Vincent Tavier : « C’est important de se fier à ses intuitions »

Co-fondateur de la société de production belge Panique!, Vincent Tavier nous partage sa riche expérience de producteur et scénariste.

Orlane
Paper to Film
19 min readSep 8, 2020

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Pouvez-vous nous retracer votre parcours et ce qui vous a amené à la production ?

Cinéphile depuis l’adolescence, le premier film que j’ai vu était Les Aristochats (Wolfgang Reitherman, 1970) à l’âge de 8 ans. Ce dernier m’a beaucoup marqué. J‘étais en charge du ciné club de ma fac et j’utilisais l’intégralité de mon argent poche pour aller au cinéma. Avec mon ami d’enfance, Benoît Poelvoorde, nous faisions de petits films tournés en Super 8 pour nous amuser. Nous étions de l’école d’Andy Warhol[1] à filmer des éléments quelconques et à en rire. Puis nous avons rencontré Rémy Belvaux[2] qui lui aussi réalisait de petits films en super 8. En revanche, ces derniers étaient beaucoup plus construits et sérieux que ce que nous faisions. Ensuite nous nous sommes tous séparés pour faire nos études, chacun de notre côté. J’ai fait des études universitaires en Histoire et en sociologie.

En Belgique le métier de producteur n’était pas une vocation très répandue lorsque j’ai commencé. Cependant, j’ai des amis qui sont passés par de grandes écoles de cinéma : certains ont fait la Cambre[3], Rémy Belvaux a fait l’INSAS[4], etc. Nous étions donc une bonne bande d’amis à avoir fait des études différentes, dont certains le Cinéma. Les rencontres que nous avons chacun faites lors de nos respectives formations constituent aujourd’hui notre principal réseau professionnel.

Dans les études, une des choses les plus importantes c’est de rencontrer des gens et d’avoir envie de collaborer avec eux.

Bruxelles est une véritable pépinière et c’est encore vrai aujourd’hui.

En Belgique il n’existait pas de structure de production très assise à l’époque, surtout dans l’animation. J’ai donc été formé sur le tas, davantage à travers la pratique que la théorie. Il s’agit d’un très bon apprentissage. Ainsi, pour notre première vraie expérience de long-métrage (C’est arrivé près de chez vous, 1992), nous nous sommes répartis les tâches : Benoît Poolvorde sur la scène, André Bonzel[5] à l’image, Rémy Belvaux à la mise en scène et moi je me suis occupé du reste, c’est-à-dire de la production.

La méthode pour apprendre le cinéma a beaucoup évolué, aujourd’hui il existe des écoles et des formations plus spécialisées. Des structures professionnelles se sont aussi mises en place.

Quelle est la ligne éditoriale de votre société de production ?

Panique! est une société de production qui succède à une autre société dont le nom était La Parti production. J’ai co-fondé cette dernière il y a 20 ans avec Guillaume Malandrin[6], Philippe Kauffmann[7] et Stéphane Vuillet[8]. Pendant 20 ans, nous avons travaillé ensemble jusqu’à la production du film Ernest et Célestine en 2012 (de Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier[9]).

Ensuite, les envies de chacun ont évolué. Philippe Kaufmann est retourné vers le spectacle vivant et Guillaume Malandrin a fondé sa propre société de production Altitude 100 et Stéphane Vuillet a continué la réalisation. Nous sommes ainsi chacun partis de notre côté.

Pour ma part, j’ai donc décidé de fonder Panique! en ayant envie de m’orienter vers l’animation. Je me suis associé à Vincent Patar et Stéphane Aubier, les créateurs de Pic Pic André Shoow (1995) pour mettre en place cette société.

Lorsque nous avions commencé avec La Parti, nous disposions d’une société pour produire des films, mais au fur et à mesure, nous nous sommes mis à produire des films afin de pouvoir faire fonctionner une société. Ainsi nous agissions à l’inverse de ce que nous voulions. C’est pour cette raison que j’avais besoin de revenir, grâce à Panique!, à un certain volume de production davantage à notre échelle, de retrouver ce désir originel de produire des films qui nous plaisent et dans lesquels nous pouvions nous investir pleinement.

Selon vous, quels sont les principaux enjeux aujourd’hui pour un producteur ?

Pour ma part, j’ai toujours été de ceux qui encouragent à produire ce qu’on a vraiment envie de voir sur les écrans. J’ai d’abord envie de me faire plaisir.

