles étaient leurs attentes, leur regard, comment ils réceptionnaient et lisaient les scénarios. À la suite de ce stage, je suis retournée à l’écriture scénaristique à plein temps. À présent, cela fait dix ans que j’écris. Ce qui est merveilleux dans ce métier, c’est qu’on ne se lasse jamais.

Quelle différence y a-t-il entre écrire pour de l’animation ou de la prise de vue réelle ?

En animation, j’écris principalement pour les enfants ; il s’agit d’une logique narrative et émotionnelle très spécifique. L’écriture est totalement décomplexée dans l’humour, dans ce que l’on peut raconter, dans la spontanéité, mais il y a aussi d’importantes contraintes techniques que nous n’imaginons même pas lorsque nous ne faisons pas d’animation. Pour pallier toutes ces contraintes, il faut à la fois une grande rigueur et une imagination très inventive… A l’inverse, l’écriture en prise de vue réelle me semble avoir davantage de contraintes narratives que techniques.

Comment écrit-on pour un public très jeune ?

Finalement, la plus grande difficulté dans l’écriture pour les enfants est de construire des récits simples mais qui ne soient pas simplistes. Il ne faut pas prendre les enfants pour des idiots. Il faut leur raconter des histoires intéressantes pour eux, mais aussi pour soi. Il s’agit de trouver ce qui nous émeut personnellement dans les récits que l’on propose, et de croire sincèrement en la trajectoire émotionnelle de nos héros.

Néanmoins, j’ai déjà travaillé sur des projets destinés à des cibles familiales qui proposent ainsi un récit plus complexe et faisant intervenir davantage de personnages adultes. Bien que malheureusement, l’animation pour les adultes peine encore à trouver sa place sur le marché français.

Quelle est ta méthode de travail ?

Je ne pense pas avoir de méthode de travail particulière pour l’animation car c’est un format assez court où l’on arrive très vite dans le vif du sujet, mais j’attache énormément d’importance à la structure et à la trajectoire émotionnelle. Je mets en place beaucoup plus de technicité lorsque je travaille pour de la prise de vue réelle, puisque le format est plus long et qu’il est donc plus facile de s’essouffler, d’avoir des ventres-mous. J’aime par exemple utiliser la méthodologie des camemberts (initiée par Jean-Marie Roth). Je travaille beaucoup sur la trajectoire émotionnelle, les objectifs, les enjeux, les points de vue. En ce moment j’écris un 52’ sur Marie Curie (La Grande guerre de Marie Curie). Il s’agit d’un film d’animation. Travailler sur ce projet m’a permis de réunir ces deux contraintes (animation et récit long) et d’expérimenter la rencontre de ces deux façons d’élaborer une narration.

Comment se passe ton travail en co-écriture ? Préfères-tu écrire seule ou à plusieurs ?

Il y a des projets où écrire seule me convient parfaitement et où un co-auteur ne me manque pas. En revanche, il y a d’autres projets où je sens que j’ai besoin d’autres mains, ou plutôt d’autres têtes, pour m’aider à réfléchir. J’aime autant la co-écriture que l’écriture solitaire. Les deux ont leurs propres avantages et inconvénients. Cependant, écrire à plus de deux personnes est plus compliqué. Il y a souvent besoin d’un leader pour ordonner les idées.

Comment écrit-on des séries prises en route, qui ont déjà une saison produite et dont l’on n’est pas l’auteur ?

Il n’est jamais simple de travailler sur les deuxièmes saisons de séries bouclées, car toutes les idées que l’on a de manière spontanée ont souvent déjà été faites. Cela demande donc de la ressource. En même temps, c’est souvent dans ces saisons que le champ des possibles s’étend, et où l’écriture peut aller plus loin encore.

As-tu un genre ou un format de prédilection en tant que scénariste et en tant que spectatrice ?

Je n’ai ni format ni genre de prédilection pour l’écriture. Malgré tout, les choses que j’aime se retrouvent souvent dans mes scénarios. Je parle souvent de relations filiales, fraternelles ou sororales, et mon engagement féministe influence aussi ma manière d’imaginer et d’écrire.

Quand à mon expérience de spectatrice, peut-être est-ce du au fait que j’écrive principalement pour des formats courts au quotidien, mais j’ai une nette préférence pour les formats longs et les pavés de mille pages !

Quels sont tes projets actuellement ?

Je fais un peu de bande-dessinée pour la jeunesse : Louve y-es-tu? co-écrit avec Armand Robin et illustrée par Camille Hüe pour Milan presse et Bayard éditions, mais aussi Fée Pamieu co-écrit avec Guillaume Cochard et illustré par Paco Sordo pour Bayard presse. Ce projet implique une écriture très particulière dans la gestion du mouvement, quasiment absent. Il faut penser le scénario de manière hyper précise, image par image, comme des photographies d’actions.

