Romain Protat et Clément Trotignon : “Notre seul but est de réussir à avoir un temps d’avance, pour que les scénaristes puissent être protégés.”

Romain Protat, président du répertoire cinéma et Clément Trotignon élu de la Guilde des Scénaristes reviennent avec nous sur ce syndicat de scénaristes unique en France.

Marie Laplanche
Paper to Film
11 min readSep 2, 2019

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Pouvez-vous nous expliquer vos parcours ?

Romain Protat : J’ai commencé chez Canal + dans les années 1990 grâce à José Garcia. J’écrivais des sketchs pour eux. C’est là que j’ai rencontré Fabrice du Welz avec qui on a fait notre premier court, puis notre premier long. Depuis, je suis scénariste de cinéma.

Clément Trotignon : J’ai commencé à travailler sur des tournages de films très tôt en tant que régisseur ou en mise en scène pendant 4–5 ans. Mais je voulais écrire depuis le départ et je pensais que ça allait m’amener à rencontrer des gens qui me permettraient d’être scénariste. En fait, ce ne sont pas du tout les mêmes contacts, même si ces gens travaillent dans le cinéma. J’ai donc repris des études. D’abord une formation à New York, très courte, de deux mois, très intensive et super formatrice, mais surtout qui m’a permis de voir que j’avais encore beaucoup à apprendre. J’ai alors arrêté les tournages, je ne pouvais pas passer huit mois en tournage sans écrire une ligne. C’était compliqué de faire les deux. Donc j’ai pris des petits boulots jusqu’à ce je réussisse le concours du CEEA. C’était en 2013 jusqu’en 2015. Ce qui est bien avec le CEEA, c’est que l’on se fait beaucoup de contacts, il y a plein de possibilités de rencontres. Depuis 2015 je suis officiellement scénariste, avec des hauts et des bas mais j’en vis à peu près.

Quel est votre rôle au sein de la Guilde des Scénaristes?

R.P : Je suis Président du répertoire cinéma. La Guilde est divisée en répertoires : cinéma, fiction et animation. On a sept élus par répertoire, soit vingt et un en tout, et on s’occupe de tout ce qu’il y a à gérer, en terme de pratiques contractuelles, de défense des scénaristes, de veille sur ce qui se passe dans la filière… représenter et défendre les scénaristes.

C.T : Je suis un simple élu cinéma, j’essaie d’aider au mieux Romain et les autres élus. Il y a pas mal de problématiques transversales entre les différents répertoires. C’est du bénévolat, donc on fait ce que l’on peut. L’urgence pour nous est de mettre en place des minimas, des pratiques contractuelles, c’est notre gros dossier. Beaucoup de choses prennent un temps fou, parce que l’on est dépendants du CNC, en partie, et parce que l’on est dans un pays où en terme de syndicalisme pour les scénaristes, il y a tout à faire. Nous avons beaucoup d’envies mais on est submergés. Même en étant simple élu, ça prend du temps, une ou deux journée par semaine… Récemment, je me suis un peu écarté parce que j’ai un emploi à temps plein dans une société de production.

R.P : Je suis en charge du cinéma en tant que président, donc c’est plus de réunions, plus de temps investi, de représentation officielle.

Qu’est-ce que la Guilde et à quoi sert-elle ?

R.P : C’est le seul syndicat de scénaristes professionnels en France. On défend les scénaristes dans leur quotidien quand ils commencent à travailler, à signer des contrats… La particularité de l’audiovisuel c’est que ce sont des oeuvres collaboratives. Notre travail est basé sur ce postulat : “rassembler , protéger, défendre, et promouvoir les scénaristes d’oeuvres audiovisuelles et cinématographiques pour leur permettre d’écrire des récits créatifs et inspirants dans les meilleures conditions de coopération possibles”

On essaie de faire que les scénaristes puissent travailler correctement ensemble et avec tous les autres acteurs de la filière. En revanche, on ne fait pas de négociation de contrat. On est ni agent ni la SACD qui a un service dédié à cela. Mais s’il y a un problème juridique, comme on est un syndicat, on a une permanence juridique et les adhérents peuvent venir demander des conseils. Si c’est un problème qui peut mettre en danger toute la filière, on peut attaquer en tant que syndicat ou orienter nos adhérents sur comment gérer le conflit.

