Philippe Orreindy : “J’aime les thrillers qui nous font douter de la réalité”

Philippe Orreindy est le réalisateur de “J’attendrai le prochain”, un court-métrage nommé aux Oscars qui a reçu plus de 35 prix internationaux.

Lia Dubief
Paper to Film
7 min readMar 4, 2019

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Peux-tu nous parler de ton parcours ?

Je suis d’abord réalisateur, mais en France on a cette idée très forte de l’auteur-réalisateur dans le cinéma. Donc, comme la réalisation de série télé ne m’intéressait pas, j’ai été obligé d’écrire ! J’ai étudié le cinéma à Paris III, puis j’ai effectué plusieurs stages en tant qu’assistant-réalisateur et assistant de production. J’ai quitté la Fac pour travailler dans une société de production. Je pense malgré tout que Paris III m’a apporté une culture cinématographique et une réflexion autour de l’image. J’ai été régisseur sur plusieurs longs-métrages, puis directeur de production sur des cours-métrages. Assez rapidement, j’ai pu commencer à réaliser des films de commande pour cette même société de production. Ensuite j’ai réalisé des formats courts et des documentaires pour la télévision. Je traitais des sujets culturels, principalement sur la peinture et la musique classique, pour France Télévision. Parallèlement à cela, j’ai écrit des scénarios de court-métrages et long-métrages.

Mon premier court-métrage de fiction était sur le peintre Georges de la Tour, avec le soutient d’Arte et du CNC. Mon second court était sur un homme qui quête l’amour dans le métro (J’attendrai le suivant…). Cette comédie réaliste a connu un franc succès, a été nominé aux Oscars, aux César et a reçu plus de 35 prix internationaux, dont l’European Film Award. Ce court-métrage m’a fait voyager dans le monde entier pendant presque un an. Et mon agent de l’époque a envoyé un synopsis de comédie que j’avais écrit au producteur de Cédric Klapisch. Cela lui a beaucoup plu, nous avons signé un contrat, nous avions un super casting mais malheureusement le film ne s’est pas fait. Aujourd’hui, avec le recul je pense que le scénario n’était pas très bon. Il m’aurait fallu un co-scénariste.

Mon tout premier scénario de long-métrage — l’histoire romancée de l’émancipation de ma mère — a longtemps cherché son chemin auprès des sociétés de production (Il a été acheté trois fois !), et il a fini par se faire sous la forme d’un téléfilm. J’ai ensuite travaillé sur un long-métrage « fantastique » avec Sombrero Production. Avec mon co-auteur, nous l’avons transformé en série TV, « Ummo,la fin d’un monde » qui est sur la Paper to Film.

As-tu des affinités avec certains genres ?

Mon troisième court-métrage (Tous les jours) — pré-acheté par France 2 — est sorti en 2017, c’est un thriller psychologique un peu fantastique. Avec le temps, je me suis rendu compte que ce qui me plaît le plus c’est ce genre d’univers, même si j’ai aussi des projets de comédies et de comédies dramatiques. J’essaie de toucher à des sujets assez internationaux. Pour Tous les jours, je me suis attaché à parler du harcèlement moral en entreprise, en rentrant petit à petit dans la tête de la victime, et on finit par douter de la réalité de cette situation. En France il y a un sérieux problème de reconnaissance pour le film de genre, alors que pour moi le cinéma de David Cronenberg ou de David Lynch, est une vraie source d’inspiration. J’aime le cinéma avec un vrai univers visuel de « cinéaste ». Je sais, c’est malheureusement l’exact opposé de la mode « naturaliste » du cinéma d’auteur français actuel. Je pense que l’on peut faire du cinéma de genre qui soit également « d’auteur », sans faire gicler de l’hémoglobine à tous les plans ! Et au final, cela en devient presque « grand public », comme savent très bien le faire les Américains. Mais cela demande plus d’exigence et d’ambition…

Quels sont tes projets actuels ?

J’ai un projet de long-métrage « D.R.E.A.M » qui est sur la plateforme et qui a reçu l’aide à l’écriture de la Région Île de France. Avec cette aide, j’ai pu écrire un séquencier de vingt-sept pages que je viens de terminer. Dans ce film, je travaille encore une fois sur le mélange entre réalité et virtualité (mais, cette fois, avec les rêves), car je suis convaincu que c’est un sujet de société : avec internet, les réseaux sociaux, les gens se mettent en scène et on ne sait plus ce qui tient de la « vraie vie » ou de la « vie rêvée ». Il y a une forme de schizophrénie dans ces comportements addicts. En ce moment je suis en recherche d’un producteur et d’un-e co-scénariste pour développer ce projet.

