Paul Bianchi et Thomas Gayet : “Nous aimons ce qui est drôle - mais triste !”

Depuis leur rencontre à Sciences Po, Paul et Thomas écrivent ensemble des scénarios de comédie. Ils échangent sur leur collaboration.

Lia Dubief
Paper to Film
8 min readJul 5, 2018

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Quand avez-vous commencé à écrire ensemble ?

Thomas Gayet : Cela fait un peu plus de dix ans que l’on se connaît. Nous nous sommes rencontrés au cours de nos études à Sciences Po (IEP), nous avions alors 18 ans. Il y a quatre ans, nous avons commencé à écrire des scénarios ensemble. Au début nous écrivions surtout pour nous amuser. Finalement cela a pris une tournure plus professionnelle avec le temps.

Paul Bianchi : Thomas avait déjà une pratique de l’écriture car il avait écrit et publié deux romans : Ministrose et Cinecittà : manifeste anti-crise et pro-graisse.

TG : Notre première expérience de co-écriture est partie d’une idée de Paul. Il avait en tête un projet que je trouvais intéressant mais qu’il ne mettait pas en œuvre ; je lui ai alors proposé de travailler ensemble dessus afin de le développer. Une fois le scénario écrit, nous l’avons présenté à une production. Elle ne pouvait pas produire le projet mais nous a quand même encouragés par ses retours très positifs. Depuis cela, nous continuons à écrire et à rencontrer des personnes : nous cherchons activement un partenariat de développement en production. Nous essayons de répondre a des appels à projets et de toujours avoir un projet en cours afin de rester dynamiques dans notre pratique de l’écriture.

Quels sont vos projets actuels ?

PB : Actuellement nous travaillons à trois en co-écriture sur un projet de fiction : le « troisième homme » s’appelle Clément et nous sommes aussi rencontrés à Sciences Po. Il déjà écrit plusieurs projets de son côté et même réalisé quelques films. Son arrivée a créé une nouvelle émulation. Nous apprécions beaucoup l’approche collective dans le travail de création, jusque là nous étions habitués à travailler à deux avec Thomas.

TG : Le travail collectif est un moyen d’apporter quelque chose aux autres et se surprendre soi-même, c’est aussi le synonyme de « bien boire et bien manger » !

Quel rapport entretenez-vous avec la réalisation ?

PB : Nous n’avons encore jamais eu l’occasion de passer à la réalisation sur un de nos scénarios. D’ailleurs, pour ma part, je me sens plus familier du rapport à l’écriture que du tournage.

TG : Le scénario de court-métrage que nous aimerions le plus réaliser s’intitule Qwerty, il est en ligne sur Paper to Film. Je pense qu’en mettant en commun nos compétences, nous serions en mesure de le réaliser. Paul pratique depuis longtemps la photographie, un prix photographique vient de lui être attribué par la RATP. Le rapport étroit qu’il entretien depuis longtemps avec l’image devrait lui permettre d’occuper un poste de chef opérateur, par exemple, sur le projet que nous souhaitons tourner. D’autre part, à travers mon parcours en journalisme j’ai appris à me servir de logiciels de montage, par conséquent j’aimerais beaucoup monter un de nos films. Tourner un court-métrage serait l’occasion pour nous de tester nos capacités et nos envies dans la réalisation. Il serait sans doute intéressant de mener cette expérience sur Qwerty, car nous avons souhaité dès l’écriture qu’il s’ancre dans la tradition de la Nouvelle Vague, ce qui nous permettrait de le réaliser avec relativement peu de moyens financiers et techniques.

Comment vous répartissez-vous l’écriture ?

