Thomas Coispel : “J’ai envie que notre génération fasse collectif”

Au carrefour de la sociologie, de la fiction et de la culture populaire, Thomas Coispel évoque avec nous l’hybridation des modes d’écriture.

Lia Dubief
Paper to Film
7 min readJul 10, 2019

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Qu’est-ce qui t’a attiré vers le cinéma ?

J’ai fait des études en sciences humaines, ce qui m’intéressait au départ c’était la découverte de différents terrains sociologiques. Je suis venu au cinéma par le documentaire. Ma première expérience a été de tourner un documentaire en Bolivie, ce qui a donné naissance à un premier film Prélude Amazonien, qui a été diffusé au Quai Branly, puis sa suite Looking for Paradise diffusé dans quelques festivals (Girona 2015, Overseas film fest, TMFF, 10ème Muestra Cine + Video Indígena et Festival de Ojo). Au-delà de l’aspect ethnographique, j’ai adoré être dans l’écriture d’un film. Cela m’a donné envie de faire une passerelle entre les sciences humaines et le cinéma.

Je suis entré dans le master Image et Société, qui propose ce passage-là. Je pensais sortir de ce master comme technicien, et finalement j’ai eu l’impression de gagner certaines clés pour devenir auteur-réalisateur. La formation est de fait centrée sur l’écriture et sur la création de projets, donc l’apprentissage technique n’est qu’un moyen et pas une fin. J’ai dans la foulée pris un abonnement à la Cinémathèque et je me suis plongé dans plein de films anciens comme plus récents. La mise en scène me parlait beaucoup, je sentais que j’étais capable de raconter un film non pas par son scénario mais par des gestes de mise en scène, par le choix des cadrages, des raccords, des mouvements. La grammaire cinématographique m’a très vite intéressée. Je ne me sens pas forcément scénariste de métier, j’ai envie de réaliser ce que j’écris et que l’écriture des films se fasse autant dans ces deux moments de création.

En sortant du master, j’ai eu la chance d’avoir une société de production qui m’a proposé de financer un premier film avec le CNC et une chaîne de télévision locale. Je me suis pris au jeu, et depuis il y a eu d’autres projets et d’autres aventures.

Que penses-tu de l’écriture collective ?

Tout seul, je suis plus à l’aise pour trouver l’idée originale et la tension dramatique initiale, pour les grandes lignes de l’écriture, mais en terme de continuité dialoguée je ne suis pas sûr d’être à ma place. Le problème, c’est qu’il est difficile d’aller voir un producteur et de lui demander de prendre un co-scénariste sur un projet. Pourtant, j’aimerais beaucoup travailler en co-écriture. Avec deux autres auteurs-réalisateurs (Aurélien Milhaud et Julia Folio), nous nous réunissons une fois par mois. Ainsi, nous discutons de nos projets et de nos retours sur le système de création des films. On se rend compte que notre génération a du mal à travailler en collectif. Il y a des collaborations ponctuelles, mais globalement nous nous sentons assez seuls dans la création. Il y a malheureusement assez peu de cas de collaborations sur le long terme et de collectifs. Je suis en recherche de ce genre d’initiatives, car pour moi c’est très stimulant de se sentir faire partie d’un groupe qui avance dans une certaine direction, avec l’ambition de faire école. Je suis aussi en recherche de lieux, d’ambiances, de contraintes créatives. Il me semble que dans l’Histoire de l’Art, il y a eu des grandes familles artistiques et plein de groupes qui choisissaient ensemble de s’imposer des contraintes artistiques dans le but de se distinguer. Je suis très attaché à cette idée de groupe, comme les Surréalistes par exemple.

Si ton groupe devait avoir un manifeste, à quoi ressemblerait-il ?

Je pense que les principales directives seraient plutôt liées au mode de production. Le matériel s’est démocratisé, nous sommes presque arrivés à l’utopie de la caméra-stylo, nous pouvons facilement piocher dans tous les outils qui nous sont à portée de main pour faire du cinéma. Comme l’accès au matériel n’est plus aussi problématique qu’il y a quarante ans, cela doit permettre de libérer l’écriture. J’ai l’impression que nous sommes encore trop cadenassés par le « format » scénario. Nous essayons peut-être trop d’entrer dans un certain style grâce auquel on pense être mieux compris des producteurs et des diffuseurs. Cela va donner un format particulier à la fiction qui nous empêche de l’hybrider à d’autres formes.

Je m’amuse de plus en plus à tenter ces hybridations, en mêlant de la fiction, de l’expérimental et du documentaire. Pour moi, l’écriture passe de moins en moins par la continuité dialoguée que par le filmage et le montage.

As-tu une méthode particulière dans la création ?

