Vincent Roget : « Un film, c’est un mille-feuille de solutions à trouver, qui vont du développement à sa sortie. »
Solaire et passionné, Vincent Roget revient avec nous sur son parcours chargé de rencontres et d’aventures. A présent producteur, il nous partage sans fard ses envies pour le cinéma.
D’où te vient ta passion pour le cinéma ?
Quand j’étais enfant, j’ai vu King Kong, qui m’a fasciné et traumatisé à la fois ! C’est une contamination naturelle qui s’est opérée à l’âge de 8 ans… J’étais un très mauvais élève mais très jeune attiré par les films. Je suis vite devenu assidu aux salles, je voyais tout, du moins tout ce qu’on peut voir dans une ville moyenne de province. J’avais même bricolé la carte d’identité de mon frère — de 4 ans mon ainé — pour aller voir des films « interdits ». Je crois que l’ouvreur n’était pas dupe, il me connaissait et me laissait passer… J’ai pu voir comme cela l’Exorciste, Orange Mécanique ou Salo de Pasolini… et même quelques pornos. J’ai eu la chance de grandir dans une époque bénie de cinéma, les seventies et le nouvel hollywood et toute sa contre-culture des studios : Arthur Penn, Mike Nichols, Scorsese, Schrader, Peckimpah, Altman, Hopper, Cimino, Coppola mais aussi les européens : Bergman, Fellini, Kurozawa…. Voir Alien ou Voyage au bout de l’enfer au cinéma, sont des expériences marquantes et fulgurantes, sans toujours tout capter mais ces films ont une vitalité, une folie hypnotisante. Ainsi de 10 à 18 ans, j’assistais à toutes les sorties et voyais tout avec la même boulimie, les films d’auteur underground et les comédies de Cassavetes à De Funès.
Quel a été ton chemin jusqu’à devenir producteur ?
J’ai quitté la province à 19 ans, je voulais faire du cinéma mais sans trop avoir le mode d’emploi[31] . Mes parents étaient perplexes, ce métier était à leur yeux peu recommandable. Mais ils me savaient déterminé. J’ai eu mon bac par hasard, je me suis débarrassé de mon service militaire puis je suis arrivé à Paris à 20 ans en solex… Puis je suis entré à la balbutiante faculté de Lettres/Cinéma de Censier, passionnante intellectuellement mais aux débouchés professionnels incertains… alors j’ai commencé à gratter des petits jobs sur un plateau TV avec un beau balai à la main.
Quand tu commences stagiaire tout peut arriver, je me souvenais dans les mémoires de Frank Capra où il avait commencé comme coursier dans un laboratoire. Cela m’a ouvert un champ des possibles : sans internet, sans accès à des informations précises, c’était du pur bricolage ! J’ai tenu des cahiers, sur lesquels je collais des articles à propos de cinéma, des photos — j’ai une photo Des 400 coups qui m’a accompagnée pendant des années -, je notais des phrases que je trouvais inspirantes. C’est comme cela que j’ai découvert une citation de Stanley Kubrick « si vous avez envie d’être réalisateur, apprenez le montage. », ce qui m’a vraiment incité à en faire. Sans connaitre personne, j’ai toqué à plusieurs portes, puis un jour quelqu’un m’a dit « mets-toi là et regarde. » Je crois que c’est comme cela que cela fonctionne, un jour quelqu’un nous laisse une petite place sur un coin de chaise et on apprend. Puis j’ai la chance de croiser le chemin de Danielle Anezin, à qui je dois tout, c’était la monteuse et la compagne d’un réalisateur dinguement talentueux : André S.Labarthe : Une claque quand tu as 20 ans. Tous les deux, ils m’ont ouvert les yeux, et cela aide pour faire ce métier.
