Wissam Hojeij : « Il est important d’être ouvert au récit, à l’histoire qui veut être racontée. Le compositeur est là pour apporter une valeur artistique supplémentaire au projet. »

Invité lors du Festival International du Film d’Aubagne, le compositeur Wissam Hojeij a accepté de nous partager son parcours et sa vision de la composition pour l’image.

Mathilde Psaume
Paper to Film
9 min readApr 10, 2020

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Pouvez-vous présenter votre parcours ?

A l’âge de 7 ans, j’ai commencé la guitare classique et le solfège au conservatoire au Liban puis en France. J’en ai joué pendant dix ans. Petit à petit, je me suis intéressé aux différents genres musicaux. Lorsque j’étais étudiant, j’ai eu l’occasion de jouer dans divers ensembles, ce qui m’a permis de diversifier mes expériences et aussi de me mettre au clavier. C’est durant cette même période que je suis venu à la musique de film. J’ai d’abord commencé à composer sur des films d’école réalisés par des amis. Cela m’a beaucoup parlé, c’était une expérience très différente que celle de jouer en groupe et très enrichissante. En effet, le dialogue avec un réalisateur est très stimulant et la dimension storytelling que j’aime en musique se retrouve évidemment dans le cinéma. Entre temps, j’ai travaillé au musée de la Philharmonie de Paris. J’y organisais des expositions sur la musique, notamment sur les rétrospectives de John Lennon, Miles Davis, Georges Brassens et une exposition sur la guitare. J’étais en contact avec beaucoup d’archives du patrimoine musical et de musiciens, ce qui était passionnant. Parallèlement je développais énormément mon activité de compositeur de musique de film et enrichissait mes compétences musicales en arrangement et orchestration au travers de cours et de travail personnel, tout en élargissant le spectre et les registres de mes compositions. Si mon approche de la musique à l’image a d’abord été — et reste — en premier lieu instinctive, ces années demeurent un temps de formation aux travers duquel j’ai pu développer un volet plus théorique. Au fur et à mesure, je n’ai plus fait que de la musique. Cela fait maintenant huit ans que je travaille à plein temps dans la composition pour l’image.

Vous êtes multi-instrumentiste, vous jouez de la guitare et du piano, est-ce que cela influe sur votre composition ?

Oui, je joue la guitare et du clavier mais je ne suis pas pianiste de formation. J’ai une dextérité particulière pour la guitare, puisque c’est l’instrument que j’ai appris dès mon plus jeune âge. Cependant, aujourd’hui, je compose principalement au clavier, instrument le plus adapté à la composition et à l’informatique musicale. Le clavier est important et me permet de composer pour différents instruments.

L’instrument que l’on apprend très tôt, influe inéluctablement sur une manière d’écrire ou de concevoir la musique. A la fois rythmiquement, mélodiquement et harmoniquement. Il y a certainement une certaine touche personnelle qui revient, due à ce background. Mais dans l’absolu, aujourd’hui, bien que je garde une affection particulière pour la guitare, je m’en suis éloigné dans mes compostions. Et d’ailleurs lorsque qu’on les écoute, la guitare en est absente sauf si l’histoire du film fait appel à cet instrument.

A quel stade de développement fait-on appel à vous en général ?

Cela varie en fonction de la relation que l’on a avec les réalisateurs.

Concernant les réalisateurs avec lesquels je travaille régulièrement, je pense notamment à Jonathan Millet pour qui j’ai composé six musiques de films dont ceux produits par Films Grand Huit, nous avons tendances à travailler très tôt dans le processus et à intégrer l’écriture musicale en amont. Cela, je pense, influence aussi une partie de l’écriture du scénario, car une partie de la narration, des émotions peut être prise en charge par la musique. C’est un processus que je trouve passionnant. Je dirais que c’est la manière idéale de travailler : en amont, de défricher. A cette étape, nous commençons à voir ce que l’on ne va pas faire, à resserrer le prisme et à savoir quel axe de narration ou quel axe émotionnel va être pris en charge par la musique. Mais il faut tout même avouer que lorsque les images arrivent, c’est la révélation ! Il faut alors réajuster le curseur, il arrive parfois que certaines idées maquettées sur scénario persistent et parfois à l’inverse, qu’il faille changer beaucoup d’éléments. Cependant, c’est toujours très bénéfique de pouvoir travailler au moment de l’écriture.

