Stéphanie Aten : “Quand j’adapte un roman, je fais toujours un pas de côté par rapport à la piste initiale”

Scénariste de longs métrages et créatrice de concepts de séries, Stéphanie Aten s’est fait une spécialité d’adapter ses propres romans pour le petit ou le grand écran.

Lia Dubief
Paper to Film
7 min readJul 24, 2019

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Comment t’est venu le goût de l’écriture ?

Cela fait très cliché, mais dès l’enfance, j’ai commencé à écrire seule dans ma chambre. Je crois que ma façon de fonctionner m’a attiré vers cette forme d’expression. Pendant mon adolescence j’ai développé un goût immodéré pour le cinéma et très vite, j’ai su que je voulais devenir scénariste. Je me suis intéressée aux parcours qui s’offraient à moi. J’ai découvert un organisme privé qui permettait des échanges d’étudiants à l’international et j’ai décroché une place pour l’Université cinématographique de Los Angeles, mais malheureusement, pour des raisons personnelles, je n’ai pas pu partir. Je me suis alors orientée vers une classe préparatoire aux grandes écoles à Nantes (Ciné Sup). J’y ai suivi des cours de scénario, et on m’a conseillé de doubler cette formation avec un parcours plus classique qui m’assurerait de trouver un emploi à la fin de mes études. Je me suis alors engagée dans le Droit. Pendant longtemps, j’ai continué à écrire tout en travaillant. Ce n’est que petit à petit que j’ai pu resserrer mes activités autour de l’écriture uniquement. Aujourd’hui, je partage ma vie entre le métier de scénariste, d’écrivain et de rédactrice en communication.

Quelles ont été tes premières expériences professionnelles dans le scénario ?

J’avais écrit un roman d’espionnage et en me documentant sur le milieu des services secrets, je suis tombée sur l’autobiographie d’un ex-agent gouvernemental. Je l’ai rencontré, et il m’a mise en lien avec un réalisateur qui souhaitait faire un biopic sur sa vie. Nous avons donc co-écrit le film ensemble, et même si le projet n’a finalement pas vu le jour, cette expérience m’a mis le pied à l’étrier.

Je me suis alors concentrée sur l’élaboration de concepts de séries, car cela commençait déjà à devenir très « tendance » et un appel d’air se profilait. Il était beaucoup plus facile de décrocher des contrats d’auteur sur ce format que dans le cinéma, j’ai donc rédigé plusieurs bibles et quatre d’entre elles ont été optionnées. Cela m’a permis de gagner en crédibilité et d’étendre mon réseau. J’ai alors été approchée par deux réalisateurs pour collaborer sur leurs longs métrages. C’est très gratifiant de constater que les choses s’enchaînent et que les expériences donnent lieu à de nouvelles rencontres et de nouveaux projets. Il y a tout intérêt à rester perpétuellement productif quand on est auteur.

Comment travailles-tu avec les réalisateurs ?

Pour Goodbye Roméo, le réalisateur cherchait une co-scénariste féminine, pour développer les deux points de vue homme/femme d’une histoire d’amour. Nous avons écrit à distance, en discutant par téléphone et via Skype, mais cela ne nous a pas empêchés de nouer une véritable collaboration. Je travaillais sur le scénario en lui proposant des pistes. De son côté, il donnait son avis sur la structure et sur chacune de mes propositions.

L’autre long-métrage était porté par un ami qui dirigeait une société d’effets spéciaux et qui était passionné de cinéma d’épouvante. Il avait écrit une première version de scénario, mais il n’était pas très fier de ses dialogues. Il m’a alors demandé de trouver cette touche d’humour corrosif qu’il voulait apporter à son film. Il avait créé une large palette de personnages, mais il restait à leur attribuer une façon toute personnelle de s’exprimer. Je n’avais jamais été spécifiquement dialoguiste et j’étais très attirée par le défi. Ce qui est amusant c’est que je ne suis pas une grande fan de films d’horreur. Je m’attendais à un travail assez laborieux, voire ennuyeux, et finalement je me suis beaucoup amusée. Le scénario m’a inspirée, les personnages étaient hauts en couleurs, c’était une expérience très excitante. J’ai donc eu la chance de cumuler deux collaborations très différentes mais toutes deux formatrices et plutôt agréables.

As-tu des affinités avec certains genres ou formats ?

J’ai une prédilection pour les fictions de genre. Aujourd’hui en France, il faut encore livrer bataille pour mettre en avant les créations de de ce type, mais il y a de l’espoir, notamment grâce à l’ouverture offerte par les nouvelles plateformes telles que Netflix ou BlackPills. Je suis très attirée par le thriller, l’espionnage, le fantastique, la science-fiction, ce sont des genres qui m’inspirent pour raconter des histoires. Je suis heureuse que les scénaristes soient de plus en plus libres de proposer de tels projets car nous sommes nombreux à aimer le genre et nous avons longtemps trépigné avant de pouvoir enfin nous exprimer !

Sous quelle forme naissent tes idées ?