J’ai donc commencé par le montage, pas de cinéma, mais du documentaire de création avec André S.Labarthe, créateur avec Janine Bazin de l’incontournable série « Cinéastes de notre temps ». C’est par exemple André Labarthe, qui a découvert John Cassavates, ou en tous cas l’a fait découvrir en Europe, grâce au documentaire qu’il a fait sur lui au moment de son film Faces… puis d’autre films documentaires ont suivis sur le cinéma, la danse, la musique, la peinture. C’étaient des équipes réduites, alors, je faisais principalement du montage, mais je participais également aux tournages. Je me suis retrouvé comme cela à 23 ans chez Martin Scorsese pendant 3 semaines à participer aux documentaires sur lui … sans savoir parler l’anglais ! Danielle et André m’ont énormément apporté intellectuellement et professionnellement. Je souhaite à tout le monde de rencontrer ce genre de personnes.
D’autres grandes et belles rencontres ont eu lieu les années suivantes : Claude Ventura sur l’émission Cinéma Cinémas et quelques années plus tard, Daniel Toscan du Plantier, un producteur à l’esprit unique, drôle, brillant et totalement amoureux du cinéma..
Ainsi de 1984 à 1992, j’ai baigné dans cet univers….
Je n’avais jamais songé à devenir producteur. On voit le producteur comme un cliché, grosse voiture et long cigare ! On ne peut pas imaginer ce que c’est comme métier… Je me souviens juste qu’enfant, j’étais fasciné par le personnage d’Irving Thalberg et par The Bad and The Beautiful de Vincente Minelli un film… mais de là à en faire un métier !
L’une de mes plus grandes fiertés est d’avoir commencé comme stagiaire chez André Labarthe et de l’avoir produit : l’un des premiers films que j’ai produits était un film de lui sur Roy Lichtenstein (Roy Lichtenstein, New York doesn’t exist), puis un autre documentaire sur Georges Bataille.
A 29 ans, je sens une nouvelle envie : je réalise que je suis un bon organisateur, même un bon ambianceur ! Organiquement je me dis « avant 30 ans, il faut que je crée ma société ! » Je ne sais toujours pas comment on produit, j’ai des notions, mais est-ce que cela suffira ? Je créé alors ma société de production, en reprenant une société en déclin. Je produis des documentaires de Labarthe, des soirées thématiques pour Arte. Et cela fonctionne plutôt bien ! Cette époque était dingue, une suite logique des décennies précédentes, post 68, très libres, foisonnantes en termes de création : tout était possible !
Suite à cela, j’ai eu de la chance de rencontrer Daniel Toscan Du Plantier. Il a été producteur de Maurice Pialat, directeur de Gaumont pendant quelques années, il m’a proposé de bossé avec lui. On a fait deux longs métrages et quelques documentaires sur le cinéma dont un sur les femmes cinéastes pour Arte. Daniel m’a permis de renouer avec mon premier amour : Le Cinéma, mais les 15 années précédentes de documentaires ont été tellement enrichissantes que le cinéma ne m’avait pas tant manqué !
Au début des années 2000, j’ai croisé le chemin d’Eric Lavaine qui écrivait la série H. Je venais du milieu du cinéma d’auteur, où l’on méprisait un peu la comédie et, à cette époque, je me posais beaucoup de questions sur le cinéma. Pour ne rien cacher, parfois le cinéma est un univers assez suffisant, très bourgeois, avec une vitalité relative, tantôt forte mais souvent très convenue. Alors, après avoir travaillé avec des personnalités comme Labarthe, Ventura ou Toscan du Plantier, je trouvais tout cela un peu fade, quand j’avais besoin que ce soit piquant ! Peut-être aussi qu’entre 20 et 40 ans, l’esprit est toujours en ébullition, tout est passionnant, puis, après 40 ans, cela s’émousse…
Toujours est-il que lorsque j’ai rencontré Eric et son univers de comédie, cela m’a offert un challenge : essayer de produire des films plus importants, plus « mainstream » et que les salles soient pleines ! En effet, passer deux ans à produire un film d’auteur pour que personne ne le voie, cela ne m’enchantait guère… Certes La règle du jeu de Jean Renoir a été vu par 35 000 personnes au départ, et c’est devenu un film d’envergure mondiale, mais tous les films n’ont pas cette destinée !
