Thomas Colineau : “C’est en interrogeant les autres que j’ai le plus appris”

Scénariste issu de la promotion 2018 de la formation Séries à la Fémis, Thomas Colineau est l’auteur de “Podiums”, une série actuellement en développement.

Lia Dubief
Paper to Film
10 min readApr 29, 2019

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Peux-tu nous parler de ton parcours ?

Je suis arrivé au scénario par le biais de l’écriture. Quand j’étais au lycée, à Toulon, ma vie sociale laissait à désirer et je passais mes soirées à rédiger des fan-fictions Harry Potter sur des forums RPG en ligne. Puis je suis entré à Sciences Po, sans trop savoir ce que je voulais faire, à un moment où je n’envisageais même pas que l’écriture puisse devenir un métier. Je suis arrivé à Paris, et je me suis un peu perdu dans mes envies d’avenir : je voulais être diplomate, puis urbaniste, puis faire de la publicité… mais à chaque fois ça n’allait pas. Par contre, pendant mon année d’urbanisme, j’ai écrit une comédie musicale avec mon copain de l’époque, qu’on a montée et mise en scène.

Puis pendant mon Master 1 de communication, en 2013, j’ai commencé à envisager de bosser en télé, mais toujours sans penser à l’écriture. Dans un cours sur les Industries Culturelles, on avait la possibilité d’écrire un peu ce qu’on voulait pour valider, tant que c’était lié à ces industries — un synopsis de film, une nouvelle, un projet de série… Je me suis dit que j’allais écrire un pilote de série, et ça m’a vraiment plu ! Quelques mois après, j’ai entendu parler de la formation Séries à la Fémis, et je me suis dit “il y a des gens qui font ce métier pour de vrai” alors je me suis lancé. J’ai fini mon Master en communication en faisant un stage en développement chez Scarlett, la société de production de Kaboul Kitchen, qui m’a permis de me familiariser avec ce monde, en 2016.

La première fois que j’ai passé le concours de la Fémis, je ne l’ai pas eu, alors j’ai bossé en Free Lance dans la pub pendant un an en écrivant mes premiers projets à côté. Un de mes projets — dont le fameux pilote écrit en classe avait été le point de départ — a été sélectionné au festival de Valence en 2017. Ca a permis que des gens me fassent confiance, notamment Florence Dormoy de chez Scarlett qui m’a recontacté pour me proposer un projet, mon premier vrai contrat, co-écrit avec une amie scénariste. Après ces expériences, j’ai repassé le concours de la Fémis que j’ai eu la chance de réussir et je suis entré dans la formation Séries télé.

Quels ont été les apports de ta formation à la Fémis ?

Selon moi c’est une formation très complète. Pendant un an, on était très concentrés sur l’écriture tout en étant entourés par une équipe pédagogique super dévouée. C’est très rare d’avoir l’occasion d’écrire à un niveau professionnel tout en étant “protégé” dans un cocon de bienveillance. Cela a permis à chaque personne de la promotion d’explorer son univers très librement, que pour ma part je ne connaissais jusque là que très confusément. En même temps, c’est très professionnalisant : on a appris des techniques dramaturgiques à travers des mises en situation très concrètes avec des professionnels du milieu. Comme la formation est récente, il y a une émulation, les étudiants qui en sont sortis les années précédentes ont su prouver leurs qualités et se sont en majeur partie bien débrouillés. Cela permet de légitimer la formation au sein du milieu professionnel.

Comment as-tu développé ta méthode d’écriture ?

Avant la Fémis, j’ai tenté d’apprendre seul, en lisant Truby. J’en ai gardé quelques règles qui me semblaient essentielles, sur la construction du personnage notamment. Il y a cette idée qui me revient souvent en tête, selon laquelle il est intéressant de partir d’archétypes pour ensuite s’en détacher et trouver l’originalité des personnages. J’ai lu pas mal de scénarios, pour essayer de comprendre comment on pouvait arriver à une fluidité et une clarté dans la forme et dans le fonds. Pour cela mon stage chez Scarlett a été une super école.

Sinon, je crois que c’est en interrogeant les autres que j’ai le plus appris. A partir du moment où je me suis dit que c’était ce métier que je voulais faire, j’ai cherché à rencontrer des scénaristes et des producteurs, de façon informelle. Je me suis rendu compte en parlant autour de moi de mon envie de devenir scénariste, que très souvent, quelqu’un connaissait quelqu’un qui travaillait dans le milieu de la télé. Je contactais systématiquement ces gens. Je partais du principe que je n’avais rien à perdre, le pire qui pouvait arriver étant qu’on ne me réponde pas. Je leur posais plein de questions. J’étais aussi très friand des retours que ces personnes pouvaient me faire sur mon premier projet — celui écrit en classe.