Comment devient-on membre ?

C.T : Il faut avoir écrit au moins 90 minutes cumulées ayant fait l’objet de la signature d’un ou plusieurs contrat de cession de droits. Il n’est pas nécessaire que les œuvres ayant abouti à au moins 90 minutes cumulées aient été diffusées. C’est le seul critère d’adhésion qu’on ait pour l’instant. Et uniquement en fiction. Pour le moment, on ne représente pas les scénaristes de documentaire. Ce sont des choses qu’on aimerait faire évoluer.

R.P : On a donc certains critères de professionnalisation. Il y a un système d’adhésion probatoire pour les élèves sortant du CEEA et de la Fémis. Ils ont trois ans avec un tarif réduit à 50 euros. Normalement notre cotisation représente 1% des revenus, avec un plancher de 200 euros et un plafond de 1 500 euros. Cela représente une certaine somme et prouve l’engagement des membres. Le but est de représenter la profession et d’avoir en notre sein que des gens impliqués.

Ensuite, c’est eux qui votent pour représenter les élus une fois par an, c’est eux qui décident. On doit pouvoir prendre des décisions souveraines. Tous les ans les représentants peuvent changer. Ça fait partie des chose auxquelles on réfléchit aussi. Se présenter et être élu est un gros engagement et une année c’est en fait très court. On n’a pas le temps de mettre en place tout ce que l’on souhaiterait. Surtout lorsque l’on arrive. Si on se représente et qu’on est réélu c’est plus simple, on sait comment ça marche. Quand on vient d’être élu, le temps de se mettre dans le bain, de comprendre les fonctionnements… En plus, dans nos métiers, l’été représente souvent une longue pause. L’année passe d’autant plus vite. Ça fait donc partie des potentielles réformes de la Guilde.

C.T : Depuis deux ans, la Guilde réfléchi à sa nouvelle forme en interne pour accueillir les gens du web en particulier. En France, beaucoup de réalisateurs écrivent. La plupart d’entre eux ne sont pas membre de la Guilde mais d’un syndicat de réalisateurs, même s’ils ont les deux casquettes. Il faut donc réfléchir à comment intégrer ces gens là dans notre réflexion et peut être comment les inciter à rejoindre la Guilde.

Avec la Guilde, organisez-vous des rencontres entre scénaristes ou avec des réalisateurs ?

C.T : Les rencontres se font assez naturellement. Ce que l’on dit aux étudiants quand on vient leur présenter la Guilde c’est que l’on n’est pas là pour les aider à se faire des contacts, ce n’est pas notre rôle. Après ça se fait naturellement, on vient aux soirées on rencontre des gens…

R.P : On fait beaucoup de communication sur ce que font les autres, Séquences7, la Scénaristerie, l’AGRAF, le Groupe 25 images… On n’organise pas nous-même mais on est partenaires ou on communique dessus. En tant que syndicat, notre mission première n’est pas de faire du réseau mais de défendre la profession et les individus. Ça prend beaucoup de temps et c’est difficile de gérer des événements, on n’a pas les ressources pour le faire autant qu’on le voudrait.

C.T : C’est difficile car tout prend un temps considérable. On est dans une industrie qui, depuis les années 1980, et sûrement avant aussi, change énormément et très vite. Il y a de nouvelles lois, de nouvelles chaînes de télévision, certaines disparaissent, d’autres apparaissent. Notre seul but est de réussir à avoir un temps d’avance, pour que, peu importe les changements, les scénaristes puissent être protégés; que chacun dans son coin ne se pose pas la question de s’il faut paniquer de l’arrivée de Netflix ou autre… On veut arriver à faire que l’on soit bien payé quand on travaille, et dans de bonnes conditions. On ne juge pas si l’arrivée des plateformes est une bonne chose ou non, ce n’est pas non plus notre rôle. Pour moi c’est le premier but de la Guilde, parce que scénariste c’est un métier. Et de surcroît, très solitaire… c’est un pléonasme de dire ça ! On se sent parfois obligé d’accepter des choses. La Guilde est une sorte de rempart à de mauvaises pratiques, anciennes ou nouvelles. On va pas se mentir, pour l’instant on n’en est pas là. On n’arrive pas à tout anticiper. On n’a même pas encore de minimas officiels. On ne peut donc pas dire dès maintenant : “voilà nos minimas c’est ça et il faut les respecter”.

