Sylvie Lehmann et Louise Dubois : “Dans tous les métiers artistiques un duo c’est quelque chose de rare et de précieux”

Sylvie Lehmann et Louise Dubois collaborent sur des scénarios depuis plusieurs années, ensemble elles explorent des genres et des formats variés.

Lia Dubief
Paper to Film
9 min readJun 12, 2019

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Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’écrire ?

Louise Dubois : J’ai toujours eu deux amours qui sont le cinéma et la littérature. Le lien entre ces passions s’est élucidé avec le temps. Depuis que je suis petite, je regarde des films et je lis des livres, cela fait vraiment partie de ma vie. À une époque j’ai pensé que je voulais réaliser, je suis partie à Londres pour suivre des études de cinéma, mais je me suis rendu compte que je n’étais pas très à l’aise sur un plateau de tournage. Je suis partie vivre à Bruxelles et c’est là-bas que j’ai compris que ce qui m’intéressait vraiment c’était l’écriture, et que le scénario combinait les deux choses que j’aimais le plus. J’ai continué mes études à l’ENSAS, c’est là que j’ai commencé à faire des rencontres et à écrire des scénarios. J’ai pu travailler avec des réalisateurs qui avaient besoin d’aide pour écrire des courts-métrages. J’ai rencontré Sylvie avec qui je travaille régulièrement.

Sylvie Lehmann : Pour moi c’est un peu différent : je n’ai toujours eu qu’un amour, le cinéma. Pourtant, toute ma carrière s’est faite sur l’écriture. J’ai été journaliste et rédactrice en chef d’un journal. Je me plaisais là-dedans, mais quand on a l’amour du cinéma, quoi que l’on fasse on ressent un manque, une envie de fictions et d’univers que l’on pourrait créer. J’ai écrit et mis en scène des pièces de théâtre. Il était important pour moi de vérifier que l’écriture fonctionnait sur une scène, notamment pour la comédie. Ensuite je suis partie en Belgique pour diriger une maison d’édition de livres pour enfants, j’en ai écrit aussi. Mais il me manquait toujours quelque chose. Je gravitais dans un monde où il m’était donné de lire des scénarios et peu à peu j’ai réalisé que le cinéma pouvait lui aussi s’écrire. Suite à cela, je me suis inscrite dans une formation où j’ai rencontré Louise, et cela fait maintenant six ans que nous travaillons ensemble au quotidien.

Quelles relations entretenez-vous avec les producteurs ?

S.L : Depuis que nous travaillons ensemble, nous avons pu nous lancer dans des projets de différentes envergures, sur des idées originales mais aussi sur des collaborations avec des producteurs. Nous avons eu la chance de travailler avec de grandes maisons de production en Belgique, avec la découverte d’une excellente collaboration. Dans ces cas-là, les producteurs étaient au départ des projets. J’ai l’impression que ce cas de figure n’est possible qu’à partir du moment où le producteur a confiance dans le métier de scénariste. C’est comme cela que l’on arrive à une relation saine.

L.D : En travaillant avec des producteurs dès la base, on structure mieux les dossiers et on s’assure mieux de leur intérêt pour le projet.

Pourquoi écrire en duo ?

L.D : En travaillant avec Sylvie, je me sens rassurée et j’ai l’impression de me libérer totalement. Si j’écris quelque chose de mauvais, je sais que Sylvie me le dira. C’est comme si j’avais un pilier sur lequel je peux me reposer. Je lui fais entièrement confiance.

S.L : Nous avons de la chance car dans tous les métiers artistiques un duo est quelque chose de rare et de précieux. Cela nous permet d’être très efficaces. Nous rêvons ensemble à certaines idées, et ce seront nos idées. Nous représentons un duo féminin, cela nous conforte dans l’envie de créer des personnages féminins forts, ainsi que des personnages masculins avec une part de féminité. On se rend compte qu’aujourd’hui cet éclairage apporte de la richesse dans les projets.

Comment se passe la collaboration ?

L.D : Sylvie habite en Suisse, donc nous passons quasiment nos journées par Skype. Nous nous voyons pour réfléchir ensemble, discuter, se lancer des idées avec des outils spécifiques.

S.L : Nous aimons beaucoup utiliser des outils qui structurent la pensée et d’autres qui ouvrent des voies. Par exemple, si l’on est coincées dans une idée, nous allons employer la pensée paradoxale pour nous dégager. Cela permet de se challenger mutuellement. Ce sont des outils scénaristiques très enrichissants. Nous utilisons tantôt nos rêves, tantôt la méthode de la méta-vision qui permet de regarder de plus loin ce que donne le récit. Nous traçons des trajectoires, nous faisons des schémas, pour amener des situations et des étapes.

