Chômeurs, créateurs de valeur ?

Paul Richardet
Paul R
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6 min readSep 29, 2015

Chômage, uberisation, entreprenariat, robotisation, revenu de base, fin du salariat… Le travail subit une profonde mutation qui soulève de nombreuses interrogations : Quel impact la technologie a-t-elle sur nos modes d’organisations ? Comment adapter le code du travail à ces transformations sans pour autant remettre en cause les acquis sociaux ? Les robots vont-ils nous remplacer ? Est-ce la fin du travail comme le prédit de plus en plus de monde ? Doit-on nécessairement travailler pour créer du lien social ?

NUMA, au coeur de la transformation numérique de la société à tous les niveaux (nous accompagnons au quotidien grandes entreprises, PME, startup, associations, citoyens, communautés dans cette transformation…) a choisi, via une série d’événements, de se pencher sur ces questions. C’est dans cette optique que se tenait, le 22 juin dernier à NUMA, une table-ronde co-organisée avec le Social Media Club intitulée “Chômeurs, créateurs de valeur”.

Pour Marion Hislaire, son organisatrice avec Pierre-Olivier Cazenave, l’événement avait pour objectif de mieux préciser la porosité entre travail et chômage, dont les modèles ont été décloisonnés compte tenu de la mutation dans les modes d’organisation de l’entreprise. Il est ainsi possible d’être officiellement au chômage et simultanément de profiter pour construire son prochain emploi en créant une startup. Avec le statut d’auto-entrepreneur on voit des emplois traditionnels s’orienter vers des prestations de travailleur indépendant. Cependant, il ne faudrait pas avoir une vision trop angélique du travail dit collaboratif. Sur les grands réseaux de l’économie du partage, Uber, Airbnb, la nouvelle répartition des richesse n’est pas nécessairement plus parfaite. Un chauffeur Uber n’est pas mieux payé qu’avant mais il peut être dans une situation plus précaire. Finalement, la solution se trouverait probablement dans la mise en place du revenu de base : “Tout le monde participe, donc tout le monde est acteur.”

Erwann Kezzar est directeur associé de Simplon, une entreprise (agréée sociale et solidaire) qui met en place des actions de formation au code auprès d’un large public. Il lance le débat avec quelques déclarations bien senties : “ Tout le monde ne devient pas développeur, mais tout le monde peut bosser dans le numérique ”. D’après lui, il y a effectivement une fracture numérique, mais elle n’est pas exactement là où on l’imagine. A savoir, entre les jeunes et les plus âgés, les urbains ou non urbains, etc… Et finalement elle serait plus facile à résoudre qu’on ne le pense. Ainsi le numérique facilite et met à disposition de nombreux outils relativement simples qui peuvent être utilisés par tous. Par exemple des sites de e-commerce peuvent être mis en place en quelques heures, ou bien OpenClassRoom permet de se former de manière rapide et distribuée, sans blocage à l’entrée.

Jérémy Clédat est patron (CEO) d’une startup “ Welcome to the Jungle “ dont le moto est “Trouver la tribu qui vous convient — postulez en un clic”. Dans l’ancien monde, on aurait dit qu’elle propose des offres d’emplois, mais ici, l’expérience utilisateur est bien plus riche ! Jérémy pense qu’il y a le chômage choisi et le chômage voulu. Il avait un bon job dans une grande entreprise, et maintenant il est chef d’entreprise d’une startup. Il a remarqué sur sa plateforme que les trois quarts des entreprises sont créées par des chômeurs. Il constate que cela favorise une énorme capacité de création de jobs. “Le digital est en train de refaçonner le contrat qui lie l’entreprise à la personne qui va travailler. Et c’est souvent un contrat de free lance…” Ce qui permet de concilier une plus grande capacité d’adaptation et un haut niveau technique… et sans doute plus de précarité.

François-Xavier Petit est conseiller numérique, innovation et prospective au cabinet du Ministre du travail et de l’emploi. Il précise d’emblée : “Avant d’arriver au ministère, j’étais historien à la Sorbonne…” Il y a toujours eu une différence entre le travail et le non-travail. A l’origine, on enfermait les gens pour vagabondage. Puis dans les années 1910, il a fallu inscrire les travailleurs dans une durée plus stable afin de fournir de la main d’oeuvre à l’appareil productif et l’on s’est mis à distinguer l’emploi et le chômage par le biais du contrat de travail. C’est ainsi que derrière la dimension économique est apparue une dimension sociale. Tout se passait bien. Mais dans les années 70, cette organisation se craquelle. Aujourd’hui, on constate tout un volant de travailleurs que l’on est incapable de qualifier et qui ne “rentrent pas dans les cases”. Beaucoup de personnes ne travaillent pas suffisamment pour avoir les droits à la retraite. Il n’est pas rare de cumuler trois pensions de retraite pour une seule personne. Aujourd’hui, le chômage est généralement vécu comme une situation d’exclusion. Dans le monde des startups, la situation est assez différente. C’est une population avec un haut capital social et culturel et une forte employabilité. Le slogan “tous employeurs” n’est pas la solution pour tout le monde et cache une vraie disparité. Cependant, certains modèles restent très prisonniers du passé, et on peut imaginer de prévoir un compte personnel d’activité, avec des droits attachés à la personne et non à son contrat, afin de mieux sécuriser les parcours professionnels dans une individualisation de la protection sociale.

Claude Emmanuel Triomphe est délégué général à l’association ASTREE. Il se présente comme un représentant du vieux monde et considère que le milieu des gens avec lequel il travaille est assez différent des gens d’ici (au NUMA). Il a été 15 ans inspecteur du travail en charge du contrôle des licenciements. Il devait statuer sur le fait de savoir si les gens font ou non des recherches d’emploi et donc s’il fallait leurs supprimer les indemnités. C’était terrible. Il se rappelle le cas d’une personne qui pendant son chômage se consacrait presque exclusivement à aider les autres aux Restos du coeur, et donc en contradiction avec le droit au chômage indemnisé. Que faire ? Il pense que la responsabilité sociale des entreprises, c’est du social washing. Selon son expérience associative au niveau européen, il constate la montée du travail économiquement dépendant, c’est à dire des personnes sans statut de salarié mais qui sont quand même avec un seul client. Il faut dire que nous ne savons pas traiter au niveau européen ce type de situation. L’Europe ne veut pas d’une tierce catégorie (entre le salariat et la pure relation commerciale). Il semble un peu désespéré et constate que finalement nous avons un chômage terrible des jeunes et que les diagnostics habituels se soldent par un échec cuisant. Pour lui, la question n’est pas celle de l’emploi mais celle du travail en général. Il reste à inventer une méthode,

Et finalement, Marion se demande :

“Si c’est la fin du travail, est-ce la fin du chômage également ?”

Retrouvez l’intégralité de la conférence “Chômeurs, créateurs de valeur ?”

Paul Richardet & Marion Hislaire / #CMTZ / CCby

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Iconoclaste, original, décalé, sensitif, fervent, entremetteur, fraternel, irruptif, boréal, perceptible, humain, trop humain...