Au niveau politique, on a encore du travail mais ça vient de plus en plus parce que l’on a de plus en plus d’adhérents. Aujourd’hui, on est 400. Ce qui n’était pas le cas avant. 400 personnes qui travaillent, c’est beaucoup de monde.

Concernant les minimas, faut-il vous mettre d’accord avec les syndicats de producteurs ?

R.P : De toute façon, ça doit passer par un accord interprofessionnel. Beaucoup de choses sont compliquées dans les minimas car le métier de scénariste est une profession libérale. Notre but n’est pas de dire que les scénaristes sont contre le reste de l’industrie. On veut collaborer, c’est le cœur de ce métier. Beaucoup de gens se mettent ensemble pour donner naissance à une œuvre. Ce que l’on veut, c’est que tout le monde vive correctement de son métier. Y compris les producteurs ou les distributeurs pour qui ce n’est pas facile non plus. Il faut que l’on arrive à s’entendre. Que chacun ait sa place, sachant ce qu’il a à faire et dans quelles conditions. Professionnaliser notre métier et certains de nos interlocuteurs, c’est la raison de notre existence.

De cela découle aussi une réflexion à avoir sur ce statut des auteurs. Pour cela, nous avons rencontré Bruno Racine du ministère de la culture qui a été chargé par le gouvernement d’écrire un rapport sur le statut d’auteur. C’est ce qui est compliqué car “auteur” est un statut et “scénariste” est un métier comme réalisateur ou chorégraphe. Plein de métiers sont alors regroupés sous le même statut “d’auteur”. Comme notre industrie se développe avec de plus en plus de besoin, on doit tout structurer pour que ça fonctionne du mieux possible.

La nécessité de justifier de 90 minutes signées est-elle reconduite chaque année pour adhérer ?

R.P : Pour le moment, une fois que tu les as justifié une première fois, on ne te les redemande pas tous les ans. Mais si tu n’écris rien pendant 10 ans, de toi-même, tu cesseras d’être membre.

C.T : La réalité c’est que les gens qui n’ont rien signé depuis longtemps ne viennent plus. Ils se désinscrivent, ils sont passés à autre chose. Encore une fois, on est en pleine réflexion sur les critères d’adhésion. Voir si on peut s’inspirer d’autres syndicats, peut-être celui des Américains. Ils ont des systèmes d’adhésion par paliers. Ça permet d’avoir plus d’adhérents mais qui n’ont pas accès aux mêmes niveaux de professionnalisme. C’est ce que j’aimerais personnellement.

R.P : La WGA par exemple, le syndicat américain des scénaristes, a un système de points. En fonction des contrats et des postes que tu as occupés les trois dernières années avant ta demande d’inscription, ça te donne un certains nombre de points. Ensuite, tu peux t’inscrire en membre ou membre associé si tu n’as pas assez de points. Mais une fois que tu as tes points, ton inscription est valable au minimum 7 ans. Ce système de points est plutôt clair. Si tu as signé le synopsis d’un épisode télé, ça te fait tant de points etc. C’est assez simple et ça permet d’augmenter le nombre de gens représentés. C’est dans une optique de faire avec la façon de fonctionner de l’industrie. Quand tu signes une option ou un premier contrat, en moyenne, la sortie du film se fait trois ans après. Pendant trois ans, tu peux signer pleins de contrats, être quelqu’un qui travaille beaucoup mais tu n’as pas les 90 minutes requises. Il y a donc un gap un peu étrange. Il faut faire attention à rester représentatif des gens qui travaillent. Ce point est crucial.

C.T : C’est pour ça qu’on est partenaire de Séquences7, qui eux, représentent les scénaristes émergents. Il faudrait que l’on renforce les liens pour que le passage à la professionnalisation soit plus simple.

La Guilde vous prend beaucoup de temps, arrivez-vous à travailler en tant que scénaristes à côté ?

