Data :
restaurer la confiance entre les marques et leurs publics

Jérôme Wallut
Patrons, n’ayez pas peur
7 min readDec 11, 2014

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Marquée par les révélations d’Edward Snowden, 2013 restera sans doute une année de prise de conscience de notre entrée dans l’ère de la data. La mise en lumière des agissements des gouvernements a montré la puissance cachée derrière la quantité toujours croissante de données que nous produisons. Ceci a également partiellement jeté l’opprobre sur les majors Américains du numérique (Google, Microsoft, Facebook pour ne citer qu’eux) et leurs méthodes de collecte de données, comme en témoigne leur indignation et leurs engagements pour assurer la protection des données et la transparence de leurs pratiques.

Si cet épisode n’a pour l’instant pas eu d’impact direct sur leur activité, il montre aux acteurs du digital et aux marques qui utilisent ces données une sérieuse menace sous-jacente par rapport aux utilisateurs : celle de la crise de confiance

Mais il serait réducteur et surtout dommage de limiter notre vision de la data à un outil de manipulation [1].

Il est urgent d’inverser cette tendance, de restaurer cette confiance.

Outre la mise en exergue des bénéfices pour le client et des nouveaux usages rendus possibles par cette mine d’information, il s’agit pour les marques de revoir les méthodes de collecte de données et de ré-impliquer le client en lui rendant la main sur ses propres données

De quoi parle-t-on ?

Chaque fois que nous agissons dans l’univers numérique, nous créons de la data : une requête dans Google, un tag sur Shazam, une photo sur Instagram, un commentaire dans Facebook, un échange dans Gmail, un SMS sur notre mobile, un paiement en ligne ou avec notre carte bancaire, et c’est une information que nous offrons à celui qui nous propose cette prestation. Aujourd’hui, toutes ces données sont stockées par les acteurs de la nouvelle économie des services qui en ont compris très tôt la valeur.

Une data au service de la prédiction

Une vaste quantité d’information provenant d’un grand nombre de sources est en effet une matière statistique passionnante. Google est en mesure de détecter la montée des épidémies d’après le volume des requêtes faites dans son moteur de recherche (Google Flu). Coyote et Waze détectent les embouteillages en analysant la vitesse de leurs éclaireurs, c’est-à-dire beaucoup plus rapidement que n’importe quel Bison futé. Les pèse-personnes connectés mettent à la disposition de leurs inventeurs la plus grande et la plus actualisée des bases de données de poids jamais obtenue par aucune étude clinique.

Avec l’analyse de données massives, les concepteurs imaginent aussi des services prédictifs : le meilleur exemple est Google Now qui suggère « de partir maintenant au rendez-vous parce qu’il y a des bouchons sur le parcours ». Ces données massives et anonymes recueillies à des fins statistiques et prévisionnelles constituent l’un des effets vertueux de la data, organisé autour du concept OpenData[3]. La data massive et anonyme devient un bien commun. Aujourd’hui, des états, des villes et des entreprises ouvrent leurs bases de données pour participer à ce mouvement d’accélération de la connaissance par la data.

Mais aussi une data au service du business…

Nos profils, nos navigations, nos requêtes sont épluchés et constituent une base de connaissance que les marques s’arrachent aux enchères (Real Time Bidding). Tout ce que nous donnons généreusement à Critéo par nos navigations, à Google par Gmail (analyse des corpus de mots de nos mails), à Google Maps (nos déplacements et leurs récurrences) ou à YouTube (nos centres d’intérêt) permet de mieux comprendre qui nous sommes pour mieux orienter les réponses du moteur de recherche. Amazon analyse les requêtes et détecte rapidement les meilleures ventes pour s’approvisionner plus vite et devenir le vendeur le plus efficace. Demain, grâce à Nest (sa dernière acquisition), Google va équiper de capteurs nos maisons et saura tout de nos lieux de vie et de nos habitudes…

Nous sommes en train de comprendre cette vérité : « Quand le service est gratuit, nous en sommes le produit. » [2]. Chez les GAFA, (Google, Apple, Facebook, Amazon) et la plupart des acteurs, les données que nous lâchons ne sont pas anonymes. Cela ne nous a pas beaucoup dérangés jusqu’à maintenant : nous avons accepté de nous faire manipuler parce que nous y trouvions notre intérêt.

Cela ne fait que commencer !

Nos usages ont désormais changé, et nous sommes presque tous nomophobes[4]. Bientôt, nous aurons du mal à nous passer de nos bracelets, de nos montres, de nos lunettes qui diffuseront de la donnée sur nos comportements (le fameux Quantified Self). Dès demain, nos objets courants participeront à la conversation et l’enrichiront de data pour nous rendre de meilleurs services[5] !

En 2014, en dix jours, nous avons généré autant d’informations qu’en 365 jours de 2013. Cette tendance est exponentielle : en multipliant le nombre d’objets connectés par cinq dans les trois prochaines années, nous créerons autant de nouvelles data…

Le vent serait-il en train de tourner ?