Je commence par ailleurs l’écriture d’un autre long-métrage : une femme cinquantenaire est licenciée et devient modèle vivant. L’année dernière j’ai participé à un workshop sélectif d’écriture au Groupe Ouest, avec ce projet de comédie dramatique. La formation s’intitulait « du personnage au sujet » et cela m’a vraiment aidé à changer carrément le protagoniste de l’ancienne version que j’avais développé au workshop « puissance et âme », de trois fois une semaine. Je recommande ces workshops à tous scénariste.

As-tu l’habitude de travailler avec un ou une co-scénariste ?

Actuellement je recherche un co-auteur afin de passer du séquencier à un scénario complet de D.R.E.A.M. En fait pour ce type de projet le co-scénariste s’apparente à un monteur qui intervient une fois que les plans sont tournés : tout reste encore à écrire, à modeler. Ce que j’ai inventé pour l’instant est à améliorer, car comme je l’ai dit au début, je suis scénariste « par force » et je suis convaincu que la vision d’une seconde personne est très bénéfique à un projet.

J’ai très souvent travaillé en co-écriture, mais je n’ai pas encore rencontré d’auteur avec qui je puisse ressentir une osmose et prolonger la relation sur d’autres projets. Aujourd’hui je suis beaucoup plus exigeant qu’avant au niveau de l’écriture.

Ta pratique du documentaire apporte-t-elle quelque chose à tes projets de fictions ?

Je continue à réaliser des documentaires et de plus en plus je sens que cela m’apporte dans mes réflexions sur la fiction. Les deux formes d’écriture se nourrissent : un documentaire nécessite une structure émotionnelle et on nous demande souvent que le sujet soit incarné par un personnage qui suit une évolution. Donc on se rapproche progressivement des codes d’écriture de la fiction. Ainsi, en 2016 L’océan électro, construit comme une fiction, sans interview, a reçu le Prix Sacem du meilleur documentaire musical.

Selon toi, quelle est la nature de la relation entre auteur et producteur ?

J’ai l’impression qu’il y a de moins en moins de producteurs qui sont prêts à se battre pour un sujet qui vient de nulle part, même s’il est fort (il faut déjà qu’ils le lisent…). Ils font les films des auteurs qu’ils connaissent ou qui ont le vent en poupe (et c’est pour cela que les sujets et les scénarios sont souvent les « talons d’Achille » du cinéma français). Et en même temps, il n’y a plus vraiment de fidélité. Aujourd’hui, la réunion d’un auteur et d’un producteur, c’est un peu comme un contrat de mariage à durée déterminée .

Comme pour le co-scénariste, l’important c’est de trouver le bon producteur par rapport au projet. En documentaire je pense l’avoir trouvé, mais en fiction c’est plus compliqué parce que c’est plus long pour trouver les financements et les enjeux sont plus importants. C’est devenu plus compliqué, aussi, pour les producteurs.

Est-ce que tu participes régulièrement à des festivals de cinéma ?

L’année dernière je me suis rendu au festival de Valence avec D.R.E.A.M, qui était moins proche du thriller Hitchcockien que maintenant. Je n’avais qu’un synopsis court et le projet n’avait pas encore reçu l’aide à l’écriture… J’y retourne cette année et je pense que les producteurs vont être plus intéressés, même si c’est du « fantastique »… Et puis mes projets de comédies et de comédies dramatiques ont également avancé…

As-tu des rituels d’écriture ?

J’écris tous les jours, surtout le matin. Je m’installe souvent dans un café. Je n’écris plus de continuité dialoguée, je préfère m’arrêter sur un synopsis ou un traitement car cela permet de conserver la souplesse du projet. Car de toute façon le producteur va faire faire des modifications, même en cinéma. J’essaye d’être le plus clair possible dans le message que je veux faire passer, que tous les éléments de mon histoire soient liés et que la structure soit solide. Tant que je n’ai pas un sujet fort, une idée cohérente et structurée, je n’envoie rien.

Ses projets sur Paper to Film :

Ummo, la fin d’un monde : Après un krach boursier dévastateur, un reporter grillé dans le métier et une jeune prodige d’échec déchue vont sauver l’Humanité d’un chaos totalitaire. Ils sont aidés à distance par des extraterrestres dont la vision humaniste de l’Univers mêle science et spiritualité : les Ummites.

Coup de boule : Comment venger l’honneur de Zizou et de la France, 16 ans plus tard…

D.R.E.A.M : Rêve ou réalité ? Où s’arrête l’addiction aux images?

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