Samuel Delage : “Il faut multiplier les projets, faire des propositions différentes, ne jamais s’arrêter jusqu’à ce que ça démarre”

Après une carrière d’ingénieur, Samuel Delage est devenu romancier puis scénariste, en adaptant certains de ses romans pour l’audiovisuel. Il revient avec nous sur le processus d’adaptation, ses inspirations, ses envies d’explorer différents formats et la pugnacité dont doit faire preuve chaque auteur.

Marie Clauzier
Paper to Film
9 min readOct 2, 2019

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Peux-tu nous parler de ton parcours ?

Je pense avoir fait le parcours le plus opposé au scénario qu’on puisse imaginer ! J’ai d’abord effectué des études d’ingénieur dans l’informatique. J’ai suivi un parcours international et ai pu voyager en Espagne, Angleterre et aux Pays-Bas. Cela m’a donné une vision culturelle de l’extérieur qui m’a beaucoup servi dans mes romans puis dans le travail audiovisuel par la suite. La veille de mes trente ans, ça m’est apparu comme une évidence, j’avais envie de me plonger dans l’écriture. Mais comme je n’étais pas du tout dans le milieu, il y avait un peu de chemin à faire. J’ai donc suivi des masterclass pour rattraper le retard et affûter mes outils dans le domaine de l’écriture et de la scénarisation, puis j’ai beaucoup lu : romans, pièces de théâtre, scénarios, chansons… tout est nourrissant. Je pense que tout le monde peut écrire avec le bagage dont il dispose. Ce qui compte, c’est que l’encre du crayon soit l’émotion que l’on veut partager. C’est une question d’envie. Cette envie a explosé en moi à un moment donné et a engendré une importante remise en question.

J’ai donc écrit en parallèle de mon activité d’ingénieur, pendant dix ans. Et c’est seulement en septembre 2018 que j’ai quitté mon emploi pour me consacrer à l’écriture à temps plein. Je ne me suis pas simplifié les choses ! Mais mes livres commençaient à trouver leur public, alors je me suis lancé. Lors de mon dernier jour de travail, un producteur m’appelle pour me dire que la série que je leur ai proposée les intéresse. Je me suis alors dit que je n’avais peut-être pas fait le mauvais choix. Il faut sauter dans le vide et y aller franchement.

Je pense que ce genre de choix est plus facile à faire à l’étranger qu’en France, où l’on essaye de trop se protéger. Mais il ne faut pas hésiter. Depuis, je n’ai pas de regret, si ce n’est de ne pas avoir fait ce choix plus tôt. J’ai trouvé dans l’écriture un moyen fabuleux de partager des émotions avec énormément de gens autour de moi que je ne connais pas. Cela m’offre un réel épanouissement et donne un sens à mon existence, celui de faire passer de bons moments à de nombreux lecteurs. C’est un partage enrichissant car j’ai des retours de gens avec des univers totalement différents du mien. Cela m’ouvre plein de portes. Ma façon d’écrire est d’abord une pellicule dans la tête avec des images. Je vis ces aventures, et je me suis dit “Autant aller au bout de la démarche” et transformer certains de mes romans en projets audiovisuels.

Justement, comment es-tu passé de l’écriture de tes romans à leur adaptation ?

Être romancier est presque un handicap quand on veut devenir scénariste, car on est porté par les mots. Il faut apprendre à distinguer le processus audiovisuel de celui destiné aux romans. On ne peut pas mettre autant dans un scénario que dans ses romans. Si je glisse dans le littéraire, mon scénario ne vaut rien. C’est un long apprentissage. Mais on gagne aussi du temps, cela permet de synthétiser par rapport au roman, être plus efficace, plus sec dans l’écriture, se contenter de donner ce qu’il y a à voir et à entendre, ce qui se montre à l’image. J’aime les deux écritures. On a aussi besoin de petits moments littéraires dans les scénarios, et parfois c’est un atout.

Changes-tu de point de vue entre tes romans et leurs adaptations ?