J’ai alors commencé à produire des comédies et je m’amusais énormément ! J’ai découvert un autre univers, cela a bien fonctionné et j’en ai produit beaucoup. Certaines personnes m’ont tourné le dos, mais j’ai persisté. Souvent les réalisateurs avec lesquels je travaille sont assez surpris, ils ne comprennent pas que je puisse produire de grosses comédies et parler de Kurozawa. Cela les a toujours laissés très perplexes. Moi cela m’amuse.
Que leur réponds-tu à ces gens-là ?
Je leur réponds que je fonctionne principalement avec les rencontres. Ce sont des affinités humaines qui font les films que je produis. Pour moi, il faut avoir un plaisir de l’échange, de la rencontre, des aventures…. Si cela n’existe pas, à quoi bon faire un film ? On ne fait pas un film simplement pour gagner de l’argent. Si on veut gagner de l’argent autant faire de l’immobilier ! Comme dans les relations amoureuses, il faut du désir et de l’envie pour faire un film et travailler avec un réalisateur. On travaille pendant au moins deux ans avec cette personne, alors mieux vaut bien s’entendre et y prendre du plaisir ! J’adore les gens qui ont une certaine jouissance des choses, du cinéma. Cela s’exprime dans beaucoup de domaines. Cela se ressent dans les films que je produis et auxquels je collabore, entre Papicha, La Douleur et Barbecue ou Retour chez ma mère, cela peut être très pointu comme de la grande comédie. Ecrire de la comédie est complexe. D’ailleurs, retirons les formidables acteurs de comédie pour présenter les César…
Tu disais donc que la production est arrivée au fil de l’eau ?
Il y a aussi tout un volet entrepreneurial. J’aime l’idée de faire travailler des gens, d’être socialement actif et de créer de l’activité. Le monde se plaint parfois de ce qui nous entoure, mais je pense naïvement que le monde est ce que l’on en fait ! Il faut donc agir et être proactif, cela évite parfois les regrets
Ce sont aussi des concours de circonstances. L’un des déclencheurs, cela a été le film sur Martin Scorsese. Le producteur m’a demandé d’accompagner l’équipe à New York et de m’occuper de la régie générale, de la direction de production. Je n’étais pas payé mais j’allais à New York ! Il m’avait donné 70 000 dollars en liquide et j’ai dû organiser le tournage. J’avais un dictionnaire français-anglais sous le bras et je me suis débrouillé comme cela. J’ai adoré cette expérience ! C’est à ce moment que je me suis rendu compte que j’aimais ce rôle d’organisateur.
Ensuite, c’est une question de tempérament, je suis timide mais j’aime décider, mener, organiser…
Lis-tu beaucoup de scénarios ? Comment choisis-tu les scénarios que tu produis ?
Je reçois pas mal de projets et j’essaye de regarder tout ce que je reçois, mais je fonctionne plutôt aux rencontres.
Ce sont souvent des gens que je croise et qui savent me raconter une histoire, qui m’intéressent. Ce sont des rencontres de séduction, dans le sens où ces personnes viennent devant moi défendre leur projet avec leurs tripes !
Par ailleurs, j’adore les projets très embryonnaires. Le problème des scénarios aboutis, c’est qu’il est difficile ensuite de travailler avec l’auteur. Je préfère que l’on m’envoie un article, un pitch, un résumé et qu’on me dise ce qu’il y a d’inspirant là-dedans. Cela dépend aussi de l’expérience de l’auteur et du réalisateur, de leurs références et de leurs univers. Pour une comédie, généralement, au bout de 10 linges de pitch, on sait s’il y a un potentiel.
Je pense que ce qui déclenche mon envie de travailler avec quelqu’un, c’est aussi la phase de développement. En tant que producteur, j’aime réfléchir avec l’auteur. Il faut aimer le film pour pouvoir le présenter devant les financiers. Je me sens donc plus à l’aise avec des projets jeunes sur lesquels il faut plancher.
Comment travailles-tu avec les auteurs ?