PB : Un jour nous avons écouté un podcast sur Jean-Loup Dabadie, le scénariste de Claude Sautet. L’émission portait sur les modalités de leur travail de création en binôme. Le réalisateur et son scénariste ont bâti une relation professionnelle et amicale atour de moments intimes, ils s’invitaient à tour de rôle chez l’un ou chez l’autre et parlaient de leur projet pendant qu’ils faisaient la cuisine. Ils divisaient leur temps de travail en deux étapes : le « travail debout » au cours duquel Claude Sautet expliquait son idée pendant qu’ils cuisinaient et le « travail assis » qui consistait à développer et organiser les idées précédemment proposées.

TG : Nous sommes ensemble pour toutes les étapes de l’écriture, en partant de la structuration d’idées jusqu’au synopsis. C’est seulement au moment de la rédaction de la continuité dialoguée que nous nous répartissons l’écriture des scènes. Il arrive parfois sur un projet que l’un de nous deux donne l’impulsion de départ et que l’autre se charge du développement et de l’habillage de cette idée. Après, tout dépend du temps que l’on peut mettre sur un projet car nous avons chacun une vie professionnelle à côté. Je dirais volontiers que nous avons nos spécialisations : selon moi Paul est un très bon dialoguiste, tandis que pour ma part je suis plus à même d’écrire le projet sous une forme agréable et stylisée.

PB : Nous sommes assez complémentaires ! Je fais souvent appel à Thomas pour donner vie à certains textes car je trouve qu’il est très efficace pour créer du rire avec de toutes petites choses, il sait habiller un texte par des détails.

TG : L’avantage de bien se connaître lorsque l’on travaille ensemble, c’est qu’il n’y a pas de langue de bois entre nous. On peut alors aller au plus vite vers ce qui nous plaît à tous les deux.

Vous arrive-t-il parfois de vous surprendre ?

PB : Thomas me surprend beaucoup lorsqu’il s’agit de résoudre un problème auquel nous sommes confrontés pour l’intrigue. Il sait exécuter une gymnastique dans l’écriture pour tourner une situation sous un angle neuf ou redonner de l’élan à l’histoire. Notre dernier projet avec Clément comportait un personnage masculin très stéréotypé, Thomas a proposé d’en faire un personnage féminin en conservant les mêmes traits caractéristiques. À l’inverse, on nous a souvent fait remarquer que les personnages masculins de Roue Libre pouvaient avoir une tendance assez féminine à l’introspection. Nous aimons beaucoup jouer avec les caractéristiques des personnages et expérimenter des dosages inédits dans les attributs féminins et masculins afin de bousculer certaines idées reçues.

TG : Oui, je pense que l’on sait se surprendre et que c’est même cela qui nous pousse à continuer d’écrire ensemble. Paul a un imaginaire visuel très développé. Il m’apporte beaucoup, dans le sens où il m’amène facilement vers des pistes auxquelles je n’aurais pas pensé, tout simplement parce que nous ne sommes pas nécessairement issus des mêmes références cinématographiques.

Vous êtes sensibles au registre comique. Comment vous positionnez-vous dans le paysage des comédies françaises ?

TG : Il y a une tradition de la comédie qui est très à la mode ces temps-ci et que l’on retrouve dans beaucoup de films qui sortent. Dans ces films, le comique repose essentiellement sur les gags : c’est avant tout un comique de situation et de burlesque. Nous préférons partir d’une situation normale, d’apparence banale et faire émerger le comique en bouleversant cette situation par des détails.

PB : Nous trouvons notre voie dans un rapport assez nostalgique à la comédie. En tant que spectateurs nous sommes très sensibles aux comédies dramatiques, nous aimons ce qui est « drôle mais triste ». Thomas, qui est très attaché au cinéma italien, aime énormément Le Fanfaron de Dino Risi. Les Italiens sont très doués pour écrire des comédies habitées par une tristesse, une mélancolie et une fatalité qui nous piquent au vif.

Que vous apporte votre formation en sciences politiques dans l’écriture ?

