Mathieu Vilbert : J’aime pouvoir composer des ambiances différentes, plutôt que de me spécialiser dans un domaine et de ne faire que dans un seul style.
Compositeur, Mathieu nous parle de son travail, de son univers et nous raconte ses expériences…
Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’a amené à la musique à l’image ?
En sortant de ma licence en musicologie à Angers, je me suis interrogé sur la suite, car il existe peu d’écoles publiques en France. Il y a le conservatoire qui permet de faire un parcours classique, mais je me suis plutôt dirigé vers une école privée ; la Music Academy International à Nancy. Cette dernière proposait un tout nouveau cursus qui m’a donné envie de faire de la musique assistée par ordinateur. Aujourd’hui, dix ans plus tard, j’enseigne dans cette école.
Sur le papier, être compositeur de musiques de films, ça fait rêver, mais pour trouver des projets, sans contact, c’est compliqué ! J’ai fait tout mon réseau tout seul. Je me suis engagé en tant que professeur de musique au collège pendant trois ans. J’ai profité de ces années pour faire plusieurs concours et parfaire mes compétences, notamment dans la musique assistée, et travailler pour des sociétés de production et pour des réalisateurs. Puis, j’ai été lauréat de Composition de musique de film organisé par l’UCMF en 2013. A cette occasion, mon œuvre symphonique a été jouée au Grand Rex. Ce concours m’a fortement encouragé à continuer dans ce domaine. Je me suis installé à Paris et j’ai agrandi mon réseau professionnel, tout en donnant des cours à l’université.
Être professeur, ce n’est pas seulement un choix financier à mes yeux puisque cela m’aide à trouver un équilibre dans la profession. Dans ce métier là, ce qui est intéressant, ce n’est pas de travailler seul chez soi, mais de collaborer avec des musiciens et également avec des étudiants. On apporte énormément aux élèves, et l’inverse est également vrai. Il y a un échange très enrichissant dans la relation professeur-élève.
J’ai donc pu travailler comme enseignant dans plusieurs établissements privés tels que la Music Academy International de Nancy, mais aussi au Conservatoire de Levallois-Perret. En parallèle, j’ai travaillé sur de nombreux projets audiovisuels dont beaucoup de court-métrages mais aussi des longs-métrages tels que Un Homme d’Etat (2014). Travailler avec plusieurs réalisateurs différents, c’est très enrichissant.
Aujourd’hui, je me consacre à la composition de films, mais je réserve toujours un petit espace de mon temps à la pédagogie, car c’est un aspect qui me tient à cœur.
Quelles sont tes influences et ton univers musical ?
Je suis fortement influencé par les films américains avec des orchestres volumineux. J’aime aussi la musique française tels que Ravel, Debussy, etc. J’utilise donc un genre un peu hybride entre ces deux références. D’autre part, j’ai suivi une formation classique de violon. Cette technique m’a aussi aidé dans mes compositions musicales tout comme de travailler dans des groupes de genres différents (jazz manouche, folk, etc.). Cela m’a permis d’enrichir ma palette sonore.
Dans la composition, enregistrer de vrais instruments me paraît important. Pour Héritières de Lauranne Simpere, j’ai travaillé avec des musiciens brésiliens à distance, qui m’envoyaient ce qu’ils faisaient en suivant ma partition. J’ai reçu une piste de guitare 12 cordes, accordéon, une flûte pifano. A la réception, j’ai mélangé les différentes pistes avec d’autres, artificielles.
Je pense qu’il est important d’avoir ces deux pans-là dans la musique où il existe la création assistée et le travail sur de vrais instruments.
Posséder ces deux compétences aide véritablement à faire évoluer sa composition d’une manière plus actuelle, afin de donner une immersion supplémentaire et recherchée dans une musique originale de film.
Comment se passe ta collaboration avec un réalisateur sur un projet ?
C’est à chaque fois différent, puisque tout projet et réalisateur ont leur propre univers et fonctionnement. Il faut toujours se mettre au service du réalisateur qui a énormément investi dans le projet.
Il faut savoir mettre son égo de côté pour consacrer le meilleur de tes capacités au service du film.
Il ne s’agit pas de faire la plus belle musique du monde, mais de faire la musique qui convient le mieux au film, du point de vue du réalisateur. Il faut pouvoir donner de sa personnalité dans la musique, mais surtout donner la tonalité que le réalisateur souhaite pour son film.
La plupart des réalisateurs font appel à un monteur qui travaille généralement en même temps que le compositeur. Avoir le cut final au moment de la composition est donc souvent très compliqué.