Je développe aussi un unitaire de 52’ mettant en scène Marie Curie (La Grande guerre de Marie Curie) co-écrit avec la réalisatrice Camille Alméras, ainsi que deux séries d’animation très différentes : Cochons construction pour Xilam et Les Gardes-Chimères pour Monello. J’écris aussi des projets en prises de vue réelle. J’ai notamment déposé un projet sur Paper to Film, La Monarque (co-écrit avec Jean-Louis Manand), qui vient de trouver un producteur.

Comment se passe ton travail sur la bande-dessinée ? Travailles-tu en collaboration avec les dessinateurs ? Pour l’animation, travailles-tu en collaboration avec des graphistes ?

Cela dépend énormément des projets. Pour le projet que je développe chez Xilam, j’ai vraiment pensé toute la série avant que la recherche graphique et les réalisateurs n’entrent en jeu. Au contraire, pour la série que je développe chez Monello, il s’agit d’un projet initié par un réalisateur/graphiste et une artiste en papier découpé (Clément de Ruyter et Lila Poppins). Je suis donc arrivée alors que l’univers visuel était déjà bien avancé. Pour la bande-dessinée, l’expérience était tout à fait différente. Il y a d’abord eu une forte conception littéraire, puis un passage de relai aux mains d’un ou d’une illustrateur/trice. En fin de compte, ces univers qui n’ont pas été pensés visuellement en amont sont tout autant fabuleux à l’arrivée.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Je suis avide d’histoires ; du quotidien ou issues de la Grande Histoire. Ce qui m’inspire beaucoup, ce sont les grands dilemmes impossibles. Je fais feu de tout bois ; je ne suis jamais en manque d’inspiration car il y a toujours une personne, un livre, un film, une série, un podcast ou même un article de journal pour nous raconter une histoire touchante ou surprenante…

Comment intègres-tu la musique dans ton écriture ?

Je n’ai pas du tout le réflexe d’intégrer la musique dans mes scénarios car j’ai toujours travaillé dans un maillon de la création où la musique arrive bien plus tard, et où mon texte change énormément avant le résultat final. Il est donc assez compliqué d’anticiper une réflexion musicale. Cependant, sur le projet La Grande guerre de Marie Curie, la réalisatrice pense beaucoup à ces questions musicales et sonores. Comment intègre-t-on les sons, les bruitages de la guerre ? Vaut-il mieux utiliser une musique d’époque ou une musique contemporaine ? Je ne m’étais jusqu’alors jamais vraiment penchée sur ces questions dont je prends petit à petit conscience.

Quelle est ou serait la relation idéale avec un producteur ?

Pour moi, le producteur est un veilleur, un garde-fou. Il est le premier lecteur, et pose toutes les questions gênantes que les auteurs aimeraient pourtant mettre de côté. Mais en perçant ainsi à jour les faiblesses d’une histoire, il permet de tendre vers un projet infaillible. Lorsque nous avons un bon producteur, cela se ressent tout de suite ; le projet fait un bond qualitatif conséquent. Je ne conçois pas le métier de scénariste de manière solitaire : il faut le penser en partenariat avec un producteur afin que ce dernier puisse apporter ses propres réflexions. L’idée est qu’un scénario se vende et c’est le producteur qui s’en charge. Il faut donc qu’il soit convaincu lui aussi.

Peux-tu nous parler de La Monarque, le projet que tu as déposé sur la plateforme ?

Il s’agit d’un thriller d’anticipation politique qui se demande ce qu’il se passerait s’il y avait un retour à la monarchie de nos jours. J’étais intéressée par le parcours de cette femme qui a grandi dans le milieu royaliste, mais qui est aussi une femme moderne qui trouve que la monarchie n’a aucun sens. J’ai travaillé sur cette série avec mon père, Jean-Louis Manand, qui est journaliste politique. Il s’agissait de lier ses connaissances politiques avec mes propres compétences relatives à l’aspect romanesque et à la construction narrative. Comme nous devions rendre l’histoire la plus crédible possible, nous avons aussi consulté un constitutionnaliste, nous nous sommes documentés. Le travail avec mon père, qui n’est pas scénariste, m’a énormément appris. Il se tenait comme le garant du réalisme des événements du récit, dans une réflexion très concrète qui s’associait parfaitement avec mon travail de tissage dramatique. Nous offrions deux apports différents que nous avons fait coïncider.

Que pensez-vous de Paper to Film ?

C’est une plateforme extrêmement bien pensée, facile d’accès et à manipuler, sur laquelle on trouve plein de choses fantastiques. Elle donne de la visibilité aux scénaristes et aux scénarios. C’est un outil qui est récent mais duquel on ne peut déjà plus se passer. Merci Paper to Film !

Ses projets sur Paper to Film

La Monarque : optionné

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