Je n’ai aucun problème à écrire une nouvelle histoire. Je considère que j’ai la chance de réécrire une deuxième fois ce que j’ai aimé, avec les idées de coauteurs. Beaucoup de transgressions sont nécessaires, car de nouvelles idées arrivent. On garde l’univers, mais on change beaucoup de choses, on fait des essais. Pour mon projet Arcanes Médicis par exemple, on a testé en transformant un des personnages principaux d’homme en femme. Il ne faut pas oublier non plus que l’on écrit pour des chaînes avec des volontés particulières. C’est fabuleux de jouer avec ces codes, de tout transformer. J’ai signé l’adaptation de mon roman Code Salamandre avec Eloa Production. Avec mes deux coauteurs on s’éclate, je retombe dans l’histoire et c’est très agréable, tout cela remue beaucoup de souvenirs en moi, des nuits passées à écrire, des moments particuliers de ma vie. Par ailleurs, il n’y aurait aucun problème pour que j’adapte des romans que je n’ai pas écrit, ce serait même un plaisir de devenir un peu l’auteur de romans qui m’ont fascinés. A l’inverse, je n’ai aucun souci à laisser mes romans être adaptés par d’autres, ce serait un plaisir de découvrir une nouvelle histoire, dans un univers qui m’a captivé.

Il faut se dire que dans une adaptation, beaucoup de choses vont être bousculées. Quand un producteur prend un projet, il voit le potentiel télévisuel donc il a déjà une première idée de la façon dont les choses vont être traitées. Il faut être prêt à transgresser ses personnages, à se remettre complètement en question en tant qu’auteur. C’est aussi un plaisir de tout repenser. En revanche, adapter une autobiographie serait plus compliqué parce que l’auteur risque d’y être plus sensible. Dans mon cas, ce sont surtout les univers qui m’importent. Qu’on les raconte d’une façon ou d’une autre, on baigne toujours dans le même univers. Il faut aussi une certaine capacité à oublier les versions qu’on a pu écrire pour aller de l’avant. C’est pour cela que travailler avec des coauteurs est une très bonne chose. Ils apportent des regards neufs et complémentaires.

Écris-tu toujours tes projets avec des coauteurs ?

J’aime les écrire à plusieurs parce que je n’ai pas l’occasion de le faire dans mes romans, pour lesquels j’écris seul. A plusieurs, tout rebondit, il y a plein d’idées qui fusent. Les chaînes ont pour coutume de faire travailler des binômes ou des trinômes. Il est bien plus riche d’amener plusieurs cerveaux sur une même affaire. Avec mes coauteurs, Christophe Martinolli et Thomas Martinetti, chacun contribue à tout, chacun a une sensibilité particulière. On discute, on se met d’accord, tout est sur la table… même pour préparer les dossiers, on trouve chacun notre fonctionnement. Pour la série que l’on a vendue à Nord Ouest Films et destinée aux plateformes, on a monté une writing room au sein de la société de production et on y travaille toutes les semaines, les mercredis matins généralement. Les producteurs sont là, on discute en direct avec eux.

Comment se passent les relations que tu as avec les producteurs ?

J’ai de la chance car tous les producteurs avec qui je travaille sont extra et très compétents. Pour l’instant, je n’ai pas eu de mauvaise surprise. En plus, la majorité des producteurs avec qui je collabore sont issus de l’écriture, ce qui est très stimulant. Il y a presque un côté script doctoring en live avec certains. On retravaille, on ajuste… je gagne du temps avec ceux qui ont une grand expérience d’écriture. Mais les autres producteurs apportent aussi un regard, un autre angle tout à fait intéressant et indispensable. A nous de nous approprier ces retours.

Tu écris beaucoup de thriller. Pourquoi ce choix ? Es-tu attiré par d’autres genres ?

Bien que le suspense représente la majorité de ce que j’écris, j’ai d’abord commencé par la comédie. Si j’écris beaucoup de polar, c’est parce que j’aime la mécanique du suspens, mais tous les sujets peuvent m’intéresser et je ne me ferme aucune porte. C’est en s’ouvrant à d’autres genres que l’on peut aussi les combiner. Ajouter un peu de comédie dans le polar par exemple, ça fait du bien, cela apporte une bulle d’air.

J’ai écrit un huis clos également, qui est un exercice très particulier. C’est à la fois compliqué et fabuleux. Mon projet Arcanes Médicis se passe uniquement à la Villa Médicis : le meurtrier est là, ça enferme, il y a un côté Agatha Christie. On a moins de latitude, cela oblige à se concentrer sur les personnages. Il faut aussi faire du lieu un personnage à part entière. L’écriture du huis clos est très technique, car il faut constamment nourrir les intrigues, tout en restant crédible.

Où puises-tu ton inspiration ?