Je suis le premier spectateur de ce que je produis.

Je n’ai pas fondé une société de production dans l’unique but de gagner de l’argent, mais plutôt pour travailler sur des projets qui me plaisent et que je développe avec des gens que j’apprécie et estime.

Par ailleurs, le secteur du cinéma a beaucoup évolué entre le moment où j’ai commencé et aujourd’hui. Il y a 30 ans, la salle de cinéma était le support principal de diffusion pour les films. Puis la VHS et le DVD sont arrivés. Aujourd’hui écosystème ne cesse d’évoluer avec l’émergence des plateformes de VOD. Ainsi, un des principaux enjeux du producteur — bien qu’il y en ait beaucoup d’autres — est de s’avoir s’adapter à cette réalité. Il ne faut pas rester bloqué sur un fonctionnement passé.

A mon sens, cette adaptation est peut-être plus facile lorsqu’on travaille pour le secteur de l’animation parce que ce dernier est principalement destiné à la télévision. De plus, même lorsqu’ils sont produits pour la télévision, nos films sortent tout de même sur grand écran. Ainsi, nous avons la possibilité de balayer plusieurs supports différents, ce qui est un réel avantage.

Pouvez-vous nous partager votre journée type ?

Je ne suis sûrement pas un producteur “type”. Nous décidons nos propres formats et nos propres manières de travailler en fonction de chaque projet. La plupart du temps, j’écris les scénarios avec les auteurs. Comme j’ai plusieurs casquettes (scénariste, acteur, réalisateur et producteur), j’accompagne souvent les projets, des prémices jusqu’à la post-production en passant par la réalisation. Chez Panique!, nous avons un fonctionnement très artisanal où nous mettons tous la main à la pâte, à tous les niveaux. En cela nous n’avons pas vraiment de journée type. Je peux passer une semaine à faire des tournages ou des bruitages en post-production, comme une autre à constituer des dossiers pour le CNC.

Vous portez plusieurs casquettes : scénariste, réalisateur, producteur et acteur. Comment gérez-vous cela ?

J’ai toujours eu cette envie d’avoir plusieurs casquettes. Nous ne travaillons pas dans une usine où tous les postes sont définis. Au contraire, nous sommes plutôt des artisans et nous travaillons ensemble en nous partageant les tâches.

L’artistique est quand même plus gratifiant ! Je préfère écrire des scénarios, développer des idées plutôt que d’être dans les chiffres ou dans des discussions stériles et chiantes de discussions de contrats, etc. Cependant, la production est nécessaire et nous devons le faire sinon cela signifie que nous pouvons faire nos propres choix artistiques. En cela, elle nous permet d’avoir notre indépendance.

Recevez-vous beaucoup de scénarios et en lisez-vous beaucoup ? Quel est pour vous le stade d’avancement idéal d’un scénario : pitch, synopsis, bible, pilote, Continuité Dialogué ?

J’aime être présent avant même le scénario car cela permet d’être là dès les fondations du projet. Nous pouvons ainsi nous positionner avec l’auteur, voir si nous sommes sur la même longueur d’onde et si nous pouvons nous retrouver sur ce qu’il a en tête. Je reçois beaucoup de scénarios provenant de France. Malheureusement, avec les réglementations européennes, il ne nous est pas possible de produire ces derniers. En effet, il m’est impossible de trouver des financements en Belgique pour un auteur français, à moins que cela ne soit dans le cadre d’une co-production. Bien entendu, je lis ces scénarios, mais je ne peux pas travailler avec leurs auteurs. Je ne fais cependant jamais la sourde oreille pour les scénarios que je reçois puisque je suis bien conscient du travail que cela représente. Même si répondre à chacun est très fastidieux, je souhaite garder cette honnêteté de donner une réponse à l’ensemble des projets reçus.

Bien entendu, nous faisons des co-productions mais c’est avec des auteurs avec lesquels nous avons déjà travaillés et que nous connaissons. J’ai co-développé en France, en Flandres et maintenant en Suisse.

