Densité piétonne et répartition de l’espace entre les différents types d’usagers

Félix Motot
Patterns
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7 min readJun 24, 2020

Partager l’espace public entre les véhicules et les piétons est une problématique qui reste polémique en 2020, et où le consensus reste complexe à trouver, aussi bien dans les contextes urbains que péri-urbains et ruraux. A Paris, les controverses autour de la piétonisation des voies sur berges, ou encore sur l’avenir du périphérique [1] illustrent particulièrement bien ces tensions. Pour la ville de Paris, la tendance est plutôt pour un rééquilibrage en faveur des piétons : « replacer le piéton au cœur de la ville est notre priorité, comme en témoignent les très nombreux projets d’aménagement réalisés depuis six ans », déclarait ainsi en janvier dernier Christophe Najdovski, l’actuel adjoint aux transports (EELV) [2]. Les campagnes municipales ont été plus que jamais animées par cette problématique centrale de la répartition de la voirie entre les différents types d’usagers, avec certains candidats prônant le retour de la voiture dans les centre-ville quand d’autres défendent des projets de contournement routier afin de redonner une priorité aux modes actifs [3]. Les Robert Moses et Jane Jacobs des temps modernes.

Effectivement, le débat mérite d’être posé quant à la place du piéton dans l’espace urbain. Le Monde notait en 2016 que l’espace public réservé aux automobilistes à Paris était de 50%, quand seulement 13% des déplacements étaient réalisés en véhicule particulier [4]. Les enjeux posés par la propagation du Covid-19 en termes de distanciation physique dans les espaces publics ont d’ailleurs remis au coeur du débat la nécessité de réserver des espaces généreux pour les piétons.

Cette crise sanitaire et la sortie du confinement ont remis au goût du jour le concept d’urbanisme tactique [5]. De nombreuses initiatives ont été prises par les métropoles pour repenser à court terme avec de potentiels effets long terme la gestion des voiries notamment. Certaines voies de stationnement ont été réquisitionnées afin d’élargir l’espace disponible pour les piétons, et de nombreuses pistes cyclables temporaires ont vu le jour dans plusieurs villes Françaises. Au vu du succès rencontré, une partie de ces aménagements pourrait être considérée pour une pérennisation à long terme..

Chez Kisio, nous travaillons historiquement avec les opérateurs de mobilités, c’est pourquoi nous cherchons plutôt à reconstituer les déplacements associés aux transports en commun. Jusque-là, nous nous intéressions trop peu aux micro-déplacements (le trajet pour aller chercher son pain au coin de la rue, celui pour aller vers son arrêt de bus,…). Depuis 18 mois, nos équipes développent une solution qui permet de reconstituer les flux de déplacements sur les territoires à partir de traces GPS. Ces traces correspondent aux données de géolocalisation de smartphones, qui peuvent être collectées tout au long de la journée par l’intermédiaire des applications qui y sont installées, avec le consentement du propriétaire du téléphone [6].

Ces nouveaux développements technologiques nous donnent la conviction que les nouvelles données massives comme les données GPS sont extrêmement pertinentes pour s’intéresser à ces micro-déplacements, orienter les politiques urbaine et évaluer leurs impacts, et ce pour trois principales raisons :

  • Les données GPS nous donnent l’opportunité d’observer les déplacements avec une granularité spatiale (<10 mètres) extrêmement fine,
  • Elles permettent la reconstitution de flux constatés, et non plus modélisés, à partir d’un échantillon de plusieurs millions d’individus chaque jour,
  • Enfin, elles sont récoltées en quasi-temps réel, et permettent donc un suivi continu des flux de déplacements avec une précision temporelle extrêmement fine.

Nous travaillons à ce jour sur plusieurs cas d’application pour traiter ces questions d’usage de la voirie, comme l’impact de l’élargissement des trottoirs sur les densités piétonnes, ou encore les variations de fréquentations entre le jour et la nuit.

Le périmètre de nos expérimentations

Nous disposons d’un panel de 3,5 Millions d’utilisateurs en France, qui génèrent chaque jour plusieurs centaines de millions de traces GPS. Nous récupérons ainsi des successions de coordonnées (x, y, z), captées tout au long de la journée à différents instants (t), et associées à des identifiants de terminaux (UUID). L’analyse de ces traces permet de reconstituer les différents déplacements effectués par les porteurs de ces smartphones, et de déterminer les modes empruntés (marche, voiture, transports en commun, …). La généralisation de l’usage des téléphones connectés à internet et équipés de capteurs GPS en fait une source de données à très fort potentiel pour l’analyse des mobilités.

