Mathieu Bouvard : « Si, à la réouverture, le public ne revient pas rapidement, cela sera vraiment compliqué pour nous .»

Directeur du cinéma de l’Ysieux à Fosses, dans le Val d’Oise, Mathieu revient avec nous sur son parcours, son travail et l’impact du confinement sur son activité.

Marie Laplanche
Paper to Film
9 min readApr 13, 2020

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Peux-tu nous raconter ton parcours ?

J’ai fait des études de théâtre à la Sorbonne Nouvelle. A la suite de cela, j’ai créé une société de production avec laquelle j’ai produit certains de mes films et ceux d’amis. En parallèle, j’ai commencé à travailler sur des tournages en tant qu’assistant réalisateur. J’ai fait ce métier une dizaine d’années. Au fil du temps, je me suis rendu compte que, pour gagner ma vie, je ne travaillais que sur des projets très éloignés de ce que je voulais et de ce dont je rêvais. J’ai donc mis cette activité entre parenthèse et après plusieurs mois de réflexion j’ai repris des études en médiation culturelle. Après avoir travaillé à créer du lien entre un réalisateur et son équipe, je trouvais intéressant de me pencher sur la transmission entre un artiste et son public. J’ai intégré une licence professionnelle à Cergy Pontoise. J’ai effectué cette année d’étude en alternance au cinéma de Bezons. A la fin de l’année, j’ai eu la chance de trouver un poste de responsable jeune public au cinéma de Fosses, c’était il y a trois ans et j’ai repris la direction du cinéma il y a un an.

Quelles caractéristiques présente le cinéma de Fosses ?

Je dirige un mono écran, un cinéma avec une salle unique, ce qui est le cas d’une grande partie des cinémas en Île-de-France. C’est un cinéma intercommunal donc public, qui est classé « Art et Essai » avec les labels « Jeune public » et « Recherche et découverte ». C’est un cinéma que l’on appelle généraliste, avec une programmation allant de la comédie française grand public au film indépendant destiné à des spectateurs plus avertis. L’éducation à l’image à travers les dispositifs scolaires ainsi que les nombreuses animations que nous mettons en place constituent une part essentielle de l’activité de notre cinéma. Il complète notre travail de diffusions de films.

Quelles sont tes missions au quotidien ?

Les missions d’un directeur de cinéma peuvent varier en fonction de la taille de son équipe. A Fosses, nous somme une petite équipe : une responsable jeune public, une personne à l’administration et la comptabilité à mi-temps, un projectionniste et une personne à la billetterie. Dans un premier temps, mon rôle est d’assurer la programmation, donc de sélectionner les films que nous projetons. C’est la partie la plus importante de mon poste. Ensuite, il y a tout ce qui relève des RH avec l’équipe, le lien avec nos partenaires associatifs et la communauté d’agglomération, les projets transversaux avec les différents services de l’agglomération : la lecture publique, la partie patrimoine…

Il y a également une partie événementielle. Réfléchir aux différentes actions à mener au cinéma en lien avec notre projet culturel, de la rencontre avec des réalisateurs à la mise en place de festivals, c’est peut-être ce qu’il y a de plus passionnant !

Selon toi, quel est l’impact du confinement à court et à long terme pour ton cinéma ?

Depuis le 14 mars, le cinéma est fermé jusqu’à nouvel ordre. Il y a donc un impact sur la fréquentation, bien entendu, c’est l’effet le plus immédiat. Certains membres de l’équipe se retrouvent aussi à ne plus avoir de travail. A plus long terme, l’impact est plus difficile à cerner et à envisager. Lorsque le cinéma rouvrira, vers fin mai, espérons-le, mais cela pourrait être aussi beaucoup plus tard, toute la partie scolaire aura été annulée car l‘école sera terminée. L’ensemble des centres de loisirs mettront surement du temps à revenir au cinéma. Je pense que notre travail avec les scolaires, et les enfants plus généralement, ne reprendra pas avant septembre. Il y a aussi toute une partie du public habituel, dont les seniors font partie, qui, à priori, seront déconfinés plus tard que les autres. Sans doute y aura-t-il encore une crainte de prendre des risques en venant au cinéma, donc l’impact va durer pour les salles, bien plus longtemps que le confinement en lui-même.