Je reçois parfois des scénarios de jeunes sortants d’une école de cinéma qui voudraient travailler avec nous. Même si ce qu’ils font est qualitatif, je les invite plutôt à se créer leur propre réseau. Je les encourage à fonder leur propre famille de jeunes auteurs, réalisateurs et producteurs, appartenant à leur propre génération, plutôt que de dépendre de vieux de la vieille comme nous. Les personnes avec qui je travaille et moi-même avons déjà fait notre bout de chemin et c’est maintenant à eux de commencer, ensemble, dans les galères et la folie de la jeunesse. À leur âge, je n’aurais pas été intéressé d’aller dépendre d’un vieux producteur de 50 ans, dont je respecte l’expérience et le travail, mais qui ne constituerait pas ma propre famille artistique avec laquelle je travaillerais pour le reste de ma vie.

À mon sens, il est essentiel que chacun puisse se constituer sa propre famille cinématographique.

C’est pourquoi il est important de se créer ses propres relations et ces dernières commencent dès les écoles et les formations.

Lors d’une intervention à La Cambre ce janvier 2020, vous avez dit : « Il nous faut nous demander si un film vaut vraiment la peine d’être fait, puisque produire un film demande des années de travail. Aussi, il nous faut nous questionner pour savoir si le sujet du film est encore d’actualité ou pas ou si nous avons les moyens de le développer. Ce sont des questions auxquelles il faut réfléchir avant tout projet. C’est particulièrement essentiel en animation, puisque cette dernière coûte particulièrement cher et qu’il faut vraiment se demander si ça vaut le coup. » Ainsi, qu’est-ce qu’un projet qui vaut le coup aujourd’hui selon vous ?

J’apprécie les scénarios personnels qui ont une part d’universalité. Il faut que ce soit surprenant mais que cela corresponde surtout à mes moyens de production. Il y a des projets très grand public qui sont très intéressants et très bien faits, mais je ne suis ni Pixar, ni Disney. Je ne vais donc pas me lancer dans de grands projets qui en feront du “sous-Pixar” ou du “sous-Disney” sous prétexte que cela fonctionne. Cela finirait par desservir le film lui-même. Dans le choix des projets et dans leur développement, je suis beaucoup mon instinct.

C’est important de se fier à ses intuitions.

J’ai pu lire beaucoup de manuels et d’ouvrages expliquant comment écrire des scénarios. À ce niveau, les américains sont très enthousiastes pour concevoir des recettes d’écritures. Lorsque nous avons fait C’est arrivé près de chez vous, nous nous sommes surtout inspirés et imprégnés des films et des sujets que nous aimions. Cela ne correspondait pas du tout à la construction d’un scénario classique. Il paraît même que nous sommes répertoriés dans certains manuels américains comme “l’anti-modèle de scénario”. Pourtant, C’est arrivé près de chez vous a été très apprécié par le public. Il n’y a pas de recette miracle universelle et infaillible dans la construction d’un scénario.

En production c’est un peu la même chose, il faut surtout suivre son instinct et se fier à ses goûts. Nos films sont régulièrement sélectionnés en festivals. Même s’ils ne font pas des millions d’entrées en salles, ils semblent plaire dans de nombreux pays à travers le monde. Par exemple, Panique au village (2009, de Stéphane Aubier et Vincent Patar) est notamment très apprécié au Canada, en Iran ou encore à Séoul.

Est-ce que l’animation s’exporte plus facilement à l’étranger ?

Par rapport à la fiction, oui. L’adaptation d’un pays à l’autre d’un projet d’animation est davantage liée à des personnages qu’à des acteurs. Chaque pays à ses stars et peut donc doubler les voix comme il l’entend. De plus, l’humour de chaque pays est différent et des ajustements peuvent être faits dans le doublage afin de mieux coller à l’humour d’un pays. D’autre part, l’animation est aussi un langage plus universel, ce qui facilite les exportations à l’étranger.

Quel est votre degré d’implication dans l’écriture d’un projet ? Quelle est la relation idéale avec un scénariste ? Êtes-vous en lien direct avec des écoles, résidences ou institutions ?

Chez Panique! nous sommes trois producteurs à aussi être professeurs dans des écoles d’animation. Nous sommes donc directement liés à ces dernières. Stéphane Aubier donne des work-shop à la Poudrière[10] et Vincent Patar à la Cambre. Dispenser des cours dans ces écoles permet de nous donner une visibilité auprès des futurs nouveaux créateurs qui y étudient. De plus, nous participons à des festivals (Annecy[11] ou Anima[12], par exemple) et nous sommes impliqués dans les jurys d’écoles d’animation comme La Poudrière ou La Cambre. Grâce à cela, nous pouvons ainsi voir les travaux de jeunes réalisateurs d’animation.