Il est aussi possible de travailler durant l’écriture du scénario et c’est là où je prends le plus de plaisir et où en sortent les meilleures musiques de films à mes yeux. C’est vrai qu’à cette étape, les auteurs n’ont pas forcément le budget pour engager un compositeur. Néanmoins, lorsqu’on observe une collaboration à ce stade là, c’est souvent très enrichissant pour le projet.
Quand je travaille sur un scénario, un synopsis peut parfois suffire. Je trouve l’idée forte du projet ou de la scène, je prends le champ lexical, les mots les plus impactants et je tente de trouver un thème. Dans tous les cas, cela peut inspirer l’auteur, parfois l’engager à réécrire une scène. A mon sens, la conception est un des plus beaux moments de travail. Beaucoup de grands réalisateurs (Tarantino, Scorsese, etc.) écrivent avec la musique et pensent le rythme du récit en fonction, même lorsqu’il y a très peu de musique dans le projet — car justement, moins il y a de musique plus elle sera importante.
Te considères-tu avant tout comme un auteur ou comme un technicien ?
N’importe quel compositeur aimerait être plutôt considéré comme un auteur plutôt qu’un technicien. Néanmoins, ce côté auteur est dû à nos instruments, mais nous sommes avant tout des musiciens. Aussi, il ne faut pas oublier que le compositeur de musique à l’image doit créer une musique avec un réalisateur et un scénariste qui ont leurs propres idées créatrices.
La musique ne doit pas écraser le film mais le servir. Il faut trouver un juste équilibre, ne pas trop vouloir mettre sa propre personnalité en avant pour ne pas risquer de desservir le film. Il ne faut cependant pas perdre de vue qu’il est important d’apporter une part de soi au projet.
Il faut trouver un équilibre entre l’auteur et le technicien pour faire la meilleure musique de film possible.
Peux-tu nous parler de la collaboration avec les techniciens sur les projets ?
Il me semble que la post-production a tendance à beaucoup effrayer les réalisateurs. C’est plus technique et il y a beaucoup de choses différentes à prendre en compte (les bruitages, le sound design, etc.). Pour ma part, je suis moins inquiet de cette partie du processus puisque je travaille plus dans mon studio chez moi, à ce moment de la création. Dans la post-production, les rôles sont très découpés. Même s’il y a des échanges, le travail reste donc plus individuel. C’est toujours intéressant de travailler avec les techniciens lorsqu’on a la chance de le faire. Cependant, la plupart du temps le travail du compositeur est plutôt solitaire durant la post-production. La seule exception est le réalisateur et le scénariste avec lesquels on engage une relation professionnelle plus forte.
Peux-tu nous parler un peu plus des projets sur lesquels tu as travaillé ?
J’ai travaillé entre autres avec cinq talentueux réalisateurs et sur des projets très différents. Pour Héritière, il s’agissait d’un western moderne avec un style à la Ennio Morricone, mais plutôt latinisé. Pour Limbes (Kévin Meffres), il fallait beaucoup de dissonance, de sons angoissants, car il s’agit de l’horreur. Pour Retour aux Sources (Fabrice Chaboissier), c’était plutôt poétique, j’ai créé une harmonie de cordes assez minimaliste en utilisant mes compétences de violoniste. J’ai aussi travaillé pour Maxime Vagne avec une formation de jazz -band sur Sparring Partner et avec Colin Van Der Straeten sur plusieurs de ses courts métrages.
Le fait d’avoir eu l’occasion de travailler sur des projets hétéroclites permet d’agrandir sa palette sonore tout en conservant une diversité stylistique favorisant la meilleure adaptabilité.
J’aime pouvoir composer des ambiances différentes, plutôt que de me spécialiser dans un domaine et de ne faire que dans un seul style.
Tu aurais un conseil à donner à de jeunes compositeurs à l’image ?
Avant d’aller voir les sociétés de production ou de donner sa carte de visite en festival, il faut se constituer un Book assez fourni, avec si possible plusieurs bandes-originales visibles sur les plateformes musicales. Une fois qu’on possède un Book, on peut concrètement montrer notre travail. Présenter une idée forte ou à l’inverse montrer une grande diversité sonore permet de faciliter l’intérêt auprès des professionnels. Ensuite, faire beaucoup de concours pour s’entraîner et travailler sur des images libres de droits permet de se perfectionner tout en commençant par se faire un réseau. Enfin, aller dans des festivals ou des dispositifs tels que Troisième Personnage permet d’enrichir son réseau tout en continuant de diversifier ses compétences.
Ses compositions sont disponible sur son site mathieuvilbert.com