Comment envisages-tu la reprise ?

Il y aura la reprise en termes de programmation qui sera compliquée. Nous avons fermé le cinéma en cours de semaine cinématographique en fermant un samedi soir. Les films qui étaient à l’affiche n’ont eu que quatre jours d’exploitation. Il sera alors envisageable de reprendre ces films-là sur quelques jours, lorsque l’on aura la possibilité d’une réouverture, sachant que nous en serons sûrement informés au dernier moment. Nous pourrons difficilement nous projeter sur un temps long, il faudra alors très vite trouver quoi programmer. Ce sera donc sans doute des films qui devaient être à l’affiche dans les deux semaines qui suivaient le début du confinement. Cela serait l’option la plus simple à mettre en place si ces films ne sont pas sortis en VOD. Certains films risquent de raccourcir leur vie en salle pour être plus vite sur les plateformes. Cela risque d’être une reprise dans la précipitation avant de reprendre sur un plus long terme la programmation, sachant qu’à Fosses, nous programmons sur 6 semaines et pas une semaine, comme certains multiplexes. Pour réussir à faire 6 semaines de programme, nous aurons sans doute besoin de trois à quatre semaines de réouvertures en amont. Il faudra également prendre en compte ce que les distributeurs décident pour leurs films, les nouvelles dates de sorties…

Es-tu déjà en lien avec certains distributeurs afin de préparer la reprise ?

Avec certains, le lien est maintenu. C’est souvent les plus petits distributeurs, ou ceux qui ont une ligne éditoriale très « Art et essai ». Ils en profitent pour nous transmettre des liens de leurs films. C’est un des avantages du confinement. En tant que programmateurs, nous avons davantage de temps pour visionner les films que nous allons mettre à l’affiche. C’est la base de notre travail, mais nous devons souvent répondre à beaucoup d’urgences et il est compliqué de trouver deux heures à consacrer dans une journée pour regarder un film. Ce lien avec les distributeurs est donc important. Certains nous demandent des retours sur les films, pour voir si nous souhaitons les programmer et qu’ils puissent réfléchir en amont à leur stratégie de diffusion. Quand vont sortir ces films ? C’est une de nos grandes questions.

Vas-tu souvent en festival ? Est-ce que les annulations successives de ces rendez-vous annuels impactent ton travail ?

Le temps fort de Cannes va avoir un impact si le festival est définitivement annulé. Sur une semaine, nous visionnons beaucoup de films de qualité, que nous allons très souvent programmer et avec lesquels un accompagnement plus poussé est fait. Ce festival, de par son palmarès, génère plus d’entrées, car les spectateurs attendent ces films plus que les autres en général. Il y a une visibilité plus grande pour ces films et si annulation il y a, cela serait un coup très dur pour les distributeurs, les exploitants, et pour l’ensemble de la filière du cinéma en général. Il y aussi le festival d’Annecy qui vient d’être annulé. C’est un festival important pour le jeune public et le cinéma d’animation. C’est donc un vrai moment difficile pour les distributeurs de ce genre de films et pour les exploitants.

Nous visionnons beaucoup de films lors de rencontres professionnelles organisées par l’AFCAE, les distributeurs ou les réseaux de salles. Ces rencontres vont sans doute devoir s’adapter à la crise, mais j’espère que la plupart pourront être reportées dans le temps et avoir lieu malgré tout.

L’état a-t-il mis en place des dispositifs pour vous aider à la reprise ?

