Nathanaël Bergèse “Un film est avant tout une création collective”

Compositeur de musique à l’image et enseignant au conservatoire de Valence, Nathanaël Bergèse revient avec nous sur sa vision et son expérience dans la musique au cinéma.

Lucie Duclos
Paper to Film
9 min readSep 23, 2019

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Peux-tu me parler de ton parcours ?

Je suis issu d’une famille dans laquelle la musique était plutôt omniprésente. Chez moi, l’envie de faire de la musique est arrivée à l’adolescence et à partir de là je m’y suis impliqué entièrement. J’ai intégré le conservatoire en jazz au sein duquel j’ai commencé en tant que pianiste. J’ai accompagné de nombreux artistes et ai commencé à faire de l’arrangement pour de la chanson. Plus tard, j’ai rattrapé les études pour passer les diplômes que je n’avais pas. Après avoir terminé le conservatoire en jazz, j’ai enchaîné avec une classe d’écriture puis la spécialisation du conservatoire de Valence. Elle est une des premières en France à permettre de se focaliser sur la composition de musique à l’image. Lorsque je dis musique à l’image, je parle au sens large car je fais de la publicité, du long, du court, de la série et tout autre format. Ce domaine m’a permis de me retrouver et de me faire plaisir. Je m’y sentais à ma place. J’ai donc choisi de me recentrer uniquement sur la musique à l’image, et ce depuis une dizaine d’années.

Depuis combien de temps te considères-tu comme compositeur ?

D’une certaine manière, lorsque tu as quinze ans et composes une chanson sur un piano, tu es compositeur. Tu as une forme de spontanéité où tu crées quelque chose. En revanche, tu n’as pas conscience des limites dans les outils que tu utilises, tu es satisfait de ce que tu crées. Cela peut se comprendre car tu n’as pas connaissance d’autre chose.

Avec le temps et l’expérience, tu te considères comme compositeur mais dans un sens tu as plus conscience de ce que tu ne connais pas et restes plus humble sur ton travail. Cela relève finalement d’une question générale et philosophique : qu’est-ce qu’une oeuvre d’art ? Quelque part c’est plus le public ou le réalisateur qui te rendent compositeur.

Tu as composé principalement des musiques pour l’animation, était-ce une volonté ou un hasard ?

Ce choix correspond à une affaire de circonstances et de rencontres. Le premier court-métrage que j’ai fait et sur lequel j’ai eu de nombreux retours positifs était Oripeaux, de Sonia Gerbeau et Mathias de Panafieu. Ce projet étant de l’animation, il m’a ouvert des portes principalement sur ce format. De plus, je travaille à la Cartoucherie de Bourg-Lès-Valence, pôle centré sur l’animation. Les deux faisant le lien, j’ai plus de facilités relationnelles et de réseau dans ce milieu. J’aimerais toutefois tendre vers quelque chose de plus large ou travailler sur des projets plus éclectiques.

Es-tu capable de composer pour autre chose que de l’animation ?

Oui sans hésiter. Je l’ai déjà fait mais pas à la même échelle. En revanche, question stylistique il y a certains genres que je ne sais pas faire. Techniquement parlant je n’ai pas les outils et les codes. Je sais composer les styles qui s’écrivent mais typiquement de l’électronique est avant tout une racine culturelle plus qu’une musique qui s’écrit. C’est un savoir-faire que je préfère laisser à ceux qui sont faits pour cela. Sur un film, quel qu’il soit, il y a de la place pour tout type de musique, ce qui importe est ce que l’on raconte avec.

As-tu des journées types ?

Je ne suis pas le compositeur que l’on imagine comme étant un artiste romantique. Je ne travaille pas la nuit, je n’ai pas de grands élans d’inspiration où je m’enferme dans une pièce pendant dix heures sans en sortir. En général je travaille la journée, là où j’ai des relations avec les autres. Mon temps d’investissement dépend vraiment du projet, de ce qu’il se passe et de l’urgence qu’il impose. C’est un métier dans lequel il y a des moment où il faut travailler davantage et d’autres où l’on est plus relâché.