C.T : En tant qu’élu simple, on donne le temps qu’on peut donner. C’est par période, certains ont besoin de temps à un moment donné, à d’autres moments, ils ont plus de temps à accorder. Normalement le but est d’avoir le temps de travailler à côté, mais il faut parfois se forcer à dire stop à la Guilde. Il y a des choses en permanence donc on pourrait travailler non stop.

En parallèle, de la Guilde, il y a deux projets sur lesquels j’ai travaillé qui avancent. L’un devrait sortir à l’automne, une comédie, mais j’étais un scénariste parmi d’autres. Mais ce sera le premier film sur lequel j’ai travaillé qui va sortir au cinéma, donc c’est quand même important. L’autre que j’ai co-écrit avec un réalisateur, que l’on a tourné en mode guérilla en deux semaines est en montage. Et j’ai un projet de long-métrage en adaptation. J’ai quand même le temps de faire mon métier à côté.

R.P : Il faut pouvoir se fixer de travailler sur un seul dossier à la fois et de déléguer. Ne pas essayer de tout faire en même temps. Mais oui j’ai le temps de travailler à côté. Mon dernier film, Adoration, vient d’être sélectionné à Locarno.

Que pensez-vous de Paper to film ?

C.T : Depuis le début de l’existence de la plateforme, j’ai toujours trouvé que c’était une très bonne idée. Je trouve que, malheureusement en France, les agents ne font pas une partie de leur travail qui est de démarcher les productions, ou alors ils ne le font pas assez et se concentrent sur les négociations de contrats. Raphaël Tilliette a raison, il y a ce fossé qui existe en France de mise en relation auteur / producteur. En ce moment, je travaille dans une boite de production, je me rends aussi compte que l’on ne sait pas forcément où chercher les projets. C’est donc toujours les amis des producteurs qui réussissent à faire lire leurs projets. J’y suis depuis six mois et un seul agent nous a envoyé un scénario. C’est dommage. Par ailleurs, je pense que la bonne idée de Paper to film est de faire payer les producteurs et pas les scénaristes. Pour nous c’est une promotion géniale et on a envie de soutenir. On ne peut pas faire plus que d’être partenaire parce que ça ne concerne pas directement le syndicat mais on en fait la promotion et on soutient beaucoup cette plateforme.

R.P : Tout ce qui contribue à mettre en avant le travail de base des projets c’est-à-dire l’écriture et pas qu’une envie ésotérique d’un individu mais une base de travail, un scénario et le travail des gens qui écrivent, de toute façon est bénéfique. Ça contribue à montrer que la base des projets c’est ça, l’écriture. Je suis très content de voir qu’il y a plein de projets optionnés et produits via Paper to film.

Et je souhaiterais ajouter quelque chose. J’encourage tous les scénaristes professionnels à s’inscrire à la Guilde ou à participer à d’autres organisations mais dans tous les cas à se réunir, pour être présents, plus forts. Ça demande un minimum d’investissement de temps et parfois d’argent, mais ça vaut le coup. Montrer quel est notre travail, parce que c’est un travail.

C.T : En plus, on arrive vraiment à un moment charnière dans l’industrie. C’est le moment de remettre à plat les choses, partir vers une nouvelle direction avec de bonnes bases. C’est vraiment le moment de le faire. On sent chez les producteurs une envie de mettre en place des minimas. Notamment parce qu’ils n’ont pas envie que quelqu’un d’autre vienne leur imposer ses règles. C’est pour nous le moment de donner des règles françaises. De plus, il y a une nouvelle génération de scénaristes qui veut prendre un nouveau pli, en acceptant qu’il y a une partie artisan dans ce métier d’artiste et qui est donc capable de travailler en atelier, à plusieurs, de ne pas être seul chez soi, mais de passer des mois sur un seul projet à la fois. Cela nécessite de changer les règles. On sent que lorsque l’on parle de solidifier toute la partie en amont de la production, le nombre de versions… ça fait tilt chez les jeunes scénaristes. Ils n’ont pas envie de s’éparpiller sur cinq projets à la fois. C’est donc le moment d’agir et de négocier des choses. La Guilde monte en puissance grâce à ça, il faut que ça continue et qu’on le fasse ensemble.

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