L’agence européenne Cartoon[13] permet notamment d’organiser de vrais rendez-vous professionnels permettant de se constituer un réseau pertinent.

J’apprécie la manière dont les fratries, telles que les frères Cohen ou les frères Dardenne, fonctionnent ; l’un écrit et l’autre réalise. En travaillant ainsi, nous touchons à l’ensemble de l’outil cinématographique de manière collaborative et chacun fait avec les meilleures compétences qu’il possède. Pour ma part, je n’aspire pas spécialement à être réalisateur. J’aime écrire et produire et c’est pour cela que je me concentre principalement sur ces aspects-là.

Bien entendu, rester curieux, ouvert et touche à tout dans ce milieu permet une meilleure collaboration.

Nous sommes très polyvalents dans le développement d’un projet.

Pouvez-vous nous parler de C’est arrivé près de chez vous ?

Les prémices de C’est arrivé près de chez vous viennent du projet de film de fin d’études de Rémy Belvaux lorsque qu’il était à l’INSAS. Nous avons pris ce projet et l’avons développé dès sa sortie de l’école. C’était une époque de cow-boys qui marchait beaucoup au culot. Nous avons demandé de l’argent au CNC afin de finir la post-production en leur assurant que nous avions déjà tourné tout le film alors que ce n’était pas le cas. Avec l’argent donné pour la post-production nous avons tourné le film.

Nous nous sommes débrouillés pour faire le mixage, le montage avec des amis qui étaient à l’INSAS avec Rémy et André et en empruntant du matériel à nos connaissances.

Lorsqu’une première version du film fut terminée, elle a été présentée à des personnes travaillant pour les Cahiers du Cinéma[14]. Ces derniers ont eux-mêmes montré le film à la Semaine de la Critique[15] pour Cannes qui nous ont promis que si le film était terminé avant la fin de la sélection, il serait pris d’office pour le festival.

Nous sommes alors retournés demander une nouvelle fois de l’argent au CNC en leur assurant que cette fois-ci le film était vraiment tourné et qu’il nous fallait de l’argent pour finir la post-production puisqu’il était promis pour Cannes. Comme il y avait très peu de films belges sélectionnés à Cannes, la commission a tout de suite accepté notre demande. Nous avons donc pu être présentés à Cannes et le film a reçu un très bon accueil.

À cette époque, nous ne connaissions pas vraiment bien le milieu professionnel. Nous avons créé ce film comme un groupe de punk aurait écrit ses premières chansons dans une cave.

Cela nous a forgé le caractère. Les écoles de cinéma nous ont toujours répété qu’on commencerait d’abord par être deuxième assistant réalisateur, puis premier assistant réalisateur et qu’on envisagerait la réalisation de notre premier film à nos 40 ans, pas avant. Nous n’avons jamais compris cela.

C’est à 20 ans qu’il faut commencer à faire des films, pas à 40 ans !

Nous avons donc décidé de créer un film dans la débrouille, avec nos moyens. Nous y sommes allés à l’audace, nous avons traversé beaucoup de péripéties mais nous avons aussi pris beaucoup de plaisir et cela a finalement porté ses fruits.

Je pense que le plaisir de créer et de développer un projet finit toujours par se ressentir à la projection et c’est pourquoi il est très important de garder cette perspective à l’esprit.

Aujourd’hui dans des structures plus institutionnalisées, les auteurs ont tendance à beaucoup s’autocensurer en se disant que certaines de leurs idées ne passeront jamais les sélections. C’est pourquoi, pour C’est arrivé près de chez nous, nous avons choisi de tout faire nous-même, sinon le film ne serait jamais passé dans les commissions classiques de production. En cela, il nous fallait l’écrire et le réaliser avec nos propres moyens et attendre de voir par la suite ce que le public en pensera.

Pouvez-vous nous parler de la trilogie de Calvaire (2005), Alleluia (2014) et d’Adoration (2019) réalisés par Fabrice Du Welz ainsi que de votre collaboration avec ce dernier?

Fabrice Du Welz n’était pas parvenu à trouver de producteurs désirant développer son premier court-métrage. J’ai donc lu son scénario et ai collaboré avec lui pour ce dernier. À l’époque, j’étais un jeune producteur et c’était son premier court-métrage. Cela servait nos intérêts communs et nous nous entendions bien.