La seconde option, c’est d’être appelé beaucoup plus tard, au moment de la post production, ce qui arrive assez souvent dans notre métier. C’est une approche totalement différente, connectée directement à l’image. Il y a moins de maturation, l’urgence se fait davantage ressentir. Ces contraintes peuvent être très bénéfique dans certains cas. Selon moi, avoir des contraintes stimule la créativité. Mais encore une fois, cela dépend énormément des projets, du réalisateur, de la production.

Quelle est pour vous la relation idéale entre un compositeur et un réalisateur ?

Pour répondre à cette question, je parlerais plutôt de l’écriture, de la narration, de la prise en charge des registres que va proposer le film. C’est à dire que la relation idéale est une relation où un dialogue fort et ouvert s’instaure entre le compositeur et le réalisateur. Petit à petit, les curseurs s’ajustent sur qui va prendre en charge tel axe ou telle émotion. C’est une relation de dialogue, d’échange et d’écoute mutuelle. Nous sommes au service du film, c’est lui qui prime et le réalisateur en est l’architecte. Au sein de ce cadre, plus le dialogue est fluide plus il est possible d’être créatif, car chacun sait ce qu’il doit apporter.

Vous avez participé plusieurs fois au dispositif 3e personnage du Festival International du Film d’Aubagne, que vous a t’il apporté ?

C’est un dispositif très positif, à envisager réellement en termes de rencontres. Il permet de brasser énormément d’idées, de rencontrer des réalisateurs et des producteurs. C’est un exercice intéressant car nous sommes amenés à créer une maquette, sur scénario. C’est ludique sans imposer trop de pression mais avec une vraie exigence artistique. Il est donc extrêmement enrichissant d’y participer et parfois, cela abouti à des collaborations. J’ai eu cette chance à plusieurs reprises. Lorsque c’est le cas, le film a des chances d’être projeté lors des éditions suivantes du festival.

L’équipe d’Aubagne est présente sur le long terme et accompagne les participants, en amont et en aval du festival. Elles sont passionnées et il est très enrichissant et plaisant de travailler avec elles.

Parlons de votre film pour lequel vous étiez invité cette année, Ceniza Negra, a-t-il participé au dispositif 3e personnage ?

Ce film est issu d’un autre dispositif, qui s’appelle The Next Step, proposé par la Semaine de la Critique, également en partenariat avec le SACEM et son service d’Action culturelle. Ce dispositif vise à connecter les réalisateurs de courts-métrages sélectionnés à la semaine de la critique, à un certain nombre d’acteurs pouvant potentiellement les aider à développer leur projet de long-métrage. En fin de semaine, ces réalisateurs rencontrent des compositeurs sélectionnés. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré Sofia Quiros Ubeda, la réalisatrice. Son producteur français, Promenades Films, a beaucoup œuvré pour cette collaboration. Le film a abouti, c’était une belle rencontre artistique.

Ce film était précédé de Selva , un court-métrage costaricain de la même réalisatrice mais je n’ai intégré le projet que lorsqu’une production française s’est impliquée sur le long-métrage.

Pouvez-vous nous parler de votre démarche artistique et musicale sur ce film ?

C’est un film où d’emblée, la réalisatrice m’a fait part de sa volonté de conserver une présence très forte de la nature. De cette volonté résulte une forme de foisonnement sonore. Ce fut très intéressant et mon objectif a été de m’intégrer dans cette matière sonore. Il fallait rechercher ce que la musique pouvait apporter que les sons déjà présents n’apportaient pas. Le résultat à l’image est très discret mais c’est le fruit de beaucoup de dialogues avec la réalisatrice. Le dosage final apporte je crois beaucoup d’émotions et un sous-texte au film qui ne serait pas compréhensible sans la musique.

Quant au morceau du générique du film il s’agit réellement d’un thème musical qui se déploie sur le final. Le défi était d’embrasser une forme de magie, sans rentrer dans les stéréotypes. Nous étions sans cesse sur le fil en termes d’émotion et de recherche musicale. Il existe une forme de réalisme social dans le film, que la musique vient fictionnaliser, en apportant une dimension autre. La musique joue donc un rôle important, aussi discrète soit elle. Les sons ambiants « réalisent » le film quand la musique le « déréalise » et l’emporte ailleurs.

Deux aspects de la composition cinématographique qui peuvent paraitre antagonistes, l’une discrète — et dans le cas évoqué, sensorielle — l’autre plus mélodique sont présents dans ce film, et y sont sont bel et bien réunis.

Quand vous avez choisi de travailler sur Ceniza Negra, où s’est fait la connexion ?