L.D : Ce n’est pas parce que nous nous respectons mutuellement que l’on se facilite la tâche, au contraire !

S.L : Quand nous écrivons un séquencier, nous diagnostiquons tous les procédés dramaturgiques utilisés dans chaque séquence, que ce soit un qui pro quo, une fausse piste ou un mystère. Nous détaillons et analysons nos propres outils. Il y a une partie très créative et une autre plus technicienne. Une fois que toutes ces choses sont posées, on peut se lancer dans l’écriture de la continuité dialoguée sans plus se poser de problèmes de structure. Cela libère de la place pour la créativité, puisque nous pouvons ainsi nous lancer dans des récits à plusieurs lignes narratives, voir à plusieurs univers, ou encore des lignes narratives scientifiques. Quand on passe d’un univers à un autre, il faut bien que l’on ait créé une raison scientifique qui produise chez le spectateur un sentiment de vraisemblance.

L.D : Nous nous répartissons l’écriture des séquences, et celle qui est en charge d’une séquence va faire ce travail d’analyse pour que l’autre puisse vérifier que les procédés dramaturgiques sont employés à bon escient. Cela permet à l’autre de porter un regard critique plus averti et de prolonger au besoin certains outils sur les séquences qu’elle va écrire. Si on pose une ironie dramatique dans une séquence, il est très probable qu’il va falloir étendre cette ironie sur plusieurs autres séquences.

D’où viennent vos idées ?

L.D : Sylvie rêve beaucoup. J’ai souvent droit aux récits de son inconscient !

S.L : Nous n’avons de mépris pour aucun genre de films. Nous ne nous interdisons rien. Il y a souvent une sorte de condescendance envers le registre de la comédie, alors que nous l’adorons. Nous avons beaucoup d’admiration pour les bonnes comédies car nous savons quelle technicité cela requiert. Nous explorons des genres et des formats différents. Sur Paper to Film, nous avons une série Nobodies, une série sur la chasse aux fantômes, une série historique, un long-métrage comique, une série dramatique qui est l’adapation d’un roman d’un auteur de la Pléiade. Et à venir deux séries comédies dont une feel-good…

L.D : On s’inspire de tout, de personnages qui ont existé et dont le destin nous a intéressées, de fait-divers, d’histoires policières non résolues, de livres que l’on a lus. Nous recherchons des articles de journaux sur des problèmes de société. Notre mot d’ordre c’est de trouver des sujets qui nous intéressent et qui nous amusent. Quand on n’a pas de plaisir à écrire un projet, on l’arrête. Le plaisir est essentiel, car les étapes qui nous amènent à l’aboutissement d’un scénario sont tellement fastidieuses qu’il faut pouvoir se reposer là-dessus.

S.L : Nous avons écrit plusieurs adaptations, c’est aussi un travail que nous aimons faire. Paper to Film a diffusé un appel à projets sur une série musicale, du genre Dix Pourcents dans le domaine de la musique. Nous avions un dossier qui allait dans ce sens donc nous l’avons retravaillé pour en faire une série sur la construction d’un spectacle de comédie musicale. Notre idée, c’est qu’une fois que la série se termine, il y aura une vraie comédie musicale qui sera prête à être jouée sur scène. C’est un concept de marketing que nous avons imaginé.

Avez-vous des affinités avec certains formats ?

L.D : Je me suis un petit peu lassée du court-métrage que l’on réécrit une multitude de fois et que l’on peine à faire produire. En ce moment je me laisse attirer par la série, qui laisse plein de place pour développer des idées, des trajectoires, des personnages… C’est un format qui donne de l’espace et du temps pour invoquer un univers complet.

S.L : Comme Louise, je suis moins tentée par le court-métrage. Ce qui me plaît c’est la complexité d’une narration avec plusieurs lignes narratives, donc si je devais choisir un format de prédilection ce serait le long-métrage.

Auriez-vous envie de parler de quelques projets récents ?

L.D : J’aurais envie de parler d’Aliénor d’Aquitaine, une série historique autour d’un personnage qui nous a séduites toutes les deux par sa modernité. Elle est étrangement assez peu connue, j’ai testé autour de moi et peu de gens semblent savoir qu’elle a été reine de France et reine d’Angleterre. Elle a un parcours et une ambition folles, elle est partie et s’est battue en croisade avec son mari, elle a demandé le divorce, elle s’est battue pour faire de son second mari le roi d’Angleterre, elle a été emprisonnée. C’est un personnage très fort pour une série. On peut envisager une co-production Franco-Anglaise, il y a de bons exemples de séries historiques qui fonctionnent auprès du public. Nous ne voulions pas tomber dans le didactisme d’un cours d’Histoire, nous acceptons que ce soit une fiction, même si nous avons mené beaucoup de recherches sur le sujet.

S.L : Cette époque a déjà été explorée avec Robin des Bois, Richard Cœur de Lion, le Roi Jean et d’autres destins forts de l’Histoire. Mais on a toujours très peu évoqué Aliénor d’Aquitaine, qui était pourtant la mère de ces deux derniers. C’est un personnage d’une grande modernité puisqu’elle s’est battue pour des causes qui ne sont toujours pas complètement élucidées pour les femmes d’aujourd’hui. Nous avons donné à ce récit un prisme particulier, avec trois intrigues narratives qui permettent d’explorer les différentes facettes de ce personnage sans être toujours sur le champ de bataille.

L.D : Au XII ème siècle, elle prônait une sexualité épanouie et une grande liberté d’action et de pensée. À l’époque, elle est considérée comme le visage du diable tant elle était sublime et sensuelle, tout en se révélant ambitieuse et forte.

S.L : Nous avons aussi une série musicale qui s’appelle Sold Out et qui suit une équipe de producteurs qui cherchent à monter un spectacle de comédie musicale. Ils vont rencontrer toutes les difficultés pour monter un tel projet : celle des connexions entre le scénariste et le metteur en scène, la composition de la musique, le casting. Tout cela nous permet de créer des caractères qui s’opposent mais aussi un groupe qui se soude autour d’un projet. Il y a aussi la possibilité d’inviter des « guests » qui pourraient jouer leur propre rôle. La série va familiariser les spectateurs avec l’idée d’un spectacle dont on va apercevoir quelques répétitions et comédiens. À la fin de la diffusion de la série, nous avons prévu qu’il y ait un vrai spectacle sur scène. La série devient alors un objet de suspense qui pose comme horizon d’attente un spectacle. C’est une expérience qui se prolonge pour le spectateur qui a suivi les péripéties de la création du spectacle.

L.D : Pour ce qui est du spectacle en lui-même, nous avons imaginé qu’il porte sur le thème de l’écologie. Dans la série, les producteurs vont prêter de plus en plus d’attention aux problèmes que rencontre la planète en découvrant des vidéos sur internet. On y voit des personnes qui se regroupent pour faire des danses, à la manière des marches pour le climat qu’il y a en ce moment. Les producteurs se disent alors que cela peut devenir le sujet de la comédie musicale.

Que pensez-vous de l’initiative de Paper to Film ?

S.L : Ce qui nous a plu dans cette initiative c’est qu’il y a une sélection des projets qui sont mis en ligne. Je pense que pour les producteurs c’est un premier gage de qualité, mais pour nous aussi c’est important. C’est très agréable d’être lues et reçues. Ensuite, je trouve que la catégorisation est intéressante puisqu’elle facilite la recherche du producteur. J’imagine les producteurs avec des piles de dossiers dont ils ne savent pas s’il y en a même un seul qui est bon. J’espère que les producteurs sauront voir Paper to Film comme un outil de sélection et que cela ira dans le sens des auteurs.

L.D : Cela va faire dix ans que je suis scénariste et je n’aime toujours pas faire des envois spontanés à des sociétés de productions. Je ne comprends pas pourquoi on ne reçoit pas d’accusés de réception. C’est quelque chose qui est assez violent pour les auteurs, alors que d’un autre côté, je comprends parfaitement que les producteurs ne puissent pas toujours tout lire ! Sur Paper to Film, ce problème ne se pose plus et cela libère les producteurs et les auteurs de ce poids.

Leurs projets sur Paper to Film :

Nobodies : Ils sont lambda et cartésiens, comme vous et nous. Ils vont pourtant franchir les frontières du réel.

Alienor Reine de feu : Reine de France et d’Angleterre, Alienor a défendu bien avant l’heure les droits équitables des femmes: ambition, passion, combat et pouvoir. Disponible en anglais.

Si : Que feriez-vous, SI… Alors que vous nagez en plein bonheur, vous vous réveillez subitement et constatiez que tout ça n’était qu’un rêve ?

Le Règne de l’Esprit Malin : La frontière entre le Bien et le Mal n’est constituée que de nos propres choix.

Sold out : Des producteurs veulent produire une comédie musicale. Ils devront affronter tous les partenaires qui permettront de porter le projet à la scène. Et à la fin de la série, un vrai spectacle sur une vraie scène. Un projet ambitieux deux en un.

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