Nous avons approfondi nos traitements sur les villes de Paris et Lyon,[CC1] ces deux métropoles ayant des politiques de mobilité visant à valoriser les espaces réservés aux piétons. Leur principale stratégie est d’apaiser l’espace public en réduisant la place des véhicules motorisés au profit des mobilités actives. Notre méthodologie permet aux autorités publiques d’identifier les zones saturées en fonction de l’heure de la journée, les variations de fréquentation des espaces piétons entre les différents jours de la semaine, et le degré d’appropriation de nouveaux espaces récemment piétonnisés.

Les différents indicateurs d’utilisation des espaces piétons

Les données que nous recevons nous permettent d’identifier la position géographique de l’utilisateur et l’heure à laquelle cette position a été relevée. Elles nous permettent de reconstituer les déplacements des personnes de notre échantillon, ainsi que leurs caractéristiques : la direction, la vitesse et, par croisement avec les données cartographiques des voiries, les rues qu’il a empruntées.

Le principe algorithmique est le suivant :

  • Identification des déplacements (points de départ et de destination) à partir des géolocalisations successives d’un même téléphone
  • Détection des déplacements piétons en fonction des vitesses de déplacements, des pics d’accélération et des longueurs et durées de parcours
  • Reconstitution des rues empruntées à partir des géolocalisations discrètes et d’un moteur de calcul d’itinéraires piétons.
Exemple d’un déplacement piéton reconstitué à partir des géolocalisations discrètes (cercles noirs)

L’ensemble de ces déplacements piétons reconstitués à partir de notre panel constitue des volumes suffisamment importants pour déterminer les différences de fréquentations par sections de rues, à des horaires et pour des journées spécifiques. Cela nous permet de construire différents indicateurs :

  • Indicateur de débit (volume de fréquentation)
  • Indicateur de densité (débit rapporté à une dimension)
  • Orientation des flux sur une section (majoritairement dans un sens ou équilibre entre les deux sens)

Il est alors possible de hiérarchiser les sections de rues par indices (1 à 10 par exemple), afin d’identifier les rues les plus fréquentées selon les heures de la journée, ou les sections de rues avec la plus forte densité de piétons (volume piétons rapporté à la largeur de trottoir par exemple)

Nous identifions ainsi les “points chauds”, à savoir les espaces saturés dans lesquels la circulation piétonne est plus difficile qu’ailleurs. Un tronçon avec une fréquentation moyenne, mettons d’indice 5, pourra s’il est très étroit présenter une densité très élevée, et méritera d’avantage l’attention des pouvoirs publics qu’une rue avec une fréquentation élevée mais une densité faible.

La corrélation de ces informations avec les directions des parcours et les vitesses des personnes permettent de reconstituer les principaux flux de personnes et d’identifier très précisément les endroits où il y a le plus de croisements ou encore les zones dans lesquelles les citoyens peuvent stationner plus longuement. Une fois ces zones de tensions identifiées et portées à la connaissance des pouvoirs publics, il sera alors possible de réaliser des aménagements ciblés de la voirie : passage d’un tronçon en zone piétonne, agrandissement des trottoirs, etc.

Fréquentation par tronçons vs densité piétonne dans le quartier Bellecour-Cordeliers à Lyon

Ces informations nous permettent d’avoir des photographies détaillées de l’usage des voiries en semaines ou sur des jours de week-ends, en soirées ou en heures de pointe, … Nous pouvons aussi les corréler à des événements ou des effets météo afin d’évaluer leurs impacts. Nous pouvons donc identifier les rues, places, abords de gare, (etc.) dans lesquels la circulation piétonne est difficile.

La succession de ces photographies au cours du temps rend possible la reconstitution du film et de la dynamique tout au long d’une période. Par exemple, un abord de gare sera potentiellement plus saturé un lundi en heure de pointe du matin qu’un samedi à 15h.

De même il peut être intéressant de comparer deux périodes distinctes : nous étudions par exemple la reprise de la mobilité post-confinement, en comparaison avec la mobilité d’avant crise COVID19. Nous pourrions tout aussi bien évaluer les variations lors des périodes touristiques.

Evolution de la fréquentation au cours de la journée

Auteurs

Noémie Chaminade, Ornella Robard, Charlotte Chebassier, Sylvain Coppéré, Félix Motot

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