À Valence, l’année où ce même projet a été sélectionné, j’ai dû pitcher ma série pour la première fois devant un public. C’est là que j’ai réalisé — grâce à mon tuteur — qu’il y a des questions qu’il est nécessaire de se poser. De quoi ça parle? Qu’est-ce que je veux raconter ? C’est très difficile de rester fidèle à son désir et ne pas se laisser embarquer dans quelque choses qui ne nous ressemble pas. Souvent lorsqu’on prend des retours au pied de la lettre, on se trompe. Il faut savoir se l’approprier, faire la part des choses entre un diagnostic (“il y a un problème à cet endroit”) — qu’il est essentiel de régler — et une projection de l’interlocuteur (“je te suggère d’écrire plutôt ça à la place”). C’est quelque chose qu’on m’a appris à la Fémis, et encore aujourd’hui je ne suis pas sûr de toujours y arriver.

Sous quelle forme naissent tes projets ?

Il n’y a pas de règles, c’est un processus un peu mystérieux. Lorsque j’écoute ou vois quelque chose, il peut y avoir un déclic qui m’amène à la réflexion et qui mobilise des choses que j’ai en moi, des choses que j’ai lues par exemple et que j’ai oublié. Souvent je ne sais pas très bien d’où ça vient. D’ailleurs je trouve va parfois frustrant d’être incapable de retracer le raisonnement qui a mené à une idée majeure dans un projet. Tout à coup des connexions se font, et à partir de là il faut creuser. C’est d’abord une envie, puis elle se transforme petit à petit, à force de réflexion.

Pour mon projet de fin d’études, en ligne sur la plateforme, je suis parti d’une envie thématique qui est le rapport que l’on entretient avec la norme. C’est un sujet qui revient souvent dans ce que j’écris ; en se positionnant contre une norme, on continue d’exister aux côtés de cette norme et de se référer à elle. Ce sont toujours plus ou moins les mêmes questionnements personnels qui me guident dans les histoires que je raconte. À la Fémis, on m’a mis en garde face au côté parfois intellectualisant de mon approche, et peu à peu mon intérêt s’est posé sur l’univers et les personnages que je voulais faire émerger. Une grande partie de ce projet est née en revoyant Talons Aiguilles de Pedro Almodovar, un film que j’ai vu plusieurs fois depuis mon enfance. Je m’intéressais beaucoup au personnage de la mère, cette figure à la fois maternelle et toxique. Ma tutrice m’a incité à suivre ce personnage, à voir où j’avais envie de le faire vivre. J’ai eu envie de le transposer dans le monde de la mode, puis je me suis rendu compte que c’était l’arène idéale pour explorer les thématiques que j’avais en tête depuis le début, mes réflexions autour de la norme.

Quelle est ton étape préférée dans l’écriture d’un projet ?

Je me rends compte que ce qui me plaît le plus c’est de créer des mondes de toute pièce, de ne pas forcément vouloir coller au réel. Par exemple il y a un autre projet que j’ai présenté au FAI, une série d’anticipation post-apocalyptique qui se passe au pôle Sud. Je co-écris en ce moment avec Iris de Jessey un projet de dessin animé comique pour adultes sur des sirènes un peu “hors-normes” qui n’arrivent pas à s’accepter comme elles sont. J’aime quand les personnages et le monde que j’ai en tête entrent en collision, c’est le moment où je peux les relier à mes questionnements et trouver mon sujet, l’intention profonde du projet, “ce que ça raconte”. Parfois je me complais dans cette phase réflexive et je mets trop longtemps à passer des idées à l’intrigue. C’est un processus un peu plus long et fastidieux pendant lequel je reviens sans cesse sur mes idées. Il faut souvent que je me fasse violence pour entrer dans ce processus de développement, pour sortir de l’abstraction. Mais une fois que j’y suis je m’y sens bien.

As-tu des rituels d’écriture ?