Étant un cinéma public, j’ai la chance d’être moins dans la crainte de la faillite car moins régi par l’obligation de faire un certain nombre d’entrées. Le CNC a mis en place un fonds de soutien aux différentes filières du cinéma. Pour les cinémas privés, la fermeture dans la durée est très problématique. Certaines annonces ont été faites, mais hormis le chômage partiel, ce n’est pas très clair. Il existe une réflexion concernant la chronologie des médias qui s’opère. Il est proposé aux distributeurs de sortir plus tôt leurs films en VOD. La chronologie des médias précise qu’un film qui sort en salle ne peut sortir sur une plateforme payante avant 4 mois, le temps que le film ait une vie pleine en salle ; sachant que la plupart des gros cinémas prennent les films dès la première semaine et le gardent au mieux trois semaines. La vie en salle est de plus en plus courte. Les plus petits cinémas peuvent prendre un film en quatrième, voire cinquième semaine. C’est dans le but de protéger le film et la salle que cette loi avait été instaurée. Dans l’état actuel des choses, il n’y a plus de vie en salle. Le CNC a donc laissé la possibilité aux distributeurs qui sortaient leur film au moment du confinement de les proposer directement en VOD. Ce qui fait que ces films ne peuvent plus être programmés dans nos salles, même post confinement. Pour certains distributeurs, il existe la possibilité de faire une sortie simultanée, mais cela pose une problématique éthique. Si le film est sur internet, a-t-il un intérêt à être en salle ? Cette proposition aide grandement les distributeurs mais pas les salles directement. C’est une décision prise par l’état à travers le CNC pour soutenir les distributeurs. Au-delà de la crise que nous vivons, la volonté de remettre en cause la chronologie des médias pose problème.

En tant que spectateur, comment pourrons-nous soutenir les salles lors du déconfinement ?

D’abord, revenir en salle dès que cela sera autorisé. Pour les salles comme la mienne, il y a la perte de fréquentation pendant la fermeture, mais il y a surtout le risque de l’après. Si, à la réouverture, le public ne revient pas rapidement, cela sera vraiment compliqué pour nous. Peut-être que le confinement va créer de nouvelles habitudes, comme visionner des films sur internet, même pour un public qui, à l’origine, ne le faisait pas énormément. Il faut espérer que ces nouvelles pratiques ne vont pas devenir pérennes et ne nous affecteront pas, bien au-delà de la période de confinement.

La plupart des multiplexes ont suspendu leurs cartes d’abonnement pour que le spectateur ne paye pas pour une offre qui ne peut plus exister pour l’instant. Mais il y a plusieurs réflexions menées. La Fédération des Cinémas Français réfléchit à mettre en place un événement national à la réouverture des cinémas, un peu à la manière de la Fête du cinéma. Mais il y a la problématique du déconfinement qui se pose. S’il se fait par région, il y aura un déséquilibre qui se créera entre les cinémas et une forme de concurrence déloyale sachant que certaines salles ouvriront avant d’autres. Un événement national semble alors compliqué à mettre en place. Nous sommes donc dans le flou, comme tout le monde. Nous ne savons pas quand ni comment nous ouvrirons de nouveau les salles. Est-ce que des jauges seront de nouveaux imposées ? Ce qui a été le cas avant le confinement. Nous avions une jauge maximum de 100 personnes, ce qui pour nous ne pose pas de réel problème mais qui, pour l’UGC des Halles par exemple, représente une vraie perte. Il y a, à l’heure actuelle, tellement de zones d’ombre qu’il est complexe de se projeter, mais en parallèle de vraies réflexions qui sont menées. Par exemple, concernant le calendrier des distributeurs et la sortie des films, il y a un travail commun, pour qu’ils ne sortent pas tous leurs films porteurs au même moment, afin qu’ils ne se dévorent pas entre eux. Cela est un avantage pour les films plus fragiles. Le Covid-19 commence à avoir un impact très fort en Amérique du Nord. Toutes les majors sont en train de décaler la sortie de leurs futurs grands succès pour 2021 par exemple. Il n’y aura pas d’engorgement de films cet été comme nous avions pu l’imaginer au départ. Cela laissera une place plus importante au cinéma dit « d’auteur » cet été. Ce n’est pas l’idéal en termes de date de sortie, mais ils auront moins de concurrence que ce qui était prévu.

Plus généralement, comment vis-tu le confinement ?

Je ne suis pas à plaindre, j’ai un jardin, une maison. Je ne me sens pas enfermé même si le fait de ne pas pouvoir travailler comme je l’aimerais et préparer l’après est compliqué à gérer. Je le vis plutôt bien jusqu’à maintenant.

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