Quel est ton processus de création ? Tu composes plutôt dès le scénario ou à partir des premières images ?

Cela se fait au cas par cas. Lorsqu’on a l’occasion de commencer au scénario pour y proposer des premières idées, c‘est mieux. Cela permet d’avoir une empreinte plus forte mais aussi une interaction considérable entre la musique et l’image. L’évolution de l’image se fera en fonction de l’évolution de la musique, les deux s’apportent énormément.

A l’inverse, lorsque l’on arrive sur un projet en montage il y a moins d’espace mais l’on ne dit pas la même chose. Ce n’est pas le même travail, il y a moins d’échange, les possibilités sont plus arrêtées. Personnellement, je préfère arriver au plus tôt. Ce que j’aime par dessus tout est l’échange que l’on peut avoir avec le réalisateur et cette idée qu’il va nous pousser dans certains retranchements auxquels nous n’avions pas forcément pensés. Inversement, j’aime leur apporter une vision différente sur certains passages. Tout cela se nourrit pour donner quelque chose qui transcende.

A quoi ressemble, selon toi, le réalisateur idéal ?

Un réalisateur idéal a une vision pour son film mais reste prêt à dialoguer et accepter des ouvertures autour de cette conception. Travailler avec quelqu’un qui n’a aucune vision représente une fausse carte blanche. Quelque part cela amène à se censurer soi-même. Il faut procéder par élimination et faire le tri que le réalisateur n’a pas fait en amont. Ce n’est pas de sa faute, c’est une question de culture mais ce processus est alors très long.

D’autre part, travailler avec quelqu’un qui sait ce qu’il veut mais en devient trop rigide, cela est dommage. L’idée est vraiment de pouvoir échanger et d’apporter des choses sur un projet commun. Un film est avant tout une création collective entre le scénariste, le réalisateur, le compositeur et toutes les personnes qui vont travailler dessus. Il y a un apport collectif qui est enrichissant.

Existe-t-il des compositions à plusieurs ?

Il m’est arrivé de faire des musiques additionnelles sur un projet où il y avait déjà un compositeur principal mais je n’ai pas eu d’interaction avec lui. Cela existe mais je ne suis pas certain de savoir composer à plusieurs. Ce n’est pas forcément évident. Orchestrer quelque chose qui a été composé par un autre oui. Nous avons un projet avec cinquante-deux épisode pour 2020–2021. Sur ce schéma, il est impossible de composer l’intégralité seul. La création des thèmes principaux s’effectue individuellement. En revanche, dans le développement des thèmes épisode par épisode, on risque de se répéter. Il est donc intéressant de créer une base mais de travailler à plusieurs.

Le budget alloué à la composition étant minime, quelles sont les astuces pour maintenir la qualité ?

Il n’y a pas de recette miracle mais je pense qu’il y a plusieurs éléments. La pédagogie est indispensable auprès des producteurs. Le producteur a tendance à dire que la musique représente 50% du film, mais n’y dédie pour autant que 3% du budget. Il y a un décalage considérable. Effectivement, il n’y a pas de film sans image mais un film sans son et sans musique serait aujourd’hui très compliqué. Il faut faire comprendre au producteur et réalisateur que les attentes qu’ils ont ne correspondent pas au budget proposé. S’ils veulent une musique épique et symphonique avec un budget pour avoir un quatuor à corde, ce n’est pas possible. Pour ma part, lorsque je m’engage sur un projet, je suis au courant des conditions. Parfois, si le projet me plait et que les conditions financières sont réduites, je me débrouille. Inversement, je peux refuser en disant que ces conditions sont impossibles. L’idée est de proposer des compositions qualitatives, donc je préfère ne pas y aller plutôt que d’avoir quelque chose qui ne va servir ni le film, ni moi. Il faut aussi être malin dans l’orchestration; se donner un cadre et développer plus de créativité à l’intérieur de celui-ci. Bien sur, cela doit toujours se faire en adéquation avec le film et le propos mais je me dirige généralement vers ce type de solution.