Je m’inspire beaucoup des lieux, et les personnages arrivent naturellement autour. Il y a un côté polar, thriller et aventure dans mes écrits. J’exploite le territoire et l’arène de mon sujet, je me documente beaucoup avant. La phase documentaire est considérable, et c’est un arrache-coeur de ne pas tout mettre ! Mais il faut faire des choix et faire en sorte que les personnages soient au centre du récit.

C’est pour ces raisons que le documentaire m’attire. C’est une autre façon de raconter. Je me nourris beaucoup de documentaires pour mes écritures. Je fais des podcasts sur iTunes (La minute de l’histoire) dans lesquels je raconte, sur un format de dix à quinze minutes, un sujet qui me passionne comme le Titanic, les catacombes de Paris, la Villa Médicis, le château de Chambord… je raconte là le fruit de ce que je n’ai pas pu mettre dans mes écrits, et qui se rapproche du documentaire.

As-tu des envies de réalisation ?

Oui, de réalisation et de production. Tout m’attire dans l’audiovisuel. J’ai tellement de projections imagées quand j’écris ! La lumière, les mises en scène me parlent beaucoup. Mais c’est une question de temps, je laisse les choses se faire, j’attends le bon moment. La réalisation est un vrai engagement, il faut le faire sérieusement avec une production de confiance. J’ai parlé avec de nombreux réalisateurs et chefs opérateur avec lesquels on partage la même lumière, la même vision. Le sujet fait son chemin dans ma tête.

As-tu une méthode de travail particulière ?

Pendant dix ans j’ai beaucoup écrit la nuit, en parallèle de ma précédente activité. Maintenant que j’ai la liberté de gérer mon planning, j’écris en journée, surtout le matin, et j’aime avoir mon espace, mon bureau. Mais il ressemble plus à une bibliothèque désordonnée, donc je m’installe un peu plus loin et je prends toute la place ! J’aime avoir beaucoup de documents, deux écrans… en revanche, je suis de plus en plus vigilant aux interruptions liées à tous les réseaux sociaux notamment. Je tâche de déconnecter pour m’isoler un moment dans ma bulle.

As-tu des conseils pour les gens qui débutent dans l’écriture ?

Tout dépend des profils, mais la première chose est de trouver une forme de fonctionnement dans l’écriture, d’instaurer des rituels, même très modestes, et de ne jamais rien lâcher. 99% des gens abandonnent trop tôt. Il faut multiplier les projets, faire des propositions différentes, ne jamais s’arrêter jusqu’à ce que ça démarre, avec un éditeur ou un producteur. Il ne faut pas attendre les réponses pour commencer d’autres projets. C’est important de beaucoup lire aussi, de regarder des séries, suivre l’actualité, pour continuer à nourrir son terreau et le garder très fertile. Il faut redoubler d’efforts et rester optimiste. Ceux qui restent à la fin, qui mènent leurs projets jusqu’à leur terme, font parti de ceux qui ne lâche rien quelque soit les embûches, et il y en a tout le temps. Cela demande de l’abnégation, des efforts, mais aussi d’accepter la réussite des autres sans les jalouser, au contraire. Ce qui est important est d’être actif, de ne pas laisser traîner les choses. Il faut savoir s’organiser, combler les cases vides. Si l’on veut porter un projet jusqu’au bout, il faut être actif et au coeur du dispositif pour faire avancer les choses. C’est vous-même contre vous-même. Et si vous le décidez vraiment, vous gagnerez.

Enfin, il faut apprendre à ne jamais appuyer sur les freins. Dans l’édition, on peut écrire ce que l’on veut, au pire, l’éditeur enlèvera quelques passages (faut il encore faire preuve d’acceptation). Dans l’audiovisuel, si on veut se donner toutes les chances d’atteindre la diffusion, mieux vaut faire confiance aux producteurs et aux diffuseurs plutôt que s’arcbouter trop fermement à son intention d’auteur et définitivement enterrer le projet et sa progression en tant que scénariste. Diplomatie, pondération, abnégation sont les meilleurs alliées de l’auteur.

Pour terminer, que penses-tu de Paper to Film ?

L’initiative est excellente, l’équipe porte un projet nécessaire. Je trouve que c’est innovant et bien conçu. Je ne doute pas de la réussite de Paper to Film ! Cela permet d’établir des connexions et des relations dans un milieu très concurrentiel. La sélection et le calibrage des projets proposés sur Paper to Film font gagner du temps aux producteurs qui les découvrent.

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