J’ai beaucoup de mal à me défaire de cette idée occidentale qui nous apprend que travailler c’est forcément rester devant un bureau de 9 heures à 18 heures. C’est le modèle que j’ai vécu pendant mes stages à Sciences Po et ça m’arrive encore d’angoisser quand je ne suis pas en train de travailler sur ces horaires. Pourtant, j’ai tout fait pour m’éloigner de ce système qui nous force à faire du présentiel dans les entreprises. C’est une des raisons pour lesquelles je m’en suis éloigné, d’ailleurs. Je trouvais cela très anxiogène de devoir rester sur sa chaise à faire semblant même quand on n’a rien à faire. Maintenant, j’essaie de sortir de ce modèle, je me dis que je suis plus productif en allant voir un film qu’en restant bloqué devant une feuille blanche. Mais au fond de moi j’ai gardé cette idée que le travail nécessite une sorte de cadre. J’essaie de me détacher des « horaires de bureau », tout en gardant une hygiène de vie, de ne pas me lever à n’importe quelle heure. Quand je n’ai pas de rendez-vous le matin, je prends le temps de me nourrir d’informations, de faire de la recherche, de regarder des séries et je note dans un carnet les d’idées qui me viennent. Ou je m’envoie des mails à moi-même pour m’en rappeler plus tard — je fais ça plusieurs fois par jour… L’après-midi je sors, je me change les idées. En général j’écris mieux en fin d’après-midi. Il y a des phases de réflexion et de digestion des idées où je n’écris pas forcément — ou juste des notes éparses et des mails — qui créent pas mal d’angoisses chez moi parce que j’ai l’impression de ne pas avancer, mais qui en fait sont primordiales. Puis à un moment il y a un déclic et je peux passer deux jours à écrire sans m’arrêter.

Préfères-tu écrire seul ou à plusieurs ?

Ce sont deux choses différentes, les deux m’apportent beaucoup. Je pense qu’il est important d’avoir des projets personnels et d’apprendre à les porter seul. Je fais partie d’un collectif formé avec mes camarades de promo, au sein duquel nous nous faisons lire mutuellement nos scénarios, ce qui est très enrichissant. De l’autre côté, l’écriture à plusieurs peut donner lieu à un regain d’inventivité. Le plus difficile c’est de trouver une personne avec qui on partage des affinités, des envies. Lorsque l’on trouve le bon partenaire, c’est très précieux !

J’ai plusieurs projets en co-écriture. Cela se passe différemment sur chacun d’eux, c’est quelque chose d’encore assez nouveau pour moi donc j’expérimente dans l’organisation et le partage du travail.

Selon toi quelle est la relation idéale entre l’auteur et le producteur ?

Je n’ai pas encore travaillé avec beaucoup de producteurs, mais pour moi cela fait écho à la co-écriture. Il faut trouver une personne avec qui on se sent à l’aise, avec qui on peut tout se dire. Souvent il y a des réunions de développement qui peuvent être un peu difficiles, il faut être sûrs de se comprendre. Avec les producteurs de Podiums, le projet sur le monde de la mode, je me sens libre de poser des questions, de m’exprimer sur mes envies, d’expliquer et d’écouter les conseils que l’on me donne, de clarifier un point qui ne me semble pas clair dans le retour, voire carrément d’exprimer un désaccord. La communication est fluide et franche, lorsqu’on ne s’entend pas sur un point, on en parle jusqu’à trouver une solution. J’apprécie leurs retours, ils ont un vrai point de vue artistique et savent me pousser dans mes retranchements quand c’est nécessaire, ou au contraire faire apparaître à mes yeux ce que je ne voyais pas dans le projet, ce qui était là sans que je ne m’en rende compte. J’ai l’impression d’avoir trouvé un équilibre entre une rencontre artistique et un apport plus initiatique qui m’aide à développer une maturité dans l’écriture, ils me font grandir. Je pense que c’est cette qualité d’échange et cette confiance qu’il faut rechercher.

Quels sont tes envies du moment ?

En ce moment j’aimerais beaucoup rejoindre un atelier d’écriture de série feuilletonnante, avec plusieurs autres auteurs, dans le cadre d’une convention, afin de continuer d’apprendre — expérimenter les phases de doute et comment on trouve des solutions, mais à l’échelle d’un atelier, d’un groupe. Je pense que j’ai encore beaucoup de choses à apprendre et que ce serait un bon endroit pour grandir. Par ailleurs, j’essaie de m’impliquer dans des tournages afin de mieux comprendre cette étape de la création d’un film ou d’une série. Je pense que c’est une chose importante à faire, même quand on ne souhaite qu’écrire, car on devient mieux armé pour transmettre des idées jusqu’à la réalisation. Cela change le rapport à l’écriture. Dans cette optique, j’aimerais réaliser un court-métrage, en 2020, pour voir si cela me plaît. Bien sûr je garde en tête ma priorité qui est l’écriture car c’est vraiment ce que j’ai envie de faire de ma vie, et ce qui m’a mené où je suis aujourd’hui.

Ses projets sur Paper to Film :

Podiums (projet optionné) : On ne peut exister sans se mettre en scène. Se mettre en scène, c’est se trahir un peu.

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