Je n’ai pas de méthode en particulier. Ce que je fais principalement, c’est une réflexion avec l’auteur-réalisateur. De manière récurrente, il y a des échanges en amont de l’écriture : pour bien déterminer ensemble où l’auteur veut aller avec le film, son ambiance etc… Nous échangeons autours de nos références, des atmosphères que l’on envisage, afin de définir la couleur du film.
Ce qui m’intéresse c’est quand il/elle se met à parler sincèrement et arrête de se cacher derrière ses références. En tant que producteur, il faut pousser l’auteur à se débarrasser de toutes les scories des films des autres. En ce sens, je cherche toujours à mettre l’auteur hors de sa zone de confort pour qu’il puisse s’exprimer…
Il faut des atomes crochus, au sens philosophique du terme : il faut trouver les rouages et l’équilibre entre les deux personnalités. Même si le scénario peut me plaire, si je ne sens pas ces atomes avec son auteur, cela ne fonctionne pas.
Qu’est-ce qui, selon toi, fait un film qui marche en salle ?
Il n’y a pas de recette, sinon on ne ferait que de bons films !
Je crois beaucoup à la sincérité d’un film, dans l’application et le travail que l’on y met. Ensuite, qu’il fonctionne ou non, c’est autre chose. A un instant T, le film va être présenté devant le public, est-ce qu’il est là au bon moment ? Est-il totalement réussi ? Il ne faut pas oublier qu’entre le moment où l’on décide de faire un film et sa sortie, il se passe deux ans.
Un film c’est une conjoncture d’énormément de paramètres, comme un puzzle dont il faudrait assembler toutes les pièces. C’est un mille-feuille de problèmes à résoudre, qui vont du développement à la sortie du film. Les films qui ont fonctionné, sont ceux qui ont coché toutes les très bonnes cases.
Ainsi, quand je décide de travailler avec quelqu’un, à un moment donné de ma propre vie et de la sienne, tous nos paramètres se rencontrent, s’additionnent et permettent de faire un film. C’est donc, encore une fois, une question de personnes, car produire un film c’est long, il sort en salle un mercredi et trois semaines après, c’est fini. Mais le producteur et le réalisateur ont travaillé pendant 2 ans ensemble sur ce film.
Selon toi, quelles seront les conséquences de la crise sanitaire sur l’industrie du cinéma ?
C’est une sorte de plaie d’Egypte qui nous est tombée dessus. Je fais plutôt partie de ceux qui ont envie d’être réactifs quand « on a les pieds dans la boue ». Je ne me fais pas devin en disant qu’économiquement tout va devenir compliqué.
Je pense cependant que cela va créer un écrémage. Il va falloir que l’on soit plus exigeants sur le développement de nos projets. Le système économique français, qui était formidable, a peut-être aussi provoqué une forme d’endormissement, dans laquelle je m’inclus. Nous produisions les films sur un modèle économique bien ancré, qui aujourd’hui s’est détérioré. Il va donc falloir se réinventer et trouver une nouvelle forme d’économie pour le cinéma. Il s’agira de réfléchir à faire des films à moindre coûts.
Je fais partie de ceux qui pense qu’il y a trop de films ou du moins pas assez de place pour trop de film. Naturellement, par la baisse des investissements, moins de films seront produits. Peut-être pas de meilleurs films, mais moins. Et si la quantité est moindre, les films qui sortiront auront sûrement une meilleure visibilité. En effet, actuellement on produit 285 films dans l’année et il n’y a que 35 mercredis, cela créé un problème majeur en termes de visibilité.
Je crois beaucoup dans la force de ceux qui écrivent, ce sont eux le nerf de la guerre, tout passera par là. Nous restions beaucoup dans notre auto-suffisance française, mais il va falloir penser à élargir nos frontières, à produire des films qui s’exportent mieux et être plus exigeants sur les sujets que l’on aborde.
La pandémie que nous venons de subir et aussi la possibilité d’un rebond, de renouveau, en acceptant de se remettre en cause.