J’avais beaucoup aimé son court-métrage et Sofia (Quiros Ubeda) connaissait et appréciait déjà mon travail. Il y a donc d’abord eu une connexion artistique, puis humaine. De plus, j’ai vraiment beaucoup aimé le personnage de ce film, Selva, elle m’a touché. J’ai éprouvé une envie forte de me plonger dans ce récit, de le suivre et de voir ce que la musique pouvait apporter à tout cela.

Je ne suis pas à l’origine des musiques orientales sur lesquels se plaît à danser le personnage. Cependant, ces moments étaient nécessaires. Cette musique préexistante représente la fascination pour l’orient, elle évoque l’aspiration du personnage à une volonté d’évasion, à un ailleurs. C’était un axe très important, car ce personnage est une jeune fille rêveuse, cherchant à s’évader d’un certain carcan. C’est pourquoi j’ai intégré dans la partition originale une flûte ney (flûte orientale) et sur le thème final, une derbouka. La magie de la musique de film, c’est quand l’histoire nous amène dans des territoires que l’on n’aurait pas explorés autrement. Sans Ceniza Negra, je n’aurais pas mêlé des instruments latino-américains avec des instruments orientaux spontanément tout en restant cohérent. Je trouve cela formidable dans le cinéma.

Cette flûte ney et cette derbouka côtoient d’autres instruments. De légers marimbas aussi traversent le film. L’ensemble s’y retrouve de manière équilibrée. Ce que je dis souvent, c’est que le film appartient au pays du cinéma, bien qu’il soit ancré dans un territoire. Je tends dans ma démarche personnelle à éviter de faire de la musique qui fasse office de décor et qui devienne une redite de ce que le territoire géographique du film raconte déjà.

Interprétez-vous vos compositions ?

J’interprète généralement les guitares et les claviers quand il y en a. Pour le reste je fais appels à des instrumentistes et/ou des ensembles à qui je transmets les partitions. La transition entre le travail de conception, de composition, puis enfin la rencontre lors l’enregistrement studio avec les interprètes qui donnent vie à la musique est tout à fait exaltante pour un compositeur !

Avez-vous un genre ou un format de prédilection ?

Non, au-delà de ça, c’est la rencontre avec un projet, un réalisateur et une équipe qui vont me pousser à m’impliquer. Avec le court-métrage, ce qui est intéressant c’est la possibilité d’explorer des idées fortes en un temps restreint. Quant au long-métrage, le travail y est passionnant car il peut nous permettre de nous exprimer sur une durée plus longue, de faire appel à plusieurs registres et de proposer différentes variations de thème et d’arrangements. Chaque configuration a donc des aspects positifs.

Pouvez-vous nous parler du long-métrage Headbang Lullaby dont vous avez composé la bande-originale en 2017 ?

C’est la société Blue Hour Films, avec laquelle j’avais travaillé sur plusieurs court-métrages, qui m’a mis en contact avec le réalisateur marocain Hicham Lasri. Une connexion immédiate de nos univers respectifs s’est alors produite. Ce projet de long-métrage libre et déjanté m’a donné un espace d’expression dans lequel Hicham m’invitait à me laisser aller et à proposer des choses inédites. La musique du film lorgne par moments vers un aspect inattendu et expérimental, c’était formidable ! Nous en sommes venus à la formule très amusante d’une musique « Western Tajin » où la créativité a pu s’exprimer librement. La bande-originale d’« Headbang Lulllaby » exprime cette folie et cette exaltation.

Quelles sont pour vous les qualités nécessaires pour un compositeur à l’image ?

Tout d’abord la curiosité, l’aptitude au dialogue avec un réalisateur, ainsi que la maîtrise de plusieurs registres. Il est important d’être ouvert au récit, à l’histoire qui veut être racontée. Le compositeur est là pour apporter une valeur artistique supplémentaire au projet.

Pour terminer, je dirais qu’il est important d’être curieux et ouvert aux autres Arts. Et enfin d’être persévérant, cela vaut pour beaucoup de métiers !

Quels sont vos projets à venir ?

J’ai plusieurs projets en cours sur l’ensemble des formats mais comme vous le savez tout est suspendu dans ce contexte de confinement. Nous attendons que cette période s’éclaircisse mais je suis en effet impliqué sur l’animation, le court et le long métrage pour les mois à venir.

La co-composition, une éventualité ?

Des collaborations peuvent naître sur des aspects spécifiques de la musique, comme par exemple avec un interprète particulier qui écrirait des paroles, un orchestrateur qui interviendrait notamment dans le cadre d’un long métrage avec des délais courts. Sur la toute première phase de composition j’ai tendance à considérer que c’est un exercice solitaire, mais la vie et les projets réservent bien des surprises !

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