TG : Je pense que notre dernière série est le premier projet que nous avons bâti sur une base politique. Le personnage principal est originaire de la banlieue parisienne, nous ne nous sentions pas forcément légitimes de faire évoluer un tel personnage dans un environnement dans lequel nous-mêmes n’avons jamais vécu. Nous avons trouvé un équilibre grâce à Clément, qui connaît mieux que nous la banlieue. Les questions politiques nous intéressent à titre personnel dans notre quotidien, cependant nous ne les amenons pas au premier plan de nos projets. Je dirais plutôt qu’elles font partie de l’histoire de manière indémêlable. Pour Dix ans de fête, notre idée était de suivre l’évolution d’un groupe d’amis sur dix ans à travers des scènes de fête au cours desquelles ils se rassemblent chaque année. Dix ans de fête explore la douce mélancolie des années d’une jeunesse qui est assez proche de ce que nous avons connu. Je pense qu’il y a malgré tout un fond social, mais nous évitons d’intégrer dans nos histoires des éléments politiques d’actualité. Nous sommes persuadés que le film doit pouvoir résonner dans n’importe quelle époque, à la manière de Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Escola ou du plus récent Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana.

PB : Nous aimons beaucoup travailler sur le thème de l’identité. L’histoire de Roue Libre — notre long-métrage — est librement inspirée de l’histoire de ma famille. Elle suit le parcours de trois frères qui partent en vélo en Italie sur les trace d’un héritage… culturel. L’écriture de ce scénario a pris une importance cathartique puisque qu’elle m’a permis de faire ce voyage que je rêvais de faire avec mes frères à travers la fiction. Il y a une sorte d’idéalisation lorsqu’ils s’agit de découvrir ses propres racines culturelles, Roue Libre raconte une tentative de fuite vers un ailleurs salvateur.

Vous avez écrit des scénarios sur des formats divers. Comment envisagez-vous le rapport entre le contenu d’une histoire et sa forme ?

TG : Dans la note d’intention de Dix ans de fête, nous envisageons une forme particulière dans le monde des séries. Chaque épisode de dix minutes est écrit sous le point de vue d’un personnage différent et nous aimerions beaucoup que cela se sente dans la réalisation. Nous avons pensé le projet de manière à ce que l’on puisse remarquer les différents points de vue qui entrent en jeu dans la trame dramatique. La perception des scènes de soirées est donc propre à chaque personnage. En ce qui concerne la réalisation, il serait même possible d’imaginer une colorimétrie et un étalonnage différents pour chaque épisode afin de coller au plus près de la « couleur » des sentiments. Le projet prendrait alors la forme d’une fresque : raconter dix années d’un groupe de jeunes serait la métonymie des années de jeunesse de toute une génération.

PB : C’est le projet qui est le plus proche de nos intentions d’écriture et de réalisation. Nous l’avons proposé à Blackpills qui nous a fait des retours assez positifs. À terme, je pense que sa forme est amenée à se simplifier afin de mieux trouver sa place au sein de la production.

Leurs projets sur Paper to Film :

Dix ans de fête : 10 ans, 10 fêtes : 10 amis traversent ensemble la décennie de leur vingtaine. Dans un futur proche, ils se retrouvent tour à tour confrontés au souvenir d’une fête signifiante dans leur parcours affectif pour laquelle ils éprouvent une soudaine nostalgie. Dix ans de fête compile ces souvenirs.

Roue libre : Les trois frères Bianchi se rendent en vélo en Italie pour récupérer leur héritage ; ils sont les descendants d’Edoardo Bianchi, fabricant du célèbre vélo Bianchi. Mais le voyage n’est en fait qu’un prétexte pour sortir le cadet, Elliott, de sa dépression.

Qwerty : « La colère se passe en disant l’alphabet » : Arthur Zylberstein, mis à la porte de son domicile par sa copine aux premières heures d’une belle journée ensoleillée, va en faire l’expérience. QWERTY suivra son errance dans Paris au fil d’un abécédaire zigzagant entre Google, Rio de Janeiro et le Zaïre.

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