· La réglementation des données personnelles devient une préoccupation. Tous les états s’interrogent sur les dispositifs à mettre en place. La France, avec la CNIL, est sans doute moteur du sujet. Aux États-Unis, Axciom a lancé en septembre 2013 un site web (aboutthedata.com) donnant accès à chacun (seulement aux États-Unis) à toutes les données marketing collectées le concernant. L’utilisateur a le loisir de modifier, de corriger ou de demander la suppression de ces data.

· La quantité de data produite rend son traitement plus complexe et plus coûteux.

· Nous sommes de plus en plus conscients de la valeur de ces informations et surpris par les chiffres d’affaires stupéfiants des acteurs dont les services sont généralement freemium[7], voire gratuits.

Nous sommes mûrs pour revendiquer la propriété des données que nous distribuons si généreusement (pour ne pas dire naïvement). Ce patrimoine est considérable. Comme la conversation qui a rééquilibré le rapport de force entre les marques et leurs publics, la data nous transforme en donneurs d’ordres et non plus en consommateurs passifs. Elle est une chance pour les marques qui le comprennent.

Une solution simple

Tous les éléments sont réunis pour construire un nouvel écosystème de relation autour de la data :
· Nos données personnelles nous appartiennent ; rendues anonymes, elles enrichissent une base de connaissance universelle indispensable.
· Nous sommes demandeurs de nouveaux services personnalisés, attentionnés, et nos exigences sont fortes. À la fois collaborateur, citoyen et client, nous avons besoin de confiance, et nous attendons des marques et des institutions, des preuves de confiance.
· Les marques se heurtent à la complexité et au coût exponentiel du traitement des data.

Dans quelles conditions serions-nous donc prêts à céder nos données personnelles ?

Et si la data était au cœur d’un pacte de confiance entre les marques et leurs publics ?

Un tel contrat pourrait stipuler :

« Voici la liste des 146 data personnelles que nous collectons aujourd’hui grâce à votre mobile, à votre ordinateur, à votre voiture, à votre maison… : …
1/ Pour vous rendre le service attentionné que vous attendez de nous, nous avons besoin de ces 43 data personnelles en temps réel : …
2/ Concernant les autres data, voici la liste de celles que nous vous proposons de rendre anonymes pour les versées dans l’Open Data : …
Elles contribueront aux bases de connaissance suivantes : …
3/ Nous nous engageons à détruire toutes les autres. »

Cette idée est portée depuis plus de cinq ans par la FING et son mentor Daniel Kaplan[8].

Et le droit au silence

Pour finir, je reprends une idée chère à Bernard Benhamou : nous devons aussi avoir le droit de décider du silence de nos data personnelles (un bouton ?) ou de leur oubli (une poubelle ?)[9]. Cette clause devra être intégrée à ce contrat de confiance numérique.

Jérôme Wallut
Associé chez ICP Consulting
“Accompagner la Transformation digitale par les usages”

Avec le soutien très actif de Romain Samptiaux : Consultant chez ICP Consulting

Article publié dans le N° 9 de InfluenciaLeMag

[1] Même si le marketing nous a habitués à ces techniques depuis plus de 80 ans…

[2] Les études quantitatives montrent un réel impact de ces campagnes auprès des consommateurs (http://www.iabfrance.com/etudes-chiffres/efficacite-net-impact). Cependant, des études qualitatives enseignent que les publicités online manquent d’originalité et de pertinence et ne répondent pas aux attentes des internautes (http://www.iabfrance.com/etudes-chiffres/efficacite-net-impact). Toujours selon cette étude, alors que les internautes réclament des contenus publicitaires plus pertinents, ils émettent même des réserves sur l’utilisation de leurs données personnelles et sur un ciblage trop poussé. Le sentiment qui transparait est qu’ils sont majoritairement en recherche de confiance et réfractaires au ciblage.

[3] Le site Etalab recense les initiatives en matière d’OpenData en France (http://www.etalab.gouv.fr/). https://twitter.com/search?q=opendata&src=typd donne toute l’actualité de l’OpenData.

[4] Nomophobie : Angoisse à l’idée de perdre son portable ou incapacité de s’en passer plus d’une journée.

[5] On parle de réseaux sociaux d’objets depuis 2011(http://www.internetactu.net/2010/11/29/demain-les-reseaux-sociaux-dobjets/)

[7] Freemium : Service gratuit dont les options souvent séduisantes sont payantes. La valeur de ces données constituent un trésor pour la population européenne estimé à 300 milliards de $ en 2014 et 1 000 milliards de $ en 2015.

[8] MyData (http://www.internetactu.net/2011/09/20/mydata/) et le projet “MesInfos : http://mesinfos.fing.org/)

[9] Le droit au silence des puces (http://www.culturemobile.net/questions-ethique/rfid-realites-peurs-et-fantasmes/droit-au-silence-puces)

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Jérôme Wallut
Patrons, n’ayez pas peur

Auteur de « Patrons n'ayez pas peur — Associés chez k-ciopé /UX, TECH/ DATA & Dessinateur, Aquarelliste et pastelliste à ses heures gagnées