Lorsque Fabrice a commencé à travailler sur son premier projet de long-métrage, nous en avions déjà beaucoup parlé ensemble en amont, puisque nous collaborions déjà depuis longtemps. Lorsqu’il a écrit Calvaire, il n’avait pas l’idée de faire une trilogie, c’est venu en court de route.

Lorsque nous nous entendons bien avec une personne et que nous nous côtoyons régulièrement, même en dehors du cadre de la production, il est plus simple de travailler ensemble sur un projet.

Nous pouvons nous parler plus franchement et nous sommes conscients de la direction que l’on veut prendre sur chacun de nos projets communs. Il est ainsi plus simple de collaborer.

Pouvez-vous nous parler de vos projets actuels ?

Nous avons terminé deux séries co-produites avec la France. L’une s’appelle Jean-Michel le super caribou (2019) diffusée sur France Télévision, avec Nicolas Schmerkin[16] de Autour de Minuit. Il s’agit de l’adaptation du livre Jean-Michel, le caribou des bois (2009) de Magali Le Huche.

Avec Didier Brunner[17] nous avons travaillé sur la série Chien-pourri qui sera diffusée à partir de septembre sur France Télévision. Vincent Patar et Stéphane Aubier ont co-écrit beaucoup de scénarios de cette série et ont participé au développement d’auteur. Davy Durand s’est occupé de la réalisation.

Nous préparons un nouveau Panique au village qui s’appelle Les grandes vacances. Nous avons aussi de nombreux projets en marionnettes. France Télévision s’oriente sur le pédagogique et l’éducatif, ainsi nous essayons de créer des projets stimulants et drôles pour répondre à cette dynamique.

Pouvez-vous nous parlez des différentes techniques d’animation que vous utilisez, des contraintes qu’elles imposent et de leur coût financier ? Certaines techniques sont-elles plus accessibles que d’autres ?

Nous adaptons souvent le projet à la technique que nous allons utiliser. La stop-motion coûte rapidement cher. Pour Panique au Village la stop-motion est faite à partir de jouets, ce qui est beaucoup plus rapide et plus “cheap” que les marionnettes pré-articulées de la stop-motion classique.

Cela ne sert à rien d’imaginer un scénario qui va coûter 40 millions d’euros en Europe si nous n’en avons pas les moyens.

C’est pour cela qu’il faut adapter le scénario et les sujets à la technique que l’on va utiliser.

Il s’agit de savoir s’adapter aux moyens dont nous disposons. L’avantage d’être à la fois auteur, réalisateur et producteur d’une même société c’est que nous réfléchissons en permanence et de manière simultanée à toutes ces questions.

L’animation pour enfant, est-ce un choix ou est-ce pour répondre à une certaine demande ?

Il y a beaucoup plus de demandes pour de l’animation pour enfant que pour de l’animation pour adulte. Dès que des films d’animation pour adultes sortent en salles, à quelques rares exceptions près, ils ne fonctionennt pas vraiment. Il est ainsi plus facile de vendre de l’animation pour enfant. Cependant, il est vrai qu’à nos débuts nous ne nous interrogions pas sur cette question.

Je pense que les premiers Panique au village plaisaient surtout à de jeunes ados, aux étudiants et à de jeunes adultes. Mais après avoir travaillé sur Ernest et Célestine, nous nous sommes réellement rendus compte du plaisir que nous avions de travailler sur un projet adressé à un jeune public. Ainsi, nous avons décidé, pour le prochain Panique au Village, d’en faire un vrai film pour enfant. Même dans des décors d’adultes, les personnages de Cow-boy et Indien sont des enfants qui ont des problèmes d’enfants. Nous ne voulions cependant pas non plus nous couper de notre public d’adulte et nous avons fait en sorte qu’un adulte puisse toujours rire autant. Réadapter cette série pour un plus jeune public a aussi permis aux chaînes telles que France Télévision de pouvoir nous prendre en charge dans les programmes de diffusion.

Aujourd’hui, faire attention au public à qui nous destinons nos projets est très important.

Dans nos premières créations de “punk” on ne s’en souciait pas vraiment. Ainsi, notre insouciance nous a conduit à créer des projets dans l’entre-deux qui sont donc mal distribués puisque personne ne sait à qui ils s’adressent.

Pouvez-vous nous parler d’Ernest et Célestine ?