Comment vois-tu l’avenir des jeunes compositeurs ?

Je dirige la classe de composition de musique à l’image au conservatoire de Valence. Je rencontre donc des jeunes qui veulent devenir compositeurs professionnels et effectivement c’est une vraie question. Si j’avais des conseils à leur donner, ce serait tout d’abord de ne pas penser national mais plus large. Parler anglais, s’exporter, se déplacer et rencontrer du monde. Au delà de cela, ils doivent être eux-même ! Il y a déjà eu un Thomas Newman et un John Williams donc nous n’avons pas besoin d’un deuxième. Ils doivent développer leur manière de faire et leur propre sensibilité.

Ce travail dépend énormément du réseau et des rencontres. A un certain stade, tout le monde peut connaître la méthode de composition. Il faut donc faire des rencontres et savoir s’en servir.

Quelle est la place de la femme dans le milieu ?

Cela fait dix ans que je dirige la classe et en tout, sur huit places par an, j’ai dû accueillir trois filles. Cela représente un problème culturel global du fait simplement qu’une musicienne n’a pas l’idée de faire ce métier.

Chaque année nous faisons une conférence illustrée en musique. Celle de 2019 a pour thème les compositrices. J’ai demandé à mes élèves de faire des recherches. Cela consiste à aller voir qui sont les compositrices connues, ce qu’elles ont fait, comment elles y sont arrivées... Nous avons invité Marie-Jeanne Séréro, compositrice notamment pour Les garçons et Guillaume, à table ! réalisé par Guillaume Gallienne. Elle enseigne la composition au Conservatoire Supérieur de Paris. Cela me paraît pertinent de l’inviter pour parler de son parcours et montrer que ce métier est aussi possible pour les femmes. La conférence a eut lieu en juin 2019 et j’espère qu’elle ouvrira des portes aux musiciennes.

Quelles sont les qualités et expériences requises pour accéder à cette formation ?

On exige un bon niveau musical. Cela signifie par exemple d’avoir terminé le conservatoire. La classe va apprendre aux musiciens à écrire pour l’image. On ne leur demande donc pas d’être un compositeur renommé mais d’avoir les notions basiques. Une fois dans la formation, les élèves apprennent la culture cinématographique, le travail sur image, le dialogue avec un réalisateur ou encore le travail collectif. Le concours évalue donc leur capacité à intégrer ce qu’ils seront amenés à faire. Entrer dans la formation requiert un niveau musicale suffisant, une culture générale et une ouverture d’esprit mais surtout une forte motivation. La formation se déroule sur trois ans.

Quels sont tes projets actuels ?

Je travaille sur une collection de courts-métrages d’animation sur les animaux mal-aimés. C’est un programme de cinq courts-métrages qui fera au total quarante-cinq minutes et sortira en 2020. Cela traite des chauves-souris, des araignées, des requins, des loups et des vers de terre. L’idée est de faire du conte éducatif et écologique tout en restant drôle et ludique. Ce projet est intense notamment pour le court-métrage sur les vers de terre. C’est une comédie musicale donc nous devons proposer des musiques du début à la fin. Sur ces cinq courts-métrages, j’en ai déjà terminé un. Pour le second j’ai composé la musique à partir du scénario et les images y seront ajoutées. Pour les projets suivants, j’ai fais des ébauches de maquettes à partir du scénario.

Je travaille actuellement sur un autre court-métrage d’animation avec Fabrice Luang-Vija. Un cartoon tout public assez drôle qui s’appelle La pêche miraculeuse.

Paper to Film s’ouvre aux compositeurs, quelles nouvelles opportunités pourrait générer ce genre de service ?

Spontanément je dirais que si l’on est en relation avec le scénariste, cela signifie souvent qu’il est aussi réalisateur. S’il ne l’est pas, cela est compliqué car nous aurons une interaction très réduite. Le format est intéressant mais il faut des réalisateurs. L’idéal serait d’arriver à former un trio créatif scénariste, réalisateur et compositeur !

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