Je pars souvent d’un concept, un pitch de quelques lignes. Il m’en vient beaucoup, mais une grande partie est rapidement abandonnée : souvent, les idées paraissent intéressantes au début, mais quand on commence à les développer, on se rend compte qu’elles sonnent creux. À l’inverse, il y a des concepts sur lesquels on se rend très vite compte que l’on tient quelque chose. Il y a une vraie nécessité à se lancer dans des projets, pour moi c’est la seule manière de continuer d’exister en tant qu’auteur. D’un point de vue personnel, il ne faut pas non plus se reposer sur ses lauriers ou ses acquis, c’est une quête constante ! C’est un peu comme les sportifs de haut niveau : l’écriture requiert une pratique perpétuelle, il faut continuellement se réinventer et produire pour ne pas lâcher la rampe.

Comment procèdes-tu dans le cas des adaptations ?

J’aime bien travailler sur celle de mes propres romans, parce qu’il s’agit d’un exercice très intéressant. Comme mes livres ont nativement une empreinte visuelle, l’impulsion de départ est posée. Mais cela amène aussi quelques complications, car il m’arrive d’avoir du mal à sortir du chemin tracé par le livre. Passer d’une forme artistique à une autre nécessite une gymnastique qui fait toute la difficulté de l’adaptation, alors j’essaie de faire un pas de côté par rapport à la piste initiale. Pour éviter le piège du verbiage et du bavardage qu’induit fréquemment un livre, j’invente de nouvelles situations et conflits pour faire ressortir l’intériorité des personnages en la rendant proactive, visuelle, intrigante. Il s’agit clairement d’une réécriture de l’histoire.

Peux-tu nous dire quelques mots des projets qui sont en ligne sur Paper to Film ?

Ce sont justement deux adaptations. Les Enfants de Pangée est tiré d’une trilogie fantastique young adult, qui fait des adolescents les héros de demain et les sauveteurs involontaires de l’Humanité, que la Terre a « décidé » de condamner. Pour ce projet, je ne cherchais pas à faire une transposition fidèle des livres, mais plutôt à écrire une histoire complémentaire. J’ai convoqué de nouveaux personnages autour de la table, tout en conservant l’histoire de fond. Cela m’a permis d’adopter un nouveau point de vue sur l’univers que j’avais créé, c’est une méthode très efficace et très créative !

Grooms 2.0 est au départ un thriller interactif publié par la maison d’édition Readiktion : le lecteur découvre le roman sous forme d’épisodes très courts à la fin desquels il doit faire les choix à la place du protagoniste. L’histoire se prêtait très bien à l’adaptation scénaristique et j’ai longtemps hésité entre format sériel ou cinématographique, avant d’opter pour le dernier. J’ai retravaillé le déroulement de l’intrigue pour lui donner plus d’épaisseur et de profondeur, et gommer la rapidité et l’immédiateté que la maison d’édition m’avait imposées pour le livre. Il s’agit d’un sujet assez subversif, dans lequel un homme puissant et richissime se retrouve prisonnier d’un bâtiment macabre dans lequel il va devoir survivre. Cette histoire est très ancrée dans les fondations de notre société et l’actualité est une source d’inspiration intarissable !

Quelle est la nature de tes relations avec les producteurs ?

Je dois reconnaître que j’ai eu de la chance sur ce point : je n’ai eu que des expériences positives. Je sais qu’il est fréquent pour les scénaristes de rencontrer des problèmes avec les producteurs. Pour ma part, j’ai eu affaire à des personnes ouvertes et réellement au service du projet. Pour mes quatre concepts optionnés, les collaborations ont été très respectueuses, y compris sur le plan financier. J’ai été optionnée assez tôt dans le processus d’écriture.

La première chose que j’attends d’un producteur, c’est le respect du travail de l’auteur, et cela passe notamment par une rémunération à la hauteur du travail fourni. Nous ne sommes pas des salariés, nous n’avons aucune sécurité d’emploi : un producteur qui vous fait bûcher gratuitement pendant des semaines ne vaut pas la peine de s’attarder. S’il n’a pas de respect pour le statut de l’auteur, il n’en aura pas pour l’œuvre non plus. La question pécuniaire doit être abordée très tôt, parce qu’elle pose des engagements des deux côtés. Ensuite, j’attends de lui la possibilité d’un véritable dialogue. Quand on me demande de travailler une piste, j’aime que l’on m’explique pourquoi, tout comme je justifie systématiquement mes propositions. Il faut toujours être en mesure d’expliciter ses choix. Cela permet de nourrir le projet et la relation de façon constructive et professionnelle.

Ses projets sur Paper to Film :

Les Enfants de Pangée : Des adolescents se déclarent Messagers de la Terre et affirment que la fin du monde est imminente. Seul moyen d’y échapper : changer sur-le-champ de modèle de civilisation. Sont-ils fous ou disent-ils vrai ?

Grooms 2.0 : Un homme puissant et richissime se retrouve prisonnier d’un bâtiment macabre dans lequel il va devoir survivre

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