Ernest et Célestine est un projet français de Didier Brunner qui avait le rêve d’adapter les livres illustrés de Gabrielle Vincent[18], une auteure belge. Lorsqu’il a obtenu les droits d’adaptation il a contacté Daniel Pennac[19], qui connaissait bien l’auteur des livres Ernest & Célestine, pour lui demander de créer un univers singulier. Il était très pertinent de créer un scénario original et de ne pas s’appuyer uniquement sur les livres afin de respecter au mieux l’œuvre de l’auteur tout en nous permettant de proposer une direction artistique propre au média cinématographie. Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier ont collaborés à partir du scénario pour la réalisation.

Je pense que la générosité avec laquelle nous avons développé ce film se ressent lors de la projection.

Le film a reçu un très bon accueil et a notamment été primé dans de nombreux festivals.

Lors de votre intervention à l’école de La Cambre en janvier de cette année, vous avez dit : « De la contrainte naît la créativité. ». Pouvez-vous étayer ?

Avoir une totale liberté est beaucoup plus compliqué que d’avoir des contraintes. Lorsqu’on fait de la publicité par exemple, que ce soit en animation ou en prises de vue réelles, il existe de très nombreuses contraintes liées à de multiples facteurs (commerciaux et financiers notamment). Faire de la publicité coûte vite très cher.

Cependant, la contrainte peut paradoxalement nous pousser à libérer notre créativité puisqu’elle nous pousse aussi à trouver des solutions adaptées à ces dernières.

En cela les publicitaires doivent redoubler de créativité pour répondre à ces contraintes.

Le générique du film Une sirène à Paris (2020), un long métrage de fiction de Mathias Malzieux[20] en est un bon exemple. Il s’agit d’un travail de commande. Le réalisateur voulait que Vincent Patar et Stéphane Aubier fassent en animation stopmotion le générique de début et de fin de son film. Il avait une idée très précise de ce qu’il voulait et un petit budget à consacrer pour ce générique. En revanche, nous avions envie d’essayer des décors particuliers. Nous avons donc dû nous montrer inventifs afin de faire correspondre nos idées, nos univers et nos envies à celles de Mathias Malzieu et à son budget. Cela a très bien fonctionné. Faire un générique ensemble nous a permis d’expérimenter, de faire des choses que nous n’aurions pas eu l’idée de faire si nous avions été libres de toutes contraintes.

Quel impact a eu le confinement sur votre activité et comment appréhendez-vous l’année à venir ?

En animation l’impact est moins violent que pour la fiction pour laquelle les tournages ont dû être arrêtés. À l’exception de quelques tournages de stop-motion qui ont été ralentis, les studios sont toujours en marche. En deux ou trois semaines, il est possible de se réorganiser en télétravail de manière efficace.

Vis à vis des demandes de films, je ne pense pas qu’il y aura une baisse de demandes suite au confinement, que ce soit en animation ou en fiction. Peut-être même que la demande augmentera au contraire. Ce qui est plus inquiétant en revanche c’est la crise économique qui risque d’en découler et ses retombées sur les productions cinématographiques (voire même sur tout secteur confondus).

Je ne m’inquiète pas pour les chaînes de télévision ou pour les plateformes, néanmoins, ce sont les budgets culturels publics qui risque d’être le pus impactés.

Un dernier mot ? Un message aux auteurs et aux aspirants producteurs ?

Courage ! Ce n’est pas une voie facile. Il y a de plus en plus de personnes qui veulent faire ce métier et les budgets ne sont pas indéfiniment extensibles. En cela, il n’est pas évident de trouver sa place dans ce milieu. Si c’est pour tenter d’assouvir un quelconque désir de célébrité ou d’espérer gagner beaucoup d’argent, alors je ne conseillerais pas de faire ce métier. Que ce soit pour un auteur ou pour un producteur, il s’agit avant tout d’être passionné et persévérant. Je pense que le plus important dans ce milieu c’est de rester soi-même.

[1] Andy Warhol (1928–1987) est un artiste américain ainsi que l’un des principaux représentants du Pop Art. Il est connu pour son travail de peintre, de producteur musical, d’auteur et par ses films d’avant-garde.

[2] Réalisateur et metteur en scène de C’est arrivé près de chez vous, Rémy Belvaux s’est pas la suite tourné vers la réalisation de films de publicité pour la société Quad Production.

[3] L’École nationale supérieure des arts visuels (ENSAV) de La Cambre, ou La Cambre arts visuels, est l’une des principales écoles d’art et de design de Belgique. Fondée en 1927, il est possible d’y suivre une formation de Cinéma d’animation depuis 1957.