J’ai commencé une série qui s’appelle Ciné-chamanisme. Je suis actuellement en train de filmer le troisième épisode. C’est une série de films expérimentaux : à chaque épisode je m’impose une contrainte créative différente. C’est une technique que j’ai envie de tester, j’espère qu’elle va m’amener à réfléchir au sens et au message de chaque film. Ici, je travaille en inversant le rapport de l’écriture traditionnelle au cinéma. Normalement, on commence par écrire le propos littéraire de ce que l’on veut exprimer, et ensuite seulement on va traduire ces idées plan par plan. Dans mon cas, c’est plutôt l’inverse. Pour le premier épisode, je suis parti de l’envie de ne faire que des gros plans de mains. J’ai marché dans la rue à la recherche de ces plans. Après avoir collecté des images, je me suis dit que ces mains racontent des histoires. J’ai alors essayé d’imaginer ce qu’il se passait à ce moment-là dans la tête des propriétaires de ces mains. Sur deux minutes, il y a des petites histoires qui s’entrecroisent autour de personnages anonymes dont on ne voit que les mains. Ce n’est pas vraiment du documentaire, ni pleinement de la fiction. Cela se rapproche du cinéma expérimental, mais je n’ai pas l’impression d’entrer dans une démarche d’art contemporain. Pour moi c’est simplement un croisement de plusieurs types d’écriture.

Comment cette série se prolonge-t-elle ?

Je suis en train de réaliser le troisième épisode de Ciné-chamanisme, dont le sujet est la construction de l’image de soi, à travers l’expérience d’une femme. À travers ce projet, j’essaie de comprendre les stimuli qui font que les femmes se posent des questions sur comment s’habiller, comment se maquiller, si elles s’aiment ou si elle ne s’aiment pas. Dans la même journée, nous recevons une somme d’informations contradictoires, et il faut savoir composer avec tous ces différents modèles d’épanouissement et d’accomplissement de soi. Dans un tel environnement, il peut être difficile de se définir. J’ai récolté des témoignages des femmes rencontrées dans des lieux publics et sur les réseaux sociaux. À partir de cela, je travaille sur plusieurs petites scènes entre documentaire et mise en scène.

As-tu des affinités particulières avec le format série ?

Pendant longtemps j’ai été assez réticent à me diriger vers la série, même en tant que spectateur. J’avais l’impression que les séries étaient beaucoup trop rattachées aux contraintes des diffuseurs, sans penser que les créateurs avaient une vision très précise de ce qu’ils voulaient pour la suite. J’ai appris a aimer les séries en regardant celles dont on me disait du bien (Breaking Bad, Mad Men, The Wire), parfois longtemps après la fin de leur diffusion.

Pour mon projet de série Ecopunk, j’ai eu envie de mettre au jour un sujet que je ne trouve pas encore assez visible. Je me suis attaché à la question du réchauffement climatique et de l’écologie, qui sont des sujets traités médiatiquement, mais qui sont sous-traités dans la culture populaire. Je suis parti de cette idée : nous sommes dans un futur proche et le réchauffement climatique est devenu la priorité pour toutes les sociétés. Il y a des clans qui regroupent des personnes qui ont des idées différentes sur la manière de gérer ce problème planétaire. À tous les niveaux les gens militent, il y a des alliances et des traîtrises. Nous explorons tout un spectre politique, idéologique et artistique en suivant une enquêtrice qui va frayer entre plusieurs milieux pour résoudre une conspiration.

J’aimerais vraiment réussir à faire entrer ces enjeux climatiques dans une culture populaire et qu’il y ait quelque chose de cool à suivre un personnage militant pour l’écologie. Le projet peut gagner en crédibilité en fonction de comment il sera mis en relation avec l’air du temps. Je suis toujours étonné par la manière dont on va caractériser un personnage « cool ». Dans les James Bond, par exemple, cela va passer par une belle voiture et un environnement fortuné qui nous apparaissent comme désirables. Il n’y a pourtant rien de plus éloigné de la vraie vie des spectateurs, et la fiction est aussi là pour rendre cool l’écologie, comme un style de vie aussi désirable que le “bling-bling” l’a été jusqu’à présent. J’envisage d’ailleurs de travailler en co-écriture avec Aurélien Milhaud et Julia Folio, qui sont donc deux auteurs-réalisateurs avec qui j’échange beaucoup.

Peux-tu nous dire quelques mots de ton projet de long-métrage ?

J’ai commencé à co-écrire un long-métrage avec Jean-Baptiste Garnier, un auteur qui est aussi sur Paper to Film. Ces jours sans toi s’ancre dans le genre fantastique, dans une forêt où différentes époques se mélangent, qui sont autant d’incarnations d’idéaux amoureux. Je traite cette idée sous le sujet du deuil amoureux, sur la façon dont on peut se libérer ou non d’une histoire d’amour terminée. La manière dont s’imbriquent ces histoires et ces temporalités m’est venue d’une idée de réalisation. Je me demandais comment on pourrait faire apparaître des objets ou des meubles, qui sont rattachés à des souvenirs et à une intimité, dans un environnement extérieur comme une forêt. J’avais envie de traiter les résurgences du passé comme des morceaux d’images à l’intérieur de l’image du présent.

Ses projets sur Paper to Film :

Les Fins Limiers dorment dehors : Un SDF amnésique enquête sur l’homme qui aurait usurpé son identité.

Talons hauts : La survie d’une cadre et mère célibataire, tiraillée entre sa carrière et sa conscience.

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