[4] L’Institut national supérieur des arts du spectacle et des techniques de diffusion, généralement appelé sous la forme abrégée Institut national supérieur des arts du spectacle (ou son sigle INSAS) est une école supérieure des arts de la Communauté française de Belgique située à Bruxelles. Y sont enseignées les techniques liées au théâtre, au cinéma et à la radio-télévision. L’INSAS a été fondé en 1962 par Raymond Ravar1, André Delvaux, Jean Brismée et Paul Anrieu.

[5] André Bonzel est un réalisateur, producteur et scénariste français qui fait la rencontre de Rémy Belvaux, Benoît Poelvoorde et Vincent Tavier lors de ses études à l’INSAS, il a notamment travaillé avec ces dernier sur C’est arrivé près de chez vous (2009).

[6] Scénariste, réalisateur et producteur, Guillaume Malandrin réalise en 2015 Je suis mort mais j’ai des amis. Il écrit et produit Ça m’est égal si demain n’arrive pas en 2006 puis Où est la main de l’homme sans tête en 2007.

[7] Producteur, Philippe Kauffmann a notamment participé à la production d’Ernest et Célestine et de Le Grand’Tour de Jérôme le Maire en 2012.

[8] Réalisateur, scénariste et producteur, Stéphane Vuillet réalise en 2004 25° en hiver.

[9] Auteurs et réalisateurs belges d’animation, Vincent Patar et Stéphane Aubier ont notamment travaillés sur Pic pic et André Shoow (1988), Ernest et Célestine (2012), Panique au Village (2009). Tous deux travaillent en étroite collaboration.

[10] La Poudrière est une école de cinéma qui propose des formations à la réalisation de films d’animation. Elle est installée à la Cartoucherie à Bourg-lès-Valence.

[11] Le festival international du film d’animation d’Annecy, créé en 1960 par Pierre Barbin, se déroule au début du mois de juin dans la ville d’Annecy, en Haute-Savoie. Le festival propose une sélection officielle avec un panel de films d’animation utilisant des techniques diverses : dessins animés, papiers découpés, pâte à modeler, stop motion, 3D…

[12] Le Festival Anima, ou Festival international du film d’animation de Bruxelles, créé en 1982 par Philippe Allard, Philippe Moins et André Pint au sein de la Confédération Parascolaire, a lieu chaque année en février ou en mars.

[13] Le Cartoon Forum est un forum de pitching et co-production pour les projets d’animation de télévision. Pendant 3 jours, les producteurs ont la possibilité de présenter leur projet devant 1000 diffuseurs, investisseurs et autres partenaires potentiels de 40 pays différents.

[14] Les Cahiers du cinéma sont une revue de cinéma française créée en avril 1951 par André Bazin, Jacques Doniol-Valcroze, Joseph-Marie Lo Duca et Léonide Keigel.

[15] La Semaine de la critique (anciennement nommée Semaine internationale de la critique jusqu’en 2008) est une section parallèle du Festival de Cannes, créée en 1962 et organisée par le Syndicat français de la critique de cinéma.

[16] Nicolas Schmerkin est un un producteur qui dirige sa société de production : Autour de Minuit.

[17] Didier Brunner est un producteur qui a fondé la société de production d’animation Les Armateurs et co-fondé la société Folivari. Il a notamment travaillé sur Kirikou et la sorcière (1998), Princes et princesses (2000), Les Triplettes de Belleville (2003), T’choupi (1999) ou encore Ernest et Célestine (2012).

[18] Monique Martin, signant également sous le pseudonyme de Gabrielle Vincent depuis 1981, est une écrivaine et illustratrice belge, auteure de livres pour enfants, essentiellement connue pour sa série jeunesse Ernest et Célestine.

[19] Daniel Pennacchioni, dit Daniel Pennac, est un écrivain français. Il a notamment reçu le prix Renaudot en 2007 pour son roman autobiographique Chagrin d’école. Il a également écrit des scénarios pour le cinéma, la télévision et la bande dessinée. Parmi ses travaux cinématographiques on peut notamment relever : La Fée Carabine (1988), Messieurs les enfants (1997) et Ernest et Célestine (2012).

[20] Mathias Malzieu est un musicien, écrivain et réalisateur français. Il est le chanteur du groupe de rock français Dionysos. Il co-réalise avec Stéphane Berla Jack et la Mécanique du coeur en 2014

La société de production